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vendredi 6 octobre 2023

 

Libye.

Pour comprendre le désastre actuel

 

La Libye est un pays quasiment désertique. Contrairement à l’Algérie ou au Maroc, elle ne possède pas de chaîne montagneuse intérieure qui la protégerait du Sahara. Celui-ci avance donc presque jusqu’à la mer Méditerranée. Seule une étroite bande côtière est densément peuplée. A l’intérieur se trouvent principalement des éleveurs nomades. C’est ainsi que 7 millions d’habitants vivent sur un territoire trois fois plus grand que la France. Ses voisins sont l’Egypte et le Soudan à l’est, le Tchad, le Niger au sud, l’Algérie et la Tunisie à l’ouest.

 

Des Romains au panarabisme de Kadhafi

 

Au cours de l’histoire, la Libye fut occupée par les Romains. Ceux-ci découvrirent de gigantesques nappes phréatiques et firent du nord de ce pays désertique le « grenier à blé » de leur empire. Au 7ème siècle, les Arabes islamisent les populations qui se répartissent en trois régions : la Cyrénaïque à l’est (Benghazi, Tobrouk…), le Fezzan au sud (Sebha, Ghat) et la Tripolitaine à l’ouest (Tripoli, Syrte).

 

Au 16ème siècle, Soliman le magnifique prend Tripoli. Les trois régions sont alors annexées à l’empire ottoman. Au début du 20ème siècle, c’est l’Italie qui, à la recherche d’un empire colonial, attaque et occupe ce territoire. La « main mise » italienne ne se fit pas sans mal, puisqu’après avoir combattu les Turcs, les Italiens feront face à une farouche résistance arabe. A tel point, qu’en 1918, l’Italie ayant les plus grandes difficultés à « stabiliser » ces régions, dut « à contre cœur » reconnaître la République  Tripolitaine, premier Etat islamique au monde à disposer d’un gouvernement républicain. Quelques mois plus tard, ils firent de même avec « l’Emirat de Cyrénaïque ». L’Italie gardait la main sur la justice, l’armée, la diplomatie de ces Etats. Mais en 1922, l’Italie met fin à la relative autonomie de ces deux régions et en reprend le contrôle total.

 

Ces régions n’étaient donc pas peuplées de gens « ignares et arriérés », comme nous le laisse, parfois, voire souvent, penser les manuels d’histoire. Des expériences de pouvoir intéressantes s’y déroulaient.

 

Jusqu’en 1931, une guérilla lutta contre la présence italienne. La pendaison de leur chef en septembre de cette année-là y mit un terme. Mussolini, en 1932, annonce l’occupation militaire de tout le territoire qu’il nomme Libye.

 

Durant la seconde guerre mondiale, les troupes italiennes attaquent l’Egypte, le 13 septembre 1940. Dans un premier temps, elles sont repoussées par les troupes anglaises présentes puis reçoivent l’aide de la célèbre Africa Korps et regagnent du terrain. Mais elles ne parviendront pas à faire tomber Tobrouk malgré un siège de 240 jours. Elles s’y épuisent et finalement en 1943, toute « la Libye italienne » est occupée par les forces britanniques et françaises. A l’issue de la guerre, la Tripolitaine et la Cyrénaïque passent sous le contrôle britannique et le Fezzan sous contrôle français.

 

Les Britanniques favorisent l’installation d’un royaume sur les deux régions qu’ils contrôlent. Ils y conservent leurs bases militaires et la libre circulation et la libre utilisation pour leurs véhicules militaires (terre, air, mer). C’est ainsi qu’en 1951, le Royaume Uni de Libye est le premier Etat du Maghreb à obtenir son indépendance. Idris 1er en est le roi. En 1954, un accord du même type est signé avec les USA. En 1955, la Libye rejoint l’ONU. Le 30 avril 1956 va changer l’histoire du pays. Ce jour-là, la Libyan American Oil découvre le premier gisement de pétrole du pays ; de nombreux autres suivront et, en 1965, la Libye est le premier producteur africain grâce à des infrastructures modernes. Les Libyens, et surtout les Etats-uniens, profitent de cette manne financière très conséquente. Le pays est pro-occidental et « tout va bien » pour eux, contrairement à l’Egypte qui en 1952 avait renversé le roi Farouk.

 

Cette situation confortable pour le clan occidental en Libye va durer jusqu’en 1968, date à laquelle un coup d’Etat militaire renverse le roi et place à la tête de l’Etat un certain Mouammar Kadhafi. Il est un capitaine de l’armée (qui se proclame rapidement colonel) issu d’un milieu défavorisé. Il instaure la république, se réclame du panarabisme qui vise à réunir et unifier les peuples arabes et défend l’identité arabe dans la lignée de Nasser, Saddam Hussein…

 

La Libye de Kadhafi. Un exemple ?

 

Sur le plan intérieur, grâce aux ressources du pétrole, il améliore nettement la vie du peuple libyen : école, accès à la santé gratuits, aliments de première nécessité subventionnés… Il développe l’agriculture grâce à des infrastructures modernes, d’irrigation notamment. Il multiplie les logements. Les entreprises étrangères viennent construire en Libye. Alsthom crée une centrale électrique à Tripoli. A tel point que, dans les années 70, la Libye est présentée comme un exemple de réussite économique et indéniablement les Libyens vivent mieux que sous la royauté. Kadhafi vise l’autosuffisance alimentaire, mais même s’il augmente la production agricole, il n’y parviendra jamais.

 

Sur le plan politique, le tableau est moins rose. Dans un premier temps, il joue habilement sur les divisons entre les tribus, pour empêcher la naissance d’un contre-pouvoir et apparaître comme l’unificateur, l’homme providentiel. Mais, rapidement, il devient l’unique décisionnaire puis un dictateur brutal. Pour cela, il s’appuie sur un concept qui a dû faire rêver quelques hommes politiques : la Jamahiriya. Officiellement, le peuple gouverne directement, pas besoin de députés... Le peuple décide et fait appliquer ses décisions par le « guide de la révolution » qui se trouve être Kadhafi lui-même. Dans les faits, il fait ce qu’il veut, ne rend de compte à personne, fait siennes les caisses de l’Etat…

 

Sur le plan extérieur, sa politique irrite les puissances occidentales. Il appuie, surtout financièrement, nombre de mouvements révolutionnaires : l’IRA, la fraction Armée Rouge, le mouvement populaire de libération de l’Angola, les groupes armés palestiniens, l’ANC de Nelson Mandela, etc.

 

La marine américaine croise régulièrement au large de la Libye et les incidents sont nombreux : en août 1981, deux avions libyens sont abattus par la marine étasunienne ; en 1980, l’ambassade américaine à Tripoli est saccagée. En 1986, Tripoli et Benghazi sont bombardées par l’aviation états-unienne. L’implication présumée des services secrets libyens dans l’attentat de Lockerbie (un avion de ligne américain explose et fait 270 victimes) conduit à la mise ne place d’un embargo sévère de 1992 à 1999. A cette époque, la Libye est un Etat « paria » pour les Occidentaux. Economiquement, cependant, il souffre peu de l’embargo. Une politique économique plutôt efficace et les revenus du pétrole dont les Occidentaux ne peuvent se passer en font un Etat attractif pour les travailleurs des autres pays d’Afrique qui s’y installent en masse. D’autant plus que la Libye soutient financièrement nombre de projets africains.  Elle finance un satellite de communication, subventionne des organisations, brise le monopole des compagnies aériennes occidentales en Afrique en créant la compagnie aérienne libyenne l’IFRIQIYA.  

 

Dans les années 2000, la situation va changer. L’ennemi de l’Occident devient le terrorisme islamique et, dans cette guerre, Kadhafi, de paria devient un allié car lui aussi est hostile aux islamistes radicaux. Les chefs d’Etats se succèdent à Tripoli (Blair, Berlusconi, Chirac, Zapatero…) signant de nombreux accords commerciaux et… une aide financière pour contenir l’afflux de migrants en Europe. Sarko recevra Kadhafi à Paris en cédant à tous ses caprices…   

 

En 2011, la Libye adhère à l’OMC, mais cette année-là, « les printemps arabes » bouleversent le cours de l’histoire du pays. En février, des émeutes anti-Kadhafi éclatent à Benghazi puis à Tripoli. Les « insurgés » reçoivent l’aide occidentale, contrôlent Benghazi et la  Cyrénaïque mais Tripoli reste fidèle à Kadhafi, au prix d’une bataille interne (3 000 morts). En février, un gouvernement provisoire dissident, le Conseil National de Transition (CNT), est créé à Benghazi. La France est le premier pays à le reconnaître, mais les forces loyalistes reprennent le dessus militairement et le CNT se trouve assiégé à Benghazi. Pour le protéger, l’ONU vote une résolution qui vise à créer une zone d’exclusion aérienne. Cette résolution (contrairement aux nombreuses  concernant le peuple palestinien) sera appliquée et en mars, une intervention aéronavale est déclenchée par la France, suivie par le Royaume Uni et les USA, appuyée par l’Italie. De mars à août 2011, les troupes de l’OTAN qui ont pris le relais contrôlent le ciel libyen et bombardent les forces loyalistes. Les « insurgés » se maintiennent dans l’est du pays. En août, des éléments hostiles à Kadhafi se soulèvent à Tripoli et prennent le contrôle de la ville, puis c’est Syrte, le dernier bastion kadhafiste qui tombe en octobre. Kadhafi qui s’y est réfugié est lynché dans des conditions effroyables. Ce n’était certes pas un ange et il est responsable de la mort de nombreuses personnes mais ce n’est pas une raison pour agir comme lui. Mais, cette disparition rapide évite un procès qui aurait pu mettre dans l’embarras quelques hommes politiques dont un certain Sarkozy. En fait, l’intervention de l’ONU avec la France en « fer de lance » était plus un appui aux insurgés qu‘une simple protection des civils.

 

Coupée en deux, tiraillée, la Libye sombre dans le chaos

 

Les « insurgés » s’organisent, alors, et créent le CNT, qui était l’autorité de la révolution libyenne, puis le Conseil Général National, élu (les premières élections en Libye). Mais, sur le terrain, nombre de milices, de groupes armés tribaux ou religieux ne reconnaissent pas le pouvoir du CGN et établissent leurs propres lois dans les territoires qu’ils contrôlent. La situation est très chaotique et le CGN n’a aucune efficacité sur le terrain. En 2014, la Chambre des représentants qui doit remplacer le CGN est élue mais ces élections ne concernent que quelques zones géographiques. Dans celles « administrées » par les milices, elles ne sont même pas organisées. De surcroît, des anciens membres du CGN, qui n’ont pas été réélus à la Chambre des représentants, ne reconnaissent pas celle-ci.

 

La Libye se retrouve donc en 2014 avec deux Parlements, le CGN et la Chambre des représentants. Le CGN siège à Tripoli ; il est composé majoritairement d’islamistes modérés et se fait appeler « Aube de la Libye ». La Chambre des représentants siège à Tobrouk, elle est composée de laïcs libéraux. Son bras armé est l’Armée Nationale Libyenne, composée de diverses milices (dont celle de Wagner). A sa tête, le général Haftar, un ancien proche de Kadhafi, qui a rompu avec lui, s’est exilé aux Etats-Unis pendant 30 ans et y a obtenu la nationalité américaine. Il a participé depuis les Etats-Unis à la lutte anti-Kadhafi et revient en Libye en 2011 pour prendre part à la « révolution ». Son engagement pour tenter de conquérir le pouvoir sur toute la Libye et ce, contre le gouvernement de Tripoli reconnu par la communauté internationale, lui vaut le soutien de l’Egypte et de la France. Malgré l’embargo, il reçoit des armes, dont celles de la Russie de Poutine. En revanche, le pouvoir de Tripoli où les Frères musulmans sont prépondérants est soutenu par la Turquie.

 

En 2015, l’ONU tente, et échoue, à faire prévaloir un cessez-le-feu. L’ANL progresse militairement jusqu’en 2020 mais ne peut prendre le contrôle de la région de Tripoli où siège le CGN, celui-ci recevant une aide militaire turque importante. La situation est donc bloquée. Un parlement à Tripoli, soutenu officiellement par les instances internationales, un autre à Tobrouk, soutenu officieusement par les pays occidentaux. Et, parallèlement, un grand nombre de milices qui font leur propre loi. Ces groupes armés ont pillé les entrepôts de l’armée de l’époque de Kadhafi et sont très bien équipés. Ces zones-là sont devenues des lieux de tous les trafics (armes, drogue, êtres humains). Des ventes de migrants, devenus esclaves, s’y déroulent.

 

La Libye de Kadhafi n’était pas un paradis, loin de là, mais, après l’intervention militaire occidentale, elle est un enfer pour beaucoup. Sarkozy, BHL et consorts en sont responsables. Elle est devenue un pays de non-droit où des puissances étrangères se font la guerre par procuration. Turquie, Italie  soutiennent et arment le parlement de Tripoli. Egypte, Russie, Emirats Arabes Unis soutiennent celui de Tobrouk. Ajoutez-y  la France qui joue soi-disant l’équilibre entre les deux parties et les milices armées qui jouent leur propre partition, et vous aurez une petite idée du calvaire que vit la population civile libyenne.

 

La tempête qui vient de frapper  le pays n’est pas due qu’à un évènement climatique, face auquel on ne pourrait que s’apitoyer. Elle est due en grande partie au réchauffement climatique dont les pays industrialisés sont les responsables. Et si les barrages ont cédé, ce n’est pas du fait des manquements de 4 personnes qui viennent d’être inculpées, mais de absence d’Etat, d’administration, d’infrastructures, depuis l’intervention occidentale de 2011 orchestrée par Sarkozy. Les Occidentaux, et la France en particulier, ont donc une grande part de responsabilité dans le bilan très lourd de ces inondations. Les climatologues auraient pu avoir l‘audace de ne pas nommer la tempête qui les a provoquées  Daniel mais plutôt Nicolas.   

 

Jean-Louis Lamboley, le 2.10.2023