Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 30 septembre 2018


Nouvelle Calédonie ou Kanaky ?

Le 4 novembre prochain, suite aux accords de Nouméa de 1998, aura lieu un référendum, la population calédonienne devant se prononcer pour ou contre l’indépendance. Cette colonie française, devenue un département disposant d’une certaine autonomie, fait partie de la chaîne des confettis de l’empire colonial de la « République ». Cette collectivité territoriale, constituée d’îles et d’archipels, est située dans l’océan Pacifique Sud à pratiquement égale distance de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande (1 400 km) mais… à 16 740 km de la France. Sans connaissance du passé imposé par les gouvernements coloniaux, les enjeux présents confinent à la méconnaissance, voire à l’indifférence. Pour les plus aisés, la Nouvelle-Calédonie devrait rester un territoire voué au tourisme quand ce n’est pas à l’enrichissement rapide de métropolitains qui pourraient y séjourner. Or, le passé colonial ne passe pas ; il reste inscrit dans l’histoire de ce territoire malgré les « réformes » néocoloniales. Malgré toutes les tentatives de dissoudre les aspirations à l’indépendance, la volonté de se débarrasser de la tutelle de la France demeure. Pour l’heure, la résistance à l’oppression a connu certes quelques avancées mais surtout à travers des échecs et des répressions sanglantes du peuple Kanak.

Colonisation et résistances

C’est sous Napoléon III, le 24 septembre 1853, que la « France » prend possession de l’île et de ses dépendances. L’heure est à la compétition coloniale avec la Grande-Bretagne. De 1842 à 1906, cette expansion impériale se poursuivra dans cette région Pacifique (Tahiti, Wallis et Futuna, les Nouvelles-Hébrides…). La stratégie d’occupation est pensée en termes de colonisation de peuplement comme en Algérie. Pire, il s’agit de faire de la Nouvelle Calédonie « l’Australie de la France » par la disparition progressive des indigènes kanaks et une terre de relégation (pour les condamnés, Communards et droits communs) (1). 1864 est la date d’ouverture du bagne, qualifié de colonie pénitentiaire à « vocation humanitaire ». Elle s’accompagne d’une politique d’expropriation foncière, d’enfermement des Kanaks dans des réserves. Cette réalité évoque le sort des Indiens d’Amérique du Nord, voire des Palestiniens. L’île n’est-elle pas un territoire sans peuple ou en voie de le devenir ? De 100 000 Kanaks, il n’en reste plus que 34 000 en 1900 et 27 000 en 1920. Malgré la colonisation  de peuplement entreprise, les anciens bagnards restés sur place et les Européens qui se sont installés, ne sont que 14 200 en 1901. La République française va dès lors, encourager l’immigration d’Asiatiques, de Polynésiens pour combler le déficit d’Européens volontaires et ce, d’autant plus que la fin du 19ème siècle est aussi celle de l’exploitation des mines de nickel. Il s’agit, non seulement de « planter du Blanc » mais également, de submerger le peuple kanak d’autres immigrants, ce qui, dans la novlangue deviendra « la riche diversité ethnique ». En effet, malgré le code de l’indigénat (2), imposé en mai 1871, et le recours au « travail forcé » au profit des colons, les Kanaks s’opposent et ne sont même pas intéressés par les salaires de misère dans les mines. Quant aux « colons européens trop rares, trop chers », ils répugnent à travailler à la mine sinon comme gardes-chiourmes (3).

Les révoltes localisées qui s’accumulent sont motivées par le refus du salariat et du travail forcé ainsi que par l’opposition à la christianisation et à la spoliation des terres. En 1878, l’exacerbation est à son comble (4), l’insurrection éclate. Elle va durer 10 mois, provoquant la mort de 200 colons et de 1 200 Kanaks. La répression est impitoyable, 1 500 villages sont incendiés, les prisonniers exécutés, les chefs de tribus déportés. Le chef Ataï est décapité, sa tête est envoyée en 1879 à Paris… au musée ethnographique. Pour encourager les soldats, une prime est versée pour chaque rebelle tué. Mais, comme la soldatesque apportait surtout des oreilles de femmes et d’enfants, la pièce à conviction d’élimination devint la tête, suite à décapitation.

1917, nouvelle insurrection provoquée par le refus kanak de l’enrôlement forcé dans l’armée française et de nouvelles spoliations de terres. La répression fut tout autant impitoyable quoique plus… civilisée. Une prime de 20 francs fut attribuée pour un prisonnier et 25 F pour un « mélanésien » tué.

Noyer le nationalisme kanak

A la répression susmentionnée, succéda en apparence une longue nuit des aspirations kanaks dans la période de l’avant et de la 2ème guerre mondiale (5). Puis vint la période des mouvements de libération nationale. A la fin de la guerre d’Algérie, le gouvernement, conscient du renouveau nationaliste, installa 2 600 Pieds-noirs en Nouvelle Calédonie. En 1972, le 1er ministre Pierre Messmer incita à poursuivre l’effort d’implantation de « blancs » pour constituer « une masse démographique majoritaire y compris avec femmes et enfants ». Cette stratégie fut couronnée d’un relatif succès. Les Kanaks représentant 51.1 % de la population, se réduisirent à 42.4%, remontant à 44 % en 1996. De 2004 à 2009, pour la contrer, 14 000 métropolitains furent installés avec des avantages confortables (salaires des agents de l’Etat (notamment) majorés de 73 à 94 % par rapport à ceux versés en France). Cette marginalisation des Kanaks s’accompagna d’une division géographique. Dans les îles Loyauté, les Kanaks représentaient 94 % de la population, 70 % dans le Nord de la « Grande Terre » et seulement 26 % dans la province du Sud (chiffres 2004).

Le pillage pouvait en apparence se poursuivre : le nickel qui représente 20 % des ressources mondiales fut extrait à raison de 7.5 millions de tonnes par an, la pèche de thons, de crevettes suivit l’augmentation de la demande mondiale. Il fut d’autant moins question d’abandonner ce confetti de l’ex-empire (18 500 km2) après la découverte non encore exploitée de ressources en hydrocarbures du sous-sol marin. En outre, l’heure était aux essais nucléaires à proximité (6) et à la maîtrise des mers, face à la concurrence des USA et de la Chine. Toutefois, c’était sans compter sur la résurgence des mouvements kanaks.

Mobilisations, répression et néo-colonialisme (1974-1988)

1969, apparition des « foulards rouges » du groupe 1878 (en l’honneur de la première insurrection) qui fusionnent en 1975, pour donner le FLNKS après 1979. En 1974, la polarisation sociale s’est accentuée, les « tribus » délaissées ne disposent ni de l’électricité, ni de l’eau courante et l’indépendance acquise par de nombreuses îles du Pacifique dès 1962 fait renaître l’espoir. Le 24 septembre, une manifestation contre la commémoration de la conquête coloniale de 1853 est suivie de nombreuses arrestations, notamment de femmes.

Giscard d’Estaing par le statut Stirn (7) et le plan dit de développement économique tente la stratégie d’intégration. Le Front Indépendantiste refuse ses manœuvres, en appelle à l’ONU. Il est soutenu par les Etats non-alignés et ceux de la région Pacifique opposés aux essais nucléaires français. Les colons lui opposent une stratégie de tensions qui aboutit à l’assassinat du leader indépendantiste Pierre Declerq en 1981. Les Kanaks multiplient les barrages routiers, les sit-in, les manifestations face à l’indifférence affichée du gouvernement français. Le FLNKS en 1984 appelle au boycott actif des élections (49.87 % d’abstention parmi les Kanaks) et ensuite à des actions de plus en plus dures : occupations de mairies, de la gendarmerie de Thio puis d’Ouvéa, séquestration du sous-préfet des îles Loyauté, barrages routiers, occupation de la ville de Thio du 30 novembre au 12 décembre. Aux manifestations pacifiques mais déterminées, les colons répondent par des expéditions meurtrières. Sur les murs de Nouméa, les slogans sont limpides : « Colon prends ton fusil », « Caldoches, aux armes »…  Et le 5 décembre 1984, c’est le massacre de Hienghène, 10 Kanaks sont tués, les 7 colons responsables seront… acquittés en septembre 1986. Le 12 décembre 1986, Eloi Machoro et Marcel Nonnaro, deux leaders indépendantistes, sont assassinés (pardon… « neutralisés ») par le GIGN en collaboration avec des colons d’extrême droite. On apprendra en 1986, aux Assises de l’Aisne, après le retour de la droite au pouvoir, et par la voix d’un ex-gendarme : « Nous avions l’ordre d’exécuter les deux hommes ». Cette période de la gauche au pouvoir, c’est en Kanaky, celle de l’état d’urgence, des ratonnades organisées par les colons.

En 1986, la donne change. Le FLNKS a obtenu la résolution suivante de l’Assemblée générale de l’ONU : « la Nouvelle-Calédonie est un territoire à décoloniser ». Le statut Pons, tout en maintenant la négation du peuple kanak et en procédant à une modeste redistribution des terres, promet un référendum d’autodétermination pour septembre 1987. Le FLNKS appelle au boycott. A la tentative d’élimination des leaders succède celle du quadrillage militaire. 8 000 soldats et unités d’élite débarquent à Nouméa, soit 1 militaire pour 7 Mélanésiens (les nazis furent bien moins nombreux proportionnellement dans la France occupée !) (8). Le FLNKS maintient la mobilisation malgré le rapport des forces défavorable : campagne de boycott des élections, mais tout va basculer le 22 avril 1988.

Ouvéa. Terreur d’Etat suivie d’intégration pour neutraliser

Ce jour-là, l’occupation pacifique de la gendarmerie du village de Feyaoué dérape. Un officier des gardes-mobiles tire, le premier sang versé est kanak, 4 gendarmes sont tués et 16 autres faits prisonniers (non « otages » !). Les militants se réfugient dans la grotte d’Ouvéa. Immédiatement, un contingent de 270 militaires ratisse la région ; par des brutalités, des tortures, ils parviennent à obtenir le lieu où se cachent les « ravisseurs ». Le gouvernement Chirac-Mitterrand (cohabitation) refuse toute négociation et la médiation proposée par le FLNKS. L’option de l’assaut violent est retenue, la zone de guerre est interdite aux témoins et journalistes. Le 5 mai, on dénombre 19 morts kanaks dont des blessés exécutés et 2 du côté des militaires français. Si Chevènement admettra qu’il y a eu des actes individuels contraires au devoir de l’armée mais qu’ils ne sauraient entacher son honneur, si Rocard en 2008 affirmera que « des meurtres ont bien été commis », ceux qui ont donné l’ordre du massacre au sein de la « monarchie républicaine » ne seront jamais inquiétés. Cette « victoire » militaire est en fait une défaite politique. Depuis lors, l’aspiration à l’indépendance est largement majoritaire dans le peuple kanak. Il convient donc de négocier pour neutraliser et gagner du temps. Le 26 juin 1988, les accords de Matignon son signés. Le FLNKS est reconnu comme représentant des Kanaks. Mais le compromis reste flou, silencieux sur le sort des prisonniers politiques. Il est suivi de nouveaux accords sur la composition du corps électoral, le principe d’amnistie sauf exceptions les plus graves ainsi que sur la définition des compétences des 3 provinces. Les accords divisent les indépendantistes, en particulier ceux qui y voient une trahison de l’objectif d’indépendance. Jean-Marie Tjibaou et Yeiwene Yeiwene sont assassinés. Le pouvoir à Paris va jouer sur cette division en pariant sur la dérive politicienne des élus kanaks et la réalité minoritaire des « natifs ». En outre, des pressions vont être exercées sur les Etats de la région qui ont soutenu l’indépendance kanak à l’ONU. La Nouvelle-Zélande quant à elle après les excuses du régime présidentialiste français  percevra, pour la destruction du Rainbow Warrior (9) appartenant à Greenpeace, 7 millions de dollars.
 
Et maintenant ?

Après les tractations sur le corps électoral visant, pour les indépendantistes, à éviter l’afflux de populations européennes et parvenir à ce qui est dénommé « rééquilibrage » - qui est loin d’être atteint - toute une campagne de propagande est développée pour susciter la peur. S’isoler de la France serait catastrophique.

Si la France injecte 1,3 milliard d’euros par an, c’est surtout pour payer les fonctionnaires d’Etat qui résident dans l’archipel. Cette somme ne représente d’ailleurs que 15% du PIB et, par ailleurs, 80 % des compétences transférées sont assumées localement (santé, aides sociales, retraites, infrastructures). Certes, il resterait à financer de nouvelles fonctions (justice monnaie, enseignement supérieur, défense). C’est possible. Depuis 30 ans, des cadres administratifs, politiques… ont émergé. Quant aux coûts, un gouvernement indépendant pourrait abroger la gratuité des installations militaires françaises, remettre en cause la zone économique exclusive marine au profit des industriels français, tout comme le rapatriement de leurs profits en métropole et contingenter, par ailleurs, l’achat de produits français. La Kanaky aurait en effet tout intérêt à construire son développement avec son environnement proche dans le Pacifique. Mais qu’en serait-il de l’apport économique et social de la France ? Et la propagande de faire valoir que le PIB par habitant est supérieur à celui des pays de la Loire, le taux de croissance à 3 % et (en 2011) le salaire médian mensuel de 1 927 euros alors qu’il n’est que de 1 630 en France. C’est occulter, non seulement le niveau moyen des prix, de 24 % supérieur à la zone euro (une pizza vaut 16€  à Nouméa) mais surtout, les inégalités sociales énormes. En 2009, 55 % des Kanaks de 15 à 64 ans sont sans emploi (34 % pour les non-Kanaks), le taux de pauvreté atteint 52 % de la population dans les îles Loyauté, 35 % dans les provinces du Nord et seulement 9 % dans les provinces du Sud où les Kanaks sont très minoritaires. Bref, le rêve d’une « petite patrie au sein de la grande nation française » est principalement celui des colons et des gouvernements français. Le 5 mai 2017, Macron déclarait dans les Echos : « la Nouvelle Calédonie doit rester française ». De même Valls, en voie d’exportation à Barcelone, est allé en mission le 23 février 2018 prêcher dans le même sens à Nouméa, auprès des colons convaincus. Et, dernièrement, Laurent Wauquiez le 13 septembre  y est allé de son couplet : « la Calédonie française autonome mais au cœur de la France sinon c’est l’apocalypse » et, désignant les jeunes petits délinquants : « il faut arrêter ceux qui font le foutoir ». Dans la lignée du « grand dialogue », Macron, du 3 au 5 mai, a tenté de s’inviter lors de la commémoration à Gossana du massacre d’Ouvéa. Sa présence ayant été jugée inacceptable, faute d’accès aux archives de l’Etat et des obstacles non levés pour la vérité, il s’est répandu en mots creux sur les « valeurs (prétendument) partagées entre les oppresseurs et les opprimés ». 

Reste que les Kanaks sont minoritaires et qu’il n’est pas sûr qu’ils réussissent à entraîner avec eux les Asiatiques venus faire souche en Nouvelle-Calédonie malgré les efforts déployés par le syndicat « Union des travailleurs Kanaks et des exploités ». Si le Non l’emporte, ce sera un nouvel échec mais, à terme, comme d’autres confettis de l’Empire, la Kanaky vivra avec son entourage proche. On sait toutefois que l’indépendance politique, au regard de la réalité de la Françafrique qui perdure, ne signifie pas la fin de la tutelle française. La domination économique peut prendre le relais en corrompant les élites locales.

La promesse de référendum qui date de 1987, plusieurs fois différée, prouve, s’il en est besoin, que les manœuvres néocoloniales vont perdurer.

Gérard Deneux, le 23.09.2018

(1)    Le 28 août 1873, Louise Michel est déportée en Nouvelle-Calédonie avec de nombreux Communards. Elle ne sera libérée qu’en novembre 1880. Plus de 2 000 condamnés d’Afrique du Nord, essentiellement des révoltés algériens, furent déportés dans le bagne de Nouvelle-Calédonie.
(2)    Le code de l’indigénat est aboli en 1946. Le bagne est supprimé en 1924.
(3)    Ce sont des investisseurs, notamment la famille Rothschild, qui développeront l’activité minière et métallurgique et la création de la Société de Nickel (SLN)
(4)    Les Kanaks furent d’abord regroupés sur 1/10ème de leur territoire
(5)    Durant la 2ème guerre mondiale, la Nouvelle-Calédonie se rallie à la France Libre dès 1940. A partir du 12 mars 1942, elle devient une importante base arrière américaine contre le Japon
(6)    200 essais nucléaires dans le Pacifique et au Sahara de 1940 à 1996 furent pratiqués, soit l’équivalent de 1 000 fois la bombe d’Hiroshima. Voir le site « Sortir du nucléaire » et celui de l’Observatoire des armements
(7)    La loi du 28.12.1976 donne à la Nouvelle Calédonie, pour la première fois compétence d’attribution dans quelques domaines (notamment missions régaliennes)
(8)    Le quadrillage et l’occupation armée en Nouvelle-Calédonie équivaut à cette époque, proportionnellement, à 7 millions d’Allemands dans la France occupée !
(9)    Le Rainbow Warrior, navire écologique de Greenpeace, coulé par les services secrets français le 10 juillet 1985 en Nouvelle-Zélande. Il devait, suite à son escale, se diriger vers la zone des essais nucléaires, vers l’atoll de Mururoa. Le ministre de la défense, Charles Hernu, au vu de l’ampleur du scandale, dut démissionner

Sources principales : le blog de Saïd Bouamama, Billets d’Afrique avril et mai 2018, le Monde, Politis du 20 au 30 mai 2018


à lire

Pourquoi les riches votent à gauche ?

Cet ouvrage du journaliste et essayiste Thomas Frank, qui écrit régulièrement dans Le Monde Diplomatique, est préfacé par Serge Halimi, directeur de ce mensuel dont l’on ne peut que recommander l’instructive lecture. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre de ce livre il ne concerne pas (directement) la France mais les Etats-Unis dont il nous livre une pertinente analyse. Depuis l’ère Clinton puis celle d’Obama et la prétention d’Hillary de lui succéder, c’est une « classe de professionnels bien diplômés » qui exerce le pouvoir au profit de l’oligarchie. Bill Clinton a réussi à transformer le parti démocrate en parti de l’entreprise et de la finance, annulant le clivage gauche-droite. Occultant l’exploitation, et toute possibilité de répartition des richesses, ces nouveaux évangélistes du marché ne jurent que par la méritocratie dont ils prétendent être les représentants. Prétendus experts, infatués d’eux-mêmes, ils n’ont que mépris pour les perdants, ces travailleurs ordinaires. Pour ces champions des réformes sociétales du féminisme, chantres de l’antiracisme bienveillant, peu importe l’abandon des classes populaires au profit de l’électorat aisé et cultivé, tout comme les écarts de revenus qui explosent. Il suffirait que « les derniers de cordée », responsables d’eux-mêmes, s’éduquent ou « traversent la rue » pour être sauvés, devenir « créatifs ». Ce « racisme de l’intelligence » prend la forme condescendante du mariage de l’argent ostentatoire et du marché de la compassion mondialisée. Cette caste a de fait préparé la victoire de Trump. Ces démocrates US ne s’en remettent pas : ils dénoncent les mauvaises pensées de ce monde ouvrier qu’ils ignorent, les Afro-américains et latinos qui seraient misogynes et les blanches racistes… Il faut dire que la crise dont ils ont été les acteurs inconscients a tout gâché, y compris leur rêve impérial. En partant des ressorts de la politique états-unienne, l’auteur nous invite à de nombreuses comparaisons avec Blair au Royaume désormais désuni, à feu DSK et Hollande, à la grande et désormais piteuse coalition Outre-Rhin… A lire pour s’enrichir de pensées subversives pour contrer tous les démagogues xénophobes qui ne sont que les bâtards du néo-libéralisme. GD
Thomas Frank, ed. Agone, 2018, 25€


Macron : ses pactes et ses plans

Avec Macron, la politique est affaire de pactes, de contrats, pour tout. L’Etat pose ses conditions d’économies à faire en matière de santé, de retraite, de chômage, de pauvreté. Ça ne permet pas de sortir les chômeurs du chômage ou les pauvres de la pauvreté. Ça permet seulement d’évacuer le concept de solidarité qui prévaut, encore, dans les politiques sociales et de l’emploi. Ce qui se prépare pour 2019 ne laisse augurer rien de réjouissant pour les travailleurs privés d’emploi, les familles ou les retraités…
Pour ceux qui ont pu croire que Macron incarnait le président capable de ramener le déficit français à zéro et la dette publique en-dessous de 90 % de la richesse nationale, qu’il suffisait de remettre de l’ordre et de mettre au travail les « fainéants » ou encore de pister les « profiteurs du RSA », le rêve se transforme en mirage face aux chiffres 2018 qui s’annoncent : une croissance à 1.7% du PIB, plus faible que prévue et un déficit public à 2,6 % du PIB, plus lourd que prévu. Quant à la dette publique, elle augmente et atteint 99 % du PIB, soit 2 300 milliards d’euros. Les évangélistes du  modèle économique libéral ne quittent pas la boussole européenne des yeux (déficit, dette…) et Macron, le petit « surdoué » de la classe européenne n’est pas bon du tout ! Il est tenu de rabattre son arrogance et sa popularité est en train de chuter. Il doit calmer les velléités de ses ministres : pas question de réformer les droits de succession, il faut « arrêter d’emmerder les retraités ». On en rit… jaune, car ceux qui vont trinquer sont ceux qui ont besoin, pour vivre, du modèle social de solidarité : les retraités, les familles et les classes moyennes. Il faut bien trouver des économies ! Qui de mieux que les classes moyennes quand les riches sont intouchables  et que les pauvres n’ont droit qu’à la survie ! Nous  développerons ce qui nous attend dans quelques secteurs clés (chômage, santé, retraite, etc…). Pour l’heure, la consigne de Macron à ses ministres est « de mettre davantage l’accent sur les mesures positives ».

Le projet de loi de finances 2019 en dit déjà beaucoup

Les orientations ne changent pas. Si certains projets sont provisoirement abandonnés ou décalés dans le temps, comme la réforme constitutionnelle et la « cure d’amaigrissement de l’Etat » imaginée par le Comité Action Publique 2022 (CAP 22), pour l’heure, il s’agit de rétablir les équilibres des finances publiques en pratiquant une cure d’austérité sévère sur les dépenses, en annonçant la suppression de 50 000 postes de la fonction publique d’Etat d’ici à 2022 + 70 000 dans les collectivités locales, en signant des « pactes Etat-collectivités territoriales » par lesquelles 230 d’entre elles (sur la liste des 322 collectivités établie) s’engagent à maîtriser l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à hauteur de 1,2 % (inflation comprise), ce qui signifie que le gouvernement livre, à terme, les services publics au privé (1).

Le projet de Loi de Finances 2019, présenté le 24 septembre, affiche les priorités gouvernementales. Les fonctions régaliennes sont préservées : la Défense voit ses crédits progresser de 1,7 milliard € pour atteindre 35,89 milliards ; le budget de la Justice augmente de 4,4 % (7,29 milliards) avec 1 300 emplois créés essentiellement dans l’administration pénitentiaire ; l’Intérieur passe à 13,54 milliards (+ 1.65 %) avec 2 500 emplois créés, incluant les effectifs de la « mission immigration » de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et ceux de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; il s’agit d’accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile et de créer des places dans les centres de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière, en totale cohérence avec la loi « immigration » votée au printemps visant à accélérer les procédures de rejet et d’expulsion des exilés.

Parmi les secteurs perdants : l’emploi. Les crédits du ministère du travail diminuent, passant à 12.23 milliards, les effectifs de Pôle Emploi et de l’Agence pour la formation des adultes chutent (- 1 618 emplois) ; la culture et les sports sont délaissés. L’Education nationale perdra 1 800 postes mais c’est le ministère des Finances qui subit la plus grosse purge dans ses effectifs (- 2 283) : la Direction des Finances Publiques aura perdu 30 000 emplois en plus de 10 ans. Raison évoquée par Darmanin et Le Maire : numérisation et modernisation, prélèvement à la source, suppression de la taxe d’habitation, mise en place envisagée du compte financier unique des collectivités locales qui, du fait de la séparation de l’ordonnateur et du comptable élaborent deux comptes (2) : ce ne serait plus le cas ; de même, le paiement en liquide serait supprimé.

Il s’agit de renforcer les pouvoirs de l’Etat dans les secteurs de la police et du contrôle social et de trouver des économies dans les secteurs jugés « moins prioritaires » qui, soit relèvent de la responsabilité des collectivités territoriales soit vont s’ouvrir à la concurrence, c’est-à-dire seront privatisés. On peut imaginer ce dernier scénario pour les services de l’emploi que l’Etat vide de ses moyens humains alors même que le 1er ministre affirme haut et fort : « nous faisons le choix du travail ». Le « travailler plus pour gagner plus » sauce Macron, c’est le 1er ministre annonçant que dès le 1er septembre 2019, les cotisations salariales seront supprimées pour tous les salariés dans le privé comme dans le public. Pour l’heure, elles sont supprimées sur les heures supplémentaires, une manière de donner du pouvoir d’achat aux salariés… en creusant le trou de l’Unedic et de la Sécu.   

Mis à l’épreuve par la réalité du déficit et de la dette qui augmente, Macron veut une communication positive sur les « réformes » envisagées. Sitôt dit, sitôt fait : ses propagandistes annoncent 6 milliards de baisse d’impôts pour les ménages ; ils y incluent le dégrèvement de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages et la bascule entre baisse des cotisations (chômage et maladie) et hausse de la CSG. Ils ne tiennent pas compte du manque à gagner de la non–indexation des allocations familiales, aides au logement et des retraites (+ 0.3 % alors que l’inflation est à 1,7 %), ce qui ramènerait le « gain » pour les Français à 3,5 milliards (selon l’OFCE).

Restent de nombreuses questions sur ces mesures qui « allègent » les impôts des citoyens. Que va-t-il se passer pour les services publics financés par les collectivités territoriales, privées de la recette de la taxe d’habitation ? Comment permettre à tous d’accéder à une formation si, parallèlement, les moyens ne sont pas donnés aux services qui en sont chargés ?

On peut avoir l’impression que le gouvernement navigue à vue mais il semble plus juste de penser qu’il est déterminé à trouver des économies ailleurs, et notamment dans les services publics et les protections sociales de solidarité dont Macron et Cie veulent se débarrasser ou contrôler.

Cible principale : le modèle social de solidarité

Droit au travail ou chasse aux privés d’emploi ?

Surprise ! Le 9 juillet dernier, devant le Congrès à Versailles, Macron annonce une nouvelle période de négociation entre le gouvernement et les « partenaires sociaux » pour mettre en œuvre, dès le printemps 2019, la nouvelle convention d’assurance chômage. Objectif : réduire le taux de chômage par le retour à l’emploi. 

Depuis les années 1990, l’équilibre entre droits et devoirs des demandeurs d’emploi penche vers une logique répressive. Sarkozy en 2008 crée Pôle Emploi avec compétence de radiation des chômeurs. Plus discrètement, Hollande institue un corps spécifique de contrôleurs à Pôle Emploi (mission autrefois dévolue aux services du ministère du travail, la Direccte). Avec Macron, les contrôleurs seraient multipliés par 5 d’ici à 2020 et une nouvelle échelle de sanctions verrait le jour.   

Mieux licencier pour mieux recruter, ça n’a pas marché ! La loi Travail Penicaud a permis de rassurer les  employeurs quand ils recrutent en allégeant les règles de licenciement et en instituant une échelle des indemnisations, ce qui leur permet de savoir combien il leur en coûtera s’ils licencient. Pour l’heure, ça n’a pas permis de diminuer le taux de chômage. Conclusion des néolibéraux riches et repus : ces « fainéants » ne veulent pas travailler, ils sont trop « assistés » ! La preuve ? Ils ne répondent pas aux offres d’emplois. Le Medef annonce 500 000 offres non pourvues, Pôle Emploi en annonce 150 000 précisant que de nombreuses propositions se font hors Pôle Emploi. Il est vrai que depuis 2015, Pôle Emploi externalise, en signant des contrats avec des sociétés privées et, de fait, ne contrôle plus les offres et n’en garantit plus la cohérence, la légalité ou la sincérité. La CGT a récemment réalisé une étude sur 1 700 offres et dénonce plus de 50 % d’annonces fictives et frauduleuses, voire même des chômeurs qui paient pour être embauchés et ne le sont pas (3). Le démantèlement du service public de l’emploi est à l’œuvre depuis quelques années déjà et sa privatisation progressive a complètement transformé la mission d’origine de l’ANPE.

Le projet 2019 de réforme de l’assurance-chômage va encore accentuer le contrôle pour débusquer les « faux chômeurs », ceux qui « ne traversent pas la rue » pour trouver un travail. Les contrôles sont désormais  réalisés sur la base informatique qui enregistre toutes les recherches du demandeur, ce qui oblige celui-ci à utiliser cet outil même s’il sait que ça ne sert pas à grand-chose. « Ceux qui se feront prendre seront ceux qui souffrent déjà de la dématérialisation » ; celle-ci va s’accentuer puisqu’il est question de créer un « journal de bord numérique » que le demandeur devra remplir tous les mois. Ces objectifs de « résultat » vont accentuer l’angoisse des privés d’emploi qui souffrent déjà de la peur d’être radiés, d’être obligés d’aller à une formation inutile qui va leur coûter cher…

Bref, inutile de chercher autre chose qu’une logique comptable dans l’acte III de la « rénovation de notre modèle social » et qu’une reprise en main par l’Etat. Seul compte le retour à l’équilibre des comptes de l’Unedic, dont la dette s’élève à 35 milliards fin 2018. Cette situation ne va pas s’améliorer suite à la loi travail, annulant les cotisations chômage (et maladie) prélevées sur les salaires, pour les remplacer par l’augmentation de l’impôt  CSG, étendant, par ailleurs, l’assurance chômage aux démissionnaires. Pour autant, le gouvernement attend une économie de 1 à 1,3 milliard par an qui s’ajoutent aux 800 millions par an prévus par la convention Unedic 2017.

Avec quels moyens ? L’augmentation des cotisations n’est pas à l’ordre du jour. D’une part, l’Etat veut imposer sa marche en avant de réduction des dépenses publiques, d’autre part, il entend se mêler de la gestion de cette caisse, gérée paritairement, car il y contribue par le biais de l’impôt (CSG). Au final, il s’agit de passer d’un système assurantiel de solidarité à un système de solidarité par l’impôt.

Pour la convention Unedic en discussion, le plan d’action des négociations avec les « partenaires sociaux » portera, notamment, sur plusieurs points qui concernent l’indemnisation chômage des plus précaires. Il est question de réglementer la permittence, à savoir le passage d’emplois courts à l’indemnisation chômage qui, au goût de certains, n’encouragerait pas à retravailler. La part des personnes qui cumulent depuis plus de 2 ans, une allocation chômage et un faible salaire, certes, ne cesse de progresser : de 9 % en 2014, elle est passée à 15 % en 2017. Faut-il s’en étonner quand on remplace les CDI par des contrats de mission et que se multiplient les contrats très courts (pour lesquels l’Etat s’est refusé à proposer un bonus-malus pénalisant les entreprises en abusant) ? Par contre, il est question de refondre le système appliqué aux personnes ayant plusieurs patrons (ex. les nounous) qui permet, actuellement, au salarié de percevoir une allocation en cas de perte d’un employeur. En matière d’économies à réaliser, la ministre propose également de s’intéresser au « rechargement » des droits à une allocation, à savoir, lorsqu’une personne au chômage retrouve un nouvel emploi, les allocations encore dues ne sont pas perdues mais reportées et peuvent être perçues, augmentées de nouveaux droits éventuels, lorsque la personne se retrouve à nouveau sans travail. Enfin, le Medef notamment appelle à instaurer des allocations dégressives pour favoriser le retour à l’emploi ! « Salauds de pauvres ! Au boulot ! »  

La lettre de cadrage est adressée aux « partenaires sociaux » pour aboutir à un accord Unedic en janvier 2019 ? Comment les syndicats peuvent-ils sortir de cette prison, ce cadrage ? Quelles marges de manœuvre ?

Travail et assurance-maladie

Avant l’été, il fut question de faire payer par les entreprises les indemnités journalières liées aux arrêts de travail de moins de 8 jours. Face à la levée de bouclier des PME notamment, Macron a reculé. Néanmoins, cette question des arrêts-maladie risque de refaire surface dans le projet de loi sur la santé au travail (mi-2019) : il s’agirait d’aligner le public sur le privé, en faisant passer les jours de carence du secteur public à 3 jours (au lieu de 1 jour) et d’aller au-delà de 3 jours pour tous.
Relativisons tout de même : les Indemnités journalières pour arrêts inférieurs à 8 jours représentent 4% de la dépense totale des Indemnités, soit 284 millions d’euros sur 10.3 milliards pour l’ensemble des arrêts (maladie « classique 71%, le reste concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles).
Là encore, la logique de recherche des réductions de dépenses prévaut alors qu’il y aurait à s’interroger sur les causes de l’augmentation des arrêts-maladie et notamment, celles dues au recul de l’âge de la retraite et au vieillissement des travailleurs ainsi que celles relatives aux conditions de travail de plus en plus difficiles.

Travail et droit à la retraite

Parmi les grands chantiers de « grand chambardement » prévus par Macron, resurgit celui de la « réforme des retraites ». Pendant sa campagne présidentielle, il avait annoncé : « Nous créerons un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé » en unifiant les 37 régimes existants. Pour l’heure, il en a retardé le lancement. L’enjeu est considérable, à la fois pour les salariés et pour le gouvernement car, derrière l’affirmation de Macron, drapée d’égalitarisme, se cachent des intentions autrement pernicieuses : la volonté d’assurer la gestion de toutes les retraites directement par l’Etat, dans le but de garantir auprès des autorités européennes la baisse des niveaux de pensions, mais aussi le remplacement de la solidarité au sein des régimes par des mesures d’assistance par la puissance publique réduites a minima. Il s’agirait en effet de faire table rase du système de retraite de la Sécurité Sociale, progressivement construit depuis 1945, de remettre en cause les mécanismes de redistribution et de solidarité. Ce sont donc les plus précaires qui y perdront le plus car ils cotisent moins.

L’actuel système de retraite, par répartition, basé sur les trimestres cotisés, permet que les cotisations de tous les actifs de l’année N collectées et globalisées financent toutes les pensions de l’année N. La démarche est collective et ouvre des possibilités d’aménagement de solidarités dans la distribution des pensions. Elle disparaîtrait au profit de la retraite par capitalisation (par point). Le « capital » constitué est transformé en rente mensuelle. La démarche est individuelle ; le niveau des pensions est alors soumis aux aléas du marché boursier et à l’âge de départ en retraite.

Remplacer les régimes par répartition, construits sur la redistribution et la solidarité, par un régime unique par points dégraderait le niveau des pensions de tous les retraités, notamment les plus défavorisés, dont les femmes. Les Suédois le vivent : avec la réforme des régimes de retraite, le taux de remplacement est passé de 80 % à 62 % (4).

Jean-Paul Delevoye, nommé Haut-Commissaire aux retraites en septembre 2017 a évoqué un projet de loi présenté en conseil des ministres début 2019 avec adoption prévue avant l’été. Macron, poussé par les instances européennes est retenu par l’enjeu de cette réforme, et le mouvement de contestation qu’elle ne manquerait pas de déclencher. Ce pourrait être la « réforme » de trop, mais qu’importe pour l’ex-banquier de Rothschild qui, s’il devait y perdre la présidence, aurait satisfait l’avidité des vautours des fonds de pension.

Pour l’heure, il se refait une vertu en annonçant son plan Pauvreté.

 Plan pauvreté

Quand le président des riches se lance dans un plan Pauvreté, on se méfie ! Certes, il lui faut calmer « l’aile sociale » des LRM mais, que ce cache-t-il derrière cette intention ? C’est son « tournant social » car il veut « lutter contre le déterminisme social », « inventer l’Etat Providence du XXIème siècle » ! ça craint vraiment quand il l’annonce comme la 1ère étape d’une série de chantiers : hôpital, retraites, dépendance, assurance-chômage, santé…   

2 milliards par an… sur 4 ans pour le plan pauvreté dont une partie correspond à des redéploiements budgétaires. C’est à mettre en regard de la réduction fiscale 2018 de 7 milliards d’euros pour les plus riches !

Qu’en est-il ? Création de crèches dans les quartiers « prioritaires », des petits déjeuners dans les écoles primaires et tarifs sociaux dans les cantines, de la garantie-jeunes prolongée… bref ! Que des vieilles recettes, pour son « monde nouveau », qui ont déjà démontré qu’elles n’ont pas fait sortir la masse des pauvres de leur situation précaire : elles leur ont maintenu la tête hors de l’eau.

Son « monde nouveau », par contre, se cache dans la mesure principale : le RUA – revenu universel d’activité -  qui n’a rien d’universel ! Le RUA (n’a rien à voir avec le revenu universel d’Hamon) a vocation à regrouper des «prestations de solidarité » dans une seule allocation. Lesquelles ? On ne sait pas encore. Il serait question du RSA, des Allocations logement, de l’Allocation Sociale de Solidarité, de la prime d’activité, de l’Allocation d’Adulte handicapé, de l’Aide Sociale pour les personnes âgées… Il promet, pour les pauvres, des droits supplémentaires comme l’accompagnement renforcé avec un service public de l’insertion, là encore rien de bien nouveau, sauf qu’il faut mettre les moyens adéquats. Ne serait-ce pas plutôt un contrôle renforcé ? Car les allocataires de ce RUA (ceux qui sont en-dessous d’un certain seuil de revenu) auraient des devoirs supplémentaires : signer un contrat d’engagement dans un parcours d’insertion et privés du RUA s’ils refusent deux empois « raisonnables » : « Tu acceptes un boulot même des plus précaires ou t’as plus rien » ! C’est la méthode Macron pour lutter « contre le déterminisme social » ! Le RUA est déjà mis en œuvre au Royaume-Uni et cela a eu pour conséquence la réduction des revenus des plus précaires.

La prime d’activité, quant à elle, est dans le collimateur de Lemaire et Darmanin. Cette prime attribuée aux travailleurs à faibles ressources concerne 2.67 millions de ménages. Et voilà qu’elle augmente  de + 7.5% en un an, soit 6 milliards en 2018 contre 5 milliards en 2017. C’est que les contrats courts ou les p’tits boulots mal payés ça fait augmenter la prime d’activité ! Solution proposée : baisser le seuil d’accès à cette prime (actuellement, 1.3 smic pour une personne seule).  

Plan Pauvreté = poudre aux yeux ! Personne n’y croit, même ceux qui l’ont concocté. Si Macron veut vraiment lutter contre le déterminisme social, il doit augmenter les minima sociaux et rétablir l’impôt sur la fortune, supprimer les niches fiscales… « La fraude fiscale est estimée à 100 milliards d’euros en France, de quoi financer 12 plans Pauvreté à la sauce Macron » le Canard Enchaîné.


Nous ne sommes pas tombés de la dernière pluie pour ne pas comprendre ce qui se cache derrière les mots du néolibéral autoritaire Macron. Mais ça ne suffit pas. Nous avons à faire comprendre, le plus largement possible, au-delà des rangs des militants, que les « réformes » qu’il nous promet relèvent de la même logique ultralibérale, livrant tous les secteurs de la vie aux marchands, fonds de pension, acteurs privés, pour faire de l’argent. Nous avons à expliquer la logique des « réformes » qui n’ont rien à voir avec l’Etat-providence du 21ème siècle mais à nous tenir soumis et prisonniers d’un système livré aux vautours et aux prédateurs. Nous ne voulons pas signer de pacte avec le diable ! Il y a urgence à s’organiser, avec et au-delà des syndicats, pour stopper ces plans et ces pactes-là et ceux qu’il a encore dans ses tiroirs (plan Santé, loi d’orientation sur les mobilités, loi sur l’agriculture et l’alimentation, le Pacte sur la croissance qui annonce les privatisations à venir, etc.). « Les fonds d’investissement n’ont jamais autant convoité les affaires publiques. Ils sont très bien représentés dans le Comité Cap 2022 (cf encart) mis en place par Macron pour réfléchir à la « réforme de l’Etat ». Ces mastodontes du privé y poussent leurs pions, privilégiant leurs intérêts au détriment de ceux du service public » (5).

Odile Mangeot, le 26.09.2018         

(1)   Au 30 juin 2018, 230 collectivités ont signé un pacte. En Bourgogne Franche-Comté : la Région, des départements du Doubs, de Haute-Saône, du Jura, la communauté d’agglo du Grand Besançon, celle du pays de Montbéliard, la ville de Besançon, Dijon… (voir liste_signataires_contrats-etat.pdf). La loi de programmation des Finances publiques 2018-2022 a prévu 13 milliards d’économies sur leurs dépenses de fonctionnement d’ici 2022. Les contrats de 3 ans font l’objet de bilans qui entraînent des bonus pour les collectivités « vertueuses » et des pénalités pour les « dépensières » ! 
(2)   Ce principe fondamental de droit administratif garantit le contrôle par le comptable (trésor public) de la régularité et de la probité des dépenses et recettes ordonnées par  le maire/président du département et de la région. Seul le comptable est chargé du maniement des fonds. Darmanin a annoncé lever ce principe pour cause de « doublon »   
(3)   La lettre d’information du Front Social n° 160 du 9.9.2018 « Les arnaques des officines privées soi-disant fournisseurs d’emplois » (interview du Comité CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires
(4)   Sources : la CGT Contact
(5)   Politis 17 mai 2018

Encart                   Le privé en embuscade
Le co-président de CAP 2022, Ross McInnes, président de Safran, entreprise qui travaille avec l’Etat pour la sécurité intérieure et l’aéronautique, s’est rapproché d’Airbus pour bénéficier d’une privatisation d’Ariane 6. Quelle « modernisation » de l’Etat défend-il, au moment où l’industrie spatiale privée est en plein boom ? Quelles seront les préconisations du même Ross McInnes pour réaliser des économies dans la fonction publique hospitalière, alors qu’il siège au conseil de surveillance du premier groupe de cliniques privées en France, Générale de Santé ? Quel sera l’agenda de J.F Cirelli, président pour la France du fonds BlackRock, présent au capital de 172 des 525 sociétés françaises cotées en Bourse, dont Vinci, Eiffage et Veolia ? Le président de la branche française de Macquarie Capital défend-il l’intérêt général au sein du Cap 2022, alors que son fonds possède 49 % des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et figure parmi les candidats au rachat d’Aéroports de Paris….
Politis du 17 mai 2018