Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 12 décembre 2023

Ukraine en guerre,

la régression sociale continue

 

On connaissait la manière dont le démantèlement du système « soviétique » avait pu être mis en œuvre sous Eltsine avec l’aide des Golden Boys : après Gorbatchev, le désenchantement en Russie fut catastrophique. Les biens publics furent pillés et cette privatisation prit la forme paradoxale d’une distribution d’actions aux salariés ; de ces actions à bas coût, la population n’eut qu’une envie, s’en débarrasser pour faire face aux besoins qu’elle n’arrivait plus à satisfaire. Les plus malins ou les apparatchiks en situation de pouvoir rachetèrent les actions, les revendant ensuite, pour se constituer progressivement, un capital énorme. Cette kleptocratie donna naissance aux oligarques. C’est ce que raconte un collectif d’historiens dans « La grande braderie à l’Est » (publié au Temps des cerises), sous la direction de Claude Kernoouh et Bruno Drweski.

 

Pour illustration « romantique » on peut également lire « Oligarque » d’Elena B.Morozov (ed Grasset). Ce thriller politico-financier démontre l’ascension d’un oligarque jusqu’à l’avènement d’un capitalisme oligarchique avec, à sa tête, Poutine. Mais les révélations faites par Hélène Richard dans le Monde Diplomatique (novembre 2023) laissent entendre qu’il convient toujours de prendre des distances avec les discours soporifiques imposés, célébrant la fin du communisme soviétique ou la condamnation sans retenue du régime poutinien glorifiant le patriote Zelenski.

 

En effet, la corruption existe toujours à grande échelle en Ukraine. Indépendamment du trafic de vêtements militaires, qui valut la démission du ministre de la Défense, les trafics en tous genres minent la société. Ainsi, il faut aligner 4 000 dollars pour se faire réformer et obtenir un certificat d’inaptitude. Les commissariats au recrutement de militaires s’arrangent avec les gros employeurs pour déterminer le pourcentage des effectifs appelés sous les drapeaux, moyennant pots de vin. Les soldes des soldats ne sont pas toujours versées d’où un mécontentement de plus en plus grand.

 

Une nouvelle législation a vu le jour en 2022, annulant l’obligation pour les employeurs de maintenir le salaire des travailleurs servant au front. Ainsi le fossé se creuse entre le front et l’arrière qui bénéficie d’une vie « normale ». Les jeunes exemptés postent des photos de leurs vacances…

 

Les régressions sociales prennent la forme également de suppression d’un certain nombre de droits sociaux : suspension des accords collectifs d’entreprises avec modification unilatérale des conditions de travail, possibilité de licencier sans délai de prévenance de 2 mois et sans l’obtention de l’accord du syndicat… Pour les PME qui constituent 70 % des entreprises de moins de 250 salariés, la « régulation » est encore plus rude : les licenciements sont déclarés sans cause et les contrats zéro  heure se multiplient (travail à la demande de l’employeur sans en préciser les conditions).

 

On assiste donc à la naissance d’un capitalisme sauvage, ce qu’une députée appelle « décommunisation ». En ce sens, la suppression du fonds d’assurances sociales a été actée pour être versé dans la caisse des retraites ; les cotisations sociales ont été diminuées de 14 à 9 %, les travailleurs sont de plus en plus livrés à eux-mêmes.

 

La première centrale syndicale (Fédération des Syndicats d’Ukraine) qui comptait avant la guerre 9 millions d’adhérents, est désormais dans le viseur du pouvoir de Zelenski et de sa clique.

 

Cet organisme de cogestion des œuvres sociales, à l’époque du parti communiste, est sur la sellette. Il s’est, depuis, relativement effondré. Il gérait auparavant des sanatoriums, des centres de vacances, des bases de loisirs. Depuis la guerre, il accueille des réfugiés de l’intérieur, des blessés… La volonté de l’État de s’accaparer ce patrimoine fut tellement brutal que l’Europe elle-même s’y opposa : le rapt était trop gros. Il vaut mieux, c’est la solution retenue, criminaliser les dirigeants syndicaux, entreprendre des actions pénales contre eux  afin de pouvoir procéder à la nationalisation des biens détenus par les syndicats, y compris leurs sièges, pour finalement les privatiser en lots distincts. Ceci devient « d’autant plus facile » que les syndicats connaissent des véritables banqueroutes (cotisations insuffisantes, chômage).

 

Cette guerre sociale est favorisée par l’Europe et les créanciers qui ont prêté au pouvoir ukrainien et attendent d’être remboursés au plus vite à l’aide des privatisations et de l’austérité en cours. Ainsi, le nombre de fonctionnaires a déjà été réduit de 10 % et c’est une agence étatsunienne (USAID)(1) qui mène la danse en imposant avec Google la numérisation des activités administratives.

 

En tout état de cause, dans la société ukrainienne et jusqu’au sommet de l’État, entre les généraux et Zelenski, les divisions sont de plus en plus grandes et le moral des soldats est en berne. 

 

Gérard Deneux, le 6.12.2023

 

(1)   Agence des Etats-Unis pour le développement international