Pour poursuivre la discussion lancée lors de l’AG par
Jean-Jacques
Les AES se sont constitués en 2002, dans la mouvance
de l’altermondialiste qui venait de
révéler ce que tramait « le gouvernement invisible » en toute
opacité, à savoir les traités et autres accords internationaux libéralisant
l’ensemble des activités économiques et humaines (exemple l’AMI). Il redonnait
espoir dans « un autre monde possible » au moment où nombre de militants mais aussi d’habitants des
quartiers populaires étaient déçus des appareils et institutions politiques,
dans l’incapacité de tenir un projet cohérent de transformation sociale
favorable aux classes sociales se paupérisant.
Quelques années plus tard, nous nous engagions très
ardemment dans la dénonciation du TCE en ce qu’il révélait des ambitions de
« nos » gouvernants ou de ceux qui prétendaient gouverner (le PS
soutenant le TCE). Réunions, tracts, débats permirent de tisser des liens avec
d’autres partis politiques ou associations ou encore non encartés, pensant que
les élections présidentielles étaient un moment privilégié pour faire de la
politique autrement et permettre de participer sous d’autres formes à la vie
politique. Certains imaginaient, même,
que le camp des antilibéraux et des anticapitalistes pourrait faire une percée
significative, bousculant le remake habituel des alliances contre nature, pesant
ainsi dans le paysage politique.
Mais, dès que pointe une élection, c’est la division qui
s’impose, et la Gauche de la Gauche n’y
échappa pas, faisant éclater les rapprochements qui nous avaient semblé
possibles, même si les discussions locales et nationales, auxquelles nous
participions, laissaient voir et entendre des luttes de places. Et ce fut
l’éclatement de la Gauche de la Gauche, et à nouveau la défaite de ceux qui
espéraient la naissance d’autre chose.
Parallèlement, nous pensions que toutes les luttes
étaient nécessaires pour construire une unité populaire et nous
participions à dénoncer les guerres, le
racisme et l’islamophobie, nous associant ou initiant des manifestations, des
débats, des rassemblements ; dans ces luttes nous pouvions mobiliser les habitants
des quartiers populaires, et notamment les
jeunes engagés dans le mouvement associatif qui avaient résisté à la récupération
par les partis traditionnels locaux, puis subi la diabolisation par les mêmes
qui les avaient approchés en vain, rejoignant le mouvement général
d’islamophobie.
Pendant toutes ces années, les AES n’ont pas eu comme
« simple objectif leur développement »
et ils n’ont pas « opposé ceux qui
sont dans les appareils à une base mythique » ; nous avons tenté,
chaque fois que cela a été possible, de constituer l’unité des antilibéraux et
anticapitalistes, dans différents collectifs, s’appuyant sur l’actualité
sociale et politique locale, nationale et internationale (Collectif pour la
paix, collectif Palestine, collectif pour l’annulation de la dette, contre les
violences policières, le tout dernier étant le Collectif antifasciste en cours
de constitution sur Belfort), organisant des Forums sociaux locaux et
participant aux initiatives nationales, alliant systématiquement
réflexion/action, réunissant militants,
« citoyens » et ceux qui ne le sont toujours pas (non Français
sans droit de vote), jeunes des quartiers populaires, partis politiques,
syndicats, associations et mouvements écologistes ou antinucléaires. La liste
serait très longue si l’on se donnait la peine d’en faire un recensement
exhaustif et nous sommes fiers d’avoir participé à des manifestations et
rassemblements que les partis traditionnels désertaient, en donnant la place à
ceux qui avaient le plus intérêt à dénoncer le système qui les exploite.
Mais, force est de constater que toutes ces tentatives
(qui avaient lieu surtout sur Belfort/aire urbaine là où nous étions plus
présents mais aussi en Haute-Saône au moment du TCE, par exemple, ou de luttes
pour le maintien des services publics de proximité, etc.), n’ont encore pu se
transformer en force politique suffisamment visible et pouvant faire poids dans
le système institutionnel tel qu’il existe, personnalisant les élections, où le
projet de société passe à la trappe, face aux « enjeux » de gagner ou
de garder des places, quitte à accepter des alliances contre nature, ou à
montrer du doigt ceux qui oseraient rompre cette unité lorsque l’extrême droite
menace : « tous contre le FN ».
Nous en concluons que la nécessité première, pour nous,
n’est pas de rallier un parti politique, même si celles et ceux qui veulent le
faire adhèrent simultanément aux AES. Nous pensons que ce qui est premier est
la compréhension et l’analyse de ce qui se passe dans la société, à partir de
là où nous vivons, où nous militons, incluant bien entendu ceux qui habitent
les quartiers populaires, et subissent depuis des décennies les politiques
d’austérité et de discrimination, de violences policières – en ce sens, nous
avons participé aux Forums sociaux des quartiers populaires au niveau national
et adhérons au FUIQP – front uni de l’immigration et des quartiers populaires.
Notre base n’est pas mythique, elle est diverse et compte nombre de copains
subissant le capitalisme en pleine face (pas de boulot, pas de fric, pas de
logement …), totalement désabusés et ayant une méfiance épidermique face aux
partis qui n’ont jamais eu le souci de les défendre (voire qui les ont
condamnés dans l’affaire du foulard ou encore en 2005, dénonçant les violences
des jeunes des quartiers, sans vouloir regarder les violences institutionnelles
qu’ils subissaient depuis des années).
Alors, certes, nous sommes déçus de constater que malgré l’énergie que nous continuons à
fournir, nous ne réussissons pas à mobiliser
ceux qui subissent de plein fouet
l’austérité à la Sarkozy hier, à la Hollande aujourd’hui, pour qu’ils
« descendent dans la rue » comme en Espagne, dans les pays arabes, au
Brésil ou encore en Turquie. Et nous pensons que le changement ne viendra pas des élections (ce serait déjà
fait puisque la « Gauche » en Europe a eu le pouvoir et au niveau de
l’UE fut même largement représentée). C’est en ce sens que je pense qu’il est
naïf, voire utopique, de faire croire ou vouloir croire, surtout lorsque l’on
est comme toi Jean-Jacques un militant averti, que « toutes celles et ceux qui se retrouvent dans les mouvements de
contestation de cette société sont en fait dans un même parti, dans un même
camp qu’il faut construire ». Les dix dernières années l’ont prouvé,
ça n’a pas marché, et pourtant nous avons été nombreux à défiler dans les rues
pour dénoncer les régressions sociales en matière de retraite, de services
publics (santé, éducation, etc.) où se côtoyaient nombre de partis et de
syndicats, pas toujours copains d’ailleurs, scellant des alliances
superficielles, voire même avec des idées de récupération. Les classes sociales
sont une réalité et elles ne se rejoignent pas sur tout.
Ce qui est certain, et les élections à venir ne le
démentiront pas (c’est pourquoi, certains ont tout intérêt à diaboliser le FN
et les violences fascistes), c’est que la majorité des citoyens (et si on
pouvait ajouter les non citoyens… le jour où ils auront le droit de vote)
rejette la classe politique qu’ils qualifient globalement de
« pourrie », voire « corrompue », et, les exemples
malheureusement ne manquent pas pour valider ces qualifications. Dans ce
marasme, des alliances contre nature se constituent au 2ème tour pour
« l’emporter » (EELV, PCF, Parti de Gauche) et les « gens »,
désabusés, désertent le débat politique. C’est bien là ce qu’il faut combattre
et c’est notre volonté aux AES, de faire en sorte que les « gens »
reprennent le pouvoir, non pas dans des comités de quartier ou autres formules
de concertation qui les cantonnent dans les trous à boucher ou les sens de
circulation, mais en donnant leur avis sur les politiques d’éducation, de
santé, de logement, ou encore en matière d’écologie, d’environnement, de
production, d’industrie… là où ils vivent. C’est là où sont utiles des
associations ou de nouvelles formes de regroupements (partis ou autres) qui
leur permettront de s’inscrire collectivement dans la politique, la vraie,
c’est-à-dire celle des choix d’organisation de la société dénonçant le
capitalisme prédateur et destructeur qu’ils subissent. L’organisation des
solidarités permettra également de faire des ponts entre les peuples du monde qui
subissent les mêmes politiques, afin que ne prolifèrent ni l’exploitation des
pays émergents ni les nationalismes racistes.
Voila ce qui nous guide aux AES. Nous avons toujours été
très ouverts à la participation de tous, syndiqués ou non, encartés ou non,
jeunes ou non, « bronzés » ou avec un foulard ou non, français ou
non, chômeurs ou non… tous ceux qui ne veulent plus être exploités, utilisés,
manipulés, précarisés, regardés uniquement comme un « bulletin de
vote », intoxiqués… C’est d’ailleurs la base de notre charte.
Odile Mangeot
Le 23 juin 2013