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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 10 juin 2019

Alstom General Electric le sursaut nécessaire.

Pour qui se veut un tant soit peu rationnel, les (més) aventures d'Alstom et de General Electric ont de
quoi nous laisser sans voix.

Un peu d'histoire.

Sans revenir dans le détail sur les conditions rocambolesques du rachat de la branche énergie d'Alstom, très bien documentées par ailleurs (1), rappelons simplement que ce rachat, se déroule en 2015 sur fond d'accusation de corruption par le Department of Justice américain. Bras armé des Etats Unis en matière économique, le DoJ peut agir n'importe où grâce à l'extra-territorialité. Dès lors qu'une transaction est libellée en dollars, qu'elle implique des composants Etats-uniens ou transgresse des embargos décidés par les seuls USA, il se déclare compétent. Dans le cas qui nous intéresse l'accusation lancée concernait des soupçons de corruption liés à des contrats dans la fourniture de centrales électriques. Menacé d'une très forte amende, le PDG de l'époque, Patrick Kron ne se fait guère prier pour céder la partie énergie d'Alstom au géant américain, prétextant, au passage renforcer la partie "transport" qui, elle resterait Alstom.

A cette époque, deux hommes s'affrontent au gouvernement : Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Elysée et Arnaud Montebourg ministre de l'industrie. Le premier défend la cession d'Alstom à General Electric, le second s'y oppose, cherchant des solutions plus européennes, avec Siemens. Si aucune des deux solutions n'était entièrement satisfaisante, il n'en reste pas moins que des questions se posent, Arnaud Montebourg défendait une position qui, au moins, se préoccupait, de l'intérêt national (Emmanuel Macron lui aurait dit : ce n'est pas le Venezuela ici (2 !).

Les questions qui se posent sont bien celles-là :

Pourquoi Emmanuel Macron, secrétaire adjoint de l'Elysée a-t-il pris en charge ce dossier au lieu du ministre de l'industrie ? D'autant plus que la banque Rothschild, dont il est un ancien salarié, participait à l'opération.
Comment un gouvernement peut-il autoriser une puissance étrangère à mettre la main sur tout son système de production d'énergie électrique au travers d'une entreprise qui est un acteur majeur, dans le nucléaire comme dans l'hydraulique ? Alstom fabrique les turbines, les alternateurs, les contrôles commandes. Sans parler des systèmes de propulsion des sous-marins et du porte avions Charles de Gaulle Tout cela, est aujourd'hui américain. Quel pays fait ça ? Et ce n'est pas être un dangereux nationaliste que de le dire.

Emmanuel Macron n'a-t-il aucun compte à rendre ?

Une commission d'enquête parlementaire, présidée par Olivier Marleix, député LR a malheureusement abouti à une sorte d'enterrement de ces sujets. Pas par la faute du président, mais bel et bien de son rapporteur (3). Olivier Marleix à informé la justice de ses doutes sur l'affaire (4). A
suivre donc.

En attendant, la situation est plus qu'inquiétante. Le rachat en 2015 était, dit-on, assorti de plusieurs engagements. Les 1000 emplois bien sûr. L'implantation de centres de décisions en France. On sait aujourd'hui ce qu'il en est. Dès 2016, General Electric annonce des suppressions de postes. Elles toucheront principalement la région parisienne, on suppose que pour des raisons d'affichage politique, les régions ont été plus ou moins sanctuarisées, Belfort en particulier. En 2017, c'est au tour de Grenoble, de subir un plan de suppression de postes. C'est l'activité hydro qui est visée. A cette occasion, Bruno Lemaire, vient à Belfort, il rencontre une délégation de syndicalistes. Une rencontre mémorable puisqu'il affirme que : General Electric rencontre des difficultés (en fait, de mauvais rendement de l'action), que la filière hydraulique n'a pas d'avenir, qu'il gagnera les arbitrages contre Nicolas Hulot (ministre de l'environnement à l'époque) pour la construction de 5 EPR et surtout que les mille emplois seront crées, qu'il en va de l'image de marque de General Electric, qu'il prendra lui-même la présidence du comité de suivit. En bref, Bruno Lemaire est un spécialiste du dossier ! Il est un excellent porte-parole de l'entreprise (Il faudra s'en souvenir quand on reparlera du plan de suppression de postes qui est annoncé aujourd'hui).

Dans le même temps, en Europe, les dégâts ont été encore plus considérables. C'est par dizaines de milliers que les postes ont été supprimés.

Aucune activité n'est épargnée parmi celles qui constituent General Electric. Healthcare (matériel médical), Power Conversion (solutions pour l'industrie), Grid (réseaux), liste non exhaustive !

La casse sociale

En début d'année, les directions de diverses entités ont annoncé l'ouverture de négociations pour des plans de départs volontaires, sous la forme de Ruptures Conventionnelles Collectives, une des innovations des ordonnances Macron, grâce à laquelle, l'employeur n'a même pas à justifier de difficultés économique pour réduire sa masse salariale (puisque c'est bien de cela qu'il s'agit). Plans de départs volontaires, cessation anticipée d'activité, après que la France a été épargnée (relativement on l'a vu), c'est à son tour de montrer aux fonds de pension américains, qui, en réalité mènent la danse, qu'elle peut obéir à leurs injonctions, que son modèle social, hérité du CNR est assez brisé pour les laisser agir selon leur intérêt. Le long travail de sape que nous n'avons pas su interrompre est, maintenant parvenu à ses fins.

Tous les collectifs, de travail comme syndicaux ont été tellement fragilisés que les méthodes de résistance sont à réinventer.

Après ces coups d'essais, plus violents qu'il n'y paraît, vient la dernière annonce. Celle de la suppression de 1044 postes principalement chez GE-EPF), l'entité qui produit les turbines à gaz. Les GE historiques. Ceux qui sont dans cette entreprise depuis la fin des années 1990, basés pour la majeure partie à Belfort, mais aussi à Chonas et à Bourogne. Les ingénieurs comme les ouvriers. Mais n'oublions surtout pas les fonctions support, touchées à quasiment 100% à Belfort et à Boulogne.

Bruno Lemaire fait le déplacement le lundi, promet qu'il va téléphoner à Larry Culp (le PDG de General Electric) pour lui dire fermement combien son plan est inacceptable en l'état. On allait voir ce qu'on allait voir ! C'est dire si quand le vendredi, l'intersyndicale apprend qu'il n'en a rien fait et qu'elle en informe les salariés réunis en assemblée générale, empêchant une turbine de sortir du site, l'annonce fait son petit effet. La turbine ne sortira pas ce vendredi, veille d'un long week-end. Elle restera jusqu'à mardi matin… au moins.

Il est important que la réunion de lancement de l'information consultation n'ait pas lieu le 17 juin comme il est prévu. En effet, une fois ce lancement effectué, on entre dans les délais contraints (encore une régression du code du travail entrée en vigueur en 2016). Au terme de cette consultation des Instances Représentatives du Personnel, l'avis des "partenaires sociaux" n'a pas grande importance. Il n'est que consultatif. Quatre mois après le lancement du processus, la direction peut mettre ses mesures en oeuvre. La casse sociale peut dès lors advenir !

En guise de conclusion provisoire.

Pardon pour ce texte touffu, qui ne fait pourtant qu'effleurer la réalité quotidienne que subissent les salariés dans ces entreprises. Une véritable maltraitance pour celles et ceux, la grande majorité, qui respectent leur travail. Contrairement à ce que veulent nous faire croire les thèses néolibérales, les hommes et les femmes ne sont pas faites pour s'"adapter" à la division internationale du travail, aux avantages compétitifs de telle ou telle région (5). Il est temps de reprendre le pouvoir dans les entreprises, d'y imposer la démocratie. Nous devons mettre fin à l'usurpation du pouvoir par les propriétaires de part sociales. Ils ne sont qu'une composante du collectif de production au même titre que les salariés, les outils et les sous-traitants (6). L'entreprise est une personne morale, pas un ensemble atomisé aux mains de potentats qui en font ce que bon leur semble.

Le pire serait de dire que nous n'avons plus besoin de politique, la grande rengaine néolibérale. Au contraire, nous devons nous réapproprier les outils de et les rediriger vers la production de biens utiles à résoudre les défis auxquels nous sommes confrontés. Nous, pas les générations futures ! Nous devons re-rationaliser les chaînes de valeurs.

General Electric est, en l'état actuel des choses, une caricature d'entreprise, juste bonne à faire pisser du cash aux salariés jusqu'à épuisement. Les outils, les salariés et ce qu'ils produisent n'intéressent pas ceux qui s'en pensent propriétaires. C'est pourtant un outil indispensable à la réalisation de transition énergétique. Les savoirs, les savoir-faire sont là. A nous de nous en saisir, collectivement. 

Nous devons en finir avec l'utopie néolibérale, cette vieille lune datant des années 1930. Passons au XXIe siècle.

Prochain rendez-vous le samedi 22 juin dans les rues de Belfort.

Dominique Thiriet le 9 juin 2019


1 Bien décrites par Jean-Michel Quatrepoint dans son livre : Alstom, un scandale d'état. Mais aussi dans une version romancée (à peine) par Dominique Manotti, Racket. À lire également, par Frédéric Pierucci, le piège américain, une version bien documentée puisque l'auteur en est un des protagonistes malheureux.
2: https://www.youtube.com/watch?v=uCkujai5_4g
3-http://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete/commission-denquete-sur-les-decisions-de-l-etat-en-matiere-de-politique-industrielle-notamment-dans-les-cas-d-alstom-dalcatel-et-de-stx. Le malaise du président y est évident.
4-https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/17/affaire-alstom-ge-la-justice-saisie-par-l-ancienpresident-de-la-commission-d-enquete-parlementaire_5410451_3224.html
5-Barbara Stiegler : Il faut s’adapter. Sur un nouvel impératif politique. On peut également regarder :
https://www.qwant.com/? q=barbara%20stiegler&t=videos&o=0:89862385acb7346505011d0aecf5cefa
6 Alain Supiot : https://www.college-de-france.fr/site/alain-supiot/_course.htm.