Comment les
banques et les Bourses évitent la faillite
Quel
« mécanisme » évite la baisse des Bourses, voire la faillite de
certaines banques alors même que l’endettement des Etats et des
entreprises prend une ampleur redoutable ? La réponse réside dans le rôle
joué par les Banques centrales (FED, BCE, Banque centrale du Royaume Uni, du Japon…).
Il consiste à apaiser les marchés financiers, leur « redonner
confiance » dans la possibilité d’accumuler du capital malgré
l’effondrement des chiffres d’affaires des entreprises, l’ampleur du chômage,
la baisse de la consommation, qui se dessinent. Les moyens mis en œuvre sont de
deux ordres. Le rachat des dettes des Etats et des entreprises d’une part, et
d’autre part, l’émission de liquidités au profit des banques privées à des taux
extrêmement bas, voire gratuits, afin de les inciter, en prêtant à des taux
supérieurs, à maintenir en survie les entreprises (et les Etats) et éviter, à
la plupart d’entre-elles, la faillite. Cette fonction d’amortisseur, aux effets
immédiats de la réduction de la production et de la consommation, repose sur le
pari qu’à brève échéance, les moteurs de l’économie en réalité vont repartir
comme avant. Effets pervers à court terme : les entreprises s’endettent
encore plus, la dette des Etats s’accroît. Si les marchés financiers sont ravis
de l’aubaine, la volatilité des capitaux à la recherche de rentes financières
les plus sûres tout comme la fuite de capitaux de certains secteurs ou pays (en
particulier des plus pauvres) n’augure rien de bon. La restructuration du
capital laissera des pans entiers de l’économie en déshérence et plus qu’avant,
les entreprises endettées qui s’en sortiront chercheront à recourir à une main
d’œuvre à bas coût. Les secteurs de l’industrie « lourde » (métallurgie,
automobile) seront incités à délocaliser. Qui plus est, les capitaux flottants
pourraient bien investir dans la pierre, suscitant la formation de bulles
immobilières d’autant que la reprise risque d’être bloquée par l’épargne de
précaution des consommateurs. Par elle-même, l’offre de crédit ne rencontrera
pas une demande accrue si, comme le supposent nombre d’économistes, nous entrons
dans une période marquée, pour le moins, par la stagnation.
Illustration de la monétisation des
dettes : la BCE détient 20 % des
dettes publiques de la zone euro et s’achemine vers 25 % d’ici la fin de
l’année. Elle procède à des rachats d’obligations émises par les Etats quelques
jours, voire quelques semaines après leur émission. Ainsi l’Italie peut
emprunter à 2 % auprès des marchés, se délester d’une partie de ses emprunts
auprès de la BCE qui rémunère les intérêts à sa place, tout en différant les
remboursements du capital. La FED, la banque centrale US, va plus loin en rachetant
des créances immobilières, des dettes des municipalités. Dans ce système de domination
du capital financiarisé, les marchés mesurent les risques et les capacités des
entreprises et des Etats à rembourser (1). Ainsi, la dette de l’Etat français
est constituée à 54 % d’obligations détenues par des « résidents »
étrangers (fonds de pension, fonds souverains comme ceux des pays pétroliers du
Golfe), à 25 % par des banques et assurances tricolores, à 20 % par la BCE.
Quant aux pays pauvres surendettés, leurs obligations proviennent de créanciers
publics et en grande partie du FMI et de la Banque mondiale ainsi que de fonds
vautours (spéculatifs). La chute des prix des matières premières dont ils
dépendent pour assurer des rentrées fiscales n’a rien de rassurant. En tout
état de cause, les inégalités entre pays, leur dépendance s’en trouveront
renforcées. Autre élément à prendre en compte : le traumatisme des
populations suite à l’impact de la crise sanitaire et économique. Il induit
certainement de la réflexion et des changements de comportement : baisse
de la consommation frivole et épargne de prévention, frilosité des
investissements dans l’hôtellerie, la restauration, le tourisme ici et
ailleurs, révoltes sociales (comme au Liban...), voire émeutes de la faim et
migrations. Pour les peuples, s’attaquer aux effets de la crise sans viser les
causes ne les délivrera pas de leurs chaînes. Reprendre en main leur destin
suppose d’effacer les dettes, de chasser les gouvernements acquis au
capitalisme qu’ils servent et dont ils se servent, de déterminer par eux-mêmes
leurs besoins, ce qui implique un projet politique de transformation radicale
et une restructuration et conversion de leur système économique… On en est
encore loin !
GD
le 22.05.2020
(1)
A cette
« complexité », guère explicitée dans les médias, il faut ajouter le
fait que les Etats, à la différence des collectivités locales, n’inscrivent
dans leur budget que les intérêts de la dette à rembourser. Le
« principal » (le capital emprunté) est détenu par une agence de
l’Etat, chargée de vendre sur le marché « secondaire », les emprunts
contractés : ce qui s’appelle dans le langage de l’économie
classique : « faire rouler » la dette.
Le coût du
risque
Si
le sacré a été percuté, le veau d’or est toujours debout. La finance continue à
bien se porter grâce à des perfusions massives d’euros et de dollars. Un
exemple : Brico-Dépôt et Castorama obtiennent un prêt de 600
millions d’euros garantis par l’Etat. Ces enseignes appartiennent au groupe
anglais Kingfisher. En février 2018,
la partie comptable de son activité est délocalisée en Pologne avec 409
suppressions d’emplois à la clé. En juillet 2019, 11 magasins sont fermés,
laissant sur le carreau 789 employés. Pour la 4ème année
consécutive, Kingfisher est
aujourd’hui en recul en France. La Covid-19
n’est pas à l’origine des difficultés (?) du groupe. Kingfisher annonce une prime de 1 000€ à ses équipes.
Merveilleux ! On dirait du Macron. Signalons - c’est un peu plus qu’une
anecdote - que Black Rock Fund Advisors
figure parmi les principaux actionnaires du groupe. Banques prêteuses :
BNP Paribas, Crédit Agricole Corporate and Investsment Bank, Crédit Lyonnais.
Bricoler,
au prochain confinement, sauvera l’économie !
Collectif
Droit à la Parole/Saint-Dié, le 17.05.2020