La Grèce est à terre. Les
vautours la dépècent.
Le texte ci-dessous
reprend l’interview de Roxanne Mitralias réalisé par Contretemps. Militante Syriza, au CADTM et au Front de Gauche sur
les questions agricoles et écologiques, sociologue rurale et des sciences de
formation, elle travaille aux côtés des mouvements paysans en France. Elle
évoque les effets destructeurs pour l’environnement des politiques d’austérité
en Grèce. Les autres chiffres cités sont tirés de «La crise grecque, faits et chiffres» de Panos Angelopoulos, publié
dans Tout est à nous. Les deux textes sont sur le site www.cadtm.org/
La Grèce : laboratoire des
politiques d’austérité
Depuis 3 ans, sont
appliqués les «plans de sauvetage» de
la Troïka, inspirées des recettes du FMI dites «plans d’ajustement structurel» dans les pays émergents. Les plans
d’austérité successifs (4 mémorandums en mai 2010, février et octobre 2012, novembre
2012), imposés par la Troïka de concert avec les créanciers privés (banques, assurances,
fonds d’investissement) ont fait s’effondrer le PIB : il est passé, en
valeur constante, de 211 milliards à 171 milliards. Des pans entiers de
l’économie grecque sont à l’arrêt faute de pouvoir financer le cycle de production.
Les investissements productifs ont chuté. Les exportations ont baissé. La dette
publique représentait 125% du PIB en 2010, elle est de 189% en 2013. La masse des impayés fiscaux
(impôts, taxes, TVA, etc.) est passée de
3.8 milliards d’euros à plus de 10 milliards. Le pouvoir d’achat des ménages a
baissé d’un tiers.
853 282
personnes (pour 11.5 millions d’habitants) sont inscrites à l’aide alimentaire quotidienne. En
moyenne, un Grec a perdu 40% de son salaire ; il subit, par ailleurs,
l’augmentation du coût de la vie et des impôts faramineux (hausse de
37%) ; le seuil de revenu non
imposable est passé de 12 000 à 5 000€ par an. Il est très souvent
sans travail, et assez vite sans indemnités chômage et couverture santé. Avant
le début de la crise, les caisses d’assurance maladie étaient
déficitaires ; depuis, les dépenses publiques de santé ont encore été
réduites de 32%, les patients devant payer un forfait de 5€, passé à 25€ pour
toute consultation ainsi qu’une participation aux frais médicaux. Les chômeurs
ne sont plus couverts un an après la perte de leur emploi, le plus souvent, ils ne se soignent pas ; dans les
hôpitaux il y a une pénurie de consommables quotidiens. Le Grec peut finir à la
rue, ou bien émigrer, certaines fois il est poussé au suicide. On a enregistré
une hausse de 40% du taux de suicide.
Le nombre de sans logis est passé de quelques
centaines à près de 40 000. La faim tenaille une partie croissante de la
population et l’on assiste à l’essor des soupes populaires, à la distribution de
nourriture par diverses ONG et initiatives solidaires, à la pratique du troc,
mais aussi à maints évanouissements d’enfants à l’école. En 2010 le nombre de personnes
vivant en-dessous du seuil de pauvreté était estimé à 2.34 millions (environ
20% de la population), en 2012, à 3.3 millions.
Plus du quart de la
population active (27%) est au chômage
qui atteint 57% chez les jeunes et les femmes. Dans le privé, 60 000
petites et moyennes entreprises ont fait faillite en 2011. Une autre vague
de licenciements massifs est attendue en
2013, avec, par ex., la restructuration
du secteur bancaire qui devrait conduire à 20 000 licenciements sur
56 000 salariés. Dans le secteur public, il a été question de supprimer
150 000 postes d’ici 2015. Pour faire digérer cette décision, un nouveau
statu est créé : la mise «en réserve de travail». Des employés de
l’administration publique et des municipalités sont en réserve pour un an avec
un salaire réduit de 25%. Un an plus tard, si aucune place n’est disponible,
ils sont licenciés sans compensation. Les «réformes structurelles» prévues dans
le secteur public produiraient 20 000 «réservistes» et la privatisation des organismes publics de
l’eau, de l’électricité et des chemins de fer est envisagée.
Les Grecs sont
aujourd’hui trop pauvres pour se chauffer au fioul (son prix a grimpé de 40% en
2012) et se chauffent au bois ; ils brûleraient même n’importe quoi y
compris de vieux meubles chargés de produits chimiques d’entretien. Le ciel d’Athènes
et de Thessalonique est couvert d’un nuage de pollution. Incendies ou intoxications au gaz sont de plus en plus
nombreux. Le gouvernement pour lutter contre cette pollution interdit de rouler
au diesel dans les villes et développe les transports collectifs mais, afin de
récolter le maximum d’argent, il augmente encore le prix des transports en commun (le prix du billet de métro a
augmenté de 135% en 4 ans). De la même manière, les billets pour les bateaux
coûtent très cher. On ne peut plus aller au Pirée et sauter dans un bateau pour
une île des Cyclades. Quant aux habitants de ces îles, comment font-ils pour
aller à l’hôpital, à l’école ?
Les rapports des
ONG font état d’une crise humanitaire qui s’étend à vitesse grand V mais il y a
quelque chose dont ont parle peu dans les médias européens.
La Grèce : laboratoire de l’exploitation des ressources naturelles et des biens
publics
Accaparement privé sans précédent des ressources minières,
des terres, du littoral, de la mer, des forêts, des îles, des sources thermales
et des grottes, des monuments archéologiques et des ports. La vente des plages
pour 50 ans (!) est autorisée par le mémorandum 2 (printemps 2012). Fin
janvier 2013, l’Acropole et le lac de Cassiopée à Corfou ont été vendus à NCH Capital pour y construire des
logements touristiques. Des grands projets inutiles «les éléphants blancs»
sont élaborés sans tenir compte des besoins des populations (projet de
détournement du fleuve Akheloos), formidables cadeaux que le gouvernement grec
fait au «monde de l’entreprise». Dans cette Grèce du 21ème siècle on
brade tout pour rien, c’en est fini de la vie telle qu’on la connaissait. Le
pays devient un protectorat énergétique et la nature se transforme en un nouvel
espace d’investissement, immense casino pour les profits des capitalistes
avides de continuer à s’enrichir. Bienvenue dans ce monde où cette déesse moderne, la dette, exige qu’on
sacrifie à son autel tout ce qui faisait le socle de la société humaine.
Les forêts grecques subissent les politiques
de privatisation, de désengagement de l’Etat et de destruction. Elles sont
surexploitées pour satisfaire la demande croissante pour le bois de chauffage
et sont de moins en moins protégées du fait de l’abolition des législations
protectrices par les responsables politiques qui ont coupé dans les budgets de
la «caisse
verte». Créée en 2010 pour mener des programmes de valorisation de
l’environnement, de lutte contre les incendies, de reforestation, de protection
de la mer et des zones côtières, d’amélioration des espaces urbains, elle sert prioritairement
à rembourser la dette (95% des fonds disponibles de 1.85 milliards). Dans un
pays sans cartes forestières et sans cadastre, tout devient possible pour
permettre d’utiliser les espaces pour le tourisme de masse ou pour construire
sa maison ; en 2011, toutes les maisons construites sans permis ont été
légalisées en réglant une somme forfaitaire : on peut donc construire
n’importe quoi n’importe où en s’acquittant d’une amende !
Dans cet esprit de prédation des biens communs, la Troïka
a proposé à l’Etat de vendre les îles
de moins de 50 habitants pour renflouer ses caisses. Déjà, un certain nombre
d’îles inhabitées sont en vente à des privés. Bientôt les investisseurs du
monde entier vont pouvoir se partager les plages, le littoral ou les fonds
marins. Il suffit de faire un tour sur le site internet de «la
caisse des dénationalisations» constituée à cet effet ; 40 îles
seraient menacées d’y être placées, dont 24 classées Natura 2000. Ces privatisations auront des effets de longue durée
sur l’environnement puisque les projets ne sont tenus à aucune obligation environnementale.
Une nouvelle loi a été votée début janvier 2013 autorisant le changement
d’usage des terres et l’installation de complexes touristiques, avec golf, spa
pour accueillir des hordes de touristes. On peut appeler ça du développement touristique de type colonial,
décrié en Espagne pour avoir engendré une bulle immobilière et détruit le
littoral. Aucun bénéfice pour la population locale puisqu’il s’agit encore de
payer les intérêts de la dette et d’enrichir les investisseurs.
L’exemple du projet
à Elliniko et de la côte entre le
Pirée et le cap Sounion, est parlant. Cet ensemble de 650 hectares (ancien
aéroport), longeant la mer, fait rêver les promoteurs immobiliers, se voyant
déjà y accueillir les nouveaux riches de ce monde, Saoudiens et Chinois en
visite au pays de Socrate. Cette propriété se retrouve dans la «caisse des dénationalisations», prête à
être vendue pour 4 fois moins que son prix (5 milliards d’euros). Elliniko
deviendra un immense parc à logements, hôtels et casinos, avec ports privatifs
et plages fermées. Le gouvernement envisage même de créer des îles
artificielles pour y construire des ports de plaisance, l’idée étant de faire
de la baie de Saronikos une nouvelle riviera, un nouveau Monaco. La péninsule d’Astéras (au sud d’Athènes) où
vivent les familles les plus fortunées de Grèce est aussi à vendre :
plages privées et publiques, un hôtel luxueux, un temple dédié à Apollon,
quelques îlots non habités seront bradés pour à peine quelques millions
d’euros.
Un autre marché juteux intéresse
le gouvernement et ses alliés du FMI et de l’UE : les déchets. Des partenariats de type public-privé sont en place
dans le but de multiplier les centres d’enfouissement et d’incinération dans
tout le pays, financés pour partie par des « aides » de l’UE. Les
boîtes privées pourront ainsi s’enrichir
sur le dos des habitants car plus de déchets, c’est plus d’argent à se faire au
détriment de la santé, de l’environnement, du territoire et du patrimoine.
Pour recevoir le
« paquet de sauvetage » qui sert à financer les partenariats
public-privé au profit du privé, il y a une condition expresse : privatiser la gestion de l’eau. La
vente d’Eydap (compagnie des eaux d’Athènes) et d’Eyath (celle de
Thessalonique) ainsi que des barrages hydroélectriques, alors même que leur
gestion est bénéficiaire, confirme qu’il s’agit d’une pure concession coloniale
établissant un monopole naturel pour le privé. Cette acquisition scandaleuse
sera accompagnée d’une augmentation des tarifs. Une initiative contre la
privatisation de l’eau a été constituée, les habitants organisés par quartier
étant prêts à racheter des parts lors de la privatisation.
Le dernier
gouvernement «socialiste» grec a initié un débat sur le «programme Soleil» (voté
au printemps 2013 par le gouvernement technique). Ce plan est suivi par une commission
composée de membres des gouvernements grec et allemand, de la commission
européenne, de la BCE et d’un représentant d’une entreprise de conseil en
placements financiers (Guggenheim Capital). Ce programme consiste à installer
des centrales photovoltaïques de
dimension industrielle. Actuellement, les entreprises installent des panneaux
solaires sur des terres louées à des petits propriétaires pour une somme d’argent
conséquente. Demain, l’Etat pourra exproprier ces terres, scandale d’ampleur
pour céder à des entreprises privées, souvent allemandes, des terres agricoles
et des espaces forestiers. Ces installations seront financées par des emprunts de l’Etat auprès de la Banque centrale
allemande et également par des fonds du «plan
de sauvetage» accordés par l’UE et le FMI. Pour que le retour sur
investissement soit suffisant, il faudra produire des quantités énormes bien au-delà
des besoins du pays, et relier le réseau à l’Allemagne, le but étant de l’approvisionner
en énergie verte. En fait, les investisseurs achèteront cette «énergie verte»
au sein du marché des émissions carbones à un prix très bas, afin de dédouaner l’Allemagne
d’être un pays pollueur et de recevoir des droits à polluer par ailleurs. Le
coût est gigantesque pour la Grèce, augmentant sa dette à rembourser par les
habitants qui subiront les conséquences de panneaux photovoltaïques anciens et
mal entretenus augmentant la température au sol jusqu’à soixante degrés dans
une région très aride (comme dans le village de Sitanos littéralement entouré
de panneaux photovoltaïques).
Le bal des énergies
renouvelables industrielles ne s’arrête pas là : il y a aussi l’éolien industriel. Placées sur les
crêtes des montagnes, ces installations occupent des terres publiques, en
grande partie cédées quasi gratuitement à des entrepreneurs grecs ou étrangers
(EDF se prépare à entrer dans le marché). A Limnos, Lesbos et Chios, on prévoit
28 parcs éoliens, avec 353 éoliennes pour produire 706 MW d’énergie dans le but
de l’exporter. En Icarie, 110 éoliennes sont programmées, 2 seulement
seraient suffisantes pour la consommation locale ! En Crète, une
coordination de plus de 200 associations lutte contre ces projets
démesurés : pour réaliser le projet qui devrait couvrir 8 fois les besoins
de l’île, il faudra creuser, raser des montagnes, déforester, ouvrir des
routes, pomper dans les nappes phréatiques…. sans créer ni emploi, ni
ressources financières. Le but est de faire de la Grèce un pays de production
énergétique à bas coût qualifiée de «verte». Peu importe à quel prix pour les
populations, pour le patrimoine, pour la protection de l’environnement, ceci
étant décidé en dehors des instances représentatives des populations.
La Grèce – laboratoire pour
tester la capacité de résistance de la population.
Malgré deux
dizaines de grèves générales en 3 ans et plus de 5 000 manifestations et
grèves en 2012, des occupations et des mouvements de désobéissance civile
d’ampleur (dont «Je ne paie pas» qui prônait le refus de payer les péages des
autoroutes construites avec les impôts des Grecs et cédés gracieusement au
privé), les plans d’austérité se sont poursuivis et le gouvernement n’a pas
hésité à pratiquer une forme de «démocratie autoritaire» qui cache sa vraie
nature et à réprimer durement les mouvements sociaux.
En ce qui concerne
les projets scandaleux de destruction de la nature, ils sont décidés sans
consultation démocratique, le Parlement, en 2009, ayant adopté une loi connue
sous le nom de «fast track» (procédure accélérée d’obtention de licence» lui
permettant d’octroyer rapidement des licences pour les investissements
principalement axés sur l’énergie, le tourisme, l’industrie et les énergies de pointe.
Il permet aux investisseurs de violer les règles de planification spatiale et
urbaine sans se soucier des répercussions environnementales et sociales. Cette
même loi prévoit également un régime fiscal très favorable aux gros
investisseurs, transformant la Grèce en un paradis fiscal potentiel. Rien n’est
donc dû au hasard ! Serait-ce une «stratégie
du choc» adaptée au modèle «démocratique» européen ?
Face à ce processus,
des résistances se sont développées :
les habitants d’Elliniko occupent une partie de l’ancien aéroport et y ont implanté
des oliveraies et des jardins. Elliniko est devenu un lieu d’émulation pour le
mouvement social athénien, on peut y suivre des débats, des évènements
artistiques, des formations sur les techniques agronomiques et même se faire
soigner dans le dispensaire de santé solidaire et autogéré qui s’y est
installé. Les coalitions progressistes des villes concernées par la vente de la
côte d’Athènes se rebellent également.
Ce début 2013 est
marqué par un débat virulent sur l’exploitation des ressources minières, faisant croire que les problèmes du pays
seraient résolus grâce aux gisements de pétrole se trouvant en mer Egée,
Ionienne ou libyenne. Ce qui est très contestable et contesté au nom des risques
de pollutions importantes dans un archipel qui vit de tourisme ou de pêche et
qui constitue un environnement remarquable !
De la même manière
des mouvements importants s’opposent dans le nord de la Grèce à l’exploitation des mines d’or
installées dans des forêts précieuses du point de vue environnemental et
patrimonial.
Les deux
sociétés Eldorado Gold (canadienne) et
Hellenic Gold (grecque) sont protégées par des CRS face à la contestation.
L’Etat grec a vendu les mines pour 11
millions d’euros, puis a accordé une subvention de 15.3 millions à cette
entreprise privée qui vaut 2.3 milliards d’euros. La valeur des gisements s’élève à 15.5 milliards d’euros ! Les
permis sont douteux, les mines cédées pour si peu et le gain pour la population
de ces espoirs dorés est nul. Qui sont ces investisseurs costumés pour brader
les terres, le patrimoine, les biens communs et la nature qui appartient à la
population, en usant de tous les moyens ?
Un des
combats des plus virulents et radicaux de la dernière période a eu lieu
dans le quartier de Kératéa, dans l’agglomération athénienne où le gouvernement,
dépassé par plusieurs années de lutte contre
le projet d’incinérateur, a dû faire appel aux forces de police, mais les
habitants n’ont pas reculé et le projet a été abandonné. Aujourd’hui existe une
coordination des comités s’opposant
à ces projets de gestion de déchets et proposant une gestion décentralisée et
coopérative du patrimoine.
La danse macabre
sur l’environnement grec va-t-elle continuer ? C’est la question que les
écologistes grecs, la gauche et les mouvements citoyens se posent. Les multinationales
qui convoitent les ressources du pays tentent de s’imposer grâce à la Troïka.
Pour n’en citer que quelques-unes : EDF, Iberderola, Eldorado Gold,
Gazprom, Suez ou Siemens. Elles souhaitent employer des «esclaves modernes»
pour 300 euros par mois pour construire
des hôtels «all inclusive» pour très riches, racler toute ressource énergétique
et hydrique, posséder des terres publiques et occuper in fine une place
stratégique en Méditerranée. Elles rêvent d’un nouveau colonialisme énergétique
et foncier du 21ème siècle.
C’est sans compter sur les mouvements d’ampleur qui se développent un peu
partout sur le territoire !
Retranscrit par OM
à paraître dans le prochain numéro d'A Contre Courant syndical et politique