La
Françafrique après le Gabon
Dans le dernier numéro de notre publication,
tout en relatant les raisons du coup d’Etat au Niger, nous évoquions celui du
Gabon qui venait de se produire. Ce dernier est quelque peu différent des
précédents mais il indique néanmoins que la Françafrique se délite. Non
seulement la solution militaire à l’expansion du djihadisme a démontré ses
limites mais c’est, plus généralement, l’influence et la présence du
néo-colonialisme français qui sont en voie de rétrécissement accéléré.
Les révolutions de palais au Mali, au Burkina
Faso, en Guinée, au Niger et maintenant au Gabon signifient que ces pays sont
prêts, désormais, à jouer la carte d’autres impérialismes pour se détacher de
la tutelle délétère de la France. C’est ce que tend à démontrer le coup d’Etat,
dit de liberté, qui vient de se produire au Gabon. Les ultimatums de la
prétendue communauté économique de l’Afrique de l’ouest (Cédeao) ne semblent
pas y changer grand-chose : la Françafrique, cet « empire qui ne voulait pas mourir » termine sa période
de domination entamée dans les années 60 pour entrer dans la phase terminale de
son agonie. Mais, cette longue maladie peut encore durer longtemps.
Le coup d’Etat inattendu au Gabon
C’est un petit pays pétrolier, en apparence l’un
des plus riches. Il ne compte que 2 millions d’habitants dont la plupart végète
dans la pauvreté et le chômage. Dans les années 60, comme dans d’autres pays de
l’ouest africain, l’indépendance octroyée s’est traduite par une dépendance
réelle. A peine Léon Mba intronisé,
l’armée française intervenait, face à un coup d’Etat en 1964, pour le
réinstaller. Malade, ce fantoche dut céder sa place en 1967 à son directeur de
cabinet, Omar Bongo. Sous tutelle de
Foccart, l’âme damnée de De Gaulle, il soutiendra l’intervention militaire
française au Biafra en mettant son pays à disposition, tout en livrant son
pétrole et son uranium. En outre, ce pays constitue la base d’installation des
mercenaires français, dirigés par Bob
Denard. Le prétendu corsaire de la République française multipliera les
interventions dans les ex-colonies françaises pour maintenir des régimes à la
solde de l’impérialisme français. Ces « affreux », cet aéropage issu
du grand banditisme corse, pouvait en toute tranquillité, blanchir leur argent
sale dans les casinos gabonais. Avec les subsides du pétrole, le père Bongo
considère le pays comme son patrimoine privé et ses mallettes de billets comme
un moyen de s’assurer la bienveillance des politiciens français, quelle que
soit leur obédience. Il se vantera d’ailleurs de les avoir tous arrosés, y
compris le PCF et le FN (!). Instaurant le multipartisme, il fut le spécialiste
des élections truquées, s’arrangeant ainsi pour que son fils lui succède, tout
comme son clan et sa famille.
Au pouvoir depuis 14 ans, Ali Bongo, le fils, a dû faire face à une opposition et à une
mobilisation de plus en plus importante. En 2016, le scrutin contesté qui lui
permet de se maintenir au pouvoir, est marqué par une répression féroce :
Assemblée nationale incendiée, 30 morts parmi les manifestants.
Le coup d’Etat de 2023 survient après le
changement du mode de scrutin qui viole la liberté de choix des électeurs
(bulletin unique pour les présidentielles et les législatives) et surtout qui
inverse les résultats : les 70 % de l’opposant Ondo Ossa sont attribués à Ali Bongo et à sa clique. Face à la
colère populaire et aux milliers de manifestants dans les rues des villes, en
particulier dans la capitale Libreville, l’armée prend de vitesse la
population. Oligui Nguema prétend
« sauver les meubles » et
déclare que « l’armée ne veut plus
tuer de Gabonais ». Cette révolution de palais dissout les
institutions existantes, met en place un comité de transition composé
exclusivement de militaires, dote des pleins pouvoirs le général putschiste qui octroie quelques strapontins à
l’opposition et à des personnalités du clan Bongo à l’Assemblée nationale et au
Sénat où nombre de représentants sont nommés par ses soins.
Stupéfait, le Macron s’époumone : « c’est une épidémie ». Il suspend
l’aide et la coopération militaire mais… laisse en place les 400 militaires
français, stationnés à Port Gentil. « Abandonné » le pillage lucratif de ce pays ?
Impensable ! Ce sont 81 entreprises
françaises qui réalisent 3 milliards de chiffres d’affaires par an. C’est Total
Energie qui, avec ses 350 salariés, pompe 17 000 barils par jour. Ce sont
le groupe minier ERAMET qui, avec ses 800 salariés, extrait du manganèse, du
nickel et sa filiale SETRAG qui exploite le chemin de fer transgabonais et
achemine les matières premières essentielles à la confection d’alliages pour les
batteries électriques. Mais ce sont aussi d’autres entreprises comme Air France,
Eiffage, Colas, Air Liquide et CMA CGM, spécialisé dans le transport maritime.
Enfin, le Gabon est un Etat corrompu et corrupteur, à la main de la caste dirigeante et de la
classe dominante française. Un grand déballage risque d’avoir des retombées peu
reluisantes. Des perquisitions ont déjà eu lieu chez le fils, la femme et les
affidés de Bongo. Ont été découverts des coffres forts débordant d’argent
liquide dont 4 milliards de francs CFA (6 millions €) chez son fils. Une
enquête est lancée pour détournement de deniers publics, trafic de stupéfiants
( !). Ça la fout mal d’autant que la justice française, saisie, bloquée
jusqu’ici, pourrait bien déballer tous ces Biens mal acquis : 39
propriétés dans la région parisienne, 11 sur la Côte d’Azur, sans compter
celles de Londres et du Maroc… Il va sans dire que les gouvernements successifs
qui ont soigné les Bongo, les De Gaulle, Pompidou, Mitterrand, Chirac, Sarko...
jusqu’à Macron, ont encouragé, laissé perdurer cette gabegie de corruption
fastueuse. Cette face noire du néo-colonialisme peut éclairer la réalité de République bourgeoise.
Où va l’Afrique de l’Ouest ?
Il est possible que le Gabon reste quelque temps
dans l’orbite française. Mais assurément, ce n’est pas le cas depuis 2020 du
Mali et de l’éviction d’Ibrahim Traoré Keita dit IBK, ni de la Guinée depuis le
renversement d’Alpha Condé, encore moins du Burkina Faso et du Niger, sans
compter la Centre-Afrique. D’autres
dominos pourraient chuter :
le Congo-Brazzaville, le Cameroun et même le Tchad où Macron s’était empressé d’adouber le fils Deby, entérinant ainsi le
coup d’Etat constitutionnel du Conseil militaire.
Bravache face à la folie de
l’épidémie de putschs, Macron a dénoncé les accords militaires passés avec le
Niger, exigé le retour à l’ordre constitutionnel et poussé la Communauté
(restreinte) économique de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) à intervenir
militairement. Ultimatums, pressions, sanctions, rien n’y fait d’autant que les
pays ayant expulsé l’armée française ont promis de se porter au secours du
régime nigérien en cas d’invasion. Le roitelet de l’Elysée, en brave matamore,
a déclaré « Je soutiendrai, sans y
participer, une intervention militaire de la Cédeao ». Depuis, de conciliabules
en conciliabules, les fiers à bras se sont calmés et d’abord ceux du Nigéria
qui ont leurs propres soucis, ces seigneurs de guerre, bandits et djihadistes
qui sévissent au nord-ouest de ce pays.
Furibond face aux critiques du
régime nigérien s’appuyant sur le rejet de la présence française parmi la
population prétendant que la Cedeao est à la solde de la France, Macron refuse
d’obtempérer. L’ambassadeur français restera à son poste mais les expatriés
sont priés, en catimini, de faire leurs valises. L’armée française doit rester,
les accords ont été signés avec le Président déchu… mais, forcée, elle se
prépare à partir… par où ? Il faut traverser le Bénin, puis embarquer au port
de Cotonou… Un revers n’arrivant jamais seul, après le manque de soutien de
ladite « communauté internationale » (USA, Europe ?) le 7
septembre, les militaires états-uniens partageant avec les français, la base de
Niamey, décident (unilatéralement !) de la quitter pour se « redéployer »
au nord à Agadez (1). Ils laissent ainsi, en première ligne, les 1 500 « braves
guerriers » français, face aux manifestants nigériens qui exigent, comme
leur « gouvernement », leur départ dans les plus brefs délais.
Toute cette série d’évènements illustre l’échec
de l’intervention militaire contre le terrorisme qui se nourrit du « mal
développement ».
Un retour en arrière s’impose
pour découvrir les origines et la nature des
impasses actuelles de la Françafrique meurtrie. Son vaste marché de matières
premières est désormais la proie de nombreuses puissances en concurrence.
En fait, comme déjà souligné, tout commence dans
les années 60. Face aux luttes de libération nationales, à la décolonisation et
aux aspirations nées des mouvements afro-asiatiques, le pouvoir gaulliste en
France entend conserver la main mise sur ses colonies africaines. « L’empire qui ne veut pas mourir »
va donc octroyer des indépendances
factices, tout en mettant en place des gouvernements fantoches ou
suffisamment soumis pour que les affaires continuent en faveur du capitalisme
français. Cette histoire néocoloniale va connaître plusieurs phases :
celle de l’ingérence, y compris armée, pour maintenir ou restaurer la soumission
des pouvoirs en place.
Avec la fin de la guerre froide, la chute du mur
de Berlin, et surtout l’avènement de la mondialisation
financière, des mutations s’opèrent. Le multipartisme, les élections plus
ou moins truquées sont introduites. Surtout, l’on assiste, suite à
l’endettement des pays notamment africains, à l’intervention du FMI et de la
Banque Mondiale. L’octroi de prêts est conditionné à l’austérité budgétaire et à la destruction des services publics
existants. Dès les années 90, les ONG occidentales et onusiennes les
remplacent, rétrécissant les pouvoirs des Etats, appauvrissant de fait les
populations d’autant que la jeunesse de moins de 15 ans, privée d’avenir,
représente plus de 40 % des populations de l’ouest africain. Mis à part les
soubresauts des peuples et les interventions militaires comme en Côte d’Ivoire,
destinés à éviter la mise en œuvre d’une politique d’autonomie relative, le
dernier tournant, dramatique, est
causé par l’intervention militaire des Occidentaux, Sarkozy en tête, avec son
propagandiste BHL, en Libye.
L’arsenal syrien est libéré, les djihadistes et les Touaregs s’en emparent pour
porter la guerre au Sahel sur fond de pauvreté, de rejet des élites corrompues
et de la présence néocoloniale de la France. Même si le « culbuto »
Hollande déclare à Bamako que « c’est
la journée la plus importante de ma vie politique », la réalité est
tout autre. Certes, les djihadistes ont été stoppés, les Touaregs ramenés à la
raison après quelques concessions mais la dissémination du djihad se développe
territorialement.
>>><<<
Ce que les Africains ne supportent plus, tout
particulièrement la jeunesse, c’est l’arrogance donneuse de leçons des
autorités gouvernementales françaises. L’histoire connaît des retours cinglants
à l’image d’un Sarko prétendant que « les
Africains ne sont pas rentrés dans l’histoire » alors même que ce
personnage finira dans les poubelles de l’histoire… Toujours est-il que la voix
de la France (RFI) est suspendue à Niamey, tout comme l’extraction d’uranium,
pillé depuis 1968 par Areva, devenue Orano. Les éditorialistes bien
intentionnés ont beau souligner que le Niger ne produit plus que 17 % des
besoins nécessaires au fonctionnement des centrales nucléaires de l’Hexagone,
la prétendue indépendance énergétique de la France passera désormais par le
Kazakhstan et la Russie, voire ensuite le Canada après un enrichissement
subséquent de ce combustible.
Bien qu’il doive en rabattre, le frustré de
l’Elysée s’en est pris aux étudiants et artistes du Mali, du Burkina Faso et du
Niger. Il a décrété un boycott de représailles : l’annulation des visas,
des bourses, des aides, de quoi augmenter ( !) l’influence française
auprès des 3 000 étudiants Maliens, des 2 500 Burkinabais, des
1 200 Nigériens… Cette décision outragée du coq présidentiel va
certainement accentuer la tendance des jeunes étudiants à se tourner vers le
Ghana pour apprendre l’anglais, afin de s’inscrire dans les universités
états-uniennes. L’Empire néocolonial malade va-t-il entrer dans sa phase
terminale, laissant la place à d’autres puissances ? Rien n’indique en effet que les peuples soient
à l’initiative, ils subissent les coups d’Etat militaires pour que rien ne
change ou presque.
C’est donc contraint que Macron vient de
décider, malgré ses coups de menton, le rappel de son ambassadeur et le
rapatriement des treillis. Pourvu que ce ne soit pas la débandade ; ça
craint pour les bases militaires françaises positionnées au Tchad, en Côte
d’Ivoire, au Sénégal et au Gabon… (2). Avant qu’il ne soit débranché (mais
quand ?) Macron continue à déverser des contre-vérités : le départ des troupes françaises privées
d’eau, d’électricité, en mal de ravitaillement, vont « partir en bon ordre », parce que « les autorités du Niger ne veulent plus
lutter contre le terrorisme ». Les décisions prises par le freluquet
de l’Elysée l’ont été, bien évidemment, en consultation avec le président en
résidence surveillée et en partenariat avec la Cédeao impuissante…
Gérard Deneux, le 26.09.2023
(1)
base
américaine d’Agadez, dotée de drones d’attaque et de surveillance du Sahel a
coûté 100 millions de dollars
(2)
Réduction
prévue des effectifs de l’armée française : au Gabon 200 soldats, 300 au
Sénégal et 900 en Côte d’Ivoire, avant la fin de l’année ??