Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 1 mars 2020


Mouvement social. Points de vue

De la caisse de grève

Nous reprenons un sujet essentiel, celui de la stratégie, de l’organisation et du fonctionnement d’une caisse dite de grève : mutualisation syndicale de trésorerie afin de palier un mouvement de grève, alors que la longue lutte contre la dégradation du droit de retraite démontre que la solidarité avec les grévistes reste globalement parcellaire. Ci-dessous, le syndicat SUB de la région parisienne (Syndicat unifié du bâtiment) affilié à la CNT (Confédération nationale du travail) explicite la structuration de cette caisse, qui fonctionne depuis quelques années déjà.

Il y a quelques mois, le groupe Salvador Segui de la Fédération Anarchiste publiait dans Le Monde Libertaire un article sur les caisses de grève (1). Il est regrettable que ces compagnons aient une fâcheuse tendance à ne jamais porter le regard vers une CNT-f se revendiquant d’une forme organisationnelle pourtant identique à celle du militant espagnol dont ils semblent vouloir honorer le nom (2) et la pratique syndicale. Nous tenterons donc, ici, de montrer de quelle manière un syndicat révolutionnaire fait mieux qu’aucune officine réformiste.

L’article s’engageait sur une discussion tenue dans les instances de la CGT (UL, UD et Fédérations) sur le « caractère illégal » des caisses de grèves. On croit rêver, ou pour le moins, on serait tenté de croire que de tels propos pourraient déciller les mirettes de ces militants se réclamant de l’anarcho-syndicalisme à la CGT ! Il semble que non, puisqu’ils persistent à croire que l’avenir du syndicalisme se trouve encore dans ces structures pyramidales et bureaucratiques d’accompagnement du Capital. Pourtant les vieux de 1830 ou 1848 n’avaient, eux, attendu ni la loi de 1864 (3) ni celle de 1884 (4) pour mettre en place les mutuelles et caisses de secours « illégales » nécessaires au développement de la lutte et de prévoir leurs organisations de base. 100 ans de soumission aux phraseurs de tribunes électorales, ça laisse des traces … même chez certains anarchos !

Si certains en « font des caisses »
Selon le site Rue 89, « les centrales FO et CFDT disposent chacune d’une caisse de grève nationale, mais seulement pour leurs adhérents. À la CFDT, la caisse nationale d’action syndicale, créée en 1974, sert à verser 18€ par jour aux grévistes adhérents, à partir du 3ème jour de grève. À FO, l’indemnité est de 12€  par jour, dès lors que la grève dure plus de 7 jours ». Le paritarisme mène à tout, même à gérer la caisse de grève comme la Sécu. En bons gestionnaires, les jaunes de la CFDT appliquent, là aussi, 3 jours de carence ! Quand on sait que la moyenne des grèves est inférieure à cette durée, il ne leur arrive sûrement pas souvent de délacer le cordon de la bourse solidaire. Quand, d’autre part, on sait, que dès le début du conflit, il faut mobiliser le maximum de personnes, les décider en leur indiquant qu’ils vont perdre 3 jours de paie, c’est se tirer une balle dans le pied. Leur annoncer, ensuite, que le syndicat leur reversera 18 €/jour, suffit à faire rentrer tout le monde à la niche. Il ne faut, en effet pas être grand clerc (ou petite souris) pour deviner les discussions quand le salarié de retour chez lui l’annoncera aux membres de sa famille. Pour des foyers surendettés (consciemment ou non) le manque à gagner sera un frein définitif à rejoindre le collectif de grève.

… il y a caisses et caisse.
Le Syndicat Unifié du Bâtiment de la CNT-f dispose d’une caisse de grève pour répondre à son objectif premier : le renforcement de la conscience et de la combativité de classe par la mutualisation des moyens de la lutte contre le patronat. Une caisse de solidarité à chaque échelon (section, syndicat local, fédération d’industrie) pour en garder le contrôle au plus près des adhérents. Le syndicat indemnise chaque adhérent du syndicat (qu’une section SUB-CNT existe ou pas dans l’entreprise), à la hauteur du smic, dès le 1er jour de grève.

Les sections d’entreprises constituent  aussi une caisse de grève, issue d’au moins trois sources :
- Une partie des cotisations. Une part conséquente est gérée directement par le trésorier de la section  (pour les sections de plus de 10 adhérents ou les entreprises de plus de 50 salariés)
- Une partie des gains de l’article 700 du code civil Dans sa pratique syndicale la section met directement aux prud’hommes l’employeur qui refuse la négociation ; les gains qui ne servent pas à rembourser les frais juridiques, sont versés dans la caisse de grève, selon le principe « c’est le patron qui finance la grève ».
- Une fête annuelle, soit directement si l’entreprise est importante, soit un stand lors de la fête annuelle du syndicat local.

Répartition du soutien
La caisse de grève de la section d’entreprise ne peut souvent, à elle seule, répondre à la sollicitation d’un conflit qui dure. D’autre part, les salariés engagés dans le conflit peuvent ne pas tous être adhérents du syndicat. Le montant de la solidarité issue des caisses de grèves régionales, fédérales ou corporatives est établi sur la base des syndiqués déclarés à ces instances, mais la gestion finale de ces fonds est laissée à l’appréciation de la section locale qui les répartit à sa convenance (directement à l’adhérent ou à la caisse de solidarité du collectif de grève).
La solidarité doit être effective rapidement  au niveau régional par l’action du syndicat local et de la chambre syndicale de branche. Cette dernière recueille, auprès des adhérents de la branche, les « heures de solidarité » (versement obligatoire de soutien par chaque salarié de la branche concernée, défini en heure, jour, semaine, mois). La fédération apporte son soutien dès le 9ème jour de grève à partir d’un accord du Conseil Fédéral un mois avant le démarrage du conflit (sauf cas d’urgence, licenciement abusif, accident). Elle organise l’appel à la solidarité confédérale dès le 15ème jour de conflit et l’appel à la solidarité internationale au 30ème jour de conflit.

La grève, comme un moment d’éducation populaire
Pour certains adhérents surendettés ou disposant de salaires au-dessus du Smic, le versement d’une indemnité calculée sur le Smic journalier peut paraître insuffisante pour « remplir le frigo ». La consommation est aussi un axe de combat du syndicat. Considérant la double exploitation que subissent les salariés, comme producteurs et consommateurs, le syndicat s’appuie sur ces moments de lutte pour que l’on s’interroge collectivement, et individuellement, sur ce second plan de l’exploitation capitaliste qu’est la consommation. Sur le modèle des soupes communistes organisées par les syndicats (dans la 1ère moitié du 20ème siècle), le syndicat propose la mise en place de magasins solidaires qui promeuvent une alimentation équilibrée et saine, un rapport à la consommation maîtrisée et une ouverture sur des loisirs collectifs porteurs des valeurs qui nous animent.

Quand les conseilleurs… sont les payeurs
A tous ceux qui voudraient mettre en accord leurs idées syndicales et révolutionnaires avec leurs pratiques, nous ne pouvons conseiller que de rejoindre une véritable organisation syndicale d’action directe où, même en grève, on touche l’intégralité de son salaire. Dans le BTP, nous n’en connaissons qu’un c’est le : SUB-SUB-SUB ! C.N.T. !

JC le 24/2/20.


[2] Salvador Seguí Rubinat (1886-1923), peintre en bâtiment, fut l’un des principaux leaders de la CNT, anarcho-syndicaliste en Catalogne, début du XXe. Le 10 mars 1923 il fut assassiné à Barcelone par des hommes du Sindicat Lliure du patronat catalan.

[3] La loi Ollivier (25 mai 1864), modifie le code pénal et abolit le délit de coalition. L’art. 414 mentionne : « Sera puni d’un emprisonnement de 6 jours à 3 ans et d’une amende de 16 à 3 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque, à l’aide de violences, voies de fait, manœuvres frauduleuses, aura amené ou maintenu, tenté d’amener ou de maintenir une cessation concertée de travail, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail ». Sous respect de conditions, la grève devient possible. Cette loi manifeste d’une volonté de Napoléon III de créer un lien entre le régime et les ouvriers.

[4] loi Waldeck-Rousseau (21 mars 1864) autorise les syndicats professionnels, abroge la loi Le Chapelier


Les moyens et les fins

La question des caisses de grèves renvoie aux moyens de résistance dont se dote le mouvement ouvrier afin de faire reculer l’exploitation capitaliste. Elle soulève également le problème de l’organisation de la solidarité plus large. Ces moyens se réfèrent à la nécessité, surtout dans une lutte de longue durée afin de la rendre efficace. Il peut même arriver, comme en 1968, que le territoire national voit fleurir des comités de soutien, des comités de quartiers… entrant en relation avec des comités de grève. Mais rien n’est encore dit, si l’on s’en tient aux modalités de lutte, sur les buts poursuivis. Quand bien même, la grève serait générale, sa visée peut se réduire à la satisfaction d’un certain nombre de revendications économiques alors même que le pouvoir est ébranlé (Accords de Grenelle). Toutefois, la crise politique engendrée par un tel mouvement, la « carence » momentanée du gouvernement pour le circonscrire, peut trouver sa solution dans une alternance politicienne pour que rien d’essentiel ne change. Ce fut le cas, le 27 mai 1968, au stade Charléty regroupant Mitterrand, Mendès France, Cohn-Bendit et tous ceux, entraînés dans cette impasse, qui prétendirent se poser en recours pour combler l’apparence de vide politique.

Autrement dit ce qui semble décisif, c’est la claire conscience du but poursuivi et des objectifs atteignables dans une conjoncture donnée ; ainsi, la CGT, pendant longtemps affirmait, dans ses statuts,  sa lutte pour « l’abolition du salariat »...

Plus qu’hier, la majorité de la population doit se persuader que de l’oligarchie politico-financière, il n’y a rien à attendre, sinon des mesures d’alignement de l’exploitation et de l’oppression subie, vite remises en question dès que le mouvement entre dans sa phase descendante. Les « négociations partenariales » ne peuvent qu’entériner des reculs, assumer des régressions sociales programmées, mâtinées de quelques hochets que brandiront les syndicats dits réformistes. Reste la question de savoir comment passer d’une grève, de manifestations générales à caractère économique, à un mouvement politique d’ampleur.

Force est de constater qu’actuellement, le taux très bas des syndicalisations, l’absence de débordement massif des états-majors syndicaux  par leurs bases, renforcent la faiblesse des uns et la collaboration des autres. Aucun n’assume véritablement, à la différence du mouvement anarcho-syndicaliste dans sa meilleure période (fin du XIXème), la nécessité d’une transformation sociale réelle, c’est-à-dire la socialisation des moyens de production et d’échange, l’extension de la démocratie aux questions décisives : que produire ? Dans quelles conditions ? Et pour satisfaire quels besoins réels des classes ouvrières et populaires ? Et ce, au sein d’une société promouvant l’égalité réelle et la justice sociale.

Il revient aux « révolutionnaires » organisés de diffuser, au sein des syndicats et en dehors, une alternative politique en évitant de s’empêtrer dans des combats parlementaristes sans issue, tout en étant conscients que seule la lutte prolongée des exploités et opprimés, demeure la meilleure « école » d’émancipation. En d’autres termes, dans une conjoncture donnée, l’effervescence intellectuelle sur les enjeux du moment, la maturation de la prise de conscience massive sont essentielles. Bref, réduire les fins à l’utilisation de moyens peut s’avérer un cul-de-sac, évitant de mettre en cause ou en péril le système parlementaro-capitaliste.

GD le 24.02.2020

Lettre ouverte aux syndicats (1)

Cette lettre s’adresse aux personnes constituant la base des syndicats. Ce n’est pas un pamphlet antisyndical. J’appartiens moi-même à un syndicat (SNES-FSU).

Chers syndicats,
Je fais partie de ces militants qui vous trouvent trop timides… L’intersyndicale nationale, à l’issue de la journée du 20 février appelle… à une nouvelle journée de grève et de manifestation le 31 mars. Ces journées isolées, à l’évidence, ne dérangent guère le gouvernement ; elles s’apparentent à un rite dont l’efficacité n’est plus que symbolique. Au mieux, elles entretiennent un peu les braises de la colère sociale et c’est une des raisons pour lesquelles j’y participe encore. Mais souffler un peu sur les braises ne suffit pas à rallumer un feu… Les manifestations de décembre, janvier et février, étaient loin d’être ridicules mais pas suffisantes pour faire plier le gouvernement. Il en va de même pour les grèves, massivement suivies dans certains secteurs… il aurait fallu que bien d’autres suivent… L’agitation sociale n’a pas disparu (lycéens…), mais tous ces mouvements épars ne constituent pas encore une mobilisation globale de la société.
Parviendrez-vous à organiser une telle mobilisation ? Ni une grève générale ni l’occupation durable d’une place ne se décrètent d’en-haut. Ayant peu d’adhérents, vous ne pouvez à vous seuls créer un mouvement social massif. Mais vous pouvez y contribuer. Une chose est sûre : maintenir la stratégie des « journées d’action » est le meilleur moyen d’achever le mouvement actuel.
Que faire alors ? Je crois que vous pourriez au moins faire l’effort d’adresser aux travailleurs un discours de vérité qui pourrait ressembler à ça : « L’oligarchie politico-financière s’est radicalisée. Elle entend appliquer son agenda néolibéral dans son intégralité, sans aucune concession. Destruction totale du droit du travail, des services publics, de la sécurité sociale, de l’environnement. Rien ne nous sera épargné si nous ne réagissons pas avec vigueur et constance. Face à un capitalisme fanatique, le syndicalisme doit se radicaliser, c’est-à-dire retrouver ses racines révolutionnaires. Les 30 Glorieuses sont bel et bien mortes. Nous ne pourrons plus arracher des conquêtes sociales par le jeu habituel des négociations. Ni le patronat ni le gouvernement ne veulent négocier. Même les syndicats réformistes qui espèrent obtenir un adoucissement de la régression sociale, sont traités avec mépris par ceux qu’ils courtisent. Le dirigeant de la CFDT prétend avoir obtenu la suppression de l’âge-pivot mais sait très bien qu’il est aussitôt apparu sous le nom « d’âge d’équilibre ». Nous n’avons rien à gagner à vouloir discuter comme des gens civilisés, le gouvernement l’est de moins en moins. Sa seule réponse est le mépris et la brutalité policière…Je crois que les travailleurs souhaiteraient qu’on leur parle avec sincérité, dureté, courage. Rien de plus démotivant que la mollesse, l’indécision ou la routine, trois maux qui rongent le syndicalisme. Vous devez jeter définitivement aux orties votre bel habit de « partenaires sociaux » et redevenir des adversaires sociaux, des combattants de la justice et de la liberté, des défenseurs des classes populaires contre les prédateurs de la bourgeoisie capitaliste.
Vous serez d’autant plus forts que vous chercherez moins le pouvoir. L’obsession du contrôle voilà ce qui tue le syndicalisme, qui pousse souvent les dirigeants syndicaux à calmer les ardeurs de la base, qui crée des divisons entre syndicats, entre syndicats et autres organisations, comme les Gilets Jaunes. Votre rôle, chers syndicats, c’est d’aider les gens à lutter, non de les brider. C’est de créer des liens entre les forces sociales non de les diviser. Le plus beau succès d’un syndicat c’est de se laisser déborder, c’est de participer à un mouvement qui le dépasse.
1 – Extraits. Lettre parue sur https://blog.mediapart.fr/