Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 5 novembre 2017

 Catalogne : la crise !

Sur fond de défaisance de l’Europe néolibérale, avec sa spécificité historique particulière (Brexit, montée des nationalistes et de l’extrême droite), la volonté d’autonomie voire d’indépendance de la Catalogne fait partie de ce processus. Evidemment, bien des ambiguïtés et des contradictions persistent. En tout état de cause, le compromis entre la droite extrême et le Parti socialiste au sortir du franquisme est mis à l’épreuve depuis la crise de 2007-2008, l’occupation des places et l’émergence de Podemos en Espagne, cette « nation de nations ». Par ailleurs, les plus indépendantistes catalans sont majoritairement des néolibéraux. Toutefois, à l’évidence, ce mouvement autonomiste déstabilise l’Espagne et l’Union européenne. Reste aux forces progressistes de s’immiscer dans cette brèche. DP


Avertissement

L’objectif de cet article n’est pas de vous emmener dans les arcanes des tractations politiciennes en Catalogne et en Espagne concernant le référendum du 1er octobre dernier et de ses prolongements, mais de vous faire découvrir cette région à travers quelques rappels géographiques, historiques et culturels et de montrer que la Catalogne est une région réellement différente du reste de l’Espagne.
La volonté d’indépendance des Catalans est  loin d’être le désir des gens riches ne voulant pas payer pour les pauvres (comme le présentent souvent les médias). Ce sont des gens qui se sentent culturellement et économiquement opprimés par un Etat central.

Quelques rappels géographiques

La Catalogne est une province autonome d’Espagne, située au Nord-Est, qui représente en superficie les 2/3 de la Bourgogne-Franche-Comté, mais qui possède beaucoup plus d’atouts naturels que cette dernière : 500 kms de rivages méditerranéens (pêche, commerce, tourisme…), une grande variété de paysages : plaines au Sud,  montagnes au Nord (point culminant : 3 100m). Cette configuration géographique (zones montagneuses qui séparent la Catalogne du reste de l’Espagne) fait dire aux Catalans qu’ils sont assis dos à dos avec les Espagnols et explique, en partie, pourquoi le dialogue a toujours été difficile entre eux. Cela explique également le développement de la langue catalane car les relations avec leurs voisins aragonais étaient quasi nulles. Il est à noter aussi un climat particulièrement clément qui en a fait de tout temps une région prospère et très facile à vivre. L’expression «  région bénie des Dieux » lui convient parfaitement.

Quelques rappels économiques

Actuellement la Catalogne compte 7,5 millions d’habitants (Bourgogne-Franche-Comté (BFC) : 3 millions). Son PIB est d’environ 210 milliards d’euros (BFC : 60 milliards). Les Catalans représentent 17% de la population espagnole et plus de 20% de son PIB. Ces chiffres traduisent un dynamisme économique sans commune mesure avec la Bourgogne-Franche-Comté et le reste de l’Espagne. Les régions les plus industrialisées se trouvent au Sud (Girone, Barcelone, Tarragone) le Nord étant plus rural.
La Catalogne est la région d’Espagne au PIB le plus élevé car la plus peuplée mais, en comparant les PIB par habitant, elle ne se classe que 4ème derrière le Pays Basque, la Navarre, la région de Madrid. Les Catalans disent avec justesse que leur région est la plus riche mais pas leurs habitants. De plus, la région a subi très fortement  la crise de 2008 : en effet en 2010, 31%  des expulsions locatives ont eu lieu en Catalogne  alors qu’elle ne représente que 17% de la population espagnole.

Elle a une autonomie fiscale partielle ; elle gère 50% des impôts prélevés sur son territoire et verse le reste à Madrid. Les indépendantistes catalans affirment que 16 000 millions d’euros ne reviennent pas en Catalogne, ce qui représente quasiment les 10% de déficit de leur budget (à noter que le Pays Basque et la Navarre gèrent, eux, 100% de leurs impôts). C’est une région très dynamique, à fort potentiel, mais en crise et endettée. Beaucoup de Catalans considèrent qu’ils sont endettés car ils aident financièrement des gens plus riches qu’eux. On peut comprendre que cela puisse provoquer régulièrement des éruptions d’urticaires indépendantistes, d’autant que cet argent sert à financer la guardia civil qui a réprimé violemment les Catalans lors du référendum du 1er octobre notamment.

Quelques rappels historiques

Ce désir récurrent d’indépendance se comprend d’autant mieux quand on en connait les 2 périodes fondatrices.

La 1° période  va de 998 à 1714, période qui fut l’âge d’or de la Catalogne, décrite ainsi dans «  L’histoire de la Catalogne » de JS Callico (Bible des indépendantistes) : « la Catalogne à cette époque fut une nation dotée d’un Etat propre qui a joué un rôle de 1er plan en Europe. Elle subit à la fin de cette époque de nombreuses attaques jusqu’à sa destruction le 11 septembre 1714 ». En effet, elle rayonna intellectuellement et économiquement sur le Sud de la France (le Roussillon et Perpignan furent catalans jusqu’en 1659), sur les Baléares, la région de Valence, la Sicile, la Sardaigne, le Sud de l’Italie, une partie de la Grèce et sur de nombreux ports méditerranéens (1). Pendant cette période, elle avait des institutions « progressistes » : embryon de Parlement « les Corts », absence de roi choisi par Dieu mais les Comtes « choisis » par le Peuple. Même quand la Catalogne s’allia avec le Royaume d’Aragon, puis celui de Castille, elle conserva toujours ses propres institutions. Son affaiblissement conjugué aux appétits territoriaux franco-castillans trouva son épilogue le 11  septembre 1714, le jour de la reddition de Barcelone. La  Catalogne, en tant qu’Etat, disparut ce jour-là mais le souvenir de cette période faste reste ancré dans les mémoires  car le 11 septembre (la Diada) est le jour de la fête nationale catalane. A noter que la fête nationale espagnole, fête de l’hispanisation, est boycottée en Catalogne et appelée fête du génocide. Les Catalans ne tiennent absolument  pas à être associés à l’image impérialiste et guerrière de l’Espagne des conquistadors. A noter également que le roi qui, ce 11 septembre fit massacré les Barcelonais puis installa un régime militaire d’une grande cruauté s’appelait Philippe V ; son lointain successeur s’appelle Philippe VI et prétend donner des leçons de morale après le référendum d’octobre 2017.

La 2° période fondatrice du « catalanisme » commence en 1931, plutôt bien, puisqu’après la victoire des forces progressistes de gauche aux élections municipales, la dictature de Primo de Rivera prit fin, le roi quitta l’Espagne, la 2ème République s’installa et la Catalogne obtint un statut d’autonomie partielle. La Generalitat fut dotée d’un Parlement, d’un Gouvernement et put gérer de façon autonome l’éducation, la police intérieure, les services sociaux… sur son territoire, environ 50 % des impôts. Mais en 1936, Franco décida que l’expérience progressiste avait assez duré et, après son putsch manqué, engagea l’Espagne dans une guerre civile.

La Catalogne fut alors au 1er rang de la lutte contre les fascistes puisqu’en 1937 s’y trouvaient le gouvernement catalan, le gouvernement basque en exil et le gouvernement de la république. Ce dernier, réfugié à Barcelone n’hésita pas à supprimer le statut d’autonomie de la Catalogne (les Catalans ont beaucoup apprécié !). On sait ce qu’il advint de la République et, en 1939, Franco déploya beaucoup d’énergie à châtier ceux qui lui avaient résisté, donc, en 1ère ligne, les Catalans (5000 fusillés, 50 000 emprisonnés) et, comme en 1714, un grand classique, l’interdiction de parler catalan. Cette mesure fut un peu délicate à mettre en place dans les zones rurales où les gens ne connaissaient que le catalan. Ce régime dura jusqu’à la mort de Franco en 1975 et en 1978 l’Espagne se dota d’institutions « démocratiques » qui permirent à la Catalogne de récupérer son statut de semi autonomie. Cela put paraître la fin heureuse d’une période dramatique mais la Catalogne ne récupéra qu’un statut d’autonomie partielle, très loin du souvenir de la Catalogne d’avant 1714. La monarchie subsista, et surtout, les acteurs de la dictature (armée, police, église) n’eurent aucun compte à rendre et se diluèrent dans les institutions « démocratiques ». Ceci évita, certes de raviver les blessures passées, mais les Catalans, qui pouvaient croiser dans les rues les tortionnaires de leurs parents, eurent beaucoup de difficultés à accepter cette situation…

L’Espagne mit alors toute son énergie à rattraper son retard économique, pris sous Franco, avec, pour les Catalans, dans un coin de leurs mémoires, le souvenir de l’âge d’or du Moyen-âge, de la répression de 1914, de la guerre civile, du franquisme et de la transition « démocratique » au goût amer.

Situation actuelle

L’Espagne et la Catalogne avancèrent à grands pas (entrée dans la CEE en 1985), jeux olympiques à Barcelone, Exposition Universelle à Séville en 1992, entrée dans la zone euro…

En 2005, profitant de la présence socialiste au gouvernement central (JL Zapatero,) la Generalitat, avec à sa tête Arthur Mas, un autonomiste modéré de droite, engagea les discussions pour obtenir un statut d’autonomie totale, le même que celui du Pays Basque et de la Navarre. Ils trouvèrent un accord et en 2010, le chemin vers plus d’autonomie paraissait sans embûche.

Quand, soudain, entra en jeu le Parti Populaire (PP) et son chef Mariano Rajoy qui, pour ne pas offrir un succès à son ennemi politique socialiste, introduisit un recours au Tribunal Constitutionnel espagnol (de fait, l’annexe du PP) qui annula l’accord parce qu’il faisait référence à la notion de « nation » catalane. Cette injustice fit revenir à la surface toutes les violences, les humiliations exercées par Madrid au cours de l’histoire. La réaction des Catalans fut immédiate : « puisque Madrid refuse l’autonomie, on prendra l’indépendance » ; en 2015 ils élirent donc un Parlement Régional avec une majorité indépendantiste dont la feuille de route était claire : référendum d’autodétermination en 2017 et proclamation de l’indépendance si le OUI l’emporte. Mais le résultat de cette élection posa un problème : les partis indépendantistes obtinrent la majorité des sièges (72 sur 135) mais avec seulement 47,8 % des voix, décalage dû au scrutin par circonscription qui surreprésente les zones rurales indépendantistes, au détriment des villes qui se composent de nombreux Espagnols venus y travailler. Les anti-indépendantistes ne se privèrent donc pas de clamer haut et fort que 52,2 % des Catalans étaient contre l’indépendance. Les indépendantistes, quant à eux, clamèrent haut et fort qu’ils respectaient les institutions et l’élection d’un parlement indépendantiste.

Pour ajouter à la confusion, le gouvernement catalan, avec à sa tête Carles Puigdemont, indépendantiste de la 1ère heure, préféré à Arthur Mas, corrompu et indépendantiste rallié, tint ses engagements électoraux (chose très inhabituelle) et convoqua le référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017. Ce référendum fut jugé inconstitutionnel par le gouvernement central, avec à sa tête un certain Mariano Rajoy ( !). Les indépendantistes font remarquer alors, avec justesse, qu’une Constitution peut se modifier et que cet acte aurait été plus pertinent que d’envoyer la guardia civil matraquer les gens qui voulaient seulement voter. Cette attitude intransigeante de Rajoy, du PP, des socialistes, de Ciudadanos a incité beaucoup de Catalans à aller voter oui au référendum, plus pour protester contre cet autoritarisme stupide que pour obtenir l’indépendance.

La majorité des Catalans se sent d’abord catalane avant de se sentir espagnole. Cette majorité souhaite que la Catalogne soit reconnue comme nation, qu’elle se gouverne, mais souhaite que cela se fasse pacifiquement, sans rupture violente avec Madrid, dans le cadre de l’Europe, chose actuellement impossible. L’attitude de l’Europe et de Madrid pousse la Catalogne vers une indépendance de rupture qui, elle, n’est pas majoritaire en Catalogne.

Je pense que le rendez-vous avec l’indépendance a été raté cette fois-ci mais que celle-ci est à long terme inéluctable car historiquement justifiée. Les Catalans ont franchi une nouvelle marche vers leur émancipation mais celle-ci n’était pas la dernière. La présence à Madrid d’un gouvernement progressiste (Podemos) pourrait offrir  une nouvelle  opportunité à l’accession à l’indépendance.

Paroles de Catalans

« Nous voulons l’indépendance surtout parce que Madrid ne la veut pas » 

« La première décision d’un gouvernement catalan indépendant sera d’ériger une statue à Marino Rajoy car il a donné à beaucoup de Catalans l’envie d’être indépendants »

« La Catalogne et l’Espagne, c’est un couple dans lequel le mari (Espagne) bat sa femme (Catalogne) et qui, quand celle-ci s’en va, crie au scandale car elle rompt l’unité du couple »

« La situation normale de la Catalogne c’est être indépendante, toute autre situation est anormale ».

Jean-Louis Lamboley, le 25.10.2017 
A suivre : prochain numéro « l’évolution de la situation politique, économique et sociale, depuis le référendum ».

(1)    On pourrait la comparer dans une certaine mesure à la principauté de Venise, championne du capitalisme marchand qui s’est développé à cette époque (NDLR)




Encart 1
La jeunesse catalane

Depuis 1978, des générations de Catalans étudient l’histoire de la Catalogne, et, qui plus est, en catalan. Contrairement aux générations précédentes, ils n’ignorent rien de l’âge d’or du Moyen-Âge, des répressions qu’a subies la Catalogne au cours de l’histoire de la part de l’Espagne. Aucun élève n’ignore ce que représente le 11 septembre 1714.
Arrivés à  l’âge  de voter, les jeunes sont, dans leur grande majorité, autonomistes ou indépendantistes, mais sont également très pro-européens. Pour eux, c’est un moyen de s’ouvrir sur le monde (programme Erasmus, voyages…) ce que n’ont pas connu leurs parents. Mais ces jeunes ne veulent pas d’une indépendance de rupture avec Madrid ni d’une indépendance qui les ferait quitter l’Europe. Cela reflète bien aussi le dilemme du peuple catalan. Ils veulent se séparer de Madrid mais rester en bons termes, mais Madrid ne le veut pas.


Encart 2
Le Parlement catalan

Il se compose de 135 députés.
 La majorité indépendantiste en compte 72, répartis entre
-          Ensemble pour le oui (62 sièges) : groupement de différents partis (Convergence Démocratique, Gauche Républicaine, Démocrates, Mouvements de Gauche), d’accord sur l’accession à l’indépendance mais en désaccord sur beaucoup d’autres points,
-         et la Candidature d’Unité Populaire (CUP) (10 sièges) : parti anticapitaliste, anti-européen, féministe, libertaire…)  Les voix de la CUP sont donc nécessaires pour obtenir la majorité (68).
La minorité anti-indépendantiste est composée de
-          Cuidadanos (Centre 25 sièges), Parti Socialiste Catalan (16), Parti Populaire (droite et droite-extrême (11), Et  Catalogne, Oui c’est possible (11) 

Les acteurs catalans :
Carles Puigdemont : Président de la Catalogne, indépendantiste de la 1ère heure, maire de Gérone (le fief du mouvement indépendantiste). Professeur de catalan ancien et journaliste. Il a été imposé par la CUP.
Arthur Mas : ancien président, autonomiste devenu indépendantiste après 2010, et l’échec des négociations, a mené la campagne victorieuse de 2015, et paraissait devoir retrouver sa place, mais la CUP le jugeant (à juste titre peu fiable) a refusé de voter pour lui, « imposant » ainsi C. Puigdemont. Beaucoup d’observateurs avisés de la vie politique catalane estiment que c’est lui qui « tire les ficelles » du jeu politique. Inculpé par Madrid pour avoir organisé une consultation en 2014.
Carme Forcadell : présidente du Parlement, professeur de littérature catalane, inculpée par Madrid pour avoir fait voter l’organisation du référendum.
Ada Colau : maire de Barcelone, vient du mouvement social, fondatrice de la PAH (plateforme des victimes du crédit hypothécaire), proche de Podemos, favorable à un référendum d’autodétermination légal ; elle a tout de même fourni des bureaux de vote pour le référendum « illégal ». Elle représente, à mon avis, l’avenir du mouvement indépendantiste, qui tentera de négocier avec Madrid.

Les acteurs espagnols :
Mariano Rajoy : Chef du gouvernement espagnol, membre du Parti Populaire, parti de droite qui a « recyclé » pas mal de franquistes….expliquant pourquoi il n’y a pas l’équivalent du FN en Espagne. Il gouverne sans majorité absolue, avec l’aide d’une partie des Socialistes et des Ciudadanos, qui s’abstiennent lors des votes. Psychorigide, intransigeant : les Catalans disent de lui qu’il ne sait dire que NON en catalan. Il est empêtré dans de multiples affaires de corruption. A côté de lui Sarkozy parait un enfant de chœur. Sa présence comme chef du gouvernement (sans majorité absolue !) empêche toute solution négociée de la « crise catalane ».
Felipe VI : Roi d’Espagne, descendant de Louis XIV et de Felipe V qui a mis fin à l’Indépendance de la Catalogne en 1714. Les Catalans avaient mis quelques espoirs dans ce roi jeune, qui paraissait moins rigide que ses prédécesseurs (il a épousé une journaliste divorcée) mais son discours du 3 octobre 2017 l’a complètement discrédité auprès d’eux (leçons de morale sans aucune critique des violences policières du 1° octobre)


Dans l’attente de(s) la prochaine(s) crise(s) ?

La crise financière de 2007-2008 s’est muée en crise d’endettement des Etats qui, elle-même, porte désormais atteinte à l’homogénéité des castes régnantes dans différents pays. L’Union européenne, avec le Brexit et la montée des mouvements nationalistes et d’extrême droite, en est affectée. Au-delà de la concurrence fiscale et sociale qui dresse les Etats les uns contre les autres, force est de constater que peu de leçons ont été tirées de « l’exubérante » domination de la finance. Pire, les quelques règles émises pour la contenir sont en passe d’être démantelées. Revenir sur ce qui s’est passé pendant cette période critique permet de pointer, qu’aujourd’hui, c’est pire qu’hier. Des bulles financières sont prêtes à éclater dans un contexte où les marges des différents gouvernements sont de plus en plus restreintes. En outre, nombre d’entre eux mettent en place des politiques qui renforcent encore les risques potentiels, tout en développant, comme en France, des illusions propagandistes qui sont autant d’impostures idéologiques.

Peu de leçons, pour ne pas dire aucune, n’ont été tirées de la crise

Un rappel tout d’abord. C’est l’excès de titrisation, autrement dit de camouflage de la spéculation financière immobilière aux USA avec la complicité des banques privées du monde entier ou presque, qui est à l’origine de cette crise. Les banques ont en effet formé des paquets de crédits en mixant des subprimes avec des crédits de meilleure qualité, puis en les découpant selon le pari de rendements plus élevés. Les établissements financiers s’en sont gavés. Les agences de notation, engoncées dans des conflits d’intérêts juteux, n’ont pas hésité à tromper les gogos en attribuant des « triple A » à des crédits à risques. Quand la fête à l’arnaque prit fin, lorsque les ménages étatsuniens, achetant leur résidence à crédit alors qu’ils n’étaient guère solvables, furent expulsés de leurs logements, et que les banques rachetant leurs biens pour les revendre ne trouvèrent plus de clients, la bulle immobilière éclata et se propagea à l’ensemble des pays capitalistes centraux. Et Sarko d’avouer (1) : « certains patrons de la finance se croyaient à la tête d’entreprises plus puissantes que les Etats mais c’est aux Etats qu’ils ont demandé de l’argent pour éviter l’effondrement du système bancaire et avec lui de l’économie mondiale ». La solution trouvée fut d’injecter du capital fictif (2) pour renflouer celui devenu fictif ! En effet, les banques ne disposaient pas de capitaux propres en face des crédits distribués, elles n’osaient plus se prêter entre elles (crise dite interbancaire) quand d’autres s‘effondraient ou étaient nationalisées ou encore étaient rachetées à vil prix.. Ce fut le cas, notamment, de nombreuses banques britanniques et de Dexia (sauvetage pour 6,4 milliards d’euros supportés par la France et la Belgique). Au total, l’Etat fédéral US a injecté 245 000 milliards de dollars pour consolider les banques. Quant aux amendes versées pour filouterie, elles se chiffrent à 200 milliards. En 2016, leurs profits, après suppression d’emplois et sortie d’actifs douteux dans des banques dites de défaisance (banques pourries qui les accumulent dans l’attente de les revendre…), se portent à merveille : 91 milliards. Les Etats de l’Union Européenne ont soutenu le secteur financier de 2008 à 2011 à hauteur de 1 600 milliards d’euros.

La dette des Etats s’est donc envolée. Et les banques centrales sont venues à leur secours en … rachetant leurs dettes, du moins celles des Etats les plus riches (pas la Grèce, ni l’Espagne...), en espérant les revendre sur le marché de l’occasion, dit marché secondaire (voir plus loin). Ce capital fictif circulant, il faudra bien qu’il se réalise. La solution trouvée fut bien évidemment l’austérité, la baisse des salaires directs et indirects (retraites, prestations sociales), la vente d’actifs (privatisations). En outre, l’injection de liquidités (toujours du capital fictif), par les banques centrales, a mécaniquement baissé le loyer de l’argent (les intérêts) qui ne trouvaient pas à s’investir réellement. Les Etats en furent quelque peu soulagés (taux d’intérêts plus faibles) d’autant que la BCE notamment s’acharnait à interdire aux banques privées de déposer leurs excès de liquidités dans sa caisse, en leur imposant des taux négatifs dans l’espoir que lesdites banques investissent dans l’économie réelle. Ce ne fut guère le cas… Et donc, de se retourner vers les Etats et de glapir comme Jean-Claude Trichet(3) : « Le risque est que les gouvernements ne prennent pas leurs responsabilités notamment en soutien de l’investissement et de lutte contre les inégalités ». Que n’avait-il dit, lui, le maître de l’orthodoxie libérale, du marché roi s’autorégulant,  en promouvant un interventionnisme dirigiste à des Etats qui s’acharnent à rembourser leurs créanciers privés (France : stock de 2 100 milliards de dettes) tout en soulignant les risques politiques de l’austérité…

Certes, quelques freins à l’exubérance de la finance ont été installés. Ainsi, aux USA, depuis 2011, les courtiers de prêts résidentiels ne peuvent plus être rémunérés en fonction des taux pratiqués (usure). Certes, les banques ont été mises dans l’obligation (insuffisante) de disposer de fonds propres. Certes des stress-tests (bien timides) ont été mis en œuvre pour évaluer la résistance des banques en cas de « choc de grande ampleur », prétextant que la prochaine fois ce ne devrait plus être le contribuable ou le salarié qui paie la facture… Mais il n’y a pas eu de véritable séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires. L’argent des ménages est toujours utilisé principalement à des fins spéculatives… Bref, la finance rentière n’a pas été « euthanasiée » (pour citer Keynes) et le FMI, qui n’a rien vu venir, de faire son mea culpa tardivement : il plaide désormais pour une « croissance inclusive », remet en cause les effets prétendument bénéfiques de la libéralisation financière et la capacité des marchés à s’autoréguler, voire la priorité de la réduction des déficits budgétaires, après avoir étranglé la Grèce avec la BCE et les ministres des finances de l’UE (la fameuse Troïka mortifère). Et pourtant, ce ne furent pas les alertes qui manquèrent dans le concert soporifique des économistes libéraux : Maurice Allais (1999) « L’économie mondiale repose sur une pyramide de dettes ». C’est une « menace d’effondrement général ». En 2000, Robert Shciller dénonce « l’exubérance irrationnelle de la finance ». En 2006, Paul Jorion publie « Vers la crise du capitalisme américain » (ed. la Découverte) et la même année Nouriel Roubini (docteur en économie), en pleine conférence du FMI, déclare « la bulle immobilière va éclater ». On lui rit au nez, on le surnomme Dr Déprime ou Dr Catastrophe… Bref, nombre d’économistes dits hétérodoxes ne furent pas entendus.

Et maintenant, c’est pire qu’avant

Les banques privées dans leur ensemble, après fusion et absorption, sont toujours plus grosses, la finance toujours plus insatiable. Les Etats sont toujours au chevet de celles qui sont avariées, pour les sauver, et nombre de banquiers se sont reconvertis dans la finance de l’ombre, opaque et non réglementée. Les inégalités deviennent « abyssales » : 8 personnes disposent d’un patrimoine équivalent à la « richesse » de la moitié de l’humanité la moins riche. Telle est la conséquence des politiques d’austérité, de privatisations, d’uberisation et de la logique dite de compétitivité, du moins disant social, fiscal et environnemental.

Malgré les révélations fournies par des journalistes d’investigation (Panama Papers), les paradis fiscaux disposent toujours de filiales des banques privées, des grandes entreprises et de fonds financiers. Seuls les particuliers semblent poursuivis pour rapatrier leurs fonds qui échappaient à l’impôt. La baisse du pouvoir d’achat provoque le recours encore plus intense au crédit. L’endettement des ménages dans nombre de pays devient problématique. Enfin, les quelques freins à la spéculation sont en train de sauter, «la prochaine crise peut intervenir n’importe quand et n’importe où » « tant les facteurs de fragilité sont nombreux » (Paul Jorion) et notamment :

o   Les faibles digues mises en place vont sauter : Trump veut revenir sur la loi Dodd-Frank votée en 2010 qui restreint, en partie, l’octroi inconsidéré de crédits aux banques. Il entend également supprimer la règle Volcker qui interdit aux banques de spéculer pour leur propre compte et ne plus les soumettre aux stress-tests. La Commission européenne et le Parlement cherchent à relancer la titrisation dite « simple, transparente et standard ». L’oligarchie financière organise un intense lobbying à cet effet. Elle est insatiable, toujours animée par la croyance dans le dieu Marché dont l’oracle se résume à cette équation : politique anti-inflationniste pour ne pas rogner la rente (les dividendes) + marché du travail flexible (exploitation du travail renforcée) + ouverture des marchés (disparition des normes et des droits de douanes =  équilibre des prix + taux de chômage nécessaire – NAIRU - (7%).
o   La finance de l’ombre : « En 10 ans, les pratiques des banques ont changé, des pans entiers de leurs activités ont basculé dans les fonds spéculatifs » (Aurélien Borde, cabinet Conseil SA Partners-New York). Le Shadow Banking est peut-être le candidat le plus « sérieux » à la prochaine crise : ce sont d’anciens banquiers, pour la plupart, qui ont ouvert des fonds dits d’investissement et autres start-up de la finance. Les milliardaires aux rémunérations stratosphériques ne sont soumis à aucune régulation. Le poids des sommes dont ils disposent est considérable (92 000 milliards de dollars), elles représentent les 2/3 de la gestion dite d’actifs (assurance, fonds de pension) soit 150 % du PIB mondial !
o   L’effet levier ou le rachat par endettement. Il permet de mettre la main sur les entreprises en difficulté. Après les avoir renflouées artificiellement (compression d’effectifs), elles sont démantelées et revendues. Il en va de même pour la valorisation artificielle des actions.
o   Les algorithmes. Les traders sont de plus en plus remplacés par des modes de calcul informatiques qui procèdent automatiquement, à des fins spéculatives, à des ordres d’achat et de vente. Ce courtage à haute fréquence à la microseconde est porteur de « flash crash » soudains et incontrôlables.
o   Le spectre du krach boursier hante Wall Street (4). Les promesses de Trump ont fait souffler un vent d’euphorie à la Bourse. Dopée déjà par un dollar faible, la spéculation bat son plein. L’indice Dow Jones (équivalent du CAC 40 en France), après une baisse relative en 2008, connaît une hausse vertigineuse. La crise, connais pas. De 2596 points en 1987, il a été multiplié par presque 9 (29 157 points en novembre 2017).

« Tant que je gagne je joue » et si je perds on me renfloue, telle semble être la devise des flibustiers de la finance, d’autant que l’ère de l’argent facile pourrait connaître une fin. La FED a réduit ses rachats de dettes publiques et… privées et s’apprête à tenter de revendre les titres pourris qu’elle a accumulés pendant la crise. La BCE s’apprête à suivre le même chemin.

Les maillons faibles qui peuvent céder

Il ne s’agit pas ci-après d’une analyse des différents pays pouvant être les premiers affectés par la crise mais plutôt d’une illustration de la gravité de la situation qui caractérise certains d’entre eux et non des moindres.

Aux USA, la dette des ménages est de 12 730 milliards de dollars, soit 50 milliards de plus qu’en 2008, lors de la faillite de Lehmann Brother. Plus de 17% des consommateurs sont susceptibles de faire défaut, face à leurs dettes. Il ne s’agit plus seulement de crédits immobiliers mais surtout de cartes de crédit multiples, de prêts automobiles et de prêts étudiants ; ces derniers ont doublé en 10 ans (1 300 milliards de dollars). Précisons que les frais universitaires ont augmenté de plus de 106 % de 1987 à 2010 et depuis… ça continue.

L’Italie tente toujours de sauver Banca Popolare di Vicenza et Veneto Banca. Elle vient d’injecter à cet effet 17 milliards d’euros, le 25 juin ; quelques mois plus tôt, c’est la plus vieille banque du monde gangrenée par des créances douteuses (Montei dei Paschi di Siena) qui a été renflouée. La dette de l’Etat équivaut à 130 % du PIB. L’Italie c’est 10 fois la Grèce, c’est un pays divisé entre le Nord industriel et le Sud rural beaucoup plus pauvre,  qui « absorbe » dans des conditions lamentables une part considérable (avec la Grèce) des migrants et ce, en l’absence de véritable solidarité européenne. Alors, maillon faible de l'Europe ?

La Chine. Elle est dopée à l’hyper-endettement (257% du PIB). Des pans entiers de l’économie connaissent une surcapacité de production mais elle dispose d’un épais surplus d’épargne. Toutefois, comme le Japon, elle ne dépend pas de créanciers étrangers. La classe régnante qui se confond avec la classe dominante (PCC – parti du Capitalisme d’Etat chinois !) veille au grain : lutte contre l’évasion des capitaux chinois, contre la corruption, et en définitive, pour l’essentiel, c’est l’Etat qui prête à l’Etat, ce qui minimise les risques ; toutefois, à terme, la stagnation guette, d’où la volonté d’actionner l’impérialisme économique et de damer le pion aux Etats-Unis. Les conflits à venir pourraient bien être d’ordre politique, voire guerrier (Corée du nord/domination asiatique voire mondiale). En fait le risque de crise est partout, y compris dans des pays fragiles (Chypre, Irlande) ou dans les pays du sud, comme l’Argentine, dont l’Etat paie des intérêts d’emprunts au taux moyen de 7,9%.

Et Macron dans tout ça ? (5)

L’ancien banquier d’affaires, cette créature issue du hollandisme, est aujourd’hui, le président de l’oligarchie. Il est le produit de l’avortement de l’alternance gauche-droite. Donc, ni de droite, ni de gauche. Sous les oripeaux de l’efficacité et de la modernité, il se propose d’intensifier les politiques qui ont échoué depuis 30 ans, soit la « défiscalisation déboutonnée du capital, combinée à la démolition des protections juridiques du travail ». Il est l’homme de la crise économique qui s’annonce, il se veut le meilleur élève de l’aveuglement général de la classe régnante.

La défiscalisation du capital s’accélère : les actions, obligations des grandes fortunes (ISF) ne seront plus ponctionnées. L’impôt sur les revenus du capital, sera désormais forfaitaire (flat tax) ce qui génèrera un manque à gagner de 4,5 milliards d’euros pour l’Etat. Raison invoquée : « On n’a pas suffisamment de capitaux pour financer la croissance de nos entreprises ». Ainsi, les plus de 3 milliards, au titre de l’ISF, seraient libérés pour l’investissement ! Vaste blague : l’écrasante majorité de ces actions et obligations qui étaient ponctionnées, est issue du marché secondaire. Ce sont donc des actions qui ont déjà été émises et ont été rachetées à des fins spéculatives. La défiscalisation constitue par conséquent une pure aubaine. Au mieux, analyse Frédéric Lordon, sur les plus de 3 milliards « libérés » de l’ISF, 9 millions iront vers les entreprises font les rendements sont les plus lucratifs ; elles sont d’ailleurs de moins en moins nombreuses. Il s’agit, de fait, d’un mouvement général : en 2014, 12,5 milliards ont été injectés dans la production, on en est à 10 milliards en 2015. Quant à la vente et à l’achat d’actions entre financiers, sans rien produire, elles représentent 3 300 milliards ( !).

Autres boniments propagandistes : pourquoi y a-t-il du chômage ? Parce que « les salariés sont trop protégés », ce sont des « fainéants », des « tricheurs », des « égoïstes » qui protègent leur statut. Ainsi, les incrustés dans l’emploi, les chômeurs non « flexibles », de victimes deviennent coupables. Les solutions : précariser davantage les salariés, recourir aux temps partiels contraints, aux jobs à 2€ de l’heure et contrôler les chômeurs, tout en baissant leurs indemnités ou en raccourcissant le temps d’indemnisation. Efficace ? La baisse du salaire direct et indirect, ce fameux « coût du travail », va-t-elle relancer la croissance ? L’OCDE reconnaît que ça n’a aucun effet sur la baisse du chômage. Et les macroniens et autres néo-libéraux de prétendre que « faciliter les licenciements, faciliterait les embauches ». Et le conseil d’analyse économique de rétorquer qu’ «il n’y a pas de corrélations démontrées entre le niveau de protection de l’emploi et le chômage ». Alors ? Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, chien de garde du macronisme, a vendu la mèche pédagogique de la pensée dite complexe de son maître : l’essentiel est de « savoir si les Français sont effectivement convaincus que mieux vaut des travailleurs pauvres que des chômeurs bien indemnisés ». Autrement dit, l’exploitation renforcée des travailleurs ne peut que renforcer le capitalisme actionnarial, rien ne compte que les dividendes ! Le hic c’est que la compression des salaires censure les projets d’investissement non rentables à court terme et réduit dans le même temps les carnets de commande. Bref, la « pensée complexe » n’est qu’une « colossale imposture idéologique ». Le pari pour le coup irrationnel de Macron est cette fuite en avant verbale dans l’Europe fédérale qui protégerait, alors même que son moteur est la concurrence tous azimuts y compris dans le moins-disant fiscal et social. En jouant dans la cour des grands, il pourrait reprendre à son compte ce rêve ubuesque de Sarko : « C’est le G 20 qui devrait être chargé de la politique économique et financière mondiale… et en décidant à la majorité et non à l’unanimité ». Vieux rêve de gouvernance mondiale des classes régnantes tout aussi divisées que les classes dominantes qu’elles servent, où l’orgie libérale se conjugue avec l’anorexie démocratique. Au-delà des contradictions qui minent le système, entre capitaux concurrents, entre capitalisme financier et capitalisme industriel et commercial, et au-delà de l’impossible synthèse que tentent les classes régnantes vis-à-vis des classes dominantes, surgissent les conséquences délétères des politiques menées. Outre la surexploitation programmée par la finance débridée, il y a comme son apparent contraire, la montée des nationalismes xénophobes, les guerres, les migrations et le délabrement de l’écosystème.

« Au 19ème siècle, se débarrasser du capitalisme était une question de justice sociale, c’est aujourd’hui une question de survie » (Paul Jorion). Malgré la réalité qu’ils vivent, la prise de conscience des salariés, et d’abord de ceux qui n’ont rien à perdre que leurs chaînes, retarde sur les défis qu’il faut affronter.

Gérard Deneux le 24.10.2017        

(1)   Interview de Sarkozy, le Monde du 5 juillet 2017
(2)   Le capital est dit fictif lorsqu’il ne se réalise pas dans les cycles de production. De fait, il ponctionne indirectement du capital industriel et commercial dans la répartition de la plus-value (profit) afin de se réaliser dans la vente des produits.
(3)   Président de la BCE de 2003 à 2011
(4)   Le Monde du 20 octobre 2017
(5)   Les arguments qui suivent sont empruntés à l’article de Frédéric Lordon « Le service de la classe » du 3.10.2017 - blog du Monde Diplomatique

Sources : le Monde (série du 4 au 8 juillet sur la crise 2007-2017), blog du Monde Diplomatique, la pompe à phynance
Pour en savoir plus, lire  Se débarrasser du capitalisme est une question de survie de Paul Jorion –ed. Fayard



Sauf une exception, les rapaces de la crise de 2008 vivent des jours tranquilles

Dick FULD. PDG de Lehmann Brother, « l’homme le plus haï d’Amérique ». Après la faillite de la banque, il a empoché 500 millions de dollars. Il a fondé, en 2016, la société de gestion de fortune Matrix Partners

Angelo MOZILO. PDG de sociétés de prêts hypothécaires, pionnier des subprimes, il évite la prison contre une amende de 67,5 millions de dollars. A 79 ans, père peinard, il vit dans sa luxueuse résidence à Santa Barbara (Californie)

Kathleen CORBET. PDG de l’agence de notation Standard and Poor’s, de 2004 à 2007. Elle accorde des « triple A » aux produits toxiques. Accusée d’avoir trompé les « investisseurs », son agence est condamnée à une amende de 1,5 milliards de dollars. Reconvertie, à 57 ans, dans différents CA, elle a créé son propre fonds spéculatif.

Jimmy CAYNE. PDG de Bear Stearns, banque d’affaires gangrenée par les subprimes. Faillite. Rachetée par la Banque JP Morgan pour 2 dollars l’action, qui en valait 130 en octobre 2007. Cayne, surnommé « le pire PDG de tous les temps » bénéficie d’une retraite paisible ; à 83 ans, il s’adonne à son passe-temps favori, le golf.

John PAULSON fonde un fonds spéculatif en 1994 (Paulson et Cie), parie sur l’effondrement des subprimes, empoche 3,7 milliards de dollars. Soutient Trump dont il est l’un des plus proches conseillers.

Fred GOLDWIN. Ancien patron de la Royal Bank of Scotland, 1er établissement bancaire au monde au cœur de la faillite, nationalisé à 72%. A 56 ans, coule des jours paisibles, entouré de ses luxueuses voitures de collection   

Adam APPLEGARTH.  PDG de Northern Rock, banque britannique au Coeur de la faillite bancaire. Faillite. Aujourd’hui, conseiller du fonds spéculatif US Pine Brook

Andy HORNBY. Dirigeant de Halifax Bank of Scotland, sauvée par l’Etat en 2008. Aujourd’hui, dirige une société de paris, britannique

Sean FITZPATRICK. 69 ans. Ancien patron d’Anglo Irish Bank. Faillite. A raflé dans la caisse des dizaines de millions d’euros. Lors de son procès a été blanchi… faute de preuves…

Bernie MADOFF. Ancien patron du Nasdaq (équivalent du CAC 40). Dirigeant un fonds spéculatif de 6,5 milliards de dollars, proposait des rendements mirobolants (pyramide de Ponzi) à de très riches milliardaires qui ne lui pardonnèrent pas d’être un escroc de haut vol. Seul condamné à … 150 ans de prison. A 79 ans, derrière les barreaux, il distille des conseils lucratifs à ses codétenus ( !)




Alerte ! Disparition des abeilles, des insectes… 

« Il y a 20 ans, il fallait s’arrêter toutes les deux heures pour nettoyer son pare-brise tant les impacts des insectes étaient nombreux ; aujourd’hui ce n’est plus du tout nécessaire » : en 27 ans, la masse des insectes présente dans des zones protégées d’Allemagne a chuté des trois quarts. En France, une étude (CNRS) sur une seule espèce, le carabe (un petit coléoptère terrestre, prédateur des insectes, précieux auxiliaire des jardiniers), révèle qu’en 23 ans, 85% d’entre eux ont disparu. L’effondrement de l’entomofaune, c’est-à-dire la totalité de la population d’insectes présents dans un milieu, révèle les graves déséquilibres sur les écosystèmes, les insectes formant l’un des socles de la chaîne alimentaire, pierre angulaire de la biodiversité.

Il faut, bien sûr, ajouter à cette disparition, celle des abeilles, confirmée par la chute des récoltes de miel, toujours plus catastrophiques d’année en année : en 2017, comme en 2016, elle n’atteint pas 10 000 tonnes, soit 3 fois moins que dans les années 90. Cela n’a pas empêché la France, courant septembre, en catimini, d’autoriser la mise sur le marché, via l’Agence nationale de Sécurité Sanitaire et de l’alimentation et du travail (ANSES)(1) de deux nouveaux insecticides : le Closer et le Transform dont le principe actif est le sulfoxaflor. Selon le ministère de l’agriculture ce n’est pas un néonicotinoïde alors que l’Union nationale des Apiculteurs français, scandalisée, affirme que la molécule a le même principe actif, une fois absorbée par la plante, elle circule jusque dans ses parties florales et donc le pollen et le nectar. Les ministres Hulot et Travert font fi de la loi sur la biodiversité de 2016 interdisant les néonicotinoïdes à partir du 1er septembre 2018 (certes, elle autorise des dérogations jusqu’en 2020 !) dont le décret d’application promis pour début août 2017 n’est toujours pas paru.

Une étude récente d’un Suisse a révélé que des résidus de néonicotinoïdes sont omniprésents dans 200 miels récoltés sur les 5 continents, ce qui confirme l’imprégnation générale de l’environnement. En ligne de mire : les pesticides et ceux qui les produisent, et, par conséquent, la politique agricole productiviste.

Le feuilleton du glyphosate

Les pesticides sont des perturbateurs endocriniens (PE) ; il n’y a plus de doute sur cette affirmation scientifiquement démontrée. Les perturbateurs endocriniens agissent sur le système hormonal des êtres vivants, contaminent l’environnement aussi bien que les êtres humains. Très présents dans les fruits (mandarines, oranges, raisins et pêches, notamment), les PE participent à l’augmentation des maladies comme l’infertilité, certains cancers, le diabète, l’obésité, les troubles du développement du cerveau (autisme...) : l’INSERM, en sept. 2017, confirmait le lien entre exposition à certains PE pendant la grossesse et troubles du comportement chez les petits garçons.

Le Parlement européen, en janvier 2009, a adopté un règlement « Pesticides », interdisant ou retirant tous ceux qui possèdent le caractère « perturbateur endocrinien ». La commission européenne avait jusqu’à 2013 pour établir les critères scientifiques pour la mise en œuvre de cette décision. Mais, il a fallu une condamnation par la Cour de justice de l’UE pour que le projet  soit, enfin, présenté au Parlement européen le 4 octobre dernier, pour être rejeté : les eurodéputés ont refusé la définition des critères d’identification des perturbateurs endocriniens visant à les retirer du marché, car la Commission européenne y avait introduit une dérogation pour ne pas interdire les pesticides conçus spécialement pour agir sur le système endocrinien de leurs cibles ! On sent là ue poids du lobbying des industries des pesticides et de la chimie. Mais, les retards dans la décision ont aussi à voir avec les enjeux de stratégie économique, l’Allemagne, par exemple, craignant pour son industrie chimique puissante. S’agit-il de défendre l’agro-industrie et ses pesticides ou la santé des consommateurs ?

Emblématique en la matière est la bataille contre le glyphosate, molécule du Roundup, « le champion du désherbant » !  Mis sur le marché par Monsanto en 1975, ce premier herbicide à base de glyphosate, a permis à la firme agro-chimique de dominer le marché mondial et de créer, pour assurer son hégémonie commerciale,  les plantes dites Roundup Ready, celles qui sont tolérantes à son propre herbicide ! Vendre un poison et son antidote, il fallait oser ! Mais Monsanto le peut : 13.5 milliards de dollars de chiffre d’affaires (en 2012), 21 000 employés dans 166 pays, c’est cette même firme qui a fourni l’armée américaine en agent Orange répandu au Vietnam pendant 10 ans (1961/1971) ; Monsanto, c’est 90 % des semences transgéniques (soja, maïs, coton, colza) vendues dans le monde… Difficile de s’attaquer à ce géant !

Pourtant, dans les années 2000, les révélations notamment de scientifiques, de journalistes apparaissent, puis celles des phyto-victimes (constitués en association), qui, pour plus de 1 000 entament des poursuites contre la puissante firme. Depuis, les résistances s’organisent pour former une coalition internationale de citoyens et d’ONG. En octobre 2016, à la Haye, la société civile a mis en scène un Tribunal (citoyen) International Monsanto, avec audition de témoins, victimes, experts, pour conclure, et publier très largement, l’avis suivant : « les activités de Monsanto ont un impact négatif sur les droits humains fondamentaux ». Ils ont lancé un appel pour que le crime d’écocide soit reconnu. Les marches mondiales contre Monsanto, les actions des Faucheurs volontaires d’OGM (cf ils, elles luttent), ces lanceurs d’alerte révèlent au grand jour la nocivité du « monstre » commercialisé grâce aux collusions entre les décideurs des gouvernements nationaux et l’Union Européenne, et les « experts » ou « scientifiques », au service de la firme agrochimique. Et il y a de quoi s’y perdre dans le maquis des agences et autres autorités émettant des avis… favorables. Ainsi, l’EFSA – Autorité européenne de sécurité des aliments et l’ECHA – Agence européenne des produits chimiques, ont affirmé la non-nocivité du glyphosate dans le Roundup et pour cause : selon un rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory, sur les 211 experts de l’EFSA, 46% sont dans une situation de conflits d’intérêt direct et/ou indirect. Le matériau de base de leur travail, ce sont les données fournies par les fabricants et celles-ci sont confidentielles, ce qui fait dire à Michèle Rivasi, eurodéputée EELV : « Nous on veut avoir accès à ces données parce que la science secrète va toujours à l’encontre de la santé des citoyens ».

Tous ces mouvements, ces contestations, ces dénonciations font bouger les choses… lentement. Quoique ! Depuis qu’en mars 2017, dans le cadre d’une action juridique contre la firme, la justice états-unienne a déclassé des milliers de documents internes à Monsanto, c’est le début des Monsanto Papers. On y a trouvé des signes flagrants de collusion entre Monsanto et l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA), chargée d’évaluer la sureté du glyphosate et ceux qui soutiennent et facilitent l’agro-industrie dévastatrice.

L’on eût apprécié que l’un des gouvernements français, fort de toutes ces révélations, ait le cran, au sein de l’UE, de protéger la santé de ses ressortissants, à l’image du Sri Lanka qui en mars 2014 a interdit le glyphosate. Car, aujourd’hui encore, la question reste entière : le glyphosate va-t-il être interdit de commercialisation ou prolongé ? En mars 2015, le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), rattaché à l’OMS, déclare que « le glyphosate est un cancérogène probable pour l’homme ». Cette affirmation tombait au moment où la Commission européenne devait renouveler l’homologation du glyphosate pour 10 ans… Cela permit que la commission européenne… ne prenne pas de décision ! Repoussée maintes fois, jusqu’à ce 25 octobre où elle doit décider, sachant qu’une majorité qualifiée (55% des 28 représentants représentant 65% de la population) est requise. Entre Hulot/Travert qui, pour la France proposent entre 5 et 7 ans de prorogation pour laisser le temps de la réadaptation des agriculteurs et Merkel qui, a besoin du soutien des Verts notamment pour gouverner, le projet de renouvellement de Bruxelles pourrait-il échouer ? … le 25 octobre : le comité permanent de l’UE chargé des questions des plantes, des animaux et de l’alimentation… a décidé à nouveau de ne pas décider… à revoir, dit-il,   avant la fin de l’année ??

Lenteur et longueur des procédures, complicités des décideurs, tout cela confirme que ceux qui nous gouvernent ne choisissent ni la santé des populations, ni la survie des agriculteurs. A Bruxelles, la vie des personnes est moins prioritaire que la bonne santé de l’industrie chimique.

Remise en cause du productivisme agricole

Les agriculteurs disent ne pas être responsables de la nocivité du produit qu’on leur vend. Certes. Un grand nombre ne connaît pas la teneur des produits que leur fournissent les coopératives. ¾ des agriculteurs y adhèrent et achètent 70% des semences « garanties tous risques ». Mais, ces propos aujourd’hui ne tiennent plus, la dangerosité du Roundup, par exemple, est connue ainsi que celle des 750 produits contenant du glyphosate, commercialisés par 90 fabricants. Sinon, pourquoi les agriculteurs stockeraient-ils ces produits dangereux dans des locaux sécurisés ?

Cette agriculture industrielle, dite conventionnelle, assure aux agriculteurs la vente de leur production à prix fixé par la coopérative, en achetant les semences recommandées et en appliquant les conseils des techniciens pour que la terre, totalement morte à force d’arrosage en pesticides, herbicides, engrais, raccourcisseurs de paille, etc. puisse servir de support aux cultures. Le rendement à l’hectare doit être maximal afin de rembourser les énormes investissements en matériels engagés grâce à des prêts consentis par le Crédit Agricole. C’est pourquoi les champs avant d’être ensemencés doivent être propres : plus une « mauvaise herbe ». Le désherbage mécanique n’est plus possible : trop long, trop cher, seul le glyphosate « peut tout tuer d’un coup » ! Avec le glyphosate on peut faire 200 hectares en 1 jour, contre 20 hectares si on utilise un outil mécanique. « On nous fait passer pour des pollueurs alors qu’on nourrit les gens » !!! C’est ce qu’exprimaient, mi-septembre, les quelque 200 agriculteurs de la FNSEA manifestant sur les Champs Elysées. M. Macron a l’âme sensible (avec la FNSEA) car cela suffit à ce qu’il envoie Hulot pour annoncer non plus une interdiction du glyphosate mais une prolongation de l’habilitation pour 3 à 5 ans (le temps de la mandature, en quelque sorte !).

L’agriculture conventionnelle est une fuite en avant vers une impasse pour tous : agriculteurs, consommateurs, environnement. C’est la politique productiviste de l’UE et des multinationales qui en tirent profits. Finançant avec la PAC une agriculture du gigantisme (1000 vaches, 4000 veaux, etc.) pour se placer sur le marché international aux mains des grandes firmes agro-industrielles. Monsanto et son Roundup en est un des acteurs. « Le glyphosate est le cheval de Troie de tous les autres pesticides et produits chimiques parce que le milieu étant fragilisé, il ouvre la voie à tout un cortège d’herbicides, fongicides et insecticides et ensuite aux engrais azotés de synthèse pour fertiliser le sol ».

Faire autrement est possible. En agriculture paysanne et en agriculture biologique, sans une goutte de glyphosate, sans pesticide chimique, le rendement atteint  80% de l’agriculture conventionnelle grâce à la rotation de cultures très variées  (blé, orge, mais, sarrasin, épeautre, luzerne, petits pois, pommes de terre, oignons...). La luzerne prend le dessus sur le chardon. Les « mauvaises » herbes ne le sont pas ; les adventices servent à fabriquer de l’engrais vert. Elles laissent les champs couverts et restructurent le sol, une fois broyées. Les terres retrouvent une vie microbienne riche, un bon cycle de l’azote, et accueillent de nombreux insectes.  Certes, il faut labourer plus, il faut 3 fois plus de main d’oeuvre mais les produits sont vendus plus chers : la coopérative achète le blé bio 400€ la tonne (au lieu de 120 à 160€ à l’agriculteur conventionnel). Simple bon sens paysan à l’écoute de la nature.

Interdire la vente de toute substance chimique dangereuse pour l’Homme, ça devrait aller de soi ! Puis, à moyen terme, réorienter les aides à l’agriculture et la PAC – politique agricole commune - (9.5 milliards d’euros) serait une première exigence. Favoriser l’agro-écologie pour en finir avec les spécialisations (maïs, blé dans le bassin parisien ou porc-lait dans l’Ouest), avec des légumineuses pour alimenter les animaux et ne plus importer le soja OGM d’Argentine ou du Brésil, serait une deuxième exigence. C’est techniquement faisable, mais politiquement, c’est une bataille à entreprendre. Il suffit de rappeler la promulgation du plan Ecophyto 2018 pour douter de la volonté politique. Promulgué après le Grenelle de l’environnement, ce plan ambitieux promettait de réduire l’usage des pesticides de 50% en 10 ans ! Trois ans après son lancement, en 2011, le volume des pesticides consommés avait augmenté et l’absence de contrôles sérieux et de moyens de coercition ont transformé les 41 millions d’euros pour ce plan fantôme en outils de communication pour faire croire au changement et continuer d’encourager les autres modes de culture comme les agro-carburants, très consommateurs de pesticides ; ceux-là ont bénéficié d’avantages fiscaux évalués en janvier 2016 à 1,8 milliard d’euros par la Cour des comptes !

Favoriser un comportement écologique, pour sauvegarder la nature et user de ses productions sans la détruire. Utopie ? Certes, c’est s’attaquer à la politique européenne, défendue entre autres par Macron. Celui-ci vient, par exemple, de supprimer les aides au maintien de l’agriculture biologique. De la même manière, il ne remet pas en cause le CETA, ce traité bilatéral d’échange entre l’UE et le Canada, devenu effectif au 21 septembre dernier. Cet accord menace les filières locales car les gros appels d’offre devront désormais s’ouvrir aux entreprises canadiennes au-dessus d’un certain montant. Si les truites canadiennes sont moins chères, elles seront préférées aux truites locales, même si elles parcourent 6 000 kms. Macron affirme que les normes européennes sur la santé et l’environnement empêcheront toute concurrence : le saumon transgénique commercialisé au Canada ne devrait pas arriver en France ? Paroles… paroles…   

Pendant ce temps-là, les exportations de miel ont augmenté de 61% depuis 2007, principalement en provenance de Chine, et les abeilles et les insectes continuent de disparaître… du fait de l’épandage de 100 000 tonnes/an de pesticides très toxiques et ce, en France, dans les champs, les vignes ou les vergers
Pendant ce temps-là, les agences d’expertise européennes continuent à s’en remettre aux analyses des industriels pour rédiger leurs rapports d’évaluation des risques et Bayer, cette pharmaco-industrie, voudrait concrétiser son alliance avec Monsanto que la commission européenne doit examiner dans le cadre de son droit de contrôle des concentrations (espérons qu’elle ouvre les deux yeux !)…
Pendant ce temps-là, les consommateurs avalent tous les jours des quantités anormales de pesticides et autres produits chimiques qui les rendent malades
Pendant ce temps-là les paysans disparaissent tous les jours dans le monde.

Production, consommation, croissance est le triptyque de la politique agricole actuelle. Elle a besoin des bras des producteurs, des ventres des consommateurs et si ces deux groupes s’aventuraient à demander : « mais, nous produisons pour la croissance de quoi ? Pour qui ?», ils pourraient être privés de cerveau…

La grogne et la colère montent. Mais les mécontents ne doivent pas se contenter de l’être, la seule solution est la manifestation publique du rejet de la politique de destruction du vivant et de mise en danger de la santé de tous ! Un vrai programme de société à construire qui peut s’unir en un vrai front pour la nature, de ceux qui produisent à  ceux qui consomment, contre un système qui a perdu la tête.      

Odile Mangeot, le 23 octobre 2017
 
(1)    établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Santé, de l’Agriculture, de l’Environnement du Travail et de la Consommation, créé en 2010

Sources : Politis, bastamag, l’Humanité dimanche, le Monde