Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 9 juin 2013

La Grèce est à terre. Les vautours la dépècent.

Le texte ci-dessous reprend l’interview de Roxanne Mitralias réalisé par Contretemps. Militante Syriza, au CADTM et au Front de Gauche sur les questions agricoles et écologiques, sociologue rurale et des sciences de formation, elle travaille aux côtés des mouvements paysans en France. Elle évoque les effets destructeurs pour l’environnement des politiques d’austérité en Grèce. Les autres chiffres cités sont tirés de «La crise grecque, faits et chiffres» de Panos Angelopoulos, publié dans Tout est  à nous. Les deux textes sont sur le site www.cadtm.org/    

La Grèce : laboratoire des politiques d’austérité

Depuis 3 ans, sont appliqués les «plans de sauvetage» de la Troïka, inspirées des recettes du FMI dites «plans d’ajustement structurel» dans les pays émergents. Les plans d’austérité successifs (4 mémorandums en mai 2010, février et octobre 2012, novembre 2012), imposés par la Troïka de concert avec les créanciers privés (banques, assurances, fonds d’investissement) ont fait s’effondrer le PIB : il est passé, en valeur constante, de 211 milliards à 171 milliards. Des pans entiers de l’économie grecque sont à l’arrêt faute de pouvoir financer le cycle de production. Les investissements productifs ont chuté. Les exportations ont baissé. La dette publique représentait 125% du PIB en 2010, elle est de 189%  en 2013. La masse des impayés fiscaux (impôts, taxes, TVA, etc.) est passée  de 3.8 milliards d’euros à plus de 10 milliards. Le pouvoir d’achat des ménages a baissé d’un tiers.

853 282 personnes (pour 11.5 millions d’habitants) sont inscrites à l’aide alimentaire quotidienne. En moyenne, un Grec a perdu 40% de son salaire ; il subit, par ailleurs, l’augmentation du coût de la vie et des impôts faramineux (hausse de 37%) ;  le seuil de revenu non imposable est passé de 12 000 à 5 000€ par an. Il est très souvent sans travail, et assez vite sans indemnités chômage et couverture santé. Avant le début de la crise, les caisses d’assurance maladie étaient déficitaires ; depuis, les dépenses publiques de santé ont encore été réduites de 32%, les patients devant payer un forfait de 5€, passé à 25€ pour toute consultation ainsi qu’une participation aux frais médicaux. Les chômeurs ne sont plus couverts un an après la perte de leur emploi, le plus souvent, ils ne se soignent pas ; dans les hôpitaux il y a une pénurie de consommables quotidiens. Le Grec peut finir à la rue, ou bien émigrer, certaines fois il est poussé au suicide. On a enregistré une hausse de 40% du taux de suicide.
 
Le nombre de sans logis est passé de quelques centaines à près de 40 000. La faim tenaille une partie croissante de la population et l’on assiste à l’essor des soupes populaires, à la distribution de nourriture par diverses ONG et initiatives solidaires, à la pratique du troc, mais aussi à maints évanouissements d’enfants à l’école. En 2010 le nombre de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté était estimé à 2.34 millions (environ 20% de la population), en 2012, à 3.3 millions.

Plus du quart de la population active (27%) est au chômage qui atteint 57% chez les jeunes et les femmes. Dans le privé, 60 000 petites et moyennes entreprises ont fait faillite en 2011. Une autre vague de  licenciements massifs est attendue en 2013, avec, par ex.,  la restructuration du secteur bancaire qui devrait conduire à 20 000 licenciements sur 56 000 salariés. Dans le secteur public, il a été question de supprimer 150 000 postes d’ici 2015. Pour faire digérer cette décision, un nouveau statu est créé : la mise «en réserve de travail». Des employés de l’administration publique et des municipalités sont en réserve pour un an avec un salaire réduit de 25%. Un an plus tard, si aucune place n’est disponible, ils sont licenciés sans compensation. Les «réformes structurelles» prévues dans le secteur public produiraient 20 000 «réservistes» et la privatisation des organismes publics de l’eau, de l’électricité et des chemins de fer est envisagée.

Les Grecs sont aujourd’hui trop pauvres pour se chauffer au fioul (son prix a grimpé de 40% en 2012) et se chauffent au bois ; ils brûleraient même n’importe quoi y compris de vieux meubles chargés de produits chimiques d’entretien. Le ciel d’Athènes et de Thessalonique est couvert d’un nuage de pollution. Incendies ou intoxications au gaz sont de plus en plus nombreux. Le gouvernement pour lutter contre cette pollution interdit de rouler au diesel dans les villes et développe les transports collectifs mais, afin de récolter le maximum d’argent, il augmente encore le prix des transports en commun (le prix du billet de métro a augmenté de 135% en 4 ans). De la même manière, les billets pour les bateaux coûtent très cher. On ne peut plus aller au Pirée et sauter dans un bateau pour une île des Cyclades. Quant aux habitants de ces îles, comment font-ils pour aller à l’hôpital, à l’école ?

Les rapports des ONG font état d’une crise humanitaire qui s’étend à vitesse grand V mais il y a quelque chose dont ont parle peu dans les médias européens.

La Grèce : laboratoire de l’exploitation des ressources naturelles et des biens publics

Accaparement privé sans précédent des ressources minières, des terres, du littoral, de la mer, des forêts, des îles, des sources thermales et des grottes, des monuments archéologiques et des ports. La vente des plages pour 50 ans (!) est autorisée par le mémorandum 2 (printemps 2012). Fin janvier 2013, l’Acropole et le lac de Cassiopée à Corfou ont été vendus à NCH Capital pour y construire des logements touristiques. Des grands projets inutiles «les éléphants blancs» sont élaborés sans tenir compte des besoins des populations (projet de détournement du fleuve Akheloos), formidables cadeaux que le gouvernement grec fait au «monde de l’entreprise». Dans cette Grèce du 21ème siècle on brade tout pour rien, c’en est fini de la vie telle qu’on la connaissait. Le pays devient un protectorat énergétique et la nature se transforme en un nouvel espace d’investissement, immense casino pour les profits des capitalistes avides de continuer à s’enrichir. Bienvenue dans ce monde où cette déesse moderne, la dette, exige qu’on sacrifie à son autel tout ce qui faisait le socle de la société humaine.    

Les forêts grecques subissent les politiques de privatisation, de désengagement de l’Etat et de destruction. Elles sont surexploitées pour satisfaire la demande croissante pour le bois de chauffage et sont de moins en moins protégées du fait de l’abolition des législations protectrices par les responsables politiques qui ont coupé dans les budgets de la «caisse verte». Créée en 2010 pour mener des programmes de valorisation de l’environnement, de lutte contre les incendies, de reforestation, de protection de la mer et des zones côtières, d’amélioration des espaces urbains, elle sert prioritairement à rembourser la dette (95% des fonds disponibles de 1.85 milliards). Dans un pays sans cartes forestières et sans cadastre, tout devient possible pour permettre d’utiliser les espaces pour le tourisme de masse ou pour construire sa maison ; en 2011, toutes les maisons construites sans permis ont été légalisées en réglant une somme forfaitaire : on peut donc construire n’importe quoi n’importe où en s’acquittant d’une amende !

Dans cet esprit de prédation des biens communs, la Troïka a proposé à l’Etat de vendre les îles de moins de 50 habitants pour renflouer ses caisses. Déjà, un certain nombre d’îles inhabitées sont en vente à des privés. Bientôt les investisseurs du monde entier vont pouvoir se partager les plages, le littoral ou les fonds marins. Il suffit de faire un tour sur le site internet de «la caisse des dénationalisations» constituée à cet effet ; 40 îles seraient menacées d’y être placées, dont 24 classées Natura 2000. Ces privatisations auront des effets de longue durée sur l’environnement puisque les projets ne sont tenus à aucune obligation environnementale. Une nouvelle loi a été votée début janvier 2013 autorisant le changement d’usage des terres et l’installation de complexes touristiques, avec golf, spa pour accueillir des hordes de touristes. On peut appeler ça du développement touristique de type colonial, décrié en Espagne pour avoir engendré une bulle immobilière et détruit le littoral. Aucun bénéfice pour la population locale puisqu’il s’agit encore de payer les intérêts de la dette et d’enrichir les investisseurs.

L’exemple du projet à Elliniko et de la côte entre le Pirée et le cap Sounion, est parlant. Cet ensemble de 650 hectares (ancien aéroport), longeant la mer, fait rêver les promoteurs immobiliers, se voyant déjà y accueillir les nouveaux riches de ce monde, Saoudiens et Chinois en visite au pays de Socrate. Cette propriété se retrouve dans la «caisse des dénationalisations», prête à être vendue pour 4 fois moins que son prix (5 milliards d’euros). Elliniko deviendra un immense parc à logements, hôtels et casinos, avec ports privatifs et plages fermées. Le gouvernement envisage même de créer des îles artificielles pour y construire des ports de plaisance, l’idée étant de faire de la baie de Saronikos une nouvelle riviera, un nouveau Monaco.  La péninsule d’Astéras (au sud d’Athènes) où vivent les familles les plus fortunées de Grèce est aussi à vendre : plages privées et publiques, un hôtel luxueux, un temple dédié à Apollon, quelques îlots non habités seront bradés pour à peine quelques millions d’euros.

Un autre marché juteux intéresse le gouvernement et ses alliés du FMI et de l’UE : les déchets. Des partenariats de type public-privé sont en place dans le but de multiplier les centres d’enfouissement et d’incinération dans tout le pays, financés pour partie par des « aides » de l’UE. Les boîtes privées  pourront ainsi s’enrichir sur le dos des habitants car plus de déchets, c’est plus d’argent à se faire au détriment de la santé, de l’environnement, du territoire et du patrimoine. 

Pour recevoir le « paquet de sauvetage » qui sert à financer les partenariats public-privé au profit du privé, il y a une condition expresse : privatiser la gestion de l’eau. La vente d’Eydap (compagnie des eaux d’Athènes) et d’Eyath (celle de Thessalonique) ainsi que des barrages hydroélectriques, alors même que leur gestion est bénéficiaire, confirme qu’il s’agit d’une pure concession coloniale établissant un monopole naturel pour le privé. Cette acquisition scandaleuse sera accompagnée d’une augmentation des tarifs. Une initiative contre la privatisation de l’eau a été constituée, les habitants organisés par quartier étant prêts à racheter des parts lors de la privatisation.     

Le dernier gouvernement «socialiste» grec a initié un débat sur le «programme Soleil» (voté au printemps 2013 par le gouvernement technique). Ce plan est suivi par une commission composée de membres des gouvernements grec et allemand, de la commission européenne, de la BCE et d’un représentant d’une entreprise de conseil en placements financiers (Guggenheim Capital). Ce programme consiste à installer des centrales photovoltaïques de dimension industrielle. Actuellement, les entreprises installent des panneaux solaires sur des terres louées à des petits propriétaires pour une somme d’argent conséquente. Demain, l’Etat pourra exproprier ces terres, scandale d’ampleur pour céder à des entreprises privées, souvent allemandes, des terres agricoles et des espaces forestiers. Ces installations seront financées par des  emprunts de l’Etat auprès de la Banque centrale allemande et également par des fonds du «plan de sauvetage» accordés par l’UE et le FMI. Pour que le retour sur investissement soit suffisant, il faudra produire des quantités énormes bien au-delà des besoins du pays, et relier le réseau à l’Allemagne, le but étant de l’approvisionner en énergie verte. En fait, les investisseurs achèteront cette «énergie verte» au sein du marché des émissions carbones à un prix très bas, afin de dédouaner l’Allemagne d’être un pays pollueur et de recevoir des droits à polluer par ailleurs. Le coût est gigantesque pour la Grèce, augmentant sa dette à rembourser par les habitants qui subiront les conséquences de panneaux photovoltaïques anciens et mal entretenus augmentant la température au sol jusqu’à soixante degrés dans une région très aride (comme dans le village de Sitanos littéralement entouré de panneaux photovoltaïques).

Le bal des énergies renouvelables industrielles ne s’arrête pas là : il y a aussi l’éolien industriel. Placées sur les crêtes des montagnes, ces installations occupent des terres publiques, en grande partie cédées quasi gratuitement à des entrepreneurs grecs ou étrangers (EDF se prépare à entrer dans le marché). A Limnos, Lesbos et Chios, on prévoit 28 parcs éoliens, avec 353 éoliennes pour produire 706 MW d’énergie dans le but de l’exporter. En Icarie, 110 éoliennes sont programmées, 2 seulement seraient suffisantes pour la consommation locale ! En Crète, une coordination de plus de 200 associations lutte contre ces projets démesurés : pour réaliser le projet qui devrait couvrir 8 fois les besoins de l’île, il faudra creuser, raser des montagnes, déforester, ouvrir des routes, pomper dans les nappes phréatiques…. sans créer ni emploi, ni ressources financières. Le but est de faire de la Grèce un pays de production énergétique à bas coût qualifiée de «verte». Peu importe à quel prix pour les populations, pour le patrimoine, pour la protection de l’environnement, ceci étant décidé en dehors des instances représentatives des populations.

La Grèce – laboratoire pour tester la capacité de résistance de la population.

Malgré deux dizaines de grèves générales en 3 ans et plus de 5 000 manifestations et grèves en 2012, des occupations et des mouvements de désobéissance civile d’ampleur (dont «Je ne paie pas» qui prônait le refus de payer les péages des autoroutes construites avec les impôts des Grecs et cédés gracieusement au privé), les plans d’austérité se sont poursuivis et le gouvernement n’a pas hésité à pratiquer une forme de «démocratie autoritaire» qui cache sa vraie nature et à réprimer durement les mouvements sociaux.

En ce qui concerne les projets scandaleux de destruction de la nature, ils sont décidés sans consultation démocratique, le Parlement, en 2009, ayant adopté une loi connue sous le nom de «fast track» (procédure accélérée d’obtention de licence» lui permettant d’octroyer rapidement des licences pour les investissements principalement axés sur l’énergie, le tourisme, l’industrie et les énergies de pointe. Il permet aux investisseurs de violer les règles de planification spatiale et urbaine sans se soucier des répercussions environnementales et sociales. Cette même loi prévoit également un régime fiscal très favorable aux gros investisseurs, transformant la Grèce en un paradis fiscal potentiel. Rien n’est donc dû au hasard ! Serait-ce une «stratégie du choc» adaptée au modèle «démocratique» européen ?  

Face à ce processus, des résistances se sont développées : les habitants d’Elliniko occupent une partie de l’ancien aéroport et y ont implanté des oliveraies et des jardins. Elliniko est devenu un lieu d’émulation pour le mouvement social athénien, on peut y suivre des débats, des évènements artistiques, des formations sur les techniques agronomiques et même se faire soigner dans le dispensaire de santé solidaire et autogéré qui s’y est installé. Les coalitions progressistes des villes concernées par la vente de la côte d’Athènes se rebellent également.

Ce début 2013 est marqué par un débat virulent sur l’exploitation des ressources minières, faisant croire que les problèmes du pays seraient résolus grâce aux gisements de pétrole se trouvant en mer Egée, Ionienne ou libyenne. Ce qui est très contestable et contesté au nom des risques de pollutions importantes dans un archipel qui vit de tourisme ou de pêche et qui constitue un environnement remarquable !

De la même manière des mouvements importants s’opposent dans le nord de la Grèce à l’exploitation des mines d’or installées dans des forêts précieuses du point de vue environnemental et patrimonial.
Les deux sociétés  Eldorado Gold (canadienne) et Hellenic Gold (grecque) sont protégées par des CRS face à la contestation. L’Etat grec a vendu les mines pour 11 millions d’euros, puis a accordé une subvention de 15.3 millions à cette entreprise privée qui vaut 2.3 milliards d’euros. La valeur des gisements s’élève à 15.5 milliards d’euros ! Les permis sont douteux, les mines cédées pour si peu et le gain pour la population de ces espoirs dorés est nul. Qui sont ces investisseurs costumés pour brader les terres, le patrimoine, les biens communs et la nature qui appartient à la population, en usant de tous les moyens ?

 Un des combats des plus virulents et radicaux de la dernière période a eu lieu dans le quartier de Kératéa, dans l’agglomération athénienne où le gouvernement, dépassé par plusieurs années de lutte contre le projet d’incinérateur, a dû faire appel aux forces de police, mais les habitants n’ont pas reculé et le projet a été abandonné. Aujourd’hui existe une coordination des comités s’opposant à ces projets de gestion de déchets et proposant une gestion décentralisée et coopérative du patrimoine.


La danse macabre sur l’environnement grec va-t-elle continuer ? C’est la question que les écologistes grecs, la gauche et les mouvements citoyens se posent. Les multinationales qui convoitent les ressources du pays tentent de s’imposer grâce à la Troïka. Pour n’en citer que quelques-unes : EDF, Iberderola, Eldorado Gold, Gazprom, Suez ou Siemens. Elles souhaitent employer des «esclaves modernes» pour 300 euros par mois  pour construire des hôtels «all inclusive» pour très riches, racler toute ressource énergétique et hydrique, posséder des terres publiques et occuper in fine une place stratégique en Méditerranée. Elles rêvent d’un nouveau colonialisme énergétique et foncier du 21ème  siècle. C’est sans compter sur les mouvements d’ampleur qui se développent un peu partout sur le territoire !        


Retranscrit par OM   

à paraître dans le prochain numéro d'A Contre Courant syndical et politique