Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 5 novembre 2018


Vers l’épuisement de l’ère de la mondialisation

Sans entrer dans le détail des facteurs structurels ayant concouru à l’émergence de la mondialisation et  conduit à se défaire du « carcan » keynésien, l’on peut souligner la saturation des marchés nationaux, la combativité ouvrière des années 68, la baisse du taux de profit, la défaite étatsunienne au Vietnam, la fin d’un dollar arrimé à l’or… Pour rebondir, le capitalisme a trouvé un nouvel essor dans la financiarisation, l’exportation des capitaux, la délocalisation d’usines à la recherche de main d’œuvre à bas coût, les innovations technologiques et le recours à l’endettement. Les chaînes de production de la valeur ont explosé aux quatre coins du monde. 42 % de la production est réalisée dans les pays du Sud contre 27 % en 2000. Cette industrialisation, qui a pris la forme d’usines d’assemblage puis de biens de production, a muté dans certains pays comme la Chine ou la Corée du Sud dans la confection de produits de haute technologie au détriment des pays centraux.

Produisant dans les pays du Sud, les firmes transnationales et les capitaux ont pris une distance avec leur propre Etat. Qui plus est, en plaçant leurs profits dans les paradis fiscaux, elles sont de fait déconnectées des conjonctures nationales dont elles sont issues. Les Etats sont désormais contraints, par les règles qu’ils ont eux-mêmes organisées (OMC, FMI…), à être en concurrence entre eux pour attirer les « investisseurs » étrangers sur leurs territoires (dumping fiscal et social). Quant aux entreprises qui produisent toujours sur le marché national, elles sont soit cannibalisées (externalisations) soit  fragilisées. Toutefois, les Etats capitalistes les plus avancés restent au service des transnationales, ne serait-ce que pour leur procurer des débouchés et mettre la main sur les matières premières dont elles ont besoin, tout en délocalisant les productions les plus polluantes dans les pays du Sud sur lesquels elles peuvent exercer des pressions.

Les deux phases de la mondialisation

La première phase fut une embellie : les faibles coûts de main d’œuvre, les gains de productivité, l’euphorie boursière, la spéculation se sont traduits par un formidable bond en avant. L’essor des nouvelles technologies a semblé donner un second souffle à la vitesse de circulation du capital et à sa capacité à inciter les consommateurs à acheter toujours plus en recourant au crédit. Cette phase s’est close en 2007-2008. Mais cette grande crise fut précédée de bien d’autres qui l’annonçaient.

Toujours est-il qu’on assiste, dans la dernière décennie à deux phénomènes concurrents d’épuisement de la mondialisation : le ralentissement au Sud des gains de productivité et du commerce mondial. La hausse des salaires et la réorientation de certains pays vers des activités à fort contenu technologique d’une part, et d’autre part, des mouvements de capitaux erratiques dans d’autres pays du Sud. En effet, le Brésil, la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud et même la Turquie et l’Argentine, qui n’ont pas réussi à dépasser leur spécialisation initiale fondée sur la fourniture de matières premières, sont l’objet de fuite des capitaux et de politiques d’austérité, de privatisations, pour les inciter à revenir.

Dans les pays dits centraux (USA, Europe de l’Ouest, Japon), on assiste, comme au Sud mais sur un mode différent, à un phénomène de dislocation sociale : collectifs ouvriers atomisés, précarisation et polarisation des emplois (très qualifiés, disqualifiés), rétrécissement des possibilités d’ascension sociale, creusement des inégalités et déstabilisation des Etats-Nations.

Pour tenter d’y remédier, les gouvernants se sont lancés dans une fuite en avant périlleuse. Pour attirer les capitaux et les firmes transnationales, ils n’ont rien trouvé de mieux que la logique exacerbée de la concurrence fiscale : le taux moyen de fiscalité dans les pays dits  avancés, de 44 % dans les années 1990 a décru à 33 % en 2017, voire à 27 % aux Etats-Unis sous l’effet Trump. Cette défiscalisation des profits s’ajoute à l’évasion fiscale, appauvrit les Etats qui se sont déjà surendettés afin de renflouer les banques suite à la crise de 2008.   

Trump, l’impérialisme chinois et autres sous-impérialismes

La politique initiée par Trump vise à rapatrier les profits US à demeure par la baisse des impôts sur les sociétés, quitte à creuser le déficit déjà énorme de l’Etat fédéral. Ce recentrage expansionniste de « l’Amérique d’abord » s’accompagne de la renégociation, à l’avantage des Etats-Unis, des accords multilatéraux (Mexique, Canada, Europe) et d’une volonté de détruire le cadre juridique construit lors de la première phase de la mondialisation (OMC en particulier). En outre, son adversaire principal reste la Chine. Au demeurant, cette politique est inadaptée, incohérente vis-à-vis du libre-échange telle qu’elle s’est construite lors de la première phase d’expansion de la mondialisation : les importations US correspondent, en grande partie, à des investissements de firmes états-uniennes dans les pays comme la Chine, le Mexique… Il ne peut en résulter qu’une lutte au sein même de la classe dirigeante des Etats-Unis et, à l’extérieur, une confrontation avec les Etats les plus réticents à se soumettre. La Chine, à la différence d’autres pays, possède la capacité de se recentrer sur son énorme marché intérieur. Elle poursuit, par ailleurs, avec la montée en gamme de sa production et son programme de gigantesques infrastructures (1 000 milliards de dollars dans plus de 60 pays), sa pénétration du marché mondial.

La montée des tensions et la possibilité d’extension du domaine de la guerre sont déjà inscrites dans la réalité géopolitique et dans l’avènement de pouvoirs autoritaires : la course aux armements, l’accroissement des ventes d’armes de plus en plus sophistiquées et meurtrières, la dénonciation par Trump de l’accord nucléaire avec l’Iran, le régime des sanctions et contre-sanctions en représailles, les blocs qui se constituent, USA et Europe chancelante contre Russie, Iran, Chine...

Les bâtards de la mondialisation

Le Financial Times l’a avoué : la montée des nationalismes, de la xénophobie, de l’extrême droite, « c’est le véritable héritage de la crise financière mondiale et de la politique d’austérité qui s’en est suivie ». Ainsi, au Royaume-(des)Uni, le Brexit résulte principalement de la baisse des dépenses sociales de 2010 à 2015 (23 %),  de la desindustrialisation, du chômage et de la concurrence entre salariés. Ce constat vaut pour l’Europe en voie de fractionnement où les dettes publiques et privées ne cessent de s’accumuler. Les classes dominantes des pays qui la constituent sont désormais tentées de recourir à la coercition, voire de composer avec la droite extrême pour éteindre l’incendie qui couve, après avoir sauvé les pyromanes que sont les bancocrates et les rentiers du capital. D’autant que nombre d’éléments des classes dirigeantes sont conscients de la nouvelle crise qui arrive, sans savoir quels en seront les déclencheurs et le moment où elle se produira. Un social-libéral anglais, adepte en son temps de la 3ème voie de Blair, s’inquiète : « Nous n’avons plus de munitions disponibles. Quand la prochaine crise se produira, nous découvrirons que nous n’avons plus de marge de manoeuvre fiscale ou monétaire, ni la volonté d’en user et la nécessaire coopération internationale nous fera défaut ».

Les classes ouvrières et populaires pourront-elles relever ce défi, tout comme celui consistant à faire face aux enjeux climatiques et migratoires ?

Gérard Deneux, le 25.10.2018


Aquarius, un symbole

Dans notre n° 44 de mai 2018, nous évoquions la non-assistance à personnes en danger au regard de la politique de refoulement aux frontières européennes des errants de la guerre et de la misère. Alors qu’en Europe, les résultats électoraux mettent au pouvoir l’extrême droite, les humanistes et internationalistes font actes de solidarité envers les migrants qui se noient dans le bleu de la mer ou dans le blanc de la montagne. Les maltraitants, eux, mettent tout en œuvre pour contenir les migrants hors d’Europe et, en même temps,  criminalisent de plus en plus ouvertement les bienfaiteurs. La politique européenne « commune » en matière de migrations qui fait consensus est celle qui fait tout pour que les exilés ne mettent pas un pied sur le sol européen.   

En Méditerranée, la barbarie s’installe

L’Aquarius, navire-symbole de sauvetage – en 2,5 ans d’existence, il a secouru 30 000 naufragés - affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, vient de vivre ces derniers mois des évènements illustrant la politique des gouvernements de l’UE que l’on peut qualifier de criminelle.

Débarquer dans un port : mission impossible
Début juin, 630 migrants sont débarqués à Valence en Espagne, suite au refus de l’Italie d’autoriser l’Aquarius à aborder dans ses ports ainsi que celui de Malte. Au cours des 9 jours d’attente insupportable de la  décision des autorités, la chaleur de l’accueil et la détermination de l’équipage ont permis que cette opération ne tourne pas au drame. C’est que, en Italie, Salvini (extrême droite) est devenu co-président du Conseil et ministre de l’intérieur. Le symbole de résistance humanitaire de l’équipage de l’Aquarius doit être cassé. Cynique, il affirme : « Les passagers (de l’Aquarius) ne peuvent pas décider de quand commence et quand finit la croisière ( !)…. ». Côté Conseil Européen, ça patauge ! Le 29 juin, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus pour créer des « centres contrôlés » en Europe, pour faire le tri et détecter les « irréguliers », puis répartir les « bons » dans les pays « volontaires »... sauf que les volontaires ne sont pas légion : 5 pays sur les 28, ceux de l’Est mais aussi d’autres comme la Suède ou la Belgique refusent. Macron, donnant l’apparence du chef de file conciliateur, euphémise « les coalitions internes sont compliquées ». Quand il s’agit de sauver la vie de plus de 600 êtres humains, tous se réfugient derrière le droit international maritime considérant que les migrants secourus doivent être débarqués dans le port sûr le plus proche sauf que ceux-là,  italien et maltais, refusent. Les parties de ping-pong diplomatique se sont répétées en août et septembre. Le 14 août, après plusieurs jours de crise, une solution a été trouvée pour l’Aquarius qui avait à bord 141 migrants sauvés au large de la Libye, à 75% de Somaliens et des Erythréens ; ils sont répartis entre l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Luxembourg et le Portugal. 141 ! Une goutte d’eau dans la mer ! Le 25 septembre, 58 « indésirables » attendent devant le port de La Valette. Hors de question pour Malte - ce paradis fiscal de l’UE, lieu de tourisme pour riches – de les accepter ; après plusieurs jours, ces Libyens, Pakistanais, Syriens, sont transbordés sur un navire maltais suite à un accord au forceps, 4 Etats européens finissant par se les répartir : 18 en France, 15 en Allemagne, 15 en Espagne, 10 au Portugal ! « Bienvenue en Europe ! »

Mission européenne : refouler et non sauver
Lors du sauvetage de la cinquantaine d’enfants, femmes et hommes, qui le 25 septembre, tentent de gagner l’Europe dans une embarcation qui commence à prendre l’eau, l’équipage de l’Aquarius se retrouve face à face avec les garde-côtes libyens furieux de voir que les humanitaires ont entrepris le transfert des personnes en danger. Le capitaine de l’Aquarius maintient sa position de ne pas les livrer à la Libye et fait face aux hurlements « Vous ne respectez pas nos instructions ! Nous vous avons dit de ne pas intervenir. Vous allez avoir de gros problèmes…Vous encouragez les migrants à aller en Europe… Vous nous désobéissez » ! 

C’est que, depuis juin, l’Organisation maritime internationale (sous pression de l’UE) a reconnu les garde-côtes libyens compétents exclusifs en matière de coordination des secours dans les eaux internationales au large de la Libye. Ils sont chargés de refouler les migrants vers la Libye. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies a fait remarquer que ce pays n’est pas un lieu sûr pour débarquer des personnes secourues en raison des graves maltraitances, tortures, extorsions d’argent, travail contraint quasi esclavagiste… Tout le monde le sait mais la Libye reçoit des fonds européens pour bloquer les départs… peu importe les méthodes !

Et cet Aquarius qui persiste à assister les personnes en danger ! Stop ! En l’espace de deux mois il aura perdu son port d’attache italien et à deux reprises, son pavillon (une première fois de Gibraltar et cette fois de Panama). Il est cloué à quai à Marseille, dans l’attente de retrouver une bannière sous laquelle naviguer. Depuis le début de l’été, plusieurs autres navires humanitaires sont bloqués à Malte, empêchés de repartir en mer. Sur une dizaine de bateaux humanitaires de sauvetage l’an dernier, il n’en reste pas pour patrouiller en Méditerranée centrale.

Les responsables des Etats européens organisent de facto la pénurie de secours en mer, foulant au pied le droit maritime. Ils ferment les yeux sur les tortures, les viols… en Libye et se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les cris de ceux qui se noient !  Méditerranée : cimetière marin d’une humanité en détresse. Un membre de MSF, né en Tunisie, installé en Italie, ne trempe plus un pied dans la Méditerranée « Elle a avalé trop de gens » dit-il. De 2014 à 2017 : 15 000 morts estimés et depuis janvier, 1 728 noyés ou disparus. Ces chiffres sont des estimations car, comment compter des hommes et des femmes que l’on ne compte plus car ils ne comptent pas ? Politique criminelle ? Oui, on peut l’affirmer.

Qui a provoqué le chaos ? En Syrie, en Libye ? Qui intervient au Sahel, au Mali, en Centre Afrique ? Qui a engagé les interventions militaires et ingérences dites humanitaires pervertissant un processus de révolution démocratique ? Pourquoi déplorer, dès lors, l’augmentation des arrivées de migrants en Europe ? 215 000 en 2017, 105 000 à mi-2018 ? Ils fuient la guerre et la misère et nous les traitons comme des pestiférés. Nous les laissons se noyer, en silence, ou nous les enfermons dans des camps comme des déchets humains ! C’est nous qui finançons ces camps en Turquie, en Libye, qui laissons l’Algérie renvoyer tous ces indésirables dans le désert… à la mort.

Serait-ce la nouvelle barbarie du 21ème siècle ? Ouverture de camps, aux portes de l’Europe, dans lesquels survivent ceux dont l’existence est en attente… repartant toujours sur des parcours sans fin… sans pouvoir reconstruire leur vie quelque part.  

Mais, nous dit-on l’immigration irrégulière est un problème !

La propagande formate l’esprit des gens. Le discours et les mots utilisés ne sont pas neutres. En France, l’Etat parle de « réfugié » pour celui qui a obtenu un statut, celui-là n’est pas un problème (ils sont peu  nombreux, le statut est accordé à environ 30 % des demandeurs). Le problème c’est le « clandestin », « l’irrégulier ». Ils seraient un million en UE. Quel crédit donner à ce chiffre ? Sachant que c’est l’agence Frontex, chargée de refouler les migrants, qui compte… non pas les personnes mais les entrées en UE. De plus, elle ne compte pas les sorties, alors que la moitié des migrants sortent au bout de 5 ans. Et s’ils étaient 1 million, cela représente 0.2 % de la population de l’UE !  On est très loin de l’invasion et du « grand remplacement » !

Le réfugié serait plus légitime que le migrant ? Cette distinction est, en fait, fruit de la construction de la politique d’immigration. En 1951, la Convention de Genève choisit de retenir le concept de réfugié, comme un persécuté. Cela n’est pas neutre à l’époque où se situe la discussion (période de la guerre froide) : deux conceptions s’affrontent, les « socialistes » (de l’époque) pour qui le réfugié est une victime des inégalités économiques, et le bloc occidental pour qui le réfugié est un persécuté. Tous les dissidents du bloc communiste seront réfugiés, automatiquement, mais pas les autres. Dans le droit actuel, cette conception prévaut encore, à la différence que celui qui prétend au statut de réfugié doit fournir les preuves individuelles de ses persécutions, ce qui n’était pas le cas jusqu’à la fin des années 80. Après la chute du « bloc communiste », le concept n’a pas évolué et, pour l’heure, pas question d’instituer un statut de « réfugié de la faim » ou réfugié économique, encore moins de réfugié climatique. Le droit évoluera quand les politiques considèreront que l’immigration n’est pas un problème ou une variable d’ajustement d’une main d’œuvre exploitable et jetable à souhait, mais une opportunité et une richesse, dans une Europe vieillissante. Ça ne se fera pas sans poussées des militants de base et des migrants.  

A l’inacceptable, nul n’est contraint

Externaliser, le maître-mot de la politique migratoire de l’UE ; pour ne plus avoir à rejeter les « indésirables », mieux vaut les empêcher d’arriver. Cette façon de penser, à quelques divergences près, est majoritaire. Le camp des anti-migrants se renforce : Autriche, Italie, groupe de Visegrad (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne), Suède, Danemark prônent une Europe fermée. Depuis 2015, des mesures ont renforcé la protection des frontières extérieures : élargissement des pouvoirs de Frontex, création de « hot spots » centres de tri des migrants en Italie et en Grèce, accord avec la Turquie, accords bilatéraux avec les pays pour le renvoi de leurs ressortissants. Les 28 viennent de décider d’explorer les « plates-formes de débarquement régionales » hors de l’UE, autrement dit des centres de tri. Le financement des garde-côtes en Libye où prospèrent des réseaux maffieux gérant des prisons « sauvages » sur les routes migratoires ou encore le contrôle par le Niger des candidats à l’exil des pays voisins (pour 230 millions€), tout est fait pour empêcher les migrants de passer. La garde civile espagnole a expulsé récemment 116 migrants au Maroc. Les Marocains renvoient les Subsahariens vers le sud. L’Algérie renvoie des migrants dans le désert… sans que la « communauté internationale » ne s’émeuve de tous ces méfaits.

Salvini, lui, poursuit son chemin. Le 1er octobre, il arrête Domenico Lucano, maire de Riace, en Calabre, qui a fait revivre sa commune de 2000 habitants en accueillant 600 migrants. Malgré les manifestations de soutien, Domenico est interdit de séjour dans sa commune, accusé d’avoir autorisé des mariages blancs et enfreint la réglementation des marchés publics pour favoriser des entreprises locales recrutant des migrants. L’attitude de Salvini est emblématique du virage politique de l’Italie, inquiétant tournant vers un régime autoritaire ?

La France, elle, cache ses pratiques : elle « éloigne » les migrants, via les préfets chargés de mettre en œuvre les plans de lutte contre l’immigration irrégulière, se félicitant aussi de pourchasser les « faux » mineurs grâce aux contrôles des brigades des chemins de fer…. Au pays des Droits de l’Homme, le soupçon est roi ! Laisserons-nous encore longtemps se répandre l’idée nauséabonde du bouc émissaire, le « tricheur », le « parasite » le « menteur » ? L’arrivée de mineurs isolés ne devrait-elle pas déjà nous interroger sur le vécu et l’avenir de ces enfants cherchant refuge, livrés à tous les dangers de l’errance ?     

L’obsession pour le refoulement de l’immigration dite clandestine et l’identification de « faux » réfugiés ont fini par produire un retournement du droit d’asile, déligitimant quiconque ne correspond pas aux critères définis. Les politiques anti-migrants qui se multiplient dans les pays de l’UE sont toutes des impasses. Elles ne règlent rien. Elles déplacent les migrants.


Refuser la banalisation des actes inacceptables. Soutenir les initiatives de solidarité, lutter pour les sans-papiers, occuper des logements, signer les appels, comme le Manifeste « Pour l’accueil des migrants », faire connaître l’association nationale des villes et territoires accueillants, revendiquant un accueil inconditionnel, soutenir les militants solidaires condamnés, refuser le modèle de société qui se profile, celui de l’intolérance, de l’exploitation, dénoncer les financements européens de l’esclavage et la torture dans les camps en Libye ou ailleurs. Tous ces actes de résistances sont salvateurs à condition qu’ils réussissent à bousculer les schémas idéologiques imprimés dans les têtes à force de contre-vérités racistes, du type « il y en a trop » ou « ils profitent de nos aides sociales », etc… pour construire une société multicolore, multiculturelle de justice et d’égalité, pour qu’existe un droit international de l’hospitalité. La solidarité est là. La preuve ? Il n’y a plus de navire-sauvetage en Méditerranée que déjà des « pilotes volontaires » survolent la mer à la recherche d’embarcations de migrants qu’ils signalent aux bateaux naviguant à proximité… L’espoir en un monde plus solidaire est permis.

Odile Mangeot, le 24.10.2018        

   



 


Contre-vérités. Fondement de la xénophobie.


La montée de l’extrême-droite et la réalité des migrations ont remis au goût du jour des contre-vérités : la concurrence des travailleurs sur le marché du travail, l’importance du chômage et de la précarité semblant leur conférer une apparente vraisemblance. Ainsi, la baisse des salaires serait liée à l’arrivée d’une main d’œuvre étrangère. « Ceux venus d’ailleurs » priveraient les travailleurs français d’emplois. Ils provoqueraient, par les aides qu’on leur octroie, un déséquilibre des comptes sociaux et participeraient de fait à la casse des acquis, voire de la sécurité sociale elle-même.

L’histoire enseigne une tout autre version contredisant ces fantasmes. Au 19ème siècle, le patronat français fit appel à des centaines de milliers d’étrangers, belges, italiens, polonais. Ils furent plus d’un million en 1880. Dans les usines et dans les mines, ils participèrent au décollage du capitalisme industriel, le pouvoir, à la différence du Royaume-Uni, ne pratiquant pas avec la même brutalité la prolétarisation des paysans. Pour la classe dominante, l’apport de main d’œuvre étrangère était une opportunité comme elle le fut lors desdites Trente Glorieuses. Ce n’était nullement un fardeau. De fait, indépendamment de la surexploitation dont furent victimes les nouveaux prolétaires, l’ensemble de la population française connut une augmentation indéniable du revenu par habitant, la réduction du chômage, l’amélioration de l’équilibre des finances publiques.

Les raisons de ce constat sont structurelles : les non-nationaux consomment, travaillent, paient des impôts, versent des cotisations sociales. Par ailleurs, contrairement à une idée répandue, ils ne prennent pas les emplois que les Français délaissent. Ils occupent les postes les plus dangereux, les plus éprouvants et les plus mal rémunérés dans le BTP, la restauration, les services... Les études sociologiques démontrent qu’au cours de cette période des années 60, les immigrés ont permis aux Français ainsi qu’à l’immigration plus ancienne (Espagnols, Portugais…), de grimper dans l’échelle sociale. A Renault, par exemple, les Algériens se retrouvaient à la chaîne, les autres s’en détachaient pour devenir chefs d’équipe, contremaîtres. Deux facteurs jouaient en ce sens, la discrimination et le racisme certes, mais également la maîtrise du français, leur permettant de s’extraire, relativement, du travail le plus disqualifié.

On pourrait objecter que, désormais, avec la mondialisation et son cortège de délocalisation-externalisation, désindustrialisation, l’époque n’est plus la même ; l’absence de croissance ne permettrait plus d’absorber ce « flux » de migrants et « nous » coûterait « un pognon dingue ». Une étude très officielle de Hillel Rapoport, comparant ce que coûtent les étrangers et ce qu’ils rapportent, vient contredire ces propos stigmatisants. Si l’on soustrait la somme correspondant aux impôts sur le revenu, CSG, TVA, cotisations sociales, des dépenses sociales d’éducation, de santé, de retraite, générées par les étrangers, le résultat global est un excédent de 4 milliards pour l’année 2005. Bref, les immigrés « rapportent ». Les raisons coulent de source : les travailleurs étrangers arrivent à l’âge de 20-30 ans, n’occasionnent pas de frais de scolarité, reçoivent peu de prestations sociales de santé, de chômage, de retraite ; ils sont, de fait, des contributeurs nets de notre système social.

Ceci dit, le chômage, la précarité, les faibles salaires dans les dernières périodes, sont réels. En fait, « les mouvements des salaires sont régulés par la dilatation et la contraction de l’armée industrielle de réserve » (Karl Marx,) d’où l’importance des luttes pour l’emploi et l’unité ouvrière et populaire dans une conjoncture faite d’austérité et de détricotage de tous les conquis sociaux. « L’unité des prolétaires » est d’abord une construction politique qui passe par la lutte pour l’égalité de traitement et, par conséquent, par des luttes contre les expulsions et le racisme, pour l’octroi de papiers permettant aux migrants de travailler, de les rémunérer au même salaire que les ouvriers français. Bref, il s’agit de lutter pour l’augmentation uniforme du salaire minimum, l’amélioration des conditions de travail…

L’internationalisme du mouvement ouvrier et populaire est constitué de luttes et de solidarités. En Europe, la renaissance des aspirations à une transformation révolutionnaire passe par une égalisation des conditions de travail et, tout particulièrement, l’harmonisation sociale et fiscale entre les différents pays qui la composent. On en est encore loin. Quoique ! Cette Europe imposée, celle de la concurrence de tous contre tous, entame le chemin de sa déconstruction par en haut, de la manière la plus hideuse : nationalismes, xénophobie, Brexit… Le vieillissement des populations des pays centraux, l’exode de la jeunesse des pays en péril (Grèce, Espagne, pays de l’Est), l’appel de patrons allemands au recours à la main d’œuvre étrangère… n’attendent plus qu’une poussée par un bas pour déconstruire cette Europe de la finance et des transnationales.

Reste qu’il faudra encore et encore déconstruire des contre-vérités pour y parvenir.

Gérard Deneux, le 18.10.2018