Edito de PES n° 54
La liberté
de penser ne peut être bâillonnée
Au
travers de quelques exemples évoqués ci-dessous, il s’agit d’affirmer que la
liberté de la presse, en particulier des lanceurs d’alerte, nous est
indispensable. Il en va de la survie de l’espace démocratique que les pouvoirs prétendent
restreindre, voire étouffer. Autant il convient de se méfier de l’idéologie de
soumission à l’ordre existant, inoculée par les médias dominants où le futile
recouvre les faits décisifs, où la logomachie des éditocrates invite à la
résignation, autant il nous faut soutenir les journalistes qui, par leurs
révélations, leurs investigations, participent à l’éveil de l’esprit critique,
mission qui devrait être aussi celle des enseignants.
La
terrible mise en quarantaine de Julien Assange, ainsi que les poursuites
engagées à son encontre par les Etats-Unis, n’ont rien d’anodin. Celui qui a
mis à jour les dessous de l’agression préméditée contre l’Irak, les mensonges
construits pour la valider, la réalité des tortures pratiquées, y compris dans
les prisons secrètes de la CIA, celui qui a livré nombre d’informations sur les
turpitudes de la finance à l’ombre des paradis fiscaux, celui qui a permis à un
consortium de journalistes de décrypter les données transmises, relatant les
relations douteuses, voire maffieuses, entre politiciens de haut vol et
spéculateurs, celui-là a fait œuvre de salut public.
Elles
n’ont rien d’anodin ces convocations de plusieurs journalistes français auprès
de la Direction Générale de la Sûreté Intérieure (DGSI). Leur tort : avoir
révélé les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis,
destinées à bombarder les populations civiles au Yémen, afin de provoquer la
reddition de la rébellion houthiste. Force est de se poser des questions. Qui
est le plus criminel ? Celui qui arme l’assassin ou l’assassin lui-même qui
n’aurait pu perpétrer ses crimes sans l’aide des Mirage, des chars Leclerc
et les canon Caesar ? Qui délivre
les autorisations sinon les plus hauts responsables du gouvernement ?
Sommes-nous en guerre contre le Yémen ? Les troupes yéménites
envahissent-elles la France ? Est-ce une « atteinte à la sûreté
nationale », au « secret-défense » d’avoir révélé la collusion
entre l’Etat français, son industrie de la mort, et les pétromonarchies les
plus réactionnaires ? Est-ce là un crime de lèse-majesté qui vaudrait
lettre de cachet ? C’est pourtant bien la section antiterroriste du
Parquet de Paris qui a ouvert une information judiciaire contre ces
journalistes, la DGSI qui mène les interrogatoires pour qu’ils révèlent leurs
sources ! Intimidation insupportable ! Le pouvoir macronien et aux
abois.
Il
l’est également lorsque la journaliste Ariane Chemin révèle les troubles
relations entre Benalla et des officiers et officines, pour lui permettre
d’échapper aux poursuites engagées et de déménager son coffre encombrant, en
toute tranquillité, avant la perquisition prévue mais complaisamment retardée…
Elle aussi fut convoquée et mise à l’interrogatoire par la DGSI.
Et
que dire des leçons intimidantes de Blanquer aux enseignants ? « Le devoir d’exemplarité » des
profs, leur interdit de « dénigrer
l’institution scolaire » et donc, son ministre, sous peine de sanctions.
Ainsi, Sébastien Rome, directeur d’école à Lodève, apprend à ses dépens qu’il
existait à son encontre un délit d’expression pour avoir, sur les ondes, fait
part de son opposition à la réforme Blanquer. Question : les
fonctionnaires doivent-ils être bâillonnés ? Ne sont-ils que des
exécutants sans liberté d’expression ? C’est le message que le césarisme
veut faire passer, et d’abord aux hauts fonctionnaires qu’il promet de faire
valser à convenance.
Nourrir
l’esprit critique, dissiper la peur individualiste du pire ou la résignation bêtifiante ?
Nous avons besoin de tous les lanceurs d’alerte, de journalistes intègres,
d’enseignants qui osent redresser la tête. L’émancipation sociale individuelle
et collective ne peut se passer de la liberté de penser et de ceux qui la
nourrissent.
GD,
le 4 juin 2019