Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 21 janvier 2018

Ci-dessous l’éditorial et quelques articles parus dans PES n° 40



2018. Tempêtes au sud, séismes au nord.

Cette métaphore qui fait songer au dérèglement climatique et à son intensification peut servir à évoquer les changements géopolitiques probables.

Au sud, de violentes tornades politiques et sociales se devinent déjà. Les révoltes en Iran et en Tunisie, après le Maroc, sont l’avant-goût amer du renouveau de printemps plus angoissants. Mis à part la défaite de l’Etat Islamique, et parfois, un libéralisme politique de façade, les dictatures insupportables et l’aggravation des inégalités et de la pauvreté continuent de sévir. Tout comme les visées hégémoniques conflictuelles entre l’Iran, les pays du Golfe, la Turquie et leurs parrains respectifs (Etats-Unis, Russie). Dans cette région meurtrie, seules les forces kurdes du PKK et du YPG semblent porteuses d’une issue progressiste. Elle n’est d’ailleurs que potentielle. Seuls, l’affaiblissement des Etats par l’émergence de conflits sociaux internes et la neutralisation des grandes puissances, évitant une nouvelle intervention guerrière, peuvent donner une marge de manœuvre aux forces progressistes… Avec Israël en boutefeu, ce n’est guère le plus probable... Bien d’autres pays du sud, en Afrique comme en Amérique latine où règnent la corruption, le népotisme, le militarisme et la misère, risquent de connaître des bouleversements. Toutefois, ces raz-de-marée pourraient être circonscrits par des visions religieuses et identitaires.

Au nord, des séismes tout autant cataclysmiques sont en germe. Une nouvelle crise financière plus dévastatrice ? Elle est déjà annoncée ! Quant aux admonestations de l’énergumène Trump contre le Pakistan, l’Iran, la Corée du nord…, ses injures contre les « pays de merde », elles symbolisent, sous une forme grotesque, le repli de la puissance dominante et ses contradictions internes économiques, sociales et écologiques. Il n’est pas exclu que l’Etat profond états-unien mette un terme à cette présidence incontrôlable…

L’Europe, pour sa part, va certainement continuer à se déconstruire par le haut. Les réactions identitaires et xénophobes résultent à la fois de la domination allemande, des velléités des castes régnantes de s’en abstraire et des politiques néolibérales. Sur fond de « crise » migratoire qui va se poursuivre, la haine de l’étranger risque de prospérer…

Dans l’Asie imprévisible, les séismes pourraient être encore plus dommageables. Le régime chinois va continuer à tracer sa voie suprématiste. Comment vont réagir les pays limitrophes et les Etats-Unis ? Que peuvent faire ces dirigeants japonais, englués dans une dette astronomique et confrontés à un déficit démographique important ? Les Chinois, tout comme les Russes, pourront-ils supporter longtemps les dictatures qui leur sont imposées ?

Ce pessimisme de la réflexion sur l’ordre géopolitique devrait inciter à l’optimisme sur la possibilité de « ceux d’en bas » de s’auto-organiser. Pour l’heure, rien ne se dessine en ce sens : les grilles de lecture religieuses,  identitaires, tout comme le réformisme de collaboration avec le capitalisme financiarisé, imprègnent encore trop les contradictions sociales.

L’à-venir tarde à venir. Reste à redoubler d’énergie pour éviter le pire.

GD, le 14.01.2018





Poème composé par Jacques Prévert pour le groupe Octobre en avril 1933. Il fut joué en saynète devant les grévistes de l’usine Citroën, quai de Javel auxquels leur patron, André Citroën, venait d’annoncer une baisse de leurs salaires d’environ 20%

Citroën

Dans les sales quartiers de misère, Ce sont de petites lueurs qui luisent.
Quelque chose de faiblard, de discret, des petites lanternes, des quinquets.
Mais sur Paris endormi, Une grande lumière grimpe sur la tour, Une lumière toute crue…
Citroën, Citroën…

C’est le nom d’un petit homme,
Un petit homme avec des chiffres dans la tête,
Un petit homme avec un sale regard derrière son lorgnon,
Un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson.
Toujours la même…
Bénéfice net… Millions, millions…
Une chanson avec des chiffres qui tombent en rond…
500 voitures, 600 voitures par jour…
Trottinettes, caravanes, expéditions, auto-chenilles, camions…
Bénéfice net… Millions, millions, citron, citron.
Même en rêve il entend son nom.
500, 600, 700 voitures, 800 auto-camions, 800 tanks par jour… 2000 corbillards par jour…
Et que ça roule !

Il sourit, il continue en chanson…
Il n’entend pas la voix des hommes qui fabriquent.
Il n’entend pas la voix des ouvriers. Il s’en fout des ouvriers !
Un ouvrier c’est comme un vieux pneu…
Quand il y en a un qui crève, on ne l’entend pas crever.
Citroën n’écoute pas… Citroën n’entend pas…

Il est dur de la feuille pour ce qui est des ouvriers.
Pourtant au casino, il entend bien la voix du croupier…
Un million M. Citroën, un million !
S’il gagne, c’est tant mieux. C’est gagné.
S’il perd ce n’est pas lui qui perd…
Ce sont ses ouvriers ! Ce sont ses ouvriers !

C’est toujours ceux qui fabriquent qui en fin de compte sont fabriqués…
Et le voilà qui se promène à Deauville. Le voilà à Cannes qui sort du casino,
Le voilà à Nice qui fait le beau sur la promenade des Anglais
En petit veston clair ; Beau temps aujourd’hui !
Le voilà qui se promène… qui prend l’air !
A Paris aussi il prend l’air ! Il prend l’air des ouvriers
Il leur prend l’air, le temps, la vie.

Et quand il y en a un qui crache ses poumons dans l’atelier
Ses poumons abîmés par le sable et les acides,
Il lui refuse une bouteille de lait
Une bouteille de lait ? Qu’est-ce que ça peut lui foutre ? Il n’est pas laitier…
Il est Citroën.
Il a son nom sur la tour. Il a des colonels sous ses ordres
Des généraux gardes-chiourmes, espions ? Les journalistes mangent dans sa main.
Le préfet de police rampe sur son paillasson.
Citron ? Citron ? Millions, millions…

Et si le chiffre d’affaires vient à baisser
Pour que, malgré tout, les bénéfices ne diminuent pas
Il suffit d’augmenter la cadence et de baisser le salaire des ouvriers.

BAISSER LES SALAIRES !
Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniche
Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup

Pour mordre, Pour se défendre, Pour attaquer, Pour faire la grève, la grève, la grève !
VIVE LA GREVE !

« Citroën » de Jacques Prévert - © Fatras / Succession Jacques Prévert

In « Octobre – sketches et chœurs parlés pour le groupe Octobre » (1932-1936), Editions Gallimard.
Assurance chômage : « cure de jouvence » ?

Macron considère que le contexte politique lui est favorable. Il veut en profiter pour pousser son avantage, après les ordonnances concernant le droit du travail, visant à « libérer » les forces économiques, (par ex, en facilitant les licenciements pour favoriser les embauches !), et à attaquer les protections des salariés. Les oppositions politiques étant quasi nulles et un front social et syndical incapable de s’organiser, il semble avoir une voie royale devant lui. Pour baisser la dépense publique de 54.6% du PIB à 51% en 2022, il ouvre un autre chapitre, celui de la « rénovation du modèle social » qui « offrirait de nouvelles protections aux actifs et faciliterait les parcours professionnels ». Après avoir flexibilisé le travail, voici le temps de le sécuriser ! Il veut bâtir la flexisécurité à la française. Le 11 janvier, étaient lancées les négociations sur les réformes de l’assurance-chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage, pour être bouclées par une loi en mars. Chaque jeudi, jusqu’au 16 février, les « partenaires » sociaux vont plancher sur la « cure de jouvence » à appliquer. Qu’en est-il ? Qu’en sait-on ? Etendre et contrôler semblent être les deux grands axes.

1 - Etendre l’assurance-chômage

Macron avait promis, dans sa campagne, d’étendre l’assurance-chômage aux démissionnaires. « Je veux que tous les 5 ans, tous les salariés puissent avoir accès à ce droit de chômage s’ils décident de démissionner ». Aujourd’hui, sur plus de 1 million de démissions, 70 000 sont indemnisées. L’étendre « généreusement » pourrait coûter entre 8 et 14 milliards € la 1ère année, puis entre 3 à 5 milliards les années suivantes, chiffres dévoilés par les Echos. A peine annoncé qu’un pas en arrière était fait et des limites posées : cette indemnisation ne pourrait être accordée qu’une fois tous les 5 ans et l’indemnité serait plafonnée. L’on s’oriente donc plutôt vers un toilettage de ce qui existe déjà, puisque l’indemnisation des démissionnaires est possible, dans 15 cas légitimes, comme suivre son conjoint exerçant un nouvel emploi dans une autre résidence, suivre son enfant handicapé placé dans une structure d’accueil éloignée, changer de résidence pour violences conjugales, etc.   

L’autre extension de l’assurance-chômage concerne les indépendants : chefs d’entreprises non-salariés, autoentrepreneurs, artisans, commerçants, professions libérales, sachant qu’un certain nombre de ces indépendants n’y sont pas favorables et notamment l’Union des entreprises de proximité. Ce pourrait être un système optionnel plus avantageux que les assurances privées actuelles mais cela représente environ 3 millions de personnes avec des profils très variés. Il a déjà été annoncé qu’il n’y aurait pas, pour ceux-là, de cotisation supplémentaire puisqu’ils financent déjà le système par la CSG ! 

Tout cela devrait se faire sans augmentation des cotisations alors que des diminutions sont déjà engagées : depuis le 1er janvier, les cotisations salariales maladie et chômage sont remplacées par une augmentation de  1.7 point de CSG. L’UNEDIC, qui perçoit les cotisations chômage et les redistribue aux indemnisables, accuse un déficit régulier : 4 milliards € en 2016 (35.5 milliards de recettes et 39.5 milliards de dépenses) alourdissant la dette et la faisant monter à plus de 33 milliards.

Alors, inconséquence notoire des décideurs ?

L’on peut surtout s’interroger sur ce qui se cache derrière ces propositions.

Le système actuel contributif et assurantiel est assis sur des cotisations sociales payées par les salariés et les employeurs, pour financer des allocations-chômage à ceux qui en ont besoin quand ils sont licenciés, dont le montant varie en fonction du dernier salaire perçu et de la durée de l’emploi perdu. La grosse crainte de ses partisans est qu’il bascule dans un système de minimum social d’un même niveau pour tous. Cette crainte n’est pas sans fondement ; elle est concomitante des régressions inscrites dans la loi Travail. Il ne s’agit en aucune manière de la part du gouvernement des ultra-riches de Macron, de générosité vis-à-vis d’autres catégories sociales. Cette « cure de jouvence » de l’assurance-chômage fait glisser le financement par cotisations obligatoires des salariés et des employeurs à un financement par l’impôt. Du même coup, et c’est le risque, elle pourrait modifier le mode de gestion du système actuel. En effet, quelle légitimité auraient les représentants des salariés et des employeurs à gérer paritairement l’UNEDIC, dans un système où intervient un troisième partenaire ? Irait-on vers un ménage à trois (patronat, syndicat, Etat), puisque l’impôt est mobilisé, pour glisser vers un système totalement contrôlé par l’Etat ?

2 - Contrôler les chômeurs

Pour permettre l’accès à l’assurance-chômage à d’autres catégories sociales, à coûts constants, Macron propose de renforcer le contrôle des chômeurs, c’est le deuxième axe de cette « réforme ».

Les gouvernants d’aujourd’hui, pas mieux que ceux d’hier, considèrent qu’il y a deux catégories de chômeurs : les involontaires et  les volontaires. Aussi, l’affirme Mme Pénicaud, ministre du travail : « il n’y a aucune raison qu’on laisse tranquilles les fraudeurs des Assedic ! ». La chasse aux « fraudeurs » va s’ouvrir. Rien de bien nouveau. La règlementation actuelle impose aux chômeurs d’effectuer « une recherche d’emploi active, concrète et justifiable au moyen de preuves ». Pôle Emploi peut radier celles et ceux qui rejettent à deux reprises sans motif légitime une offre raisonnable ou ne se présentent pas, sans motif valable, à des entretiens individuels, par exemple. Eh bien, il faut mater tous ces « profiteurs » affirme la ministre, cette ex-DRH de Danone qui, bien placée pour connaître le plan de licenciements qu’elle mettait en œuvre, a vendu ses stock-options juste au bon moment pour empocher le pactole de 1.13 million €, soit en une journée, ce que gagnent des millions de smicards ! Profiteuse ? Non !!!!

Peu importe d’ailleurs que les analyses conduites par Pôle Emploi démontrent que le contrôle des demandeurs d’emploi ne donne pas de résultats concluants... parce que ceux-ci ne trichent pas. 215 agents de Pôle Emploi sont spécialement affectés aux contrôles : sur une période de 18 mois (2015/2016), les 269 000 contrôles effectués révèlent que 9 inscrits sur 10 sont actifs dans leur recherche d’emploi ; sur les 14% sanctionnés et radiés, 60% ne percevaient plus d’allocation, on ne peut donc les accuser de « profiter des allocations » ! On n’est donc pas face à une «’armée de profiteurs » qui mettrait tout le système d’assurance-chômage en péril. Mais pour ceux qui veulent réduire les dépenses publiques, l’important est de désigner les «fainéants » pour les livrer à la vindicte des « vertueux » et accroître les radiations pour ceux qui n’accepteraient pas deux offres « raisonnables » ; et pourtant la loi de 2008 qui prévoit déjà une disposition similaire est inapplicable parce que la plupart des offres sont mal libellées, ne mentionnant pas la rémunération ou concernent des contrats courts, très courts… Peu importe ! Le président annonce la multiplication par 5 des agents dédiés au contrôle alors que la baisse des effectifs à Pôle Emploi est déjà réelle et que l’objectif de réduire les dépenses publiques prévoit la suppression de 300 équivalents temps plein (1) alors que les agents de Pôle Emploi sont débordés par les tâches de contrôle et de suivi (tableaux, données informatiques…) prouvant que les objectifs sont atteints… personne n’est dupe.

Plutôt que faire la chasse aux chômeurs, mieux vaudrait faire la chasse aux contrats courts proposés par les employeurs, et appliquer un bonus-malus sur les cotisations patronales, en fonction de la propension ou non du patron à recourir aux contrats courts (moins de 1 mois). Ces contrats coûtent très cher à l’UNEDIC en indemnisations-chômage, environ 6,2 milliards par an, sachant que les CDD très courts représentent 69% des embauches, hors intérim.  Entre 2000 et 2014, les embauches en CDD de moins de 1 mois ont augmenté de 140%. Mais, à peine annoncé cet objectif gouvernemental ne semble déjà plus d’actualité : « Le bonus-malus est une réponse mais il n’a jamais été un objectif en soi » indique-t-on dans l’entourage de Pénicaud alors même que Macron s’y était engagé pendant sa campagne !

Agir  ou réagir

Les points-phares de cette « refonte » de l’assurance-chômage traduisent une volonté de modifier profondément le système existant. Dans le contexte de chômage actuel et, par conséquent, de dépenses importantes en indemnisations, la volonté d’élargir l’assurance-chômage à des catégories sociales nouvelles, le refus d’augmenter les recettes en cotisations de l’UNEDIC en préférant le financement par l’impôt, devraient suffire à nous faire descendre dans la rue pour protester fermement contre la chasse aux chômeurs qui va s’accentuer, la précarité de l’emploi qui va augmenter, le droit de regard et de décision des représentants des salariés (même s’il est largement imparfait) qui va disparaître.

La « cure de jouvence » risque de se transformer en amaigrissement fatal pour l’assurance-chômage. La « réforme » simultanée de l’apprentissage et de la formation professionnelle n’augure rien de moins que la facilitation de la flexiblité, la précarisation de l’emploi. Alors, pourquoi attendre la fin du cycle des négociations ? Il sera trop tard début mars, lorsque la proposition arrivera à l’assemblée nationale. La colère gronde et nos grognements sourds doivent se transformer en actes de résistance collective pour bloquer demain les contre-réformes qui se poursuivent. Laisserons-nous faire ou entonnerons-nous le chant des mineurs américains ? (2)

Dans quel camp tu es ? De quel côté ?

Vous restez là sans bouger, mais comment pouvez-vous ?
Etes-vous un de ces mouchards ou êtes-vous avec nous ?

Ne te vends pas aux patrons, n’écoute pas leurs sottises
Nous, pauvres diables, notre seule chance, c’est qu’on s’organise.

Dans quel camp tu es ? De quel côté ?

Odile Mangeot, le 14 .01.2018


(1)   Source Politis du 16.11.2017       

(2)   Extraits de Which side are you on ? de Florence Reece, épouse d’un leader syndical, lors d’une grève des mineurs, en 1931, dans le canton d’Harlan, Kentucky. Chanson interprétée par Olivier, dans sa conférence gesticulée Chômeurs en miettes à retrouver sur https://conferences-gesticulees.net/chômeurs