Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 6 octobre 2017

 Venezuela. Echec du « socialisme » ?

Dans un Venezuela en ébullition, les médias, pour l’heure, ont délaissé leur acharnement contre Maduro «ce dictateur» disent-ils qui impose une nouvelle Constituante pour se maintenir au pouvoir. N’y aurait-il que les médias dominants nourris par les grands patrons et autres richissimes pour défendre la démocratie ? Diantre ! Certes, ceux qui osent défier la domination étatsunienne dans son pré-carré du sud sont soumis à la vindicte des pratiquants de la désinformation et du mensonge, formatant une pensée manichéenne du bien contre le mal. Il ne s’agit pas, pour nous, de pratiquer de la même manière ne faisant valoir qu’un seul point de vue, mais au regard des réalités de ce pays aujourd’hui, de se forger une opinion partant d’une analyse concrète. C’est ce que nous allons tenter de faire, de manière non exhaustive car il serait prétentieux de vouloir tout évoquer, mais plutôt pour vous inciter à aller plus loin grâce à des sources non assujetties aux "puissants" (citées en fin d’article). Actuellement, le peuple vénézuélien subit une grave crise sociale, économique et politique qui risque de le renvoyer à la misère et à la pauvreté que le régime de Chavez avait réussi à faire reculer grâce à la redistribution de la rente pétrolière. Y a-t-il une issue possible pour le « socialisme du 21ème siècle » annoncé par Chavez ?

Sur l’histoire politique récente

L’ordre politique du puntofijismo (du nom du pacte de Punto Fijo entre les deux principaux partis politiques, Action démocratique et COPEI social-démocrate en 1958) a institué, jusqu’en 1993, le partage du pouvoir et de la rente pétrolière de la PDVSA (Petroleos du Venezuela SA) en excluant les travailleurs, paysans et groupes indigènes. Suite au choc pétrolier de 1973, les politiques drastiques d’ajustement structurel du FMI  déclenchent, en 1989, le Caracazo, protestations populaires massives réprimées très violemment (des milliers de morts et disparus), les médias furent, alors, plutôt muets. Perez, président (1) est destitué, pour corruption. Caldera le remplace mais cela ne change rien à la situation des populations pauvres. Chavez, après sa tentative ratée de coup d’Etat en 1992, crée, avec le soutien des militaires, d’intellectuels et de militants de gauche, le MVR (Movimiento Quinta Republica) et emporte les élections en 1998.
Pendant 14 ans (jusqu’à sa mort en 2013), il mène une politique de redistribution de la rente pétrolière et endigue l’extrême pauvreté, grâce notamment aux Missions auprès des classes populaires (actions sur la santé, l’alimentation, l’éducation, le chômage). Il convoque une Assemblée Constituante pour la création de la 5ème République : il y dénonce l’impérialisme mais ne rompt pas avec le caractère capitaliste de l’économie. Il réaffirme la nécessité d’un Etat fort qui se réserve l’activité pétrolière et les autres industries d’intérêt stratégique, tout en incorporant des mécanismes participatifs à l’échelle locale. Deux lois ont particulièrement mécontenté le patronat et les classes bourgeoises : celle relative à la terre et au développement agraire pour limiter le pouvoir des latifundistes mais qui, faute de moyens techniques suffisants, ne permettra pas la récupération de la souveraineté alimentaire ; la deuxième loi concerne le contrôle politique et économique sur la PDVSA.
De 2001 à 2007, l’opposition usera de tous les moyens (manifestations, grève patronale…) pour renverser Chavez, jusqu’au coup d’Etat en 2002 qui échoua grâce à la mobilisation populaire appuyée par un secteur des militaires. Chavez, renforcé par ces combats, s’impose en 2004, lors du référendum révocatoire, avec 59% des votes ; l’année suivante, lors des élections à l’assemblée nationale, l’opposition se retire par crainte d’être balayée et semble abandonner la partie. En 2006, Chavez est réélu Président avec presque 63% des suffrages. Il tente de consolider sa position internationale, même si certaines de ses alliances sont ambigües (Kadhafi et Assad). Il crée l’ALBA, alliance d’échanges avec le Brésil de Lula, l’Argentine de Kirchner, la Bolivie de Morales, l’Equateur de Correa… enthousiasmant ceux qui résistent à l’hégémonie des Etats-Unis en Amérique latine et au-delà.    
    Mais, en 2007, alors qu’il annonce la construction du « socialisme du 21ème siècle », il crée le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) contrôlé par les chavistes, réaffirme la propriété et le contrôle de l’Etat sur les hydrocarbures, s’accorde des pouvoirs extraordinaires, élimine les restrictions à deux mandats pour la réélection présidentielle… Il maintient la dépendance à la rente pétrolière et n’engage pas la diversification de la production. Par la distribution de la rente, il favorise un patronat chaviste : la bolibourgeoisie. Il a réinstauré le contrôle des changes pour parer la fuite de capitaux qui génèrera un business via la falsification d’importations et la revente au marché noir des pétrodollars, avec la complicité des hauts fonctionnaires chavistes.
Il réduit son projet de socialisme à un étatisme vertical, diminuant le pouvoir des classes populaires au profit d’un clientélisme d’Etat. Pour autant, ses mesures sociales en faveur des populations les plus pauvres, lui garantissent une popularité intacte auprès d’elles.

Crise sociale

C’est de cette situation politique dont Maduro hérite le 5 mars 2013 au moment où la rente pétrolière diminue sévèrement. Représentant près de 95% des revenus d’exportation et 60% des recettes budgétaires, elle tombe, en 2015, à 40% des revenus d’exportation. La dette extérieure, par ailleurs, augmente de plus de 350% par rapport à 1998. On assiste, dès lors, à la réduction des programmes de redistribution sociale, au renforcement des traits autoritaires du régime politique, à la militarisation du gouvernement (un tiers des ministres (12 sur 31) et des gouverneurs (13 sur 20) sont des militaires et au renforcement de l’opposition. L’absence de contrôles démocratiques crée les conditions de la corruption (notamment sur les importations de biens de consommation ou la distribution des aliments). L’effondrement de la rente pétrolière entraîne des coupes dans l’investissement, des restrictions dans la fourniture d’électricité ou de gaz naturel, alors que le Venezuela possède une des plus importantes réserves de gaz conventionnel au monde. Emeutes et pillages réapparaissent. Maduro lance l’état d’exception et d’urgence économique. Et il fait appel au capital transnational (multinationales chinoises, russes et nord-américaines) pour créer une nouvelle zone de développement stratégique, l’Arc minier de l’Orénoque : 12% du territoire voué à être exploité à ciel ouvert pour extraire des minerais (or, argent, diamant, bauxite, coltan, cobalt…) au mépris des droits vitaux des populations autochtones.
En 2016, les pénuries de produits alimentaires, de médicaments, de produits de base, l’explosion de la violence et l’insécurité sont des réalités que l’opposition va instrumentaliser quitte à faire porter au gouvernement les violences qu’elle organise. L’inflation générale est de presque 181% (décembre 2015) et l’inflation du prix des aliments de 218%. Entre 2014 et 2016, le pourcentage de foyers pauvres passe de 48.4% à 81.8%. La situation sociale est grave

Sournoise guerre économique

Diversification de l’industrialisation et développement de la production agricole auraient permis au Venezuela de gagner son indépendance économique, car, lorsque le prix du baril de pétrole s’écroula, chutant de plus de 100 dollars en 2007 à 38 dollars en 2016, la période des « années glorieuses » de ce pays importateur se ferma. D’autant que le choix de rembourser de la dette publique, le contraignit à restreindre ses dépenses et, notamment, ses importations ainsi que les mesures sociales qui ont permis de sortir de la pauvreté nombre d’habitants des quartiers populaires.
L’opposition revancharde, dès lors, se chargea de rendre impopulaire Maduro, pour le faire tomber. Le contexte de pénurie des produits de base lui facilita la tâche pour aiguiser la colère et, au passage, enrichir les intermédiaires corrompus ; la corruption et le marché noir sont une réalité, notamment dans les produits importés dans lesquels trempent membres de l’opposition et de la majorité, pour un certain nombre.
La fragilité du « socialisme du 21ème siècle » de Chavez est apparue dans le secteur de l’alimentation car l’Etat n’a pas développé le secteur agricole, bien loin de garantir la souveraineté alimentaire du pays. La redistribution des terres aux paysans s’est vite arrêtée à 7 millions d’hectares (2001) et 3.5 millions repris aux latifundistes, alors que le Venezuela pourrait en exploiter plus de 30 millions. Le pays est, en conséquence, totalement dépendant des importations d’une vingtaine des produits de base les plus consommés (blé, riz, huile…). Leur production et leur distribution sont aux mains des monopoles et oligopoles multinationaux qui en contrôlent la technologie et la transformation. Cette réalité vaut aussi pour les médicaments et d’autres produits, comme les pièces de rechange pour les véhicules, les machines et équipements…
Une autre fragilité est celle du non-contrôle des importations. In fine, les produits n’arrivent pas là où ils sont nécessaires. Un système de spéculation et de malversation s’est institué sans que le gouvernement l’interdise. Ainsi, des « tonnes d’aliments et autres produits dorment dans des hangars d’où ils sont  dirigés vers des filières illégales ». Exemples : le 18 octobre 2013, à Maracaibo, la police bolivarienne saisit 10 tonnes de sucre, 3.5 tonnes de riz, 1.5 tonnes de farine de blé, 4 500 litres d’huile, etc. dissimulés dans un dépôt de la grande surface Super tienda Caribe. Le 5 février 2014, dans le Tachira, les services de renseignement récupèrent dans plusieurs hangars… 939.2 tonnes d’aliments de 1ère nécessité. Le 14 juillet 2016, 81 conteneurs abandonnés sont découverts, contenant produits d’hygiène, ordinateurs, imprimantes, engrais pour l’agriculture et produits chimiques pour la fabrication de médicaments (2). Cette guerre économique est menée grâce aux bachaqueros,  revendeurs qui, dans les rues, sur les marchés ou ailleurs, après avoir soustrait au marché formel les produits importés au prix régulé (politique dite des « prix justes ») les revendent en gonflant les prix. Par esprit de lucre ou pour des raisons politiques, des petits commerces se lancent dans le trafic et détournent leurs marchandises vers les bachaqueros, tout en criant à la pénurie qui serait due au gouvernement. Ce phénomène très localisé au départ, non traité par l’Etat, n’a cessé de croître à mesure que la crise économique s’est aggravée. Les pénuries des produits de 1ère nécessité ne relèvent pas tant du manque de devises pour se les procurer, que du non-contrôle de leur transformation et de leur distribution. Les Vénézuéliens sont grands consommateurs de pain alors que le pays ne produit pas de blé : l’Etat importe donc du blé que l’entreprise publique Casa fournit à 12 minoteries privées -multinationales Cargill, Monaca, Mocasa (3)- qui, après transformation, distribuent la farine. Une majorité des 10 000 boulangeries ne sont pas livrées régulièrement par ces sociétés ; d’autres, liées à des mafias, reçoivent plus de marchandises que nécessaire et revendent au prix fort leur superflu… La pénurie devient un outil pour faire du profit.
 Le système a engendré une prolifération de la corruption dans les domaines de la répartition des devises, du contrôle des ports ou de la distribution des aliments. La dépendance du Venezuela à l’importation est catastrophique : d’une part le secteur privé fournit le marché intérieur et ne réinvestit rien dans le pays. D’autre part, la pénurie entraîne la hausse des prix des produits de première nécessité, provoque l’inflation et accentue le mécontentement populaire. La crise économique et sociale devient politique.

Crise politique

La droite réactionnaire, revancharde, soutenue en cela par les Etats-Unis réapparaît, prête à user de tous les moyens pour destituer Maduro et récupérer le pouvoir. Rassemblée au sein du MUD - Table de l’unité démocratique - elle réunit la droite et la social-démocratie, cela va de la gauche modérée à l’extrême droite putschiste. En décembre 2015, elle remporte les élections législatives, le PSUV perd 2 millions de voix, principalement dans les Barrios. Maduro, aussitôt, la prive de sa majorité des 2/3 à l’Assemblée en faisant invalider l’élection de députés indigènes (sur soupçons de fraude à ce jour non avérée) par le Tribunal Suprême de Justice. La MUD lance une procédure pour révoquer Maduro par référendum mais le Conseil National Electoral le refuse ; simultanément, il reporte les élections régionales et syndicales (le PSUV ne tient plus les industries du pétrole et de la sidérurgie).
Dans le contexte de fragilisation du pouvoir, l’opposition se radicalise. Elle compte dans ses rangs quelques personnages accusés de violences. Ainsi Capriles, ex-candidat aux présidentielles, après avoir lancé l’accusation intenable de fraude électorale en 2013, soutint avec Lopez (parti d’extrême droite Voluntad Popular) et Ledezma (maire de Caracas) une mobilisation qui fit 47 morts durant laquelle des fils de fer étaient tendus dans les rues décapitant les motocyclistes pro-gouvernementaux. Les mêmes Lopez et Ledezma ont été condamnés à des peines de prison pour avoir appelé, violemment, à faire tomber le gouvernement.  Mais, ceux-là peuvent compter sur leurs amis, dont  Aznar, qui plaida en la faveur de ces « martyrs »  de la défense des droits humains !
Certes, depuis 2016, les protestations populaires, les exaspérations sont nombreuses et peuvent coexister avec des manifestations de la MUD et des étudiants. Face à cela, Maduro décrète, en contournant la Constitution et avec l’accord du Conseil National Electoral et du Tribunal Suprême de Justice, des élections pour une Assemblée Nationale Constituante : pouvoir parallèle à l’assemblée existante, contre-pouvoir venu par en haut. Elle est élue le 30 juillet malgré les tentatives de l’opposition de boycott, avec des méthodes violentes (10 à 15 morts dont un candidat à la Constituante). Les médias internationaux ont, alors, attribué les violences à Maduro, le traitant de « dictateur »… pour avoir organisé une élection ! Il veut régler la crise de manière non violente. Acte illégitime ? Autoritarisme ?
Cela constitue, en interne au PSUV, des fissures entre ceux voulant créer un parti de gauche plus critique le Marea socialista, ceux qui considèrent que la lutte ne peut avoir lieu en dehors du PSUV et le 3ème courant regroupant des anciens ministres pro-chavistes et ex-compagnons d’armes de Chavez. Ils dénoncent les méthodes antidémocratiques de Maduro ainsi que l’extension de la violence d’Etat, son éloignement de la politique « révolutionnaire, socialiste ou bolivarienne » de Chavez. « La guerre intestine ravit la droite… enchante les nouveaux oligarques en chemise rouge, lesquels rêvent de transformer la lutte des classes qui les a portés au pouvoir en vulgaire lutte de camps. S’ils devaient l’emporter, les innombrables « perturbations » auxquelles le chavisme n’a pas su répondre auraient assurément enfanté la catastrophe » (4).
L’opposition est, elle aussi, divisée, entre celle qui veut le renversement immédiat de Maduro et celle, plus modérée, qui vise les élections régionales et craint une forte résistance des travailleurs et paysans. La situation est inquiétante pour les Vénézuéliens. Les puissances internationales quant à elles, ont entamé des négociations secrètes sous la conduite de Zapatero… Il fallait éteindre la déclaration de Trump affirmant ne pas exclure une « option militaire ». De hauts responsables n’oublient pas que le Venezuela est le 3ème fournisseur de pétrole des Etats-Unis, que des sanctions affectant la PDVSA auraient un impact immédiat sur les entreprises étatsuniennes de raffinement, ou qu’elles pourraient rapprocher le Venezuela de la Chine ou de la Russie.

Quelle issue ?

 Maduro semble avoir repris le contrôle de la situation intérieure ; depuis l’élection de l’ANC, il a annoncé un nouveau système des prix régulés, des augmentations de salaire et la constitution de conseils locaux pour le contrôle de la production et de la distribution, des bureaux de change dans tout le pays pour vaincre les mécanismes de fixation des prix du dollar depuis Miami (cf encart Dollar Today).
Pour autant, ce ne sont pas les annonces de Maduro de commandes le blé à la Russie ou de création de boulangeries populaires, qui règleront la dépendance du pays au système capitaliste. Si l’on prend l’exemple des pénuries de pain, et cela vaut pour les autres productions), les questions sont : qui décide de produire ? Quoi ? Pour qui ? Comment ? Le « socialisme » de Chavez puis Maduro n’a pas pris cette voie. Primo, les bénéfices que procure l’exploitation des ressources naturelles (le pétrole), y compris sous monopole d’Etat, génèrent une extrême dépendance aux cycles économiques internationaux, pouvant produire des crises sociales, environnementales, sans que les populations ou leurs représentants ne puissent s’y opposer. Secundo, « prendre l’Etat » ne suffit pas pour transformer la société capitaliste, il s’agit au contraire de socialiser le pouvoir et de démocratiser la vie sociale. Tertio, la souveraineté d’un pays passe par son indépendance aux puissances de l’argent (répudiation de la dette) et par l’expropriation des banques privées et autres oligopoles. 
La crise au Venezuela est une phase de reprise du pouvoir capitaliste pour stopper les reculs qu’il a dû encaisser suite aux mouvements de « libération » au Brésil, en Argentine, au Venezuela, en Bolivie, en Equateur, en Uruguay…  La contre-libération est à l’œuvre. Au Venezuela, cela peut se transformer en guerre civile ou en un nouveau Caracazo. Dans l’immédiat, notre solidarité avec les peuples d’Amérique latine passe par notre capacité à la critique constructive pour que demain se concrétisent les espérances d’une révolution sociale réelle pour une transformation radicale de la société en éliminant un système que nous ne voulons plus subir et en inventant une alternative que nous voulons construire ensemble.

Odile Mangeot, le 28 septembre 2017

(1)   il fut Vice-Président de l’Internationale Socialiste et ami de Felipe Gonzales !
(2)   Maurice Lemoine donne ces exemples et bien d’autres, site Mémoire des luttes
(3)   dont le Président apparaît dans les Panama Papers
(4)   Renaud Lambert Le Monde Diplomatique, décembre 2016 

Sources :
Mémoire des luttes http://www.medelu.org (Maurice Lemoine, G. Boccardo/S. Caviedes
Le Monde Diplomatique  déc. 2016 et sept. 2017, Renaud Lambert
Venezuela infos https://venezuelainfos
A l’encontre www.alencontre.org/   

Encart                                                                     Dollar Today

La valeur du dollar est annoncée chaque matin par le site web Dollar today. Depuis 2010, il est la référence pour qui veut acheter ou vendre des dollars au marché noir. Le prix des devises s’appuie sur les variations du taux pratiqué par les bureaux de change de … Cucuta (ville colombienne frontière). Les cambistes de la frontière établissent leurs propres taux dans des bureaux de change légaux et illégaux qui peuvent effectuer toute transaction sans autorisation des tutelles, si elles sont inférieures à 10 000 dollars. Mécanisme on ne peut plus utile pour blanchir l’argent du narcotrafic. Un des responsables de cette maffia est Gustavo Diaz, ancien militaire, ayant participé au coup d’Etat contre Chavez en 2002, depuis, réfugié politique aux Etats-Unis. M. Lemoine 
De la misère (des contrats aidés) en milieu non-marchand

Ce texte n’épuise pas la problématique des dérives dont ces contrats de travail sont lobjet. Cest un simple témoignage, lancé à ladresse de leurs défenseurs et une invitation à penser hors les réflexes pavloviens de la gauche radicale, à partir d’éléments documentés (alsaciens pour partie) et des sources crédibles. Il sagit surtout de rappeler, y compris de manière polémique, que le dispositif des contrats aidés constitue une solution douteuse parmi les normes sociales et juridiques de rigueur en matière salariale, singulièrement dans le contexte associatif et institutionnel où ces contrats pullulent dans un climat d’impunité sans pareil. Et que, partant, il ny a rien de moins normal que de les favoriser ou les maintenir pour ce qu’ils sont (on pense notamment au dispositif CUI-CAE(1). Quand bien même s’agirait-il dinvoquer de fallacieux prétextes.

A la récente annonce d’une réduction sensible du budget alloué aux contrats aidés lors du second semestre 2017, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, provoqua l’incompréhension, voire la colère, de nombreuses structures tributaires de cette forme dérogatoire de contrat de travail. Pourtant, ce feu roulant protestataire dissimule quelques omissions qu’il convient de rappeler obligeamment aux oreilles de ces pétitionnaires démunis. En commençant par souligner combien, de longue date, le secteur parapublic et associatif use, et abuse, de toute la panoplie offerte par ces dispositions salariales déséquilibrées, et à temps souvent incomplet.
Fort heureusement, nos plaignants disposent d’un kit de plaidoirie prêt à servir, dont voici à peu près la trame : « Ces contrats aidés agissent comme un tremplin vers l’emploi, par les effets conjugués de lactivité professionnelle, de laccompagnement et de la formation. De fait, ces contrats aidés sont destinés aux plus fragilisé-e-s par le chômage de masse : personnes privées demploi sans qualification, jeunes des quartiers, personnes âgées et handicapées».
Face à un ramage un peu trop beau pour ne pas plumer spontanément les bonnes âmes progressistes, il est temps dexaminer ce dont on parle, par-delà les cris dorfraie misérabilistes.

Aide-toi toi-même !
Elément central de la politique de l’emploi et du traitement social du chômage de masse, l’Etat, au travers de Pôle-Emploi (prescripteur dans 80 % des cas), régale depuis belle lurette les employeurs du secteur non-marchand de ce genre de dispositifs. Plus de 30 ans déjà que les acronymes TUC, CES, CEC, CAE, CUI-CUI et autres noms floraux surgissent au firmament du précariat low-cost ambulant. Et ce n’est pas prêt de changer, tant le recours à ces contrats indirectement subventionnés par l’Etat constituerait, selon les économistes, une sorte damortisseur social de circonstance (effet « contracyclique » dans leur langage), en cas de hausse significative du niveau de chômage. Le sous-emploi aurait donc ses raisons que la déraison admettrait.
Pour preuve, une partie de la presse de «gauche» emboîte alors le pas de nos «sous-employeurs» privés et publics, et s’émeut du coup de canif envisagé par le gouvernement Macron à leur sujet. Et d’évoquer tour à tour le rôle «socialement utile» desdits contrats, le «coup dur pour les associations », « l’effet de lutte à court terme contre le chômage » ou, plus hardi encore : « leffet sur la liste dattente des chômeurs ». Le soldat-chômeur, avançant péniblement dans la file d’attente de l’armée de réserve des sans-turbin saura donc se consoler. Car le contrat-aidé viendra à lui, aussi sûrement que le nuage de sauterelle viendra ensemencer son avenir.

Pleureuses enfarinées
Le niveau local n’échappe pas plus au concert de protestation de nos employeurs-aidés. Tonnant comme un chœur de l’Armée rouge sous tranquillisant, il aura toutefois titillé les portugaises du journal LAlsace, dont le numéro du 29 août 2017 leur ouvre largement le prétoire.
 Du social, du social, et encore du social, voilà notre grand œuvre ! S’époumonent-ils, avant denchaîner avec le lamento des tartuffes. Une vocalise alsacienne pour travailleurs sociaux contrariés.
Mais alors, que sont les estomacs de nos étudiants devenus ? S’enquiert le peuple subalterne. Des contrats-aidés servent en effet le potage au resto-u du foyer de l’étudiant catholique de Strasbourg. Son directeur, Etienne Troestler, reconnaît la nécessité de «faire évoluer le dispositif », mais pas «dans la précipitation et sans concertation» s’étrangle-t-il, avant davaler son calice de travers. Une association d’étudiants en médecine strasbourgeoise, quant à elle, ne pourra plus «faire tourner sa cafétéria», prévient-on. Elle employait sept contrats-aidés, sans doute en guise de prophylaxie. Qui donc pour aller servir le redbull à ces messieurs-dames les futurs notables ?
A Mulhouse aussi, des soldats du contrat-aidé pointent le bout du mousqueton. Toujours relayé par L’Alsace, Jean-Luc Wertenschlag, directeur de « Old School »-« Radio MNE », annonce salarier 13 personnes... dont 9 en contrats aidés. «Cest une vocation sociale qui risque de disparaître », prévient-il. Le patron sera-t-il encore audible sans sa cohorte daspirants sociaux ? Mystère et bande FM. Quant à l’APA, une association d’aide à la personne qui fait figure dinstitution en Alsace, elle indique employer 43 contrats-aidés. Un record demplois aidés... chargés daider ! Tandis que lEPHAD de lArc à Mulhouse emploie un animateur... et 19 contrats aidés... chargés de compléter l’animation ! Un ratio optimisé de travailleurs très animés.

Traiter le mal par le mal
Par-delà les persiflages inspirés par les situations apparemment ubuesques engendrées par l’inflation de ces contrats (même si, tendanciellement, il y a un peu moins de contrats signés que lors des années 2000), voire les petits arrangements avec la vérité quant aux activités ou missions réellement effectuées par les bénéficiaires, la rigueur et le sérieux des employeurs devraient prévaloir en la circonstance. Chacun sait que derrière ces chiffres, pourcentages ou acronymes, il y a la vie de personnes en désarroi et en graves difficultés économiques. Celles-là mêmes qui, souvent, se persuadent volontiers du bien-fondé de tels dispositifs dont elles disent profiter. « Un contrat aidé, cest sans doute mieux que rien, cela permet de se sentir utile, de reprendre confiance, cest une opportunité pour espérer rebondir professionnellement », se promettent-elles.
Pourtant, cette occasion de rebond ne cesse de s’écraser contre le mur du réel, car les faits sont obstinément têtus. Et largumentaire de nos employeurs prétendant « faire dans le social », cest-à-dire agir dans l’intérêt exclusif des personnes en recherche durable demploi, ce à quoi est voué en principe le contrat aidé, ne résiste pas longtemps à  lexamen.

Des chiffres qui grincent
Les chiffres fournis par la DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du Travail) dans l’un de ses derniers rapports sur ces contrats, sont, à ce titre, extrêmement éclairants.
Il est ici important de distinguer entre les «contrats d’avenir», les contrats de chantiers d’insertion (ACI), des contrats CUI-CAE («contrats d’accompagnement dans l’emploi», les plus massivement utilisés dans les administrations et les associations). De multiples études (dont celles de la DARES) montrent en effet que laccompagnement social et l’accès à la formation sont, en règle générale, qualitatifs sagissant des deux premiers, a contrario de celui que nous examinons particulièrement ici, le CUI-CAE.
Le tableau figurant ci-dessus (source DARES) formalise un aperçu de la situation des personnes en contrat aidé (CUI-CAE) six mois après la cessation de leur activité : 

Ces données documentent essentiellement 2 choses. La première est que 51 % des personnes ayant contracté un CUI-CAE du secteur non-marchand (autrement dit un contrat aidé dans une association, une collectivité locale ou une administration) sont au chômage 6 mois après avoir cessé leur activité sous cette forme. Par ailleurs, il indique que 41 % parmi elles ont renouvelé un contrat de ce type, ou au mieux un CDD. En ne prenant en compte que les CDI et les CDD de plus de six mois, ce taux était respectivement de 26,7% dans le secteur non-marchand et 54,8% dans le secteur marchand, en 2009.
L’analyse de ces premiers éléments permet de conclure assez sûrement que le contrat aidé est un dispositif qui génère à la fois de la précarité (de par sa nature de CDD) mais qu’il constitue, symétriquement, une forme achevée de précarité salariale circulaire, d’où il est extrêmement difficile de sextirper. Constituant donc une sorte d’enfermement ou de cloisonnement social, presque à l’égal dun RSA.

Un second tableau nous permet d’étayer ce sentiment:
Il illustre la situation des personnes à 30 mois de la sortie du dispositif. On y apprend que 23 % des personnes issues de l’un de ces contrats y sont revenues, mais cette fois dans le cadre d’un contrat aidé du secteur marchand (sur lequel il faudrait se pencher dans un tout autre article, mais qui semblerait donner des résultats légèrement supérieurs, cela pour diverses raisons). D’autre part, 31 % des personnes issues d’un contrat aidé travaillent désormais dans le cadre dun CDI non aidé. Moins dun tiers des bénéficiaires qui renouent enfin avec un véritable emploi, ce nest certes pas insignifiant, mais cela demeure modeste. D’autant que la seconde colonne transcrit 2 chiffres bien plus stupéfiants. Le premier, « -5 », indique que le bénéficiaire dun contrat aidé a 5 points de chance en moins d’être en «emploi non aidé» que s’il s’était dispensé dy souscrire, et 8 points de chance en moins d’être en «CDI non aidé» que sil navait jamais accepté de contrat aidé ! Autrement dit, le bénéficiaire d’un emploi aidé subit, outre la précarité et la circularité de sa condition, des situations de discrimination de fait à l’embauche !

Des employeurs désolidarisés !
Mais l’étude la DARES documente également le caractère opportuniste du dispositif aux yeux des employeurs. Dans le secteur non-marchand, celui qui nous intéresse, près de 70 % des bénéficiaires d’un contrat aidé quittent linstitution ou lassociation, aux termes de laide financière que percevait lemployeur pour financer le poste de travail. Avec un record, encore un, dans l’Education Nationale, avec près de 80 % d’exclus aux termes de l’aide financière !
A contrario, plus de 80 % des bénéficiaires d’un contrat aidé demeurent dans des entreprises du secteur marchand. Ce qui semble illustrer que la fin des incitations financières est compensée par la productivité nouvelle et le développement du chiffre d’affaires dégagé par la présence de ces salariés.

(Dé)formation d’Etat
Au cœur du dispositif des contrats aidés, sont censément actives les « actions de formation », préalable indispensable à toute réinsertion durable dans l’emploi, et dont la mise en pratique est une obligation légale. Pourtant, près de 60 % des contrats ne respectaient pas ce volet de la convention signée entre l’employeur et Pôle-emploi en 2011. Si tous les employeurs sont responsables de cet état de fait, l’Education Nationale, matrice institutionnelle de formation de la jeunesse française, nest pas même fichue de former ses propres contrats aidés ! Cela tombe à point nommé, car l’Etat, qui a toujours fermé les yeux sur ces négligences particulièrement coupables, a décidé de concentrer les principaux moyens dévolus au financement des contrats aidés en 2017... vers l’Education Nationale !
Qu’en conclure, sinon que l’Etat, via le gouvernement Macron aujourdhui, continue de sasseoir sur ses propres obligations, et de creuser inlassablement le sillon de misère et de précarité salariale circulaire que nous évoquions plus haut.

Un détournement cynique
Outre le déni de droit à la formation, le second élément à considérer est, de fait, le cynisme bien ordinaire d’une fraction non négligeable des employeurs associatifs ou institutionnels.
En 2011, via l’un de ses communiqués intitulé «Les salariés en contrats aidés : des salariés à part entière», la CGT dénonçait déjà le juteux bénéfice que tirent les structures daccueil, de ce qu’elles ne sont pas tenues de comptabiliser leurs contrats aidés dans les effectifs de lentreprise. Moralité : pas daccession aux œuvres sociales et aux institutions représentatives du personnel en leur sein, notamment. A loccasion dun différend avec des employeurs privés et publics, le tribunal d’instance de Marseille rappelait alors que : « les travailleurs en contrats aidés doivent être des salariés à part entière». Cela, alors que les accusations de la CGT se faisaient très précises : « Ils [les contrats aidés] sont censés permettre à des travailleurs en grande difficulté d’insertion sociale de retrouver un emploi pérenne. Or, les études de la Dares montrent un détournement de la finalité de ces contrats : les salariés qui en bénéficient sont de plus en plus qualifiés et de moins en moins chômeurs de longue durée ou bénéficiaires de minima sociaux».
En effet, selon les derniers chiffres de l’institut, plus de 25 % des bénéficiaires dun contrat aidé employés par des associations sont diplômés de lenseignement supérieur. Plus de 58 %, si lon y ajoute les titulaires du baccalauréat !
Le détournement du dispositif est manifeste, et le mot n’est pas trop fort. Les exemples sont légions et internet regorge de témoignages à ce sujet. Notamment sur lexcellent site : Le travail concrètement, on vaut mieux que ça.
Mais le site internet de Pôle-emploi ne démérite pas moins en la matière. La CGT rappelait dailleurs récemment à son sujet que près de 50 % des annonces publiées sur celui-ci étaient illégales ou bidons ! Aucune vérification n’étant réalisée par linstitution quant à la nature et aux spécifications des postes proposés par les employeurs, on y trouvera aisément toutes sortes d’annonces illustrant l’illégalité patente des employeurs publics ou associatifs à l’égard du dispositif CUI-CAE. Des postes denseignants dans des écoles privées du premier degré, ou d’éducateurs de jeunes enfants. Des postes équivalent à ceux de travailleurs sociaux, voire de fonctionnaires... Tous ces exemples (non exhaustifs !) de professions qualifiées et réglementées, supposent l’obtention de diplômes d’Etat ou la réussite à des concours de la fonction publique. Ils sont néanmoins proposés impunément... sous la forme de contrats aidés !

Des temps très modernes
Comment peut-on profiter cyniquement de tant de salariés, a fortiori de l’énergie et de la créativité de la jeunesse universitaire, en lui assurant misère économique et désillusions, au prétexte de la continuation dun projet associatif, quel quil soit, ou afin dassurer lordinaire dune administration en sous-effectif ?
Je fus moi-même lun de ces rouages que lon tord à satiété. L’Education Nationale, encore elle, m’engagea en tant qu’« assistant de formation » en contrat aidé, chargé de recenser les besoins de formation dhommes incarcérés. En réalité, dans cette maison darrêt, je fis office denseignant. Japprenais le français aux étrangers en attente de jugement, et servais de professeur de langue auprès des détenus. Trop compliqué et trop cher de créer un poste de fonctionnaire, on appuiera donc sur le bouton « contrat aidé ». Facile, et très bon marché. Je neffectue pas la prestation de travail qui figure dans mon contrat, et on ne me forme évidemment à rien. Et si je souhaite bénéficier des vacances scolaires, ce sera 26 heures de présence par semaine au lieu des 20 heures prévues au contrat. Rémunération : 578 euros nets. Prud’hommes et Cour d’Appel ont heureusement sifflé la fin de la récrée pour le mammouth grimé en baudruche administrative.
Alors que plus de la moitié des candidats tenus de s’engager par défaut dans ces contrats sont bacheliers ou issus du supérieur, que la seconde moitié aurait besoin de se voir proposer un parcours de formation structurant et diplômant, que dit le rapport de la DARES sur la qualité du travail opéré par ces salariés ? Si 9 candidats sur 10 déclarent avoir « appris des choses » au cours de leur passage en CUI-CAE, ils sont 77 % à avoir effectué des tâches répétitives tout au long de la journée, 81 % pour l’Education Nationale, et 91 % dès lors que lemployeur est issu du secteur sanitaire et social...

Antonomase ta mère !
En vérité, l’essentiel à considérer est que dans notre pays, l’étiquette socio-professionnelle peut être tout simplement infamante. Nous ne semblons être que ce quun statut nous confère, ou ce dont il nous prive. Diplômé ou sans formation, de quoi alors le « contrat-aidé », ce nom commun mué depuis en nom propre, est-il le prête-nom ? Du salarié qui nest porté que par le type juridique avec lequel il se confond ? Et dont la compétence, le savoir-faire ou le métier sont indistincts, malléables ? Du handicapé social, dont on profite au gré des circonstances économiques ? Un polymorphe interchangeable, qui servirait à rafistoler les morceaux de société qui sombrent aussi prestement que le Titanic, et dont il devrait, lui, jouer le marin sauvé des eaux ?
Par-delà l’inertie aveugle de l’administration, qui ne reflète que la lâcheté des gouvernants, ce qui transparaît surtout dans ce débat est le court-termisme dont se rendent coupables certaines structures associatives. Réclamer des fonds, des subventions, créer de l’emploi qualifié et décemment rémunéré, est devenu chose aléatoire, harassante, et presque chimérique, tant cela suppose d’énergie et de temps consacré, dans un contexte de restrictions budgétaires croissantes. Devant ce labeur inepte, les structures qui emploient ces travailleurs précaires pratiquent de fait l’exploitation par omission, au prétexte que des besoins non pourvus existent. Elles en oublient cependant que se compromettre socialement pour survivre, alors que l’on incarne une forme d’engagement désintéressé, et un modèle de développement alternatif, constitue une négation du projet quelles animent. La condition sociale de leur développement ne peut dépendre de lemploi de sous-employés jetables, mais de la force de leur noyau bénévole, et avant tout de leur rayonnement militant. L’humilité de cette approche supposerait à tout le moins dadmettre quil nexiste aucune organisation qui soit indispensable en soi, dès lors quelle délaisse l’idéal et la promesse dont elle est porteuse. Et la nécessité de survivre pour survivre ne justifie rien, sinon que la forme associative est moribonde, et le projet exsangue. La fin ne justifiera jamais lutilisation dun volant continu de précaires, a fortiori diplômés et formés !

Capital et jambe de bois
Avec la fin progressive du modèle social «à la française», et le démembrement des solidarités de classe, les dernières décennies ont fait le lit du repli sur soi, des intolérances ethniques et religieuses. Tout cela a été largement documenté et établi par les meilleurs analystes.
Au plus fort de « la crise » dont nous ne sortons jamais que pour y choir, au gré des cycles du capitalisme zombie, ni vraiment mort, ni tout à fait vivant, le modèle marchand de surconsommation continue pourtant à cannibaliser nos imaginaires. Une reptation qui ne connaît plus dentraves, et menace désormais dengloutir nos écosystèmes matriciels, après avoir déjà siphonné une part considérable de leurs ressources.
La logique économique capitaliste, fondée sur la rapacité criminelle et la délinquance sociale, doit céder le pas, de gré ou de force, devant la gravité des enjeux qui surviennent.
Et parmi les plus impératifs de ces enjeux, figure rien moins que celui de pouvoir survivre à ce siècle. Cela semble être le défi collectif le plus improbable que lhumanité ait eu à affronter depuis son apparition.
Mais outre les fondamentaux de la vie qu’il faudra préserver, ce sont les nouvelles modalités sociales de ce renouveau éventuel qui doivent émerger au plus tôt. Avec la fin possible, par épuisement idéologique et anthropologique, du modèle capitaliste, il sagira de repenser nos priorités essentielles.
Repenser la place du travail « productif », ainsi que sa finalité. Et surtout valoriser celle de lactivité dutilité sociale. Où la seule valeur dusage, que lon voit poindre aujourdhui par le truchement de l’économie collaborative, primerait sur toute autre considération marchande ou économique.
C’est dans cette optique que le monde associatif trouverait naturellement de quoi irriguer et contribuer positivement à l’émergence dune société fondée sur la justice et lutilité commune, et non servir de supplétif hypocrite au capitalisme mercenaire.
Se battre pour faire reconnaître la valeur sociale et économique du bénévolat. Se battre encore pour garantir l’émancipation du citoyen, par le plein épanouissement de ses compétences. Se battre enfin pour que le temps libre devienne une occasion matériellement reconnue de délibérer indéfiniment sur les manières dont il conviendrait d’agir pour rendre la vie plus... vivable !
Au lieu de cela, nous voyons des structures qui gèrent l’ordinaire, comme elles servent la soupe au cadavre auprès de qui elles servent de jambe de bois, et dont elles voudraient réclamer la pitance, afin de prolonger l’enfer social et économique quelles appellent monde.
Les salariés jetés aux rebuts du fait des décisions gouvernementales quant à leurs contrats méritent que l’on se batte pour eux. Ils doivent être réellement « aidés », et valent plus que les larmes de crocodile quon leur prodigue ces temps derniers.
Sans évoquer le sort des employeurs publics et institutionnels desquels il n’y a rien à attendre, sinon une (r)évolution de fond en comble, les associations qui gèrent le présent de ces salariés précaires devront décider si elles renoncent ou non à se servir, à travers eux. A défaut de quoi, leurs atermoiements ressembleraient plutôt à ceux de geôliers qui verraient s’écrouler avec effroi le mur du monde quils tentent vainement de maintenir à tout prix.

Le mot du Ruffin
Avec une gouaille inimitable et délicieusement provocatrice, François Ruffin, député apparenté France insoumise, a résumé au mieux le psychodrame des hérauts versatiles du contrat aidé après, il est vrai, avoir préalablement traité le gouvernement de « minable »: « Le gouvernement a, sur ce dossier, commis une nouvelle maladresse. Il va reculer. Il va se rendre compte que, au fond, ces contrats aidés répondent plutôt à son idéologie : ils sont payés à un prix plancher, font baisser les chiffres du chômage, rendent les travailleurs dociles, et tout ça, pour un coût dérisoire »/

Merci à toi, patron ! Fernando TEIVES