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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


jeudi 13 juin 2019


L’accroissement des inégalités

Globalement les revenus augmentent, les conditions de vie s’améliorent, les Français sont mieux formés et vivent plus longtemps. Mais, de l’autre côté, ces progrès sont de moins en moins bien partagés. Selon Thomas Piketty, « ces dernières décennies, les inégalités de revenus ont crû dans presque tous les pays ». Ainsi, depuis 1980, les 1% les plus riches ont capté 27% de la croissance des revenus, alors que les 50% les plus pauvres se sont contentés de 12% de cette croissance. Les revenus des plus défavorisés baissent désormais, du jamais vu depuis les années 70. L’enrichissement d’une partie des « super-riches » a été considérable. Comment les décisions politiques, européennes et nationales, ont elles favorisé ces écarts ? Quelles sont les charges qui augmentent et les impôts – des plus riches – qui baissent ?

1 – Les cadeaux. Etat des lieux

En 2017, 82% de la croissance profite au 1% des plus riches de la planète alors que les 50% les plus pauvres n’en ont récupéré que des miettes. En France, les 10% les plus riches détiennent plus de la moitié des richesses nationales quand les 50% les plus pauvres se partagent seulement 5% du gâteau. Ainsi, selon le rapport d’Oxfam, la fortune des milliardaires a augmenté de 2,2 milliards d’euros par jour l’année dernière, alors que celle des 3,8 milliards de personnes, qui composent la moitié la plus pauvre de l’humanité, s’amoindrit. La France compte entre 5 et 8,9 millions de pauvres selon la définition adoptée (seuil de pauvreté entre 50 et 60% du niveau de vie médian). Entre 2005 et 2015, le nombre de personnes concernées a augmenté de 600 000 personnes à 1 000 000 (selon le % du seuil de pauvreté).
Le patrimoine professionnel de Bernard Arnault (LVMH), première fortune de France vaut 7,3 milliards d’euros, l’équivalent de 4 millions d’années de SMIC. Les 10 plus fortunés possèdent 317 milliards d’euros à eux seuls. Le seuil d’entrée dans le top 500 des plus grandes fortunes professionnelles ne cesse de s’élever : il a augmenté de 16% en un an et il a été multiplié par onze depuis 1996. Ni la crise, ni le niveau de fiscalité n’ont entamé la progression des grandes fortunes, d’autant que, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les cadeaux fiscaux aux riches sont très nombreux.

L’ISF

L’Impôt sur la Fortune est un impôt sur le patrimoine. Il touche les personnes dont la fortune dépasse 800 000 €, soit près de 600 000 contribuables. Un abattement de 30% est appliqué pour la résidence principale. Bien que cette réforme fût promise par le candidat Macron, elle ne devait intervenir qu’en 2019 (1). Elle fut votée beaucoup plus tôt, en octobre 2017, suite à la pression des milieux d’affaires. Le projet de loi de finances (PLF) remplace donc l’ISF par un impôt sur la seule fortune immobilière (IFI). En faisant sortir les valeurs mobilières – ce qui inclut les actions en Bourse, les assurances-vie et les obligations – de l’assiette d’assujettissement à l’ISF, l’Etat fait un formidable cadeau aux plus riches dont les patrimoines sont composés, à plus de 90%, de ces produits financiers.

L’ISF a rapporté 5,4 milliards € en 2017, à mettre en balance avec les 800 millions annoncés par son successeur, l’IFI, soit un manque à gagner de 4,6 milliards, un montant qui excède le budget annuel du CNRS. L’argument du gouvernement, pour ne pas revenir sur la suppression de l’ISF, est qu’il crée « un environnement favorable pour les investisseurs français et étrangers en réduisant le coût du capital » et freine l’exil fiscal des plus fortunés. Or, comme l’a démontré Frédéric Lordon, il s’agit d’un argument technocratique, autoritaire et inexact car sur les 260 milliards d’investissements des entreprises, seuls 3,8% sont des nouvelles actions boursières. De plus, ces 10 milliards de nouvelles actions représentent seulement 0,3% des 3 300 milliards d’Euros en circulation à la Bourse ;  donc, la suppression de l’ISF ne favorise ni l’investissement, ni la création d’emplois.
Autre conséquence plus tangible de la suppression de l’ISF, l’effondrement des dons aux associations caritatives. Dans l’ancien dispositif, ceux-ci étaient déductibles de l’ISF. Cet avantage ayant disparu, la philanthropie des grands bourgeois a fondu. La Fondation des petits frères des pauvres a enregistré une chute des dons de 30%. Ce serait 60% pour les apprentis d’Auteuil.

Flat tax

Outre la suppression de l’ISF, Emmanuel Macron et les siens ont procédé à la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital. Auparavant, un actionnaire percevant des dividendes, ou un épargnant touchant des intérêts, les déclarait dans ses revenus, qui étaient ensuite imposés selon la tranche à laquelle il appartenait. Conformément au principe de la progressivité de l’impôt, les contribuables les plus riches étaient assujettis à un taux marginal plus élevé (45% pour la fraction de leurs revenus supérieure à 156 255€) que les plus modestes. Le PFU établit une flat tax, c’est-à-dire un impôt unique. Ce cadeau fiscal est évalué à lui seul à entre 1,3 et 5 milliards €/an. Pour les 100 premiers contribuables français à l’ISF, le gain moyen annuel, lié à ces mesures, est estimé par Bercy à 582 380 €. Et pour les 1 000 premiers, à 172 220 € par an de réduction d’impôts. Mais cet impôt dérogatoire risque de coûter bien plus cher qu’anticipé, notoirement par des effets d’aubaine pour, par exemple, les traders qui auront désormais intérêt à être rémunérés en dividendes. Le ministère des Finances justifie cette mesure car elle « … aura des effets bénéfiques sur l’activité, l’investissement et l’emploi » ; ces gains devraient relancer la consommation ; or, les précédentes baisses d’impôt opérées en masse depuis 2000 n’ont jamais démontré leur efficacité à créer les conditions de la croissance. La mise en place du PFU est l’illustration de l’hypocrisie d’un discours qui met en avant la réussite personnelle par le travail et qui, en pratique, privilégie la rente ; qui taxe davantage le salaire que la spéculation boursière ; qui utilise un système de deux poids, deux mesures : une forme de charité pour les très pauvres et des gains considérables tout en haut de l’échelle.

Exit Tax

Le 1er Mai 2018, Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l’Exit Tax lors d’un entretien accordé au magazine américain Forbes. L’Exit Tax visait à dissuader les gros actionnaires de sociétés, créées en France, de choisir l’exil fiscal afin de vendre leur capital en échappant à l’impôt sur la plus-value. L’Etat fixait un délai de quinze ans durant lequel le contribuable fuyard devait s’acquitter de l’impôt. Le coût de cette mesure pourrait s’élever à 800 millions €, selon le responsable de la direction fiscale de Bercy. Néanmoins, en septembre 2018, la majorité a quelque peu réduit le cadeau en reconduisant une Exit Tax avec un délai d’imposition à 2 ans au lieu de 15.

Le CICE

La pérennisation du Crédit d’Impôt pour la compétitivité et l’Emploi (CICE) va coûter très cher aux contribuables. Cette mesure, élaborée par Emmanuel Macron en 2013 (alors ministre), consiste en un crédit d’impôt pour les sociétés, égal à 6% de la masse salariale de l’entreprise pour tous les salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Ce rabais représente au total un coût de près de 100 Milliards € pour l’Etat depuis 2013 – soit 20 milliards en moyenne chaque année. A partir du 1er Janvier 2019, le CICE est converti en baisse pérenne des cotisations sociales patronales. Mais, au cours de cette année de transition, l’ancien CICE est cumulé avec le nouveau dispositif. Autrement dit, en 2019, les entreprises bénéficieront deux fois du rabais : elles jouiront du crédit d’impôt au titre de 2018 et « en même temps » de la baisse des cotisations pour 2019 ! Pour Bercy, la facture se monte à 40 milliards. A titre d’exemple, avec 20 milliards par an, il est possible d’éradiquer la pauvreté en portant les minima sociaux au niveau du seuil de pauvreté (60% du revenu médian), soit 1 000 € par mois. L’objectif mis en avant en faveur du CICE est d’augmenter les profits des sociétés pour les inciter à investir et à créer des emplois. Mais, en l’absence de réel contrôle de l’utilisation de cet argent public, les directions d’entreprises font bien ce qu’elles veulent. Le groupe PSA touche des dizaines de millions € chaque année au titre du CICE, tout en enchaînant les plans de licenciement. Zéro contrainte pour les plus riches qui bénéficient de la générosité des contribuables tandis que, pour les plus pauvres, la défiance à leur égard est derrière chaque aide.

De nouveaux cadeaux

Autre engagement du président Macron : faire baisser l’impôt sur les sociétés de 33,3 à 25% à l’horizon 2022. Cette ristourne faramineuse représenterait à terme une perte de 11 milliards € pour les finances publiques. Mais la liste de ces largesse fiscales en faveur du capital et des plus riches, déjà bien fournie, n’en finit pas de s’allonger. La fiscalité sur l’attribution d’actions gratuites a été allégée fin 2017, Emmanuel Macron a également baissé la taxe sur les salaires pour les entreprises non soumises à la TVA. Il s’agit des banques et des fonds spéculatifs qui, désormais, ne paieront plus que 13,6 % au lieu de 20% de taxe sur les salaires des traders - déjà grassement rémunérés. Coût de la mesure : 250 millions € en moins chaque année. Quant à la suppression de la 4ème tranche de la taxe sur les hauts salaires que payaient les entreprises, elle représente un manque à gagner de 137 millions € par an.

2 - Le pouvoir d’achat

Emmanuel Macron déclare le 21 mai, dans une interview à la presse régionale, que « le pouvoir d’achat n’a jamais autant augmenté depuis douze ans ! »… ça dépend pour qui…

Ce qui augmente depuis deux ans ce sont les charges :
Frais bancaire + 13%
Carburant + 12%
PV stationnement +130%
Assurance + 4%
Mutuelle +5 %
Fioul domestique + 3%
Timbre + 10%
Carte grise + 15%
Tabac + 10%
Péage autoroute + 20%
Gaz + 7%
Contrôle technique +23%

Quels sont les motifs à certaines de ces augmentations ?

Electricité

Depuis la fin des années 80, l’Union Européenne s’attache à casser les monopoles dans le secteur des énergies de réseau que sont le gaz et l’électricité (2). Ainsi on introduit la concurrence directe dans les secteurs susceptibles de générer des profits rapides, les autres restent publics : « privatisation des profits et mutualisation des coûts ». A partir de 1999, des fournisseurs privés sont autorisés à concurrencer Electricité de France (EDF) en proposant des contrats d’approvisionnement aux entreprises, en 2007 pour les particuliers. Pour l’occasion, des investisseurs sans aucun site de production, se créent de toutes pièces et revendent de l’électricité achetée, soit auprès de producteurs européens, soit en Bourse. En 2001, des banques, des énergéticiens et la place boursière Euronext lancent la 1ère  bourse française de l’électricité, baptisée Powernext. Powernext fusionne en 2008 avec son homologue allemand pour donner naissance à une bourse européenne de l’électricité : EREX Spot. En 2018, elle représente près de deux fois la production électrique nationale car les produits peuvent s’acheter et se revendre plusieurs fois. Depuis cette réglementation, deux systèmes de tarification coexistent : le tarif bleu, délivré uniquement par EDF et les offres « de marché » vendues par les fournisseurs privés. Ce système dérégulé a été conçu dans le but de démanteler le service public. Pourtant 80% des clients choisissent encore le tarif réglementé. Puisque la concurrence « libre et non faussée » ne produit pas les résultats escomptés, le législateur entreprend de la fausser… à l’avantage du secteur privé. En 2010, la loi NONE oblige EDF à tenir à disposition de ses concurrents privés un volume important de sa production à prix coûtant ! Les sociétés privés peuvent l’acheter mais n’en ont pas l’obligation si les prix de la Bourse sont plus bas. La loi NONE prévoit également que si les cours de l’électricité augmentent, les tarifs régulés doivent suivre. C’est précisément ce qui se produit aujourd’hui. Sous la pression des Gilets Jaunes, le gouvernement a différé l’augmentation des tarifs réglementés mais la Commission de régulation de l’énergie a rappelé qu’une hausse de 5,9% devait intervenir « au plus tard le 1 Juin 2019 ». Le ministre de la transition écologique et solidaire l’a confirmé le 22 Mars. C’est ainsi que le tarif de l’électricité, bien que de première nécessité, se retrouve soumis à l’obsession européenne de la concurrence et dicté par les acteurs privés.

Péage

L’Etat a signé un accord secret qui augmente les prix des péages jusqu’en 2023. Cet arrangement avait été signé en 2015 par E. Macron, alors ministre de l’Economie, et Ségolène Royal, alors ministre de l’Ecologie, afin de calmer les sociétés d’autoroute, mécontentes du gel des péages qui avait été décidé en 2014. En effet, ils avaient alors décidé de geler la hausse afin de « rendre aux automobilistes un peu d’équité tarifaire ». Mais les autoroutiers ont immédiatement attaqué en justice ce texte. La pression étant telle que «  l’Etat finit par signer un accord, une sortie de crise ». Les termes de cet accord ont longtemps été soigneusement tenus secrets. Ils ont finalement été rendus publics grâce à la détermination d’un ancien élu écologiste qui s’est battu pendant deux ans pour obtenir la publication du document. En 2016, le tribunal administratif lui a donné raison. Les termes de l’accord sont assez défavorables aux automobilistes. En effet, le document stipule que les sociétés d’autoroute, qui s’engagent à financer 3,2 milliards de travaux sur 10 ans, obtiennent en retour une « stabilité fiscale » et une clause « allongeant la durée des concessions ». Mais ils obtiennent surtout des « hausses de tarifs additionnables chaque année de 2019 à 2023 ». L’Arafer, une autorité indépendante de contrôle, calcule que les automobilistes devraient même payer plus cher qu’initialement prévu. Selon elle, le surcoût est de 500 millions € à la charge des automobilistes. En plus de ces hausses, le coût est élevé aussi pour la collectivité ; l’Etat a validé un plan d’investissement autoroutier de 700 millions financé par les péages d’une part, et par les contribuables via la participation des collectivités. Ces hausses et ces frais expliquent aussi pourquoi, depuis la vente de l’Etat de ses parts en 2005, celles-ci font des bénéfices record : 4,7 milliards € de dividendes en 2016.

Voici un bref tour d’horizon  des cadeaux fiscaux du gouvernement pour les super-riches et quelques hausses de charges imposées par des décisions secrètes ou européennes. Ces informations mettent en évidence de grandes injustices sociales et fiscales, importantes à dénoncer.

Stéphanie Roussillon

(1)  Le président des ultra-riches de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
(2) Electricité, Le prix de la concurrence, le Monde Diplomatique, Mai 2019