La Guinée Conakry
Nous publions ci-après
le contenu synthétique d’une des interventions radiophoniques
« Itin’errances », réalisées
par le Comité d’Aide et de Défense des Migrants de Haute-Saône (CADM 70)(1),
sur Fréquence Amitié Vesoul (2) à raison d’une fois par mois. Cette
association, en liaison avec les migrants et déboutés du droit d’asile, entend
faire connaître la situation des pays d’exil afin de combattre les préjugés et de
développer la solidarité internationaliste, fondée sur des connaissances historiques,
sociales et économiques, tout en épinglant les responsabilités des
gouvernements d’ici et de là-bas. Précisions que les exilés de la Guinée Conakry
ont dû fuir, pour la plupart, pour des raisons d’opposition au régime en place.
Si, parmi nous, beaucoup ignorent le massacre de masse perpétré le 28 septembre
2009 (157 morts), lors d’une manifestation-monstre au stade Conakry, tous les
Guinéens s’en souviennent comme d’un cri pour la liberté à conquérir.
La
Guinée Conadry est un charmant petit pays de l’Afrique de l’Ouest situé au Sud
du Sénégal et du Mali : 150 kms de façade atlantique, l’équivalent de la
moitié de la France en superficie et 13 millions d’habitants. Sa population compte
de nombreuses ethnies dont les principales sont les Peuls (30%), les Malinkés
(30%), les Soussous (10%). Elle est très jeune, 60 % a moins de 25 ans, et de
confession musulmane à 85 %.
La Guinée Conakry est
riche en ressources naturelles :
elle est le 2° producteur mondial de bauxite, elle a aussi du diamant, de l’or…
L’agriculture est facile à pratiquer :
de nombreux fleuves la parcourent ; on la décrit souvent comme le château d’eau de l’Afrique
de l’Ouest. 75% de la population travaille dans ce secteur, qui représente 25%
du PIB. On y cultive du riz, du café, on y produit ananas, pommes, raisins,
tomates… Les 150 kms de littoral atlantique permettent la pratique de la pêche.
La
Guinée Conakry est un pays dans lequel on devrait bien vivre, pourtant 55% de la population vit sous le seuil de
pauvreté (en France 15 %). L’indice de développement humain la classe 179°
sur 190.
Pourquoi tant de misères
dans ce pays riche ?
Les ressources
naturelles (bauxite,
or, diamant…) sont exploitées, accaparées, pillées par les compagnies
étrangères canadiennes, françaises, australiennes, anglaises… et surtout
chinoises, selon un processus hélas récurrent en Afrique : le gâteau pour
les multinationales, les grosses miettes pour les dirigeants locaux, les
petites miettes pour la population.
Les régimes politiques
successifs qu’ont eus
à subir les Guinéens sont la 2° cause de la misère dans ce pays. Pour comprendre,
un retour en arrière est nécessaire. Après la colonisation française, en 1958,
le Général De Gaulle proposa aux différentes colonies d’adhérer par référendum
à une communauté française. Celles qui accepteraient, seraient indépendantes
quelques années plus tard en conservant des liens commerciaux privilégiés avec la France ; en échange, si le futur pouvoir en place
avait des problèmes avec son opposition dans son pays ou était en guerre avec d’autres Etats, la France s’engageait à
intervenir pour soutenir les dirigeants en place. C’était donc un accord
gagnant-gagnant pour la France et pour les dirigeants de ces futurs Etats, PAS
POUR LE PEUPLE. De Gaulle proposait en fait une indépendance de façade. Toutes les colonies de l’Afrique de l’Ouest
acceptèrent d’adhérer à cette communauté française SAUF la Guinée Conakry qui choisit l’indépendance immédiate et la
rupture radicale avec l’Etat colonisateur. Le leader du Parti du NON, Sékou
Touré était un syndicaliste, député français et disait à cette époque : « je
préfère la liberté dans la pauvreté que la richesse dans la servitude ». De
Gaulle reçut ce NON comme un camouflet, comme une humiliation et s’appliqua
à torpiller l’économie du pays pour punir ce peuple résistant.
Donc,
le 2 octobre 1958, la Guinée Conakry devenait indépendante avec à sa tête Sékou
Touré. En quelques semaines, tous les fonctionnaires et coopérants français
quittèrent le pays, paralysant brutalement les administrations, l’économie, les
transports… La France poussa le vice jusqu’à inonder la Guinée Conakry de
fausses monnaies. Face à cela, Sékou Touré se tourna vers les pays du bloc
communiste et durcit son régime qui devint rapidement une dictature
sanglante : police secrète, Parti Unique, camps de détention, régime de
terreur. Entre 1958 et 1984, Amnesty International dénombra 50 000 morts.
A la fin de sa vie Sékou Touré dira lui-même : « J’ai tué tous les cadres
de la Guinée et tous mes amis ». En 1984, lui succèdera Lansana Conté, qui, sous la pression
internationale instaura le multipartisme
« à
la guinéenne ». En fait, grâce à un pouvoir répressif et liberticide,
il restera au pouvoir 24 ans et sera réélu en 2003 avec 95,63 % des voix.
En
2010, arrive au pouvoir Alpha Condé,
le Président actuel qui continue sur la même ligne : régime autoritaire,
violent, ne tolérant aucune opposition, surtout si elle vient de l’ethnie des
Peuls.
Les Peuls sont une ethnie, qui depuis le découpage postcolonial ; elle est
disséminée sur une quinzaine d’Etats, dont la Guinée Conakry, où elle est
surtout présente dans le domaine du commerce, alors que l’ethnie Malinké a
toujours dirigé le pays (tous les présidents
ont toujours été issus de celle-ci.) On dit en Guinée Conakry que la
devise du Président est : « Tout ce
qui ne va pas c’est de la faute des Peuls ». Depuis 2010, Amnesty International a dénombré
la mort de 100 opposants politique
assassinés : tous étaient Peuls. Sabine Cessou dans le Monde Diplomatique, disait, en
2018 : « Que se passe-t-il en
Guinée Conakry ? La répression est à l’œuvre, régulièrement épinglée par
Amnesty International, avec la tentation d’attiser une haine ethnique… Un
discours anti-peul s’est propagé depuis
de la présidentielle de 2010 ». Elle rapporte les paroles d’un
leader de l’opposition : « C’est
la première fois en Guinée que nous connaissons des violences de cette nature.
Les Peuls sont accusés de tous les maux, de la même manière que les Juifs ont
été accusés d’avoir empoisonné les puits au Moyen-Age ».
Depuis
l’Indépendance, des régimes autoritaires tout aussi violents les uns que les autres se sont
succédé en Guinée Conakry pour le plus grand malheur de la population, en particulier
des Peuls. Pour les jeunes, l’alternative est simple : rester au pays au
risque d’être emprisonnés, torturés, tués surtout s’ils sont Peuls et dans
l’opposition, ou bien quitter la Guinée Conakry au risque de leur vie pour
demander l’asile politique aléatoire dans un autre pays. Ils se tournent
naturellement vers la France car ils parlent français… En 2017 (source OFPRA), les
Guinéens étaient le 2ème pays d’Afrique (3 780 demandes),
derrière les Soudanais à demander l’asile en France, où malgré la situation
politique extrêmement répressive dans leur pays, ils ont d’énormes difficultés
à obtenir le statut de réfugié politique.
Jean-Louis
L.
(1) CADM 70 sur facebook https://www.facebook.com/cadm70/
(2) Pour écouter les émissions Itin’errances en replay : www.frequenceamitievesoul.fr/
(grille des programmes).
Extrait
du témoignage de Baldé de Guinée
Conakry, lors de la 11ème émission
Itin’errances du 24 avril 2019) « … Si la jeunesse avait eu de bons
dirigeants, soucieux, responsables, qui travaillent pour leur pays, qui ne
modifient pas la Constitution à leur guise, l’Afrique serait un continent plus
riche. Malheureusement, c’est la pensée unique qui domine comme si on était
dans un Royaume. Les chefs et leurs entourages… profitent et manipulent pour
que les Communautés s’affrontent et qu’ils puissent, eux, faire leur sale
besogne. Ce que je veux dire à la jeunesse c’est de prendre son destin en mains
pour montrer aux Présidents voleurs, sanguinaires, pilleurs de biens publics
que tôt ou tard ils paieront les exactions commises. La jeunesse de 2019 n’est plus celle de 2000.
Ils n’ont qu’à prendre l’exemple de l’Algérie et le Soudan dont la jeunesse a
pris sa responsabilité pour mettre hors d’état de nuire les deux anciens
présidents ».