La Sécurité Sociale et « la Sociale »
Le
film documentaire de Gilles Perret, « la
Sociale », remet à l’honneur les conditions d’instauration du régime
de Sécurité Sociale en France. Cette formidable
avancée au sortir de la 2ème guerre mondiale dans une France
meurtrie, appauvrie, où tout est à reconstruire, démontre la détermination sociale de ses initiateurs
communistes et Cgétistes. Instaurer la protection vieillesse, la protection
maladie/accidents du travail/maladies professionnelles ainsi que les allocations
familiales, n’était pas une mince affaire.
Toutefois,
ce documentaire occulte le contexte, les difficultés rencontrées et les
répressions qui se sont produites à la Libération. « Les jours heureux »,
l’intitulé du programme du Conseil National de la Résistance, ont eu du mal à émerger et furent ignorés dans
la douleur pour beaucoup d’autres… de l’Empire français. Pour que l’on évite de
sombrer dans l’illusion d’une nostalgie d’un âge d’or, le contexte et des faits
propres à cette époque, se doivent d’être rappelés.
Tout
d’abord, le contexte était favorable à la mise en place de lois sociales. Après
la crise économique et financière de 1929-1930, la misère, le fascisme et la
guerre, l’esprit qui dominait était « plus
jamais ça ». Même un conservateur comme Keynes était favorable à une
modification d’ampleur du capitalisme qui devait être régulé. A l’époque, le
prestige de l’URSS libératrice et des communistes était d’une ampleur
considérable. Quant au patronat, et à une grande fraction de la bourgeoise, ils
s’étaient complètement discrédités dans la collaboration avec les nazis.
Toutefois,
le parti colonial, la volonté de
conserver, de restaurer l’Empire, était largement
partagé, comme les idées racistes malgré la défaite du nazisme. A preuves.
En décembre 1944, les
tirailleurs sénégalais (1 600 soldats) sont rapatriés et incarcérés à
Thiaroye, près de Dakar, dans l’attente de la promesse de démobilisation et du
versement de leur solde. Réclamant le versement de cette prime, pour tout pécule ils ne recevront que du plomb. Le général Dagnan donna
l’ordre de tirer sur ces protestataires, le
6 mai 1945 : 191 tués, les autres furent condamnés à 10 ans de prison
puis… graciés en 1947. Cette répression est à mettre en relation avec « l’opération de blanchiment » de
l’armée française. Il ne devait pas y avoir de « taches noires » dans le défilé parisien. A la différence de la
guerre 14-18, on ne célébrait plus la « force noire », première appellation des tirailleurs sénégalais.
Les résistants FTP, et autres incorporés
dans les FFI, après avoir combattu en
France et en Allemagne nazie, furent engagés dans les colonies. Après le massacre
de Sétif et Guelma en Algérie, contre les partisans de l’indépendance de ce
pays (30 000 à 40 000 morts) et ce, en 1945, les répressions
sanglantes et les guerres coloniales vont se succéder : à Madagascar contre l’insurrection
populaire (89 000 morts !), en Indochine
jusqu’en 1954, en Algérie (1962). Ce furent pour ces populations des jours
malheureux.
En
outre, l’opération d’épuration de l’Etat
pétainiste n’a touché que les personnalités les plus compromises. Ainsi,
Mitterrand, le décoré de la francisque, et Bousquet, l’organisateur de la déportation
des Juifs, sortirent blanchis à la Libération. Plus repoussantes encore furent
les exactions des résistants de la dernière heure, tondant publiquement les
femmes ayant eu ou soupçonnées d’avoir eu des relations avec les Allemands.
Plus
fondamentalement, les Trente Glorieuses commençaient mal.
Le 4 mars 1947, les Communistes étaient
expulsés du gouvernement. Préparées
par la CIA et l’AFL-CIO (syndicat étatsunien, la scission de la CGT et la création
de FO affaiblissaient l’unité de la classe ouvrière en recomposition.
Tout n’était pas rose malgré les 2.7 milliards de dollars consentis dans le
cadre du Plan Marshall. Les tickets de rationnement ne furent supprimés qu’en
décembre 1949. En 1954, lors de cet hiver rigoureux, l’abbé Pierre tonnait
contre la misère et le mal-logement.
Ce
billet, pour insister sur deux principes :
-
Sans connaissance du passé, l’on peut être
amené à reproduire des erreurs similaires
-
un peuple qui en domine un autre (ou des
autres) ne peut être un peuple libre.
GD,
le 26.03.2023