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dimanche 1 mars 2020


Ecole inégalitaire, c’est la faute à Blanquer

 Les lycéens, les étudiants, les enseignants dans la rue, dénoncent la logique entrepreneuriale ou managériale d’une école que Blanquer annonce comme la « nouvelle » école pour la réussite. Le blocage des épreuves du bac dans de nombreux lycées illustre le rejet par les lycéens et les enseignants d’un projet inégalitaire. Il diminue les moyens des établissements qui, soi-disant, gagneraient en autonomie, il institue la concurrence entre  établissements, organise le tri social, laissant sur la berge les jeunes issus de milieux populaires.

Les « réformes » de l’école. D’hier…

L’école semble toujours en « rénovation », chaque ministre annonce, à peine assis sur sa chaise ministérielle, une « réforme ». Depuis Jospin et son « 80% au niveau bac » en 1989, puis Bayrou en 1993 et son « nouveau contrat pour l’école » (réforme du bac, réorganisation du lycée et du collège), arrive Allègre qui, en 1998, bouscule le « mammouth » qu’il faut « dégraisser » (révision des horaires, des cours, des contenus)… déclenchant une fronde le contraignant à démissionner pour être remplacé par Jack Lang qui, lui aussi, veut en finir avec « la vieille école » (2002) puis Darcos en 2008 qui, sous Sarkozy, veut « revenir aux fondamentaux : les maths, le français », supprime les cours du samedi matin en primaire. Et voici Peillon (sous Hollande) en 2013  qui impose « la refondation de l’école de la République » dans le 1er degré : nouveaux rythmes scolaires, suppression de la semaine de 4 jours. Vite remplacé par Vallaud-Belkacem qui, elle, veut réformer le collège et accroître l’autonomie des établissements en croisant les disciplines (2015). Bref ! Il s’agit toujours de « Mieux apprendre pour mieux réussir mais avec moins de moyens ». L’école n’est pas une longue histoire tranquille et il est impossible de la résumer en une dizaine de lignes mais tous les éléments de langage (ci-dessus cités) cachent la réalité de l’austérité budgétaire appliquée au service public de l’enseignement. Développer  « l’autonomie des établissements », aboutissant à la mise en concurrence entre eux, est devenu central dans toutes les « réformes ». Cette volonté politique s’est renforcée depuis une quinzaine d’années. En 2005, la loi Fillon « d’orientation sur l’avenir de l’Ecole » revalorise le « projet d’établissement » et introduit le contrat d’objectif. En 2007, De Robien/Darcos assouplissent la carte scolaire et permettent aux « bons » élèves des quartiers « défavorisés », d’accéder aux « meilleurs » établissements. Ceux-ci deviennent encore plus performants tandis que les établissements « populaires » se paupérisent. En 2010, Darcos/Chatel mettent fin au fléchage des dédoublements par discipline dans les lycées et autorisent le chef d’établissement à gérer les marges horaires, etc. Peillon renforcera, en 2013, la possibilité de déroger à la carte scolaire, vantant « l’expérimentation et l’innovation ».

On assiste donc, sous couvert d’autonomie, à l’accentuation des prérogatives des chefs d’établissement, qui se situent sur un « marché » offrant des produits (spécialités, options, taux de réussite…), et entrent de plain-pied dans un processus de mise en concurrence aboutissant au tri des élèves. L’OCDE constate dans une étude récente que cette autonomie n’a pas amélioré les « performances scolaires » mais a accru les inégalités et dégradé les conditions de travail des personnels. Mais la logique libérale se poursuit et tant pis pour les établissements des « zones défavorisées » ! Tant pis pour les conditions de travail des personnels, dégradées en raison de l’austérité budgétaire...

… à aujourdh’ui

Depuis l’arrivée de Macron au pouvoir et de Blanquer, ministre de l’Education nationale, les «réformes» se sont empilées, accentuant la sélection des élèves et la mise en concurrence des établissements publics et privés. Deux lois constituent la charpente de leur politique sélective.  

« Pour une école de la confiance »
 Votée début juillet 2019, cette loi valorise deux mesures-phares : l’obligation scolaire à 3 ans et la formation obligatoire de 16 à 18 ans. Pour la première, cela ne va pas changer grand-chose puisque 98 % des enfants sont déjà scolarisés à cet âge, cela concernera environ 26 000 élèves supplémentaires. Par contre, cette décision contraindra les Communes à financer les écoles privées sous contrat, au même titre que les écoles publiques, et ce, sans moyens supplémentaires annoncés. La deuxième mesure-phare concerne les « décrocheurs » qui se verraient proposer systématiquement une formation ou un apprentissage, via les Missions locales… sans, là encore, décider de financements supplémentaires. Si l’on était « mauvaise langue », l’on dirait que cela permettra à Macron d’annoncer une nouvelle baisse record du chômage (ces jeunes ne compteront plus dans le taux de chômage officiel) !  

Les mobilisations des enseignants et les « maladresses » de certains politiques, ont permis d’écarter des mesures réactionnaires, notamment la suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme des enfants  ainsi que l’interdiction faite aux mamans voilées d’accompagner les sorties scolaires. De même, face aux protestations, a été abandonnée la création d’établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux qui prévoyait la fusion de la direction des écoles et des collèges.

Cette loi fourre-tout aligne des mesures de reprise en main du ministère. Ainsi, la notion « d’exemplarité » des enseignants - obligation de réserve - est une atteinte à leur liberté d’expression. Le ministre se bouche les oreilles et les yeux face aux souffrances et au mal-être des enseignants et les sénateurs affirment  « L’exemplarité nourrit le respect qui est dû à l’autorité » ! Rompez ! Et qu’ils se satisfassent, ces enseignants qui réclament des moyens supplémentaires pour assurer dignement leur mission éducative, des assistants d’éducation, des « pions », ces étudiants en 2ème année de licence qui pourront être recrutés (sur la base de 8 h/semaine) pour le soutien, l’accompagnement et l’enseignement, en CDD de 3 ans renouvelable une fois, avec la possibilité d’un CDI à l’issue des 6 ans :  enseignants non formés, « au rabais », précaires qui sauront être « exemplaires » sinon… Dès la rentrée, 1 500 devaient été recrutés dans les académies déficitaires en personnels pour atteindre 9 000 !

Reprise en main par le ministre de la formation initiale, dispensée par les Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation rattachées aux universités, elle sera chapeautée par un institut national  sous l’autorité directe du ministre qui prévoit une nouvelle « réforme » de la formation initiale.

Et pour insuffler une dose de patriotisme – le fronton de l’école ne suffisant pas - la loi contraint l’affichage dans toutes les classes, des drapeaux français et européens, de la devise  Liberté Egalité Fraternité et des paroles de l’hymne national ! Rompez, vous disais-je !

« L’école de la confiance » n’engendre que méfiance et défiance des enseignants et des lycéens qui vont devoir se battre pour l’égalité. D’autant que les effets de l’autre loi ORE votée en mars 2018, celle qui « favorise l’Orientation et la Réussite des Etudiants » a déjà produit des effets négatifs, par la mise en place de Parcoursup.

Blanquer organise le tri social au lycée

Cette loi a engendré le « monstre désincarné » Parcoursup : cette application web décide de l’avenir des futurs étudiants en gérant les voeux d’affectation des bacheliers qui doivent accepter ou décliner les propositions. Ouvert en janvier 2018, Parcoursup affiche un bilan négatif tant en termes d’augmentation du taux de réussite en 1ère année de licence qu’en objectif d’égalité et le défenseur des droits en a dénoncé la totale opacité. Par contre, totale réussite en matière de tri social ! Les meilleurs bacheliers dans les meilleurs établissements ! Le Figaro a dressé le bilan 2019 : en tête de classement, les universités franciliennes : université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avec 22.84 % de mentions très bien, Paris 2 Panthéon-Assas, 22.78 %, Sorbonne Université 17.73 %. Puis Paris 5 Descartes, Paris Diderot, Paris 3 Sorbonne Nouvelle…  

La loi ORE a modifié le baccalauréat et le lycée général et technologique, depuis la rentrée 2019.

Les lycéens sont orientés et spécialisés de plus en plus tôt (à l’issue de la 2e). Les troncs communs des matières enseignées - celles qui constituaient la base des savoirs développés de la 2e à la Terminale - diminuent ainsi que le nombre d’heures de leur enseignement. Les élèves de 1ère ont un tronc commun de 16 h en voie générale et de 14 h en voie technologique (en Terminale il passe à 15h30 et 13h). En 1ère, les élèves doivent choisir 3 spécialités et deux en Terminale et ne peuvent revenir en arrière. Sont considérés comme des spécialités : arts, biologie écologie, histoire-géo-géopolitique-sciences politiques, humanités-littérature-philo, littératures étrangères, LCA, maths, numérique-science informatique, physique-chimie, SVT, sciences de l’ingénieur. Les mathématiques, par exemple, peuvent disparaître du cursus de certains élèves.  

Ce système prédétermine l’avenir des lycéens, tenus de faire des arbitrages en termes de poursuite d’études pour les mieux informés, en termes de « rentabilité de notation » pour la majorité, sachant que   l’accompagnement personnalisé et les heures dédiées à l’orientation ne figurent pas dans les grilles horaires et ne sont pas affectées à des enseignants spécifiques, donc dispensées par qui ? Et pour compléter le tableau, précisons que le service public d’orientation (Centre d’Information et d’Orientation et Psychologue de l’Education nationale) est en cours de démantèlement (les fermetures ou fusions de CIO continuent), une aubaine pour les organismes privés qui proposent de l’accompagnement à l’orientation.

Cette organisation nouvelle a une conséquence sur les postes d’enseignants. « La réforme n’est pas faite pour des raisons économiques » avait clamé le ministre, « sans réduction de moyens ». Les nouvelles grilles horaires disent tout le contraire : en 2e, ce sont 26 H de cours hebdomadaires (au lieu de 28h30). En 1ère on passe à 28h au lieu de 30 H. Par ailleurs, les élèves de séries différentes sont mélangés pour l’enseignement du tronc commun, là où jusqu’alors ils étaient dans des classes différentes, c’est l’optimisation du remplissage des classes. Selon le SNES, cette « réforme », avec 7 à 10 % d’heures de cours en moins, représenterait de 12 à 17 000 postes en moins.

Et le ministre reprend la main : « les recteurs fixent la carte de ces enseignements en veillant à l’équilibre et à leur bonne répartition dans le cadre géographique le plus adapté au territoire ». L’offre scolaire va varier d’un lycée à l’autre et renforcer la concurrence entre établissements, contraignant les élèves à choisir des options par défaut. Ces atteintes au principe d’égalité pour l’avenir des lycéens et étudiants, si elles n’ont pas échappé aux militants et aux enseignants, se sont matérialisées pour les familles, lors des sessions de contrôle continu du nouveau bac, bloquées dans un nombre important de lycées.    

Le nouveau  Baccalauréat général et technologique

Il est en place et se déroulera, désormais, sur 2 ans, mêlant contrôle continu (40 % de la note) et épreuves finales (60 %). Le contrôle continu a lieu en 1ère, (2ème et 3ème trimestres) et Terminale (3ème trimestre). L’organisation relève des établissements, une banque nationale numérique de sujets serait mise en place et une harmonisation serait assurée ? Les Epreuves Communes de Contrôle Continu (E3C) concernent les disciplines non-évaluées lors des épreuves finales. Les bulletins scolaires de 1ère  et T comptent pour 10 % dans le contrôle continu. Epreuves finales : français écrit et oral (fin de 1ère), 2 épreuves écrites sur les spécialités de T (printemps), une épreuve écrite de philo et un oral de 20 minutes (juin). Le bac comprend 28 épreuves avec un bachotage étalé sur 2 ans au lieu d’une au détriment de acquisitions longues de compétences. Elèves et enseignants sont en évaluation permanente. La nouvelle épreuve du « grand oral », quant à elle, ne fait l’objet d’aucune heure de préparation dédiée.

Le bac n’a plus le caractère national en matière de valeur du diplôme, souvent corrélé à l’établissement ; les bacheliers en subiront les méfaits lors de leur admission en études supérieures. Cette création d’un Bac-maison et les autres mesures déjà citées aggravent les écarts entre établissements en concurrence, sélectionnent par là-même les « meilleurs » élèves. La nouvelle Ecole sera donc plus inégalitaire que celle d’aujourd’hui. Le tri social permettra ou non d’accéder aux études supérieures. La destruction du service public de l’enseignement est fortement engagée et rompt les principes d’égalité et d’émancipation.    

Ces attaques successives contre l’école, contre le statut de la fonction publique ont mobilisé les enseignants depuis de nombreux mois qui ont rejoint, pour une part, le mouvement intersyndical contre la retraite à points, mais ce sont les épreuves  E3C du bac qui ont mis dans la rue lycéens et étudiants.

« Ni Bac Blanquer, ni retraite de misère »

Le 8 février la Coordination nationale de l’éducation rassemblant des personnels du 1er et 2e degré en provenance de 18 académies a lancé un appel à mobilisation dans toute la France contre les politiques sociales et éducatives du gouvernement. Après la loi de transformation de la fonction publique, le décret sur la rupture conventionnelle, l’embauche de contractuels pour des besoins permanents, l’imposition de 5 jours de formation sur les vacances scolaires, Blanquer ne s’en cache pas, sa politique vise à redéfinir le métier d’enseignant, à travers une remise en cause de toutes les garanties collectives.   

La mobilisation contre le bac Blanquer a redonné du souffle à la lutte globale. Piquets de grève, blocages des lycées pour empêcher les E3C. Au 8 février, plus de 660 lycées avaient vu leurs épreuves fortement perturbées et, parmi eux, plus de 210 ont dû annuler ou reporter les épreuves. La coordination revendique l’annulation des E3C et la remise en place d’un bac national ainsi que l’abrogation des réformes Blanquer de Parcoursup.

La jeunesse a fait irruption dans le mouvement général et s’est heurtée à la répression administrative et policière féroce, allant des menaces de notes à zéro au bac au dépôt de plainte de proviseurs contre leurs élèves placés en garde à vue, en passant par le quadrillage par la police d’établissements pour obliger les élèves à composer. Quelques exemples : à la Rochelle, 15 élèves ont eu droit à des zéros, sans possibilité de rattrapage. Elèves gazés ou matraqués dans les académies de Rennes et de Bordeaux notamment. Intrusions policières pour  contrôler et trier les élèves, leur faire baisser la tête et faire passer de force les E3C, au lycée Linder de Libourne, Bréquigny et Basch de Rennes, Desfontaines de Melle ou Paul Valéry, Gabriel Fauré et Hélène Boucher de Paris. Gardes à vue préventives d’élèves comme à Gagny ou à Grenoble où des élèves ont été interpellés à leur domicile à 6h du matin le jour des E3C. Généralisation de la garde à vue et du déferrement au parquet pour des motifs et parfois des issues risibles comme en région parisienne où 50 élèves ont été placés en garde à vue. Des avocates ont dénoncé publiquement et auprès des procureurs « un détournement de la garde à vue comme outil de répression du mouvement lycéen », la disproportion et beaucoup d’irrégularités dans les gardes à vue. Blanquer a fait le choix d’aller à l’affrontement contre ses propres personnels et leurs élèves.

La coordination appelle
-        à la jonction de la maternelle à l’université le 5 mars, jour de mobilisation des universités et des labos. La communauté scientifique et de recherche refuse la loi de programmation pluriannuelle de la recherche en préparation : « cette énième soi-disant réforme dont nous ne savons que trop qu’elle porte le darwinisme, la concurrence toxique, la bureaucratie de l’évaluation permanente »
-        à la mobilisation du 8 mars journée internationale des luttes des femmes,  les plus touchées par la retraite-Macron,
-        et à maintenir le niveau de pression afin d’envisager une manifestation nationale, appelant les intersyndicales nationales à y contribuer.


Une génération entière, celle des lycéens, se heurte à la brutalité de la répression et l’on veut croire que cela laissera des traces qui ne feront pas rentrer dans le rang une jeunesse en colère.

Odile Mangeot, le 21.02.2020

Sources : CGT Educ-Action – Coordination nationale de l’Education