Libye.
Pour comprendre le désastre actuel
La
Libye est un pays quasiment désertique. Contrairement à l’Algérie ou au Maroc,
elle ne possède pas de chaîne montagneuse intérieure qui la protégerait du
Sahara. Celui-ci avance donc presque jusqu’à la mer Méditerranée. Seule une
étroite bande côtière est densément peuplée. A l’intérieur se trouvent principalement
des éleveurs nomades. C’est ainsi que 7 millions d’habitants vivent sur un
territoire trois fois plus grand que la France. Ses voisins sont l’Egypte et le
Soudan à l’est, le Tchad, le Niger au sud, l’Algérie et la Tunisie à l’ouest.
Des Romains
au panarabisme de Kadhafi
Au
cours de l’histoire, la Libye fut occupée par les Romains. Ceux-ci découvrirent
de gigantesques nappes phréatiques et firent du nord de ce pays désertique le
« grenier à blé » de leur empire. Au 7ème siècle, les
Arabes islamisent les populations qui se répartissent en trois régions : la Cyrénaïque à l’est (Benghazi, Tobrouk…),
le Fezzan au sud (Sebha, Ghat) et la Tripolitaine à l’ouest (Tripoli,
Syrte).
Au
16ème siècle, Soliman le magnifique prend Tripoli. Les trois régions
sont alors annexées à l’empire ottoman. Au début du 20ème siècle,
c’est l’Italie qui, à la recherche
d’un empire colonial, attaque et occupe ce territoire. La « main
mise » italienne ne se fit pas sans mal, puisqu’après avoir combattu les
Turcs, les Italiens feront face à une farouche résistance arabe. A tel point,
qu’en 1918, l’Italie ayant les plus
grandes difficultés à « stabiliser » ces régions, dut « à contre
cœur » reconnaître la République Tripolitaine, premier Etat islamique au
monde à disposer d’un gouvernement républicain. Quelques mois plus tard, ils
firent de même avec « l’Emirat de Cyrénaïque ». L’Italie gardait la main
sur la justice, l’armée, la diplomatie de ces Etats. Mais en 1922, l’Italie met
fin à la relative autonomie de ces deux régions et en reprend le contrôle
total.
Ces
régions n’étaient donc pas peuplées de gens « ignares et arriérés »,
comme nous le laisse, parfois, voire souvent, penser les manuels d’histoire. Des
expériences de pouvoir intéressantes s’y déroulaient.
Jusqu’en
1931, une guérilla lutta contre la présence italienne. La pendaison de leur
chef en septembre de cette année-là y mit un terme. Mussolini, en 1932, annonce l’occupation militaire de tout le
territoire qu’il nomme Libye.
Durant
la seconde guerre mondiale, les troupes italiennes attaquent l’Egypte, le 13
septembre 1940. Dans un premier temps, elles sont repoussées par les troupes
anglaises présentes puis reçoivent l’aide de la célèbre Africa Korps et regagnent du terrain. Mais elles ne parviendront
pas à faire tomber Tobrouk malgré un siège de 240 jours. Elles s’y épuisent et
finalement en 1943, toute « la
Libye italienne » est occupée par les forces britanniques et françaises. A l’issue de la guerre, la
Tripolitaine et la Cyrénaïque passent sous le contrôle britannique et le Fezzan
sous contrôle français.
Les
Britanniques favorisent l’installation d’un royaume sur les deux régions qu’ils
contrôlent. Ils y conservent leurs bases militaires et la libre circulation et
la libre utilisation pour leurs véhicules militaires (terre, air, mer). C’est
ainsi qu’en 1951, le Royaume Uni de Libye est le premier
Etat du Maghreb à obtenir son indépendance.
Idris 1er en est le roi. En 1954, un
accord du même type est signé avec les USA. En 1955, la Libye rejoint l’ONU. Le
30 avril 1956 va changer l’histoire
du pays. Ce jour-là, la Libyan American
Oil découvre le premier gisement de
pétrole du pays ; de nombreux autres suivront et, en 1965, la Libye
est le premier producteur africain grâce à des infrastructures modernes. Les
Libyens, et surtout les Etats-uniens, profitent de cette manne financière très
conséquente. Le pays est pro-occidental et « tout va bien » pour eux,
contrairement à l’Egypte qui en 1952 avait renversé le roi Farouk.
Cette
situation confortable pour le clan occidental en Libye va durer jusqu’en 1968, date à laquelle un coup d’Etat militaire renverse le roi
et place à la tête de l’Etat un certain Mouammar
Kadhafi. Il est un capitaine de l’armée (qui se proclame rapidement
colonel) issu d’un milieu défavorisé. Il instaure la république, se réclame du
panarabisme qui vise à réunir et unifier les peuples arabes et défend
l’identité arabe dans la lignée de Nasser, Saddam Hussein…
La Libye de
Kadhafi. Un exemple ?
Sur
le plan intérieur, grâce aux ressources du pétrole, il améliore nettement la
vie du peuple libyen : école, accès à la santé gratuits, aliments de
première nécessité subventionnés… Il développe l’agriculture grâce à des
infrastructures modernes, d’irrigation notamment. Il multiplie les logements.
Les entreprises étrangères viennent construire en Libye. Alsthom crée une
centrale électrique à Tripoli. A tel point que, dans les années 70, la Libye
est présentée comme un exemple de réussite économique et indéniablement les
Libyens vivent mieux que sous la royauté. Kadhafi vise l’autosuffisance
alimentaire, mais même s’il augmente la production agricole, il n’y parviendra
jamais.
Sur
le plan politique, le tableau est moins rose. Dans un premier temps, il joue
habilement sur les divisons entre les tribus, pour empêcher la naissance d’un
contre-pouvoir et apparaître comme l’unificateur, l’homme providentiel. Mais,
rapidement, il devient l’unique décisionnaire puis un dictateur brutal. Pour
cela, il s’appuie sur un concept qui a dû faire rêver quelques hommes politiques :
la Jamahiriya. Officiellement, le
peuple gouverne directement, pas besoin de députés... Le peuple décide et fait
appliquer ses décisions par le « guide de la révolution » qui se
trouve être Kadhafi lui-même. Dans les faits, il fait ce qu’il veut, ne rend de
compte à personne, fait siennes les caisses de l’Etat…
Sur
le plan extérieur, sa politique irrite
les puissances occidentales. Il appuie, surtout financièrement, nombre de
mouvements révolutionnaires : l’IRA, la fraction Armée Rouge, le mouvement
populaire de libération de l’Angola, les groupes armés palestiniens, l’ANC de
Nelson Mandela, etc.
La
marine américaine croise régulièrement au large de la Libye et les incidents
sont nombreux : en août 1981, deux avions libyens sont abattus par la
marine étasunienne ; en 1980, l’ambassade américaine à Tripoli est
saccagée. En 1986, Tripoli et Benghazi sont bombardées par l’aviation états-unienne.
L’implication présumée des services secrets libyens dans l’attentat de
Lockerbie (un avion de ligne américain explose et fait 270 victimes) conduit à
la mise ne place d’un embargo sévère
de 1992 à 1999. A cette époque, la Libye est un Etat « paria » pour les Occidentaux. Economiquement, cependant,
il souffre peu de l’embargo. Une politique économique plutôt efficace et les revenus
du pétrole dont les Occidentaux ne peuvent se passer en font un Etat attractif
pour les travailleurs des autres pays d’Afrique qui s’y installent en masse. D’autant
plus que la Libye soutient financièrement nombre de projets africains. Elle
finance un satellite de communication, subventionne des organisations, brise le
monopole des compagnies aériennes occidentales en Afrique en créant la
compagnie aérienne libyenne l’IFRIQIYA.
Dans
les années 2000, la situation va
changer. L’ennemi de l’Occident devient le terrorisme islamique et, dans cette
guerre, Kadhafi, de paria devient un
allié car lui aussi est hostile aux islamistes radicaux. Les chefs d’Etats
se succèdent à Tripoli (Blair, Berlusconi, Chirac, Zapatero…) signant de
nombreux accords commerciaux et… une aide financière pour contenir l’afflux de
migrants en Europe. Sarko recevra Kadhafi à Paris en cédant à tous ses
caprices…
En 2011, la Libye adhère à l’OMC, mais cette année-là,
« les printemps arabes » bouleversent le cours de l’histoire du pays.
En février, des émeutes anti-Kadhafi éclatent à Benghazi puis à Tripoli. Les
« insurgés » reçoivent l’aide occidentale, contrôlent Benghazi et
la Cyrénaïque mais Tripoli reste fidèle
à Kadhafi, au prix d’une bataille interne (3 000 morts). En février, un gouvernement provisoire dissident, le
Conseil National de Transition (CNT), est créé à Benghazi. La France est le premier
pays à le reconnaître, mais les
forces loyalistes reprennent le dessus militairement et le CNT se trouve
assiégé à Benghazi. Pour le protéger, l’ONU vote une résolution qui vise à
créer une zone d’exclusion aérienne. Cette résolution (contrairement aux
nombreuses concernant le peuple
palestinien) sera appliquée et en mars, une intervention aéronavale est déclenchée par la France, suivie par le
Royaume Uni et les USA, appuyée par l’Italie. De mars à août 2011, les troupes
de l’OTAN qui ont pris le relais contrôlent le ciel libyen et bombardent les
forces loyalistes. Les « insurgés » se maintiennent dans l’est du
pays. En août, des éléments hostiles à Kadhafi se soulèvent à Tripoli et
prennent le contrôle de la ville, puis c’est Syrte, le dernier bastion
kadhafiste qui tombe en octobre. Kadhafi qui s’y est réfugié est lynché
dans des conditions effroyables. Ce n’était certes pas un ange et il est responsable
de la mort de nombreuses personnes mais ce n’est pas une raison pour agir comme
lui. Mais, cette disparition rapide évite un procès qui aurait pu mettre dans l’embarras
quelques hommes politiques dont un certain Sarkozy. En fait, l’intervention de
l’ONU avec la France en « fer de lance » était plus un appui aux insurgés
qu‘une simple protection des civils.
Coupée en
deux, tiraillée, la Libye sombre dans le chaos
Les
« insurgés » s’organisent, alors, et créent le CNT, qui était l’autorité de la révolution libyenne,
puis le Conseil Général National, élu (les premières élections en Libye). Mais,
sur le terrain, nombre de milices, de groupes armés tribaux ou religieux ne
reconnaissent pas le pouvoir du CGN et établissent leurs propres lois dans les
territoires qu’ils contrôlent. La situation est très chaotique et le CGN n’a
aucune efficacité sur le terrain. En 2014, la Chambre des représentants qui
doit remplacer le CGN est élue mais ces élections ne concernent que quelques
zones géographiques. Dans celles « administrées » par les milices,
elles ne sont même pas organisées. De surcroît, des anciens membres du CGN, qui
n’ont pas été réélus à la Chambre des représentants, ne reconnaissent pas
celle-ci.
La
Libye se retrouve donc en 2014 avec deux Parlements, le CGN et la Chambre
des représentants. Le CGN siège à
Tripoli ; il est composé majoritairement d’islamistes modérés et se fait
appeler « Aube de la Libye ».
La Chambre des représentants siège à Tobrouk, elle est composée de laïcs
libéraux. Son bras armé est l’Armée Nationale Libyenne, composée de diverses
milices (dont celle de Wagner). A sa tête, le général Haftar, un ancien proche
de Kadhafi, qui a rompu avec lui, s’est exilé aux Etats-Unis pendant 30 ans et
y a obtenu la nationalité américaine. Il a participé depuis les Etats-Unis à la
lutte anti-Kadhafi et revient en Libye en 2011 pour prendre part à la « révolution ».
Son engagement pour tenter de conquérir le pouvoir sur toute la Libye et ce,
contre le gouvernement de Tripoli reconnu par la communauté internationale, lui
vaut le soutien de l’Egypte et de la France. Malgré l’embargo, il reçoit des
armes, dont celles de la Russie de Poutine. En revanche, le pouvoir de Tripoli
où les Frères musulmans sont prépondérants est soutenu par la Turquie.
En
2015, l’ONU tente, et échoue, à faire
prévaloir un cessez-le-feu. L’ANL progresse militairement jusqu’en 2020 mais ne
peut prendre le contrôle de la région de Tripoli où siège le CGN, celui-ci recevant
une aide militaire turque importante. La situation
est donc bloquée. Un parlement à
Tripoli, soutenu officiellement par les instances internationales, un autre à
Tobrouk, soutenu officieusement par les pays occidentaux. Et, parallèlement, un
grand nombre de milices qui font leur propre loi. Ces groupes armés ont pillé
les entrepôts de l’armée de l’époque de Kadhafi et sont très bien équipés. Ces
zones-là sont devenues des lieux de tous les trafics (armes, drogue, êtres
humains). Des ventes de migrants,
devenus esclaves, s’y déroulent.
La
Libye de Kadhafi n’était pas un paradis, loin de là, mais, après l’intervention militaire occidentale, elle est un enfer pour beaucoup. Sarkozy, BHL et
consorts en sont responsables. Elle est devenue un pays de non-droit où des
puissances étrangères se font la guerre par procuration. Turquie, Italie soutiennent et arment le parlement de
Tripoli. Egypte, Russie, Emirats Arabes Unis soutiennent celui de Tobrouk.
Ajoutez-y la France qui joue soi-disant l’équilibre
entre les deux parties et les milices armées qui jouent leur propre partition,
et vous aurez une petite idée du calvaire que vit la population civile
libyenne.
La
tempête qui vient de frapper le pays n’est
pas due qu’à un évènement climatique, face auquel on ne pourrait que
s’apitoyer. Elle est due en grande partie au réchauffement climatique dont les
pays industrialisés sont les responsables. Et si les barrages ont cédé, ce n’est
pas du fait des manquements de 4 personnes qui viennent d’être inculpées, mais de
absence d’Etat, d’administration, d’infrastructures, depuis l’intervention
occidentale de 2011 orchestrée par Sarkozy. Les Occidentaux, et la France
en particulier, ont donc une grande part de responsabilité dans le bilan très
lourd de ces inondations. Les climatologues auraient pu avoir l‘audace de ne
pas nommer la tempête qui les a provoquées
Daniel mais plutôt Nicolas.
Jean-Louis
Lamboley, le 2.10.2023