Les
BRICS entrent en piste
BRICs est un acronyme inventé, en 2001 par un
économiste de la banque Goldman Sachs dans un rapport alertant sur l’attractivité et la rapide
croissance des économies de 4 pays dits émergents, non membres du G7 : Brésil, Russie, Inde, Chine qui, selon lui, vont accéder aux premières places de
l’économie mondiale. Le groupe des BRICs devient effectif en 2006, et inclut l’Afrique du Sud en 2009. Le 15ème
Congrès des BRICs (en août dernier) a entériné l’extension à 6 autres pays (parmi
23 candidats) : Iran, Argentine,
Egypte, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Ethiopie, nommé désormais
BRICS+. A quoi sert cette alliance
internationale ? Peut-elle remettre en
cause la toute-puissance de l’Occident et modifier les institutions mondiales ?
Le SUD global contre l’Occident ?
Les BRICS, ces pays en développement sont perçus
comme un sérieux concurrent au G7, le club des « vieux » pays riches
(Allemagne, Canada, USA, France, Italie, Japon, Royaume Uni). Les 11 pays du
BRICS+ pèsent lourd et représentent 46 %
de la population mondiale et 36 % du PIB mondial. Lors du 15ème
Congrès, les pays dits du « Sud
global » étaient représentés par 67 dirigeants. Cette situation a été
favorisée par la longue pratique des puissances occidentales de marginalisation
des pays émergents. En s’unissant, ils constituent une taille critique leur
permettant de pouvoir jouer un rôle-clé sur la scène internationale.
L’objectif premier est de concurrencer l’ordre occidental, régi principalement par les
Etats-Unis et de le transformer en refondant les organisations internationales
(Conseil de Sécurité de l’ONU, FMI, Banque Mondiale, issus des accords de
Bretton woods). Pour autant, si tous les pays présents à Johannesburg étaient
d’accord pour contester l’hégémonie de l’Occident sur les affaires du monde,
chacun mesure ce qu’il a à gagner ou à perdre en s’alliant aux BRICS :
l’Afrique du Sud, par exemple, veut conserver les avantages de l’accord
américain qui lui assure un accès libre au marché états-unien tout en s’alliant
aux BRICS qui développent nombre de partenariats économiques : la Chine
est devenue le 1er partenaire commercial de l’Afrique du Sud. La
Russie et l’Inde ont intensifié leur coopération en matière d’armement…
Pour échapper à la main mise occidentale sur le
financement de leurs propres investissements et de ceux des pays en voie de
développement, les BRICS ont créé en 2014 leur
propre banque de développement (NBD)
(dont le siège est à Shanghai et la présidente Dilma Rousseff)
ainsi qu’un fonds de réserve de 250
milliards de dollars afin de disposer de provisions et de liquidités pour
répondre à d’éventuels déséquilibres des balances des paiements. Ils se donnent
ainsi des moyens d’agir et de financer des pays ou projets, indépendamment de
la Banque Mondiale et du FMI. Les prêts garantis, à la différence de ceux du
FMI, ne sont pas assortis de contraintes budgétaires et de réduction des
services publics endettant encore plus les pays. De surcroît, des pays non
membres peuvent rejoindre la NBD.
Les BRICS veulent s’affranchir du dollar et utiliser les devises locales pour les
échanges. Même si la partie n’est pas gagnée, c’est la remise en cause du
système monétaire international qui est en jeu. Des échanges inter-BRICS se
font déjà en monnaies locales : la Russie et la Chine règlent leurs échanges en
renminbi-yuan. La Russie vend ses hydrocarbures à Pékin en renminbis. Elle a
connecté son système interbancaire à celui de l’Iran, leur permettant de
s’affranchir du réseau Swift grâce auquel les Etats-Unis ont sanctionné la
Russie suite à son invasion de l’Ukraine. La Chine a développé un système
d’échanges interbancaires concurrent à Swift, le CIPS (China International
Payment Système) et a acheté du gaz naturel liquéfié aux Emirats Arabes Unis en
yuans.
Lors du dernier G7, le brésilien Lula a défendu
l’idée que les BRICS devraient possèder une monnaie commune comparable à l’euro
pour détrôner le roi dollar. Ce n’est pas gagné ! Le dollar représente 89
% des transactions sur le marché des changes, 60 % des facturations d’échanges
commerciaux, 48.5 % des émissions d’obligations internationales, le yuan est
donc encore loin d’être une alternative crédible.
La volonté d’accroître la coopération économique
entre les BRICS ne peut qu’inquiéter « l’impérialisme occidental »,
d’autant que d’autres pays frappent à la porte et pas des moindres : Mexique,
Corée du sud, Turquie, Algérie, Bahreïn, Bangladesh, Biélorussie, Bolivie,
Cuba, Honduras, Indonésie, Kazakhstan, Koweït, Nigéria, Palestine, Serbie,
Sénégal, Thaïlande, Venezuela, Vietnam.
Un nouveau multilatéralisme ?
Les « géants » des BRICS mettent en
place une stratégie d’extension pour rivaliser avec les Occidentaux mais il y a
des contradictions importantes entre les BRICS qui risquent de s’accentuer au
fil des élargissements. Face à la Chine, qui voit la possibilité d’accroître
son influence dans le Sud global, Moscou celle de briser son actuel isolement,
l’Inde, le grand rival de la Chine, prétend devenir la figure de proue des pays
en voie de développement. Avec le Brésil, ils sont plus réticents à accueillir
de nouveaux membres, redoutant de voir leur influence s’amoindrir. Pékin « mène »
le jeu et veut créer une alternative politico-économique face aux pays de
l’Ouest alors que l’Inde n’a pas l’intention de transformer les BRICS en
plate-forme antioccidentale. L’arrivée de l’Iran, de l’Arabie Saoudite et,
demain, de la Turquie (candidate) risque de compliquer les prises de décision,
qui se font au consensus, ainsi que les décisions de nouveaux candidats qui,
jusqu’ici, se font sur la base de critères flous et variables.
A regarder la composition des BRICS, l’on a
l’impression d’un agrégat de partenaires pas vraiment bien assortis : les
pays sont dispersés géographiquement et dissemblables tant dans leurs particularités
sociales que politiques et culturelles. Mais, cette grande diversité semble
accroitre leur puissance… tant que leurs intérêts particuliers alimentent leurs
convergences d’objectifs ? De fait, ils exercent une réelle « diplomatie d’influence » (le soft
power) dans le sens où ils s’agrègent autour de leur rejet des institutions
internationales telles qu’elles fonctionnent. Certains pays regardent avec
intérêt ce groupe et l’ont rallié au détriment de « vieilles »
alliances. Il y a peu, l’on ne pouvait imaginer que l’Arabie Saoudite et les
Emirats Arabes Unis s’engagent dans les échanges de prisonniers entre la Russie
et l’Ukraine, ni que la Chine s’évertue à renouer des liens entre l’Arabie
Saoudite et l’Iran. Chacun tente de trouver ses avantages en renforçant ses
capacités d’influence. On assiste à des alliances basées sur le « troc »,
des alliances « à la carte », les ennemis d’hier devenant des
« amis » ou plutôt des alliés de circonstances. Mais cela n’est pas surprenant en stratégie
diplomatique.
Un nouveau multilatéralisme se
dessine-t-il ? Il est d’autant plus réalisable que les institutions
internationales ont perdu de leur superbe et de leur influence. S’affranchir
des Etats-Unis, pour les pays en voie de développement et les pays du sud,
s’identifiant dans le « Sud global », semble possible. Ils se sentent
capables d’échapper aux sanctions et de désobéir à celles infligées par
les USA à des pays « récalcitrants » à l’ordre mondial états-unien. Même
si la stratégie de rapprochement peut être de goût amer, comme la réhabilitation
sur la scène internationale du bourreau syrien Assad par Xi, permettant à Damas
de rejoindre les « nouvelles routes de la soie », ouvrant pour la
Chine des perspectives d’investissements énormes et pour la Syrie, la réduction
de sa dépendance au dollar en le remplaçant par le yuan. Damas s’est portée candidate
aux BRICS et à l’Organisation de Coopération de Shanghai. Cela est de bon
augure pour Xi qui tisse la toile d’un nouveau multilatéralisme « à la carte » (1), qui semble, pour l’heure, porter
ses fruits. Il a la prétention de
construire, sur les continents, un « nouvel ordre international » ;
en ce sens, il multiplie les rendez-vous diplomatiques ; il a reçu
l’iranien Raïssi, le vénézuélien Maduro et invite Poutine en octobre.
Xi renforce sa présence économique et
diplomatique dans l’arrière-cour de Washington. En 20 ans, la Chine a raflé aux
USA la place de 1er partenaire économique dans 9 pays d’Amérique
latine (2 ont rejoint les BRICS et Mexique, Bolivie, Cuba, Honduras, Venezuela
sont candidats). Le Pérou va devenir un centre névralgique du commerce maritime
international, reliant Pacifique, Asie et Océanie, en capacité de recevoir les
plus gros porte-conteneurs du monde (grâce au géant chinois Cosco Shipping
Ports). Porte d’entrée pour les entreprises chinoises et d’exportation vers la
Chine des minerais du Pérou : argent, or, étain, zinc, cuivre. La Chine
est le principal client du soja brésilien (80 %). Et tant pis si la culture du
soja se fait au prix d’une déforestation sauvage, de l’épandage de
« cocktails » transgéniques et de désherbants et pesticides
dévastateurs pour la biodiversité… Car le Brésil, dans ce « nouvel ordre
mondial multipolaire » n’est qu’un « vulgaire » intermédiaire ;
les Occidentaux contrôlent toujours la commercialisation (Cargill, le groupe
français Louis Dreyfus), les engrais (l’allemand Bayer-Basf), le transport
maritime (CMA CGM, Maerk ou MSC) et le prix de vente est toujours fixé à la
Bourse de Chicago. Déjà, la Chine envisage de diversifier ses approvisionnements
et de réduire sa dépendance au soja brésilien… « Le soja donne l’illusion de la puissance géopolitique au Brésil. Il lui
fait plus de mal que de bien. Pire, il maintient le pays dans un état arriéré
aux structures coloniales, sans industrie, sans innovation, reposant sur les
matières premières et la destruction de la nature » (2)
>>><<<
Les jeux d’influences et d’alliances en
géopolitique sont l’apanage des puissants. Est-ce bien nouveau ? Casser leur
domination par le biais de structures internationales nouvelles est une autre
aventure. Les BRICS tentent de remplacer une domination de l’Occident
(Etats-Unis/Europe) par une domination du Sud global et des pays émergents.
Certes, l’ordre international créé après la seconde guerre mondiale a vécu et
ses institutions doivent évoluer. Mais, même élargis, les BRICS n’ont rien à
voir avec le mouvement des non-alignés, suite à la conférence de Bandung où il
s’agissait de se distancier des deux « superpuissances » de l’époque
(URSS et USA) et de promouvoir l’indépendance et l’autonomie des peuples. La
domination du « Sud global » ne met pas en cause le système
économique et financier international basé sur le marché et les profits des
multinationales. Ce qui est nouveau et qui peut être source de force, comme de
faiblesse, est l’arrivée sur la scène internationale des pays du « Sud
global », dont certains sont considérés par les Etats-Unis comme des
« parias ». Curieux assemblage qui se construit en dehors des peuples…
encore une fois.
Odile Mangeot, le 25.09.2023
(1)le Monde Diplomatique septembre 2023 « Alliances à géométrie variable. De l’opportunisme en diplomatie »
(2)
Gustavo
Oliveira (universitaire US), le Monde 11.09.23)
Lire dans le dernier Monde Diplomatique (oct.
2023), l’article Du sommet des BRICS
à celui du G20. Quand le Sud s’affirme.