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vendredi 6 octobre 2023

 

La Françafrique après le Gabon

 

Dans le dernier numéro de notre publication, tout en relatant les raisons du coup d’Etat au Niger, nous évoquions celui du Gabon qui venait de se produire. Ce dernier est quelque peu différent des précédents mais il indique néanmoins que la Françafrique se délite. Non seulement la solution militaire à l’expansion du djihadisme a démontré ses limites mais c’est, plus généralement, l’influence et la présence du néo-colonialisme français qui sont en voie de rétrécissement accéléré.

 

Les révolutions de palais au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Niger et maintenant au Gabon signifient que ces pays sont prêts, désormais, à jouer la carte d’autres impérialismes pour se détacher de la tutelle délétère de la France. C’est ce que tend à démontrer le coup d’Etat, dit de liberté, qui vient de se produire au Gabon. Les ultimatums de la prétendue communauté économique de l’Afrique de l’ouest (Cédeao) ne semblent pas y changer grand-chose : la Françafrique, cet « empire qui ne voulait pas mourir » termine sa période de domination entamée dans les années 60 pour entrer dans la phase terminale de son agonie. Mais, cette longue maladie peut encore durer longtemps.

 

Le coup d’Etat inattendu au Gabon

 

C’est un petit pays pétrolier, en apparence l’un des plus riches. Il ne compte que 2 millions d’habitants dont la plupart végète dans la pauvreté et le chômage. Dans les années 60, comme dans d’autres pays de l’ouest africain, l’indépendance octroyée s’est traduite par une dépendance réelle. A peine Léon Mba intronisé, l’armée française intervenait, face à un coup d’Etat en 1964, pour le réinstaller. Malade, ce fantoche dut céder sa place en 1967 à son directeur de cabinet, Omar Bongo. Sous tutelle de Foccart, l’âme damnée de De Gaulle, il soutiendra l’intervention militaire française au Biafra en mettant son pays à disposition, tout en livrant son pétrole et son uranium. En outre, ce pays constitue la base d’installation des mercenaires français, dirigés par Bob Denard. Le prétendu corsaire de la République française multipliera les interventions dans les ex-colonies françaises pour maintenir des régimes à la solde de l’impérialisme français. Ces « affreux », cet aéropage issu du grand banditisme corse, pouvait en toute tranquillité, blanchir leur argent sale dans les casinos gabonais. Avec les subsides du pétrole, le père Bongo considère le pays comme son patrimoine privé et ses mallettes de billets comme un moyen de s’assurer la bienveillance des politiciens français, quelle que soit leur obédience. Il se vantera d’ailleurs de les avoir tous arrosés, y compris le PCF et le FN (!). Instaurant le multipartisme, il fut le spécialiste des élections truquées, s’arrangeant ainsi pour que son fils lui succède, tout comme son clan et sa famille.

 

Au pouvoir depuis 14 ans, Ali Bongo, le fils, a dû faire face à une opposition et à une mobilisation de plus en plus importante. En 2016, le scrutin contesté qui lui permet de se maintenir au pouvoir, est marqué par une répression féroce : Assemblée nationale incendiée, 30 morts parmi les manifestants.

 

Le coup d’Etat de 2023 survient après le changement du mode de scrutin qui viole la liberté de choix des électeurs (bulletin unique pour les présidentielles et les législatives) et surtout qui inverse les résultats : les 70 % de l’opposant Ondo Ossa sont attribués à Ali Bongo et à sa clique. Face à la colère populaire et aux milliers de manifestants dans les rues des villes, en particulier dans la capitale Libreville, l’armée prend de vitesse la population. Oligui Nguema prétend « sauver les meubles » et déclare que « l’armée ne veut plus tuer de Gabonais ». Cette révolution de palais dissout les institutions existantes, met en place un comité de transition composé exclusivement de militaires, dote des pleins pouvoirs le général  putschiste qui octroie quelques strapontins à l’opposition et à des personnalités du clan Bongo à l’Assemblée nationale et au Sénat où nombre de représentants sont nommés par ses soins.

 

Stupéfait, le Macron s’époumone : « c’est une épidémie ». Il suspend l’aide et la coopération militaire mais… laisse en place les 400 militaires français, stationnés à Port Gentil. « Abandonné » le pillage lucratif de ce pays ? Impensable ! Ce sont  81 entreprises françaises qui réalisent 3 milliards de chiffres d’affaires par an. C’est Total Energie qui, avec ses 350 salariés, pompe 17 000 barils par jour. Ce sont le groupe minier ERAMET qui, avec ses 800 salariés, extrait du manganèse, du nickel et sa filiale SETRAG qui exploite le chemin de fer transgabonais et achemine les matières premières essentielles à la confection d’alliages pour les batteries électriques. Mais ce sont aussi d’autres entreprises comme Air France, Eiffage, Colas, Air Liquide et CMA CGM, spécialisé dans le transport maritime.

 

Enfin, le Gabon est un Etat corrompu et corrupteur, à la main de la caste dirigeante et de la classe dominante française. Un grand déballage risque d’avoir des retombées peu reluisantes. Des perquisitions ont déjà eu lieu chez le fils, la femme et les affidés de Bongo. Ont été découverts des coffres forts débordant d’argent liquide dont 4 milliards de francs CFA (6 millions €) chez son fils. Une enquête est lancée pour détournement de deniers publics, trafic de stupéfiants ( !). Ça la fout mal d’autant que la justice française, saisie, bloquée jusqu’ici, pourrait bien déballer tous ces Biens mal acquis : 39 propriétés dans la région parisienne, 11 sur la Côte d’Azur, sans compter celles de Londres et du Maroc… Il va sans dire que les gouvernements successifs qui ont soigné les Bongo, les De Gaulle, Pompidou, Mitterrand, Chirac, Sarko... jusqu’à Macron, ont encouragé, laissé perdurer cette gabegie de corruption fastueuse. Cette face noire du néo-colonialisme peut éclairer la réalité de République bourgeoise.

 

Où va l’Afrique de l’Ouest ?

 

Il est possible que le Gabon reste quelque temps dans l’orbite française. Mais assurément, ce n’est pas le cas depuis 2020 du Mali et de l’éviction d’Ibrahim Traoré Keita dit IBK, ni de la Guinée depuis le renversement d’Alpha Condé, encore moins du Burkina Faso et du Niger, sans compter la Centre-Afrique. D’autres dominos pourraient chuter : le Congo-Brazzaville, le Cameroun et même le Tchad où Macron s’était empressé d’adouber le fils Deby, entérinant ainsi le coup d’Etat constitutionnel du Conseil militaire.

 

Bravache face à la folie de l’épidémie de putschs, Macron a dénoncé les accords militaires passés avec le Niger, exigé le retour à l’ordre constitutionnel et poussé la Communauté (restreinte) économique de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) à intervenir militairement. Ultimatums, pressions, sanctions, rien n’y fait d’autant que les pays ayant expulsé l’armée française ont promis de se porter au secours du régime nigérien en cas d’invasion. Le roitelet de l’Elysée, en brave matamore, a déclaré « Je soutiendrai, sans y participer, une intervention militaire de la Cédeao ». Depuis, de conciliabules en conciliabules, les fiers à bras se sont calmés et d’abord ceux du Nigéria qui ont leurs propres soucis, ces seigneurs de guerre, bandits et djihadistes qui sévissent au nord-ouest de ce pays.

 

Furibond face aux critiques du régime nigérien s’appuyant sur le rejet de la présence française parmi la population prétendant que la Cedeao est à la solde de la France, Macron refuse d’obtempérer. L’ambassadeur français restera à son poste mais les expatriés sont priés, en catimini, de faire leurs valises. L’armée française doit rester, les accords ont été signés avec le Président déchu… mais, forcée, elle se prépare à partir… par où ? Il faut traverser le Bénin, puis embarquer au port de Cotonou… Un revers n’arrivant jamais seul, après le manque de soutien de ladite « communauté internationale » (USA, Europe ?) le 7 septembre, les militaires états-uniens partageant avec les français, la base de Niamey, décident (unilatéralement !) de la quitter pour se « redéployer » au nord à Agadez (1). Ils laissent ainsi, en première ligne, les 1 500 « braves guerriers » français, face aux manifestants nigériens qui exigent, comme leur « gouvernement », leur départ dans les plus brefs délais.

 

Toute cette série d’évènements illustre l’échec de l’intervention militaire contre le terrorisme qui se nourrit du « mal développement ».

 

Un retour en arrière s’impose

 

pour découvrir les origines et la nature des impasses actuelles de la Françafrique meurtrie. Son vaste marché de matières premières est désormais la proie de nombreuses puissances en concurrence.

 

En fait, comme déjà souligné, tout commence dans les années 60. Face aux luttes de libération nationales, à la décolonisation et aux aspirations nées des mouvements afro-asiatiques, le pouvoir gaulliste en France entend conserver la main mise sur ses colonies africaines. « L’empire qui ne veut pas mourir » va donc octroyer des indépendances factices, tout en mettant en place des gouvernements fantoches ou suffisamment soumis pour que les affaires continuent en faveur du capitalisme français. Cette histoire néocoloniale va connaître plusieurs phases : celle de l’ingérence, y compris armée, pour maintenir ou restaurer la soumission des pouvoirs en place.

 

Avec la fin de la guerre froide, la chute du mur de Berlin, et surtout l’avènement de la mondialisation financière, des mutations s’opèrent. Le multipartisme, les élections plus ou moins truquées sont introduites. Surtout, l’on assiste, suite à l’endettement des pays notamment africains, à l’intervention du FMI et de la Banque Mondiale. L’octroi de prêts est conditionné à l’austérité budgétaire et à la destruction des services publics existants. Dès les années 90, les ONG occidentales et onusiennes les remplacent, rétrécissant les pouvoirs des Etats, appauvrissant de fait les populations d’autant que la jeunesse de moins de 15 ans, privée d’avenir, représente plus de 40 % des populations de l’ouest africain. Mis à part les soubresauts des peuples et les interventions militaires comme en Côte d’Ivoire, destinés à éviter la mise en œuvre d’une politique d’autonomie relative, le dernier tournant, dramatique, est causé par l’intervention militaire des Occidentaux, Sarkozy en tête, avec son propagandiste BHL, en Libye. L’arsenal syrien est libéré, les djihadistes et les Touaregs s’en emparent pour porter la guerre au Sahel sur fond de pauvreté, de rejet des élites corrompues et de la présence néocoloniale de la France. Même si le « culbuto » Hollande déclare à Bamako que « c’est la journée la plus importante de ma vie politique », la réalité est tout autre. Certes, les djihadistes ont été stoppés, les Touaregs ramenés à la raison après quelques concessions mais la dissémination du djihad se développe territorialement.

 

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Ce que les Africains ne supportent plus, tout particulièrement la jeunesse, c’est l’arrogance donneuse de leçons des autorités gouvernementales françaises. L’histoire connaît des retours cinglants à l’image d’un Sarko prétendant que « les Africains ne sont pas rentrés dans l’histoire » alors même que ce personnage finira dans les poubelles de l’histoire… Toujours est-il que la voix de la France (RFI) est suspendue à Niamey, tout comme l’extraction d’uranium, pillé depuis 1968 par Areva, devenue Orano. Les éditorialistes bien intentionnés ont beau souligner que le Niger ne produit plus que 17 % des besoins nécessaires au fonctionnement des centrales nucléaires de l’Hexagone, la prétendue indépendance énergétique de la France passera désormais par le Kazakhstan et la Russie, voire ensuite le Canada après un enrichissement subséquent de  ce combustible.

 

Bien qu’il doive en rabattre, le frustré de l’Elysée s’en est pris aux étudiants et artistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Il a décrété un boycott de représailles : l’annulation des visas, des bourses, des aides, de quoi augmenter ( !) l’influence française auprès des 3 000 étudiants Maliens, des 2 500 Burkinabais, des 1 200 Nigériens… Cette décision outragée du coq présidentiel va certainement accentuer la tendance des jeunes étudiants à se tourner vers le Ghana pour apprendre l’anglais, afin de s’inscrire dans les universités états-uniennes. L’Empire néocolonial malade va-t-il entrer dans sa phase terminale, laissant la place à d’autres puissances ?  Rien n’indique en effet que les peuples soient à l’initiative, ils subissent les coups d’Etat militaires pour que rien ne change ou presque. 

 

C’est donc contraint que Macron vient de décider, malgré ses coups de menton, le rappel de son ambassadeur et le rapatriement des treillis. Pourvu que ce ne soit pas la débandade ; ça craint pour les bases militaires françaises positionnées au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Gabon… (2). Avant qu’il ne soit débranché (mais quand ?) Macron continue à déverser des contre-vérités : le départ des troupes françaises privées d’eau, d’électricité, en mal de ravitaillement, vont « partir en bon ordre », parce que « les autorités du Niger ne veulent plus lutter contre le terrorisme ». Les décisions prises par le freluquet de l’Elysée l’ont été, bien évidemment, en consultation avec le président en résidence surveillée et en partenariat avec la Cédeao impuissante…

 

Gérard Deneux, le 26.09.2023

 

(1)                   base américaine d’Agadez, dotée de drones d’attaque et de surveillance du Sahel a coûté 100 millions de dollars

(2)                   Réduction prévue des effectifs de l’armée française : au Gabon 200 soldats, 300 au Sénégal et 900 en Côte d’Ivoire, avant la fin de l’année ??