Pour l’Hôtel-Dieu, les
Solfériniens n’ont pas d’états d’âme
On connaissait l’utopie financière de «l’entreprise sans
usines», ce rêve cupide de rentiers du capital coiffant dans des holdings
d’actionnaires des entreprises à sueur, délocalisées dans les pays à bas
salaires. On était loin d’imaginer un «hôpital sans lits» ou encore un «hôpital
debout» pour reprendre l’expression du solférinien Jean-Marie Le Guen,
député et président du conseil de surveillance de l’Assistance
Publique/Hôpitaux de Paris. Les socio-libéraux, il faut le croire, ont bien
appris de leurs maîtres !
C’est en effet au cœur de Paris, dans cet hôpital dit
«Hôtel Dieu» qui connaît 90 000 passages aux urgences par an que la
compassion pour les âmes et les corps en souffrance n’est plus de mise, l’heure
est à la rentabilité et à l’arnaque. Cette structure sanitaire, l’une des plus
grosses de la capitale, est victime d’une opération immobilière spéculative,
ourdie dans le secret des hautes sphères où représentants de l’Etat et
financiers envisagent de juteuses restructurations.
A l’origine, la vente du siège administratif de l’hôpital
sis dans un bel immeuble avenue Victoria, fait l’objet de bien des convoitises,
tout particulièrement des fonds qataris. Il faut donc expulser les employés qui
y travaillent, les recaser dans leur hôpital et leur faire de la place…. en
déménageant, supprimant personnels de soins et lits encombrants. Les services
ont en effet besoin des 2/3 de la surface de l’hôpital. Quant au coût
d’aménagement des salles en bureaux, il doit rester secret…. tout comme le
projet de démantèlement progressif de cet hôpital. Il est effectif depuis
plusieurs mois : des services ont été transférés à l’hôpital Cochin, à
l’hôpital du Val de Grâce où le loyer pour les accueillir se monte à
800 000 euros par an ! Qu’importe ! La pneumologie, la chirurgie
thoracique sont déjà évacuées et, cet été, la psychiatrie et la médecine
interne devraient connaître le même sort.
Pour réaliser cette opération, la destruction de ce
service public devait être suffisamment avancée pour convaincre, qu’au vu de
l’état des lieux dépouillés, il ne pouvait plus fonctionner normalement, que
l’on ne pouvait faire autrement. S’adapter, se moderniser furent les maîtres
mots pour tenter de faire avaliser la transformation de cette structure de
soins. Les urgences devaient fermer, ou plutôt dans le langage de la novlangue,
être remplacées par un «centre de soins
en urgence pour les cas non graves» et tous debout ! Sans lits !
Quelques importuns et autres praticiens en colère avaient beau avancer que
l’impact de la fermeture des urgences serait désastreux, les hôpitaux St
Antoine, de la Pitié Salpêtrière, de Cochin ou de Lariboisière ne possédant pas
la capacité d’absorber les flux de patients, que ceux-ci attendaient déjà des
heures sur des brancards avant d’être traités. Rien n’y fit ! D’autant que
le pouvoir avançait que l’hôpital n’était plus aux normes bien qu’il ait été
rénové 5 ans auparavant ! Pour calmer les esprits échauffés par tant
d’autisme et de mauvaise foi, un prestataire de service payé grassement fit
l’éloge de la modernité rentable. Cet hôpital vieilli, transformé en hôpital
universitaire de santé publique sans lits, ouvert en journée et fermé la nuit
serait une institution d’avenir, tout comme le nouvel hôpital qui devrait être
construit pour 150 millions d’euros …estimés. Cette opération de marketing
politique fut accompagnée de leçons d’austérité budgétaire : l’hôpital en
voie de démantèlement devait économiser pour l’exercice 2014, 150 millions d’euros !
Comme cela, manifestement, ne suffisait pas à convaincre
les soignants de terrain, des carabins, bureaucrates de haut rang, tous doyens
de faculté, furent sollicités pour chanter les louanges de ce «projet ambitieux et innovant», dans
l’hôpital-Dieu sans lits mais «rapide»,
«ouvert à tous», à «l’accès facilité» : ces grands humanistes
pleins de compassion pour les personnels expulsés, victimes des «mobilités» forcées qui auraient le
privilège d’être assistés par une «cellule
d’accompagnement», de bénéficier d’un «suivi
individuel», «de réunions
d’information» sur leur sort, et même, pour ces «benêts» d’une (belle) «plaquette d’information» de présentation
de la fameuse cellule d’accompagnement (1). Interpellée à l’assemblée nationale,
Marisol Touraine ne pouvait faire que de partir dans de grandes envolées pour
conclure face à un Gilbert Barbier aux anges : «Il faut s’adapter» Très bien ! dit-il après l’avoir entendue
affirmer «on ne peut se contenter de
reproduire ce qui a existé». Ce fut un Te Deum qui fit communier dans un
même élan de satisfaction la ministre de la Gauche libérale avec l’homme de la
Droite libérale dans un hémicycle républicain bien clairsemé.
Que la loi Bachelot, la T2A (la tarification à l’activité
à la rentabilité plus qu’incertaine) et les restrictions de moyens agissent
tous en vue de restreindre les dépenses de santé publique, que fermetures et
restructurations en cours continuent et, dans la même lignée, que les
déremboursements, les forfaits, franchises médicales, les dépassements
d’honoraires ne soient pas remis en cause, ce n’est que le changement maintenant dans la continuité néolibérale.
Le 15 juin à Paris, une manifestation suppliera le
pouvoir de financer la protection sociale à la hauteur des besoins et exprimera
son opposition à la fermeture annoncée des urgences et de l’hôpital. Les
manifestants exigeront-ils la démission de la ministre aux ordres pour
déstabiliser ce gouvernement et lui faire payer ses forfaitures ? Rien n’est
moins sûr… Faut-il encore entretenir l’illusion sur sa capacité de
compréhension et sa possible compassion ?
Gérard Deneux, le 10 juin 2013
Amis de l’émancipation Sociale, membre du CA du Comité de
vigilance et de défense des hôpitaux de proximité de Lure.
(1)
lire leur dithyrambique prose sur le site le webzine sur
l’APHP
Sources :
sites de l’Humanité, du Comité de
soutien Hôtel Dieu, de la coordination nationale des comités de défense des
hôpitaux et maternités de proximité