Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 26 février 2021

 

Insupportables inégalités

 

L’Etat-Providence, développé après la 2ème guerre mondiale, sur pression des luttes sociales, a consisté à instituer un système de solidarité en matière de santé, d’éducation, de culture, etc. par la reconnaissance de droits imprescriptibles tout au long de la vie : indemnités chômage, retraite, aide sociale lorsque l’on est privé d’emploi ou de ressources, en cas de maladie, maternité, chômage, âge… Solidarité pour atteindre l’égalité, via, notamment, les services publics. Les capitalistes, partisans de la réussite individuelle, de l’égalité des chances, du self made man, n’ont cessé d’attaquer ce système car il leur coûte « cher » et il créerait des « profiteurs » des minima sociaux et autres prestations. On connait les réelles régressions à l’œuvre depuis le « tournant de la rigueur » de Thatcher/Reagan/Mitterrand, en matière de services publics, notamment, que les crises donnent prétexte à réduire, grignotant régulièrement les droits sociaux, ouvrant la porte à la paupérisation et à la précarisation qui ne cessent de prospérer. Après 1 an de crise Covid, qu’en est-il de la pauvreté ? Les mesures de relance et d’urgence de Macron profitent à qui ? Y aurait-il des corona-prédateurs ? Qui paiera la dette qui s’alourdit ?

 

1 – Pauvreté et précarité progressent

 

Qui sont les pauvres ? Ceux qui n’ont pas de travail, avec ou sans indemnités, ceux qui ont un travail peu rémunéré, les travailleurs pauvres, ceux qui survivent avec le RSA et ceux qui tentent de vivre avec le Smic et tous ceux qui subissent ou vont subir « les plans dits sociaux » qui s’annoncent.

 

Fin 2018 (derniers chiffres connus Insee), 5.3 millions de personnes sont considérées pauvres, car en-dessous du seuil de pauvreté de 885€/mois. Sans les minima sociaux existants, il y en aurait 6 millions de plus. Une dizaine de prestations « amortissent » la pauvreté, dont le RSA 1.8 million de ménages (environ 3.4 millions de personnes), l’AAH 1.2 million de personnes handicapées, le minimum vieillesse 570 000, l’allocation spécifique de solidarité (chômeurs en fin de droits) 380 000 et enfin, 200 000  prestations pour invalides, demandeurs d’asile, chômeurs âgés…

Les pauvres représentent 8.3 % de la population totale et si l’on fixe le seuil de pauvreté à 1063€/mois (60 % du revenu médian), c’est 14% de la population (9.3 millions de personnes). A ce chiffre, il faut ajouter ceux qui n’apparaissent pas dans les statistiques, à savoir les sans domicile fixe (300 000 personnes), les 100 000 vivant en camping ou dans des cabanes, les 208 000 gens du voyage en campements précaires et 1.34 million d’immigrés, de personnes âgées et dépendantes en établissements et les 950 000 pauvres d’Outre-Mer.

 

Les effets de la crise Covid sont estimés par la CAF à 10 % de RSA supplémentaires en 2020. Le taux de chômage de 8.1 % soit 2.4 millions de demandeurs d’emploi en 2019 est passé à 9 % au 3ème trimestre 2020 - chiffre officiel de Pôle Emploi concernant la catégorie A et non tous les demandeurs d’emploi. La hausse, fin 2020, est évaluée 1 million.

 

On assiste depuis plusieurs années à une augmentation régulière de la pauvreté, due en partie aux petits boulots, contrats précaires, etc… et ce sont les plus pauvres qui subissent la tourmente. En 2020, suite aux confinements, les non-salariés ou salariés précaires se sont trouvés du jour au lendemain sans ressources ou presque. En très peu de temps, la pauvreté a gagné du terrain et les conséquences vont être graves sur le long terme. Cela concerne environ 20 % de la population et va s’accentuer. En effet, les faillites prévisibles ont des conséquences en chaîne, sur les fournisseurs par exemple, obligés de ralentir leur activité. Les mesurettes de Macron, pour les pauvres, ne vont pas les sortir du marasme.

 

5 400 structures bénévoles ont déjà accueilli de nouveaux publics et ont distribué l’aide alimentaire à 8 millions de personnes en septembre 2020 au lieu de 5.5 millions en 2019. Plus de 300 000 personnes sont sans logement. 1 million de personnes en plus sont sous le seuil de pauvreté.

 

Les jeunes occupant les emplois les plus précaires sont en première ligne. L’inquiétude est d’autant plus grande que leur situation s’était déjà dégradée, faisant passer de 8 à 13 % le taux de pauvreté des 18-29 ans entre 2002 et 2018. Quelles mesures pour eux ? Le maintien de la garantie-jeunes, une misère (!) 497€/mois pendant 12 à 18 mois, selon des conditions spécifiques dans le cadre d’un accompagnement vers l’emploi. Macron veut en inscrire 200 000 au lieu de 100 000. Rien pour les étudiants dont 1/3 touchent les bourses (entre 60 et 500€/mois). Pour les 963 000 jeunes (16-25 ans) ni étudiants, ni salariés ? Rien. Pas même le RSA mais le service civique (indemnisé à 473€ net/mois pendant 6 mois à 1 an) !      

 

Plus globalement, les plus vulnérables sont les moins qualifiés ; issus des milieux populaires, constate le Secours Catholique. En 2017, le taux de pauvreté des ouvriers et employés était quatre à 5 fois supérieur à celui des cadres supérieurs. La pauvreté ne frappe pas au hasard et la crise sanitaire va enfoncer un peu plus les classes populaires, notamment celles vivant dans des zones géographiques « délaissées », comme les quartiers populaires. Ces classes sociales ont vu leur taux de pauvreté remonter en 2018 suite à la baisse des allocations logement. Dans les quartiers classés « prioritaires », le chômage des jeunes est à 23.4 %, 3 fois plus important que le taux national. Ce ne sont pas les 100€ de hausse de l’allocation de rentrée scolaire ou les aides ponctuelles versées aux allocataires du RSA ou encore l’aide (de 100 à 900€) aux précaires ayant travaillé moins de 138 jours en CDD ou en intérim en 2019, qui vont modifier la donne. La lutte des classes a lieu tous les jours

 

2 – Et les riches ?

 

Ceux qui ont le pouvoir et l’argent n’ont de cesse de pointer les « fraudeurs » au RSA et aux allocs. Ils omettent de rappeler que l’Etat providence « profite » aussi aux familles aisées : retraite, remboursement SS, allocations chômage, alloc familiales… Voire même profitent plus aux plus riches.  Quand on a de l’argent, on emploie une femme de ménage, on investit dans des travaux à domicile, dans les DOM et dans immobilier locatif… et on profite largement des niches fiscales. En 2021, ce sont 86 milliards de recettes qui ont échappé à l’Etat. Le mécanisme de « quotient familial » de l’impôt sur le revenu procure un avantage qui augmente avec le niveau de vie et le nombre d’enfants = 30 milliards dont 15 milliards concentrés sur le ¼ des ménages les plus aisés. Une grande partie des services publics financés par la collectivité, bénéficient plus aux plus riches : culture, éducation… Un jeune qui quitte l’école à 16 ans aura coûté environ 100 000€ à la collectivité, l’élève en grande école 200 000€ et plus. Et quand le gouvernement supprime la taxe d’habitation, ceux qui vivent dans de luxueux appartements gagnent des milliers d’euros contre quelques dizaines pour ceux qui occupent de petits studios = manque à gagner pour la collectivité : 20 milliards/an.

 

Alors que le Smic a augmenté de 0.99 % au 1 janvier 2021 (10,25€ brut/h), soit + 15€ brut/mois ( !), alors que selon la Cour des comptes, la fraude aux allocations représenterait 3 % des dépenses (dont des erreurs, des omissions…), les hauts responsables d’entreprises continuent d’engranger des indemnités pharaoniques. Tom Enders, ancien patron d’Airbus, débarqué, a perçu 37 millions d’indemnités de départ, soit plus de 20 siècles de smic. François Pinault, président de Kering (luxe) a perçu, en 2019, 22 millions de bonus soit 1 200 ans de smic. Si des profiteurs existent dans toutes les couches de la population, les profits, eux, ne sont pas de même niveau.

 

Qui sont les riches ? Selon l’Observatoire des inégalités, on est riche au-delà de 3 470 €/mois/personne = 5.1 millions de personnes. Avec 15 000€ on est un peu plus riche et moins nombreux (63 000). Quand on perçoit 38 500€/mois, on passe dans le 0.01 % (6 300 personnes) des ultra-riches. En France, il y a 1.2 million de millionnaires et le 1 % le plus fortuné (1 914 600€) compte 290 000 personnes. En France, les riches sont très riches (même après avoir payé leurs impôts), ils le sont plus qu’ailleurs en Europe : hormis la Suisse, la France est le pays où le 1 % le plus aisé a le niveau de vie le plus élevé ! Cocorico !!!

 

Pendant que les riches s’enrichissent, plus de 750 plans dits «sociaux » sont en cours et ce n’est qu’un début ! Les chiffres font frémir de colère d’autant plus quand les entreprises du CAC 40 suppriment des emplois et distribuent des dividendes aux actionnaires.

 

 

3 - Qui sont les corona-profiteurs ?

 

Michelin va supprimer 2 300 emplois (plus de 10 % des 20 000 du groupe en France) alors que les usines tournent à plein régime et que le groupe fait 1.7 milliard de bénéfice. Il a maintenu un juteux dividende de 357 millions € pour ses actionnaires, soit 155 000€ par emploi qui doit être supprimé ! Après Danone, Total ou Sanofi, c’est un nouvel exemple d’entreprise du CAC 40 qui supprime des emplois pour soutenir sa valorisation boursière et rassurer ses actionnaires. Depuis 2013, Michelin a obtenu 65 millions € du CICE et plus de 12 millions pour le chômage partiel en 2020. Michelin aurait pu se passer d’argent public pour rémunérer ses salariés pendant le confinement en réduisant de seulement de 3% les dividendes. Mais, pourquoi s’en priverait-il puisqu’aucune contrainte ne lui est imposée, tout juste la recommandation du ministre Le Maire  « Soyez exemplaires : si vous utilisez le chômage partiel, ne versez pas de dividendes ». Michelin (2ème fabricant au monde de pneumatiques) pratique des écarts de rémunération de 1 à 100. Il a installé une filiale sur 4 dans des paradis fiscaux. Certes, il a été épinglé par l’Observatoire des multinationales comme un corona-profiteur qui suce l’argent public et supprime des emplois… mais n’en n’a que faire puisqu’aucune sanction n’est prévue.

Danone, fin 2020, annonçait 2 000 suppressions d’emploi (dont plus de 400 en France) après avoir versé 1.4 milliard€ de dividendes à ses actionnaires.

Carrefour, le 17 novembre 2020, mettait 90 000 de ses 110 000 salariés au chômage partiel payés sur fonds publics, alors qu’il a versé 183 millions € de dividendes.

Sanofi annonce début 2021 la suppression de 400 emplois dévolus à la recherche. Le groupe a touché plus d’1 milliard € d’aides publiques depuis 10 ans, via le Crédit Impôt Recherche alors qu’il a versé 4 milliards de dividendes en pleine crise. Chez Sanofi la santé c’est déjà celle des actionnaires !    

 

Bruno Le Maire : « Il va de soi que si une entreprise a son siège fiscal ou des filiales dans un paradis fiscal, je veux le dire avec beaucoup de force elle ne pourra pas bénéficier des aides de trésorerie de l’Etat ». Mensonge et supercherie ! Les groupes du CAC40 ont plus de 17 000 filiales dans le monde dont 15 %  domiciliées dans les paradis fiscaux et, pour la plupart d’entre elles ont perçu des aides. De quels paradis fiscaux parle-t-on ? En fait, il y a trois listes et celle établie par le gouvernement français ne comprend que 13 pays et juridictions où l’on ne trouve ni Luxembourg, ni Belgique ni Pays-Bas.

Alors que la fraude ou les erreurs à l’assurance chômage ne concernerait que 0.5 % de l’ensemble des allocations versées (178 millions), elle demeure 7 fois inférieure à la fraude aux prélèvements sociaux (1.35 milliard) du fait d’un employeur ou d’une entreprise. Quant à l’évasion fiscale, elle est estimée à 117.9 milliards, soit 660 fois plus ! Il n’empêche ! Macron a prévu un contrôle renforcé pour les « profiteurs », à savoir les pauvres.

 

Les aides aux entreprises, avant le Covid, représentaient déjà 150 milliards/an. Celles qui ont été décidées sont d’une ampleur inédite.

300 milliards en prêts garantis par l’Etat pour soutenir la trésorerie des entreprises, sans remboursement la 1ère année. Un plan d’urgence pour le sauvetage et la relance de certains secteurs = 110 milliards dont 7 milliards pour Air France et 5 milliards pour Renault. 100 milliards pour le plan de relance France Relance : 70 mesures pour accélérer les investissements dans les secteurs innovants et la transition écologique. 31 milliards pour payer les salariés du privé, en chômage partiel. 76 milliards pour reports ou annulation de « charges » sociales et fiscales.

 

France Relance c’est 30 milliards pour la transition écologique, 36 milliards pour la cohésion sociale et territoriale (on y trouve l’extension du service civique, la garantie jeunes, les primes à l’embauche etc…) et 34 milliards pour la compétitivité des entreprises (baisse des impôts dits de production, suppression de la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour un manque à gagner de 10 milliards/an. Réduction de moitié de la taxe foncière sur les propriétés bâties des établissements industriels et abaissement du taux de plafonnement de la contribution écologique territoriale. La plupart de ces mesures figurent déjà au budget 2021.

 

Au-delà de ces aides directes, il y a les aides indirectes pour « renforcer la trésorerie des entreprises », comme l’achat, par la BCE, des obligations émises par les multinationales. Ca leur permet de renforcer leur trésorerie par un emprunt à long terme sur les marchés financiers. La BCE a acheté via la Banque de France, des obligations de plusieurs dizaines de groupes français (dont 4 émises par Total). D’autres, comme Sanofi, Schneider Electric ou Air Liquide pratiquent de la même manière.

 

Au moins 24 entreprises du CAC 40 ont profité du chômage partiel que l’Etat a couvert, représentant, en octobre 2020, les salaires de 12.9 millions de salariés d’entreprises privées. 14 d’entre elles ont versé de généreux dividendes à leurs actionnaires. Plastic Omnium et son président (président également de l’Association française des entreprises privées – lobby qui représente les plus grandes entreprises françaises) a mis 90 % de ses salariés au chômage tout en se versant, à lui et à son entourage, 73 millions. Et d’autres entreprises dont l’Etat est actionnaire (Total, Sanofi, Schneider Electric, Michelin, Danone…) ne s’en sont pas privées !

 

En toute opacité, les multinationales du CAC 40 se permettent tout et gagnent sur tous les tableaux : chômage partiel, dividendes à leurs actionnaires et paradis fiscaux pour échapper à l’impôt. Ce n’est pas Macron, le président des ultra-riches, qui va pénaliser ces profiteurs-là, il les cajole. Qui sont les « assistés » ?

 

En conclusion, une question : qui va payer ?

 

Ces aides pour « sauver les entreprises » vont augmenter la dette publique actuellement de 2 400 milliards. Qui va financer ? Les contribuables, par l’impôt, sur le modèle de la contribution pour le remboursement de la dette sociale ? Les usagers des services publics par un nouveau tour de vis des dépenses de l’Etat ? Pas les riches puisqu’il n’est même pas question de ré-instituer l’ISF. Pas les banques puisqu’en cas de défaillance d’une entreprise, l’Etat garantit.

 

Macron, le président des ultra-riches roule pour son camp. Les plus modestes voient leur niveau de vie régresser, les pseudo-emplois accentuent la pauvreté et les classes aisées voient leurs ressources progresser. Tout ceci est gros de colères et de révoltes à venir et l’arsenal liberticide et sécuritaire, qu’il met en place ne peut que nous inquiéter. Pour l’heure, les raffineurs de Grandpuits, face au projet de casse sociale de Total, après 1 mois de grève, poursuivent le bras de fer contre le plan de 700 suppressions d’emplois directs et indirects. Les vacataires ultra-précaires de l’université qui assurent les cours comme les enseignants-chercheurs titulaires, toujours payés au Smic ou en-dessous, sont mobilisés depuis deux mois. Les participants à la convention citoyenne pour le climat, ce « machin » de Macron (dont il a ignore les conclusions), sont en colère… De nombreux mouvements en rébellion se constituent contre les violences policières, contre les lois liberticides et « séparatistes » islamophobes, et, pour certaines, font des ponts entre quartiers populaires, classe ouvrière, étudiants… Ah ! Si toutes les luttes et toutes les colères se rencontraient… pour s’unir et agir !

 

Odile Mangeot, le 18.02.2021

 

sources :

Observatoire des inégalités social, écologique et politique (organisation indépendante) www.inegalites.fr

Observatoire des multinationales, social, écologique et politique : organisation indépendante d’information et de ressources. multinatiionales.org/    

 

Quand rouge et vert s’allient contre Total

Après plus de 2 mois de grève contre un plan de casse sociale de 700 emplois directs et indirects, les raffineurs de Grandpuits poursuivent leur bras de fer avec Total. Total souhaite stopper ses activités de raffinage pour langer le projet « Galaxie » : une reconversion dans le biocarburant, le bioplastique et la mise en activité de deux centrales photovoltaïques. En janvier dernier, la CGT, les Amis de la Terre, Attac et la Confédération paysanne ont publié un document « Pourquoi le projet Total n’est ni écolo ni juste » s’opposant à la stratégie climat de Total qui n’est que du greenwashing : remplacer les énergies fossiles par des biocarburants est l’une des pires idées pour lutter contre le dérèglement climatique, l’effet est inverse à cause de la déforestation induite et du changement d’affectation des sols.  Ils ont affiché le plus grand scepticisme sur le recyclage du plastique. Greenpeace France et Oxfam apportent leur soutien à cette lutte.  Cette alliance des salariés de Total et des écologistes est un souffle nouveau permettant d’instaurer un rapport de force plus solide et d’entamer une réflexion sur quels emplois dans le contexte gravissime de la dérèglementation climatique. Le 20 février, les Grandpuits manifestaient à Melun devant la Direccte, entre les mains de qui se trouve le « plan social » de Total. CFDT, FO et CFE-CGC se sont prononcés en faveur d’un accord avec Total. La CGT refuse de mettre fin au bras de fer contre les licenciements.

Pour en savoir plus : voir sur le media « les magouilles de Total à Grandpuits » du 9.02.2021

Pour soutenir les grévistes :  https://www.cotizup.com/raffineursgpsggvenlutte

ou chèque à l’ordre de Info’Com-CGT Caisse de solidarité à envoyer à Info’com-CGT, 4 rue Guyton de Morveau 75013 Paris

 

Forçage génétique, l’affaire de tous

 

Le congrès mondial de la nature, organisé par le plus grand organisme international l'Union Internationale de la Conservation de la Nature (UICN), est prévu à Marseille du 2 au 11 septembre 2021. Très influentes au sein des COP biodiversité, ses recommandations sont à l'origine de l'adoption de traités internationaux importants comme la Convention sur la Diversité Biologique ou la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d'extinction.

A l'approche du congrès, plusieurs centaines d'associations à travers le monde, dont 78 européennes, dans une lettre ouverte à la commission européenne, et 16 françaises au 1er ministre Jean Castex, demandent un moratoire, voire l'interdiction d'une pratique portée à l'ordre du jour : le forçage génétique. 

 

La folie OGM

 

Éradiquer les moustiques vecteurs du paludisme, les espèces considérées comme nuisibles, guérir ou ne pas contracter certains handicaps, maladies (à l'image de ces 2 jumelles humaines génétiquement modifiées contre le VIH, nées en Chine en 2018) (1) ou encore tailler des espèces sauvages sur mesure... La liste est longue tant le champ d'application de cette   technique est étendu. Classée au rang des armes potentielles de destruction massive par la NASA, son utilisation est très controversée car elle représente un danger incommensurable dans tous les domaines. 

 

Découvert en 2012, le forçage génétique CRISPRcas9 est une nouvelle manière d'utiliser la transgenèse en l'accompagnant d'un contournement des lois de l'hérédité chez les espèces sexuées. Ce ciseau moléculaire est capable de couper une séquence ADN ciblée et d'en insérer une autre avec précision, et ce, pour un coût dérisoire. La séquence ADN présente la particularité de s'autorépliquer dans l'intégralité du génome, ce qui assure sa transmission à toutes les générations suivantes. Introduire un gène à une espèce entière en " forçant " sa transmission aux générations suivantes, le vivant ne le fait pas. Les lois de l'hérédité biologique des espèces sexuées imposent que seulement 50% des gènes proviennent du mâle et 50% de la femelle, ce qui laisse une chance sur deux pour que la descendance directe hérite d'un gène particulier, et plus les générations se succèdent, plus la probabilité est faible, mais toujours possible dans la mesure où il apporterait un avantage à l’espèce. 

 

Si son utilisation en biomédecine suscite autant d'espoir que de danger et pose de sérieuses questions d'ordre éthique (notamment un relent d'eugénisme), le forçage génétique trouvera sa véritable utilisation dans l'agriculture. Des centaines de brevets déposés en attestent, avec, à terme, le risque qu’aucune espèce liée de près ou de loin à l'agriculture ne soit épargnée. On y trouve l'intention de modifier génétiquement des plantes, taxées d'être de mauvaises herbes, pour réduire leurs capacités de résistance au Roundup et autre herbicide ; des sauterelles forcées génétiquement pour empêcher l'essaimage ; le bétail pour augmenter sa masse musculaire ; éradiquer les pucerons vecteurs de la maladie du verdissement aux agrumes ; éradiquer les rats, les souris et les dendroctones de la farine infestant les silos à grains ; modifier les abeilles pour les rendre résistantes au Roundup ou encore leur insérer un gène optogénétique, gène « faussaire » prévu pour duper les sens de l'abeille au contact d'un faisceau lumineux artificiel, lui donnant l'illusion de capter certaines odeurs et l'orienter sur les cultures que nous souhaitons voir polliniser. 

 

Si ces « produits » technologiques ne sont pas encore au point et nécessitent quelques recherches supplémentaires, d'autres en revanche le sont et n'attendent que l'autorisation de mise sur le marché pour être commercialisées. C'est le cas par exemple de la mouche à vinaigre, un « nuisible » qui affecte la productivité des plantations de pêchers, de cerisiers et de pruniers dans les zones d'agriculture industrielle en Asie de l'Est, en Amérique du Nord et en Europe. Le but étant d'éliminer la population actuelle de mouches ou éventuellement la remplacer par un variant génétiquement modifié. 

 

A la manœuvre, et financés par le California Cherry Board (groupe de producteurs de fruits), des scientifiques de l’Université de Californie à San Diego, dirigés par Anna Buchman et Omar Akbari y voient une nouvelle méthode de manipulation des populations de ces ravageurs envahissants. Pour ce faire, est utilisée la technologie MEDEA (arrêt maternel à effet embryonnaire dominant), une autre technique de forçage génétique. Akbari a déposé un brevet américain couvrant l’utilisation de MEDEA, non seulement pour cette mouche, mais également pour d’autres espèces de mouches des fruits : la mouche caribéenne, la mouche de l’olive, la mouche antillaise des fruits ainsi que le moustique de la fièvre jaune et le moustique Anopheles gambiae, un des principaux vecteurs du paludisme en Afrique subsaharienne.  

 

Plus récemment, un pas en avant vers la conception d’un forçage génétique a été franchi chez un autre genre de mouche des fruits, la mouche méditerranéenne qui s’est répandue de manière envahissante dans de nombreuses régions du monde. Les essais en laboratoire sur la mouche méditerranéenne prouvent l’adaptation réussie de la perturbation génique basée sur CRISPRCas9, plus rapide, plus efficace et moins onéreux. En théorie, si 10 individus génétiquement modifiés sont introduits dans une population naturelle de 100 000 individus, alors en moyenne 99% des individus sont porteurs de la séquence ADN introduite en seulement 12 à 15 générations. Subsistent encore quelques paramètres à peaufiner pour parachever cette technique et parvenir à un modèle qui, théoriquement, prétendrait à un résultat de 100%. Il a été observé que les espèces sont capables de développer une résistance au forçage génétique, mais les scientifiques travaillent d'arrache-pied pour y remédier.  

 

Outre le fait de décider quelles espèces doivent vivre, voire dans certain cas, pourquoi ou plus précisément pour qui elles doivent vivre, les effets en chaînes que produirait une libération volontaire ou accidentelle de ces OGM nouvelle génération seraient aussi multiples qu'incalculables. Il est impossible de prédire la façon dont la séquence ADN introduite évoluera, il est possible qu'elle intègre un gène non désiré, qui bénéficierait donc de cette technologie et pourrait produire l'effet inverse de celui escompté, voire pire ! Il est également possible que la séquence introduite soit transmise à d'autres espèces non ciblées.  Contrairement aux idées reçues, les hybridations entre espèces ne sont pas cantonnées aux végétaux, si elles y sont plus fréquentes, le règne animal en a toujours usé. Un autre point non moins préoccupant est le bouleversement que causerait l'extinction d'une espèce, la complexité des écosystèmes et la multiplicité des connexions dans l’écosphère sont telles qu’il est impossible d’en mesurer tous les risques. Les scientifiques qui développent ces technologies sont des spécialistes de biologie moléculaire et n'ont pas pour objet d'étudier la dynamique des écosystèmes. De plus, la seule perspective abordée par ses promoteurs est l’augmentation des rendements agricoles et les profits escomptés, bien loin des préoccupations écologiques essentielles qu’elles suscitent.  

 

Lobbying, communication et réseaux d’influence

 

Face aux vives contestations et à la forte opposition de par le monde que rencontrent le génie génétique et toute sa gamme d’OGM dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, ses promoteurs, soucieux d’un rejet des populations à l’encontre de ces nouvelles techniques, ont consciencieusement élaboré une stratégie « d’acceptation ». Tout est question de timing ! La communication doit être restreinte à ses applications susceptibles de bénéficier du soutien public, qu’elles soient médicales, de conservation des espèces ou de lutte contre les maladies vectorielles, de type paludisme, dengue, zika… L’objectif est de façonner la perception que le public se fera de ces technologies ; une fois approuvées, leur utilisation agricole s’imposera comme évidente.

 

C’est dans cette logique que sont mis en avant des acteurs tels que la fondation Bill et Melinda Gates dans la lutte contre le paludisme en Afrique. Target Malaria, un consortium de recherche sur le forçage génétique  dirigé  par  l'Imperial  College  de  Londres, reçoit  son  financement  de  base  de  92 millions de dollars de la fondation Gates et du projet Open Philanthropy (créé par le cofondateur de Facebook, Dustin Moskovitz). Le projet Target  Malaria  vise à décimer les moustiques porteurs du paludisme par forçage génétique CRIPR CAS9. Un lâcher de moustiques OGM, mais pas par forçage génétique, a déjà été effectué au Burkina. La fondation Gates, bien déterminée à obtenir l’autorisation  de développer cette technologie, a su se construire un réseau d'influence important. Emerging  Ag  Inc.,  une  société clé de lobbying industriel agricole, a reçu 1,6 million de dollars de la Fondation Gates. Son rôle : appliquer une communication active et pratiquer un lobbying intense visant à promouvoir le forçage génétique et influencer les réunions à l’ONU ; elle est aussi à l’origine d'un réseau de sensibilisation sur le forçage génétique et administre la World Farmers Organization, plate-forme bien connue des géants de l’agro-industrie. Malgré le nom et le rôle de son hôte, le site web et les fiches d’information du réseau de sensibilisation omettent totalement de mentionner les utilisations agricoles proposées du forçage génétique, en se concentrant uniquement sur ses utilisations de « santé mondiale » et « conservation ». On promet au public la sauvegarde d’oiseaux rares en diminuant les populations de rongeurs qui se nourrissent de leurs œufs !  

 

En 2017, Open Philanthropy a attribué au programme de développement économique de l'Union africaine (UA) 2 350 000 dollars, pour « soutenir l'évaluation, la préparation et le déploiement potentiel des technologies de forçage génétique dans certaines régions africaines ». En juillet 2018, l'UA a publié son rapport soutenant le développement de la technologie du forçage génétique  ainsi  qu’une  « législation  habilitante » pour son déploiement dans ses États membres. 

 

Dans un rapport paru en 2019, ETC Groupe (2) révèle de graves partis pris et conflits d'intérêts chez les membres du groupe d'experts réuni par la très influente UICN, organisatrice du congrès international à Marseille. Plusieurs membres du groupe seraient employés par ou associés à Revive and Restore (un groupe de conservation de biologie synthétique) ou encore à deux projets de forçage génétique s'élevant à plusieurs millions de dollars. Le projet Target Malaria et le projet GBIRd (contrôle biologique génétique des rongeurs invasifs) un  consortium  de  cinq organisations partenaires dont deux agences gouvernementales aux États-Unis et en Australie, a pour mission de prévenir la disparition d’espèces insulaires en éliminant les espèces envahissantes. Les conclusions d’une étude menée par l'UICN suggère d’utiliser le forçage génétique à des fins de conservation des espèces menacées.  

Jim Thomas, co-directeur d’ETC, s’alarme : « avec 40% des espèces d'insectes en déclin, il est incompréhensible que l'un des plus grands et des plus anciens organismes de conservation au monde ouvre la porte au soutien actif apporté à une technologie d'extinction aussi délibérée ». 

 

En Europe, l’autorité mandatée par la commission européenne, afin de préparer un cadre réglementaire, est l’autorité européenne de sécurité des aliments EFSA (cf encart). Elle doit évaluer les risques liés à cette technologie et déterminer si les protocoles existants pour OGM première génération pourraient être appliqués à ce nouveau type d’OGM. Dans le cadre de ces travaux, l’Agence a mené au printemps dernier une consultation publique, à laquelle POLLINIS a participé. 

 

Dans son avis scientifique publié le 12 novembre 2020, l’EFSA a finalement conclu que les lignes directrices existantes étaient insuffisantes pour l’évaluation des risques environnementaux et la surveillance environnementale post-commercialisation de ces nouveaux organismes mais s’est bien gardée de se prononcer plus explicitement  sur les limites scientifiques de l’évaluation actuelle de ces risques spécifiques. Les effets réels qu’ils pourraient engendrer demeurent largement inconnus et ne sont pas traités dans l’avis scientifique. L’Agence, tout en reconnaissant les incertitudes et l’imprévisibilité des effets indésirables, propose d’utiliser des outils de modélisation mathématique pour tenter de combler les lacunes de l’évaluation.

 

Pour POLLINIS, il y existe trop de risques inconnus, des conséquences imprévisibles incontrôlables et irréversibles, ces effets négatifs possibles affecteront les espèces, les populations, les écosystèmes et les services écosystémiques. Comme suggéré par l’association, l’EFSA a par ailleurs supprimé dans son avis final sa référence à la possibilité d’utiliser cette nouvelle technologie pour la conservation de la biodiversité ou l’amélioration des systèmes de production agricole. POLLINIS considère qu’en l’absence de connaissance suffisante de cadre juridique adéquat et de débat transdisciplinaire et citoyen sur les risques posés, le gouvernement français doit prendre position sur ce dossier en interdisant la dissémination dans la nature de tout organisme issu de cette technique, y compris les essais en plein champ.

 

                     Une « science » néolibérale

 

Ces technologies sont une boîte de Pandore, l’ouvrir, c’est franchir le point de non-retour.

 

En solution au caractère aussi imprévisible qu’irréversible que subira l’évolution de la modification génétique et l’individu modifié, les chercheurs ont pensé à tout, des séquences garde-fous sont proposées. La solution est simple, trop simple ! Il suffirait, dans le cas où la séquence ADN insérée évolue négativement et produit des effets indésirables, d’en insérer une nouvelle qui annulerait la première. Cependant tous les garde-fous proposés laissent des traces de la séquence chez les individus et il n’est pas irrationnel, après l’échec de la première, d’avoir des doutes sur la fiabilité du bon fonctionnement de la deuxième. De plus, si un ADN étranger est déjà inséré dans la séquence introduite et confère un avantage aux porteurs, alors c’est trop tard, le garde-fou ne pourra pas contrer le processus car il ne sera pas aussi avantageux aux porteurs que la séquence que l’on aimerait supprimer. Une autre solution a un autre problème : la pollution génétique des OGM première génération. Un brevet de forçage génétique a été déposé en vue d’éliminer la pollution génétique induite par la pollinisation de plantes OGM, première génération aux plantes non OGM, et l’hybridation qu’elle provoque. Bref, toujours la même croyance, que le problème peut être réglé par le problème lui-même. Penser que la technologie va résoudre tous les problèmes qu’elle a elle-même créés (réchauffement climatique, appauvrissement des terres agricoles, extinction en masse des espèces...) sans changer notre rapport au monde relève d’une véritable technolâtrie.  

 

Sans compter que les sciences de la génétique n’en sont qu’à leur balbutiement, sa complexité est bien plus importante que ce que nous pensions. La découverte de l’épigénétique en est un indicateur, il a complètement changé la perception que l’on se faisait du fonctionnement d’un organisme et démontre qu’il ne suffit pas d’en isoler une composante (le gène) et la modifier pour contrôler l’intégralité de l’organisme.

 

Le problème est que cette boîte de Pandore, Cupidité, même avertie des maux qu’elle contient - ces monstres - pourrait bien être tentée de l’ouvrir uniquement pour libérer l’espérance, l’espérance d’un nouveau souffle du capitalisme, des nouveaux marchés qu’elle lui promet, d’une marchandise inépuisable : la vie elle-même.

          

Le forçage génétique a une spécificité comme technique, qui le rend directement congruent avec l’extractivisme : il est peu cher, discret, intraçable, extraordinairement efficient à court terme et particulièrement imprédictible à long terme. Si intrinsèquement cette technique remplit bien des critères prescrits par le néolibéralisme, c’est encore bien plus dans l’usage qui lui est destiné que l’on en détecte la logique. Ce qui se dessine c’est l’ingénierie, le contrôle du monde sauvage à la mode néolibérale. Tout d’abord, il s’agit de réifier un nombre incalculable d’espèces en agents économiques, puis manager le tout, le rationaliser, organiser les espèces sauvages de telle sorte qu’il ne leur sera plus permis de vivre pour elles-mêmes ; elles devront désormais vivre pour servir le genre humain (c’est-à-dire la plupart du temps au profit d’un groupe d’humains particulier) et alimenter les marchés financiers, ou disparaître si elles sont jugées nuisibles (à noter qu’un nuisible en soi n’existe pas, aucune espèce n’existe dans le but de nuire). La question est : nuisible pour qui ? Ce qui est certain c’est que cette technique renforcera considérablement la toute-puissance des entreprises en leur confiant rien de moins que la responsabilité de l’évolution des espèces.  

 

<<<>>> 

 

Le 21ème siècle et son lot high-tech nous obligent à nous questionner sur l’orientation de la recherche scientifique et à nous interroger sur qui produit des connaissances, dans quel but, et qui en profite ? Aujourd’hui elle métamorphose le modèle agricole en élargissant son champ d’action qui ne se contente plus désormais d’intervenir sur les semences ou l’élevage mais est basée sur la gestion des nuisibles, en premier lieu, et l’exploitation des espèces sauvages, en second. Un colonialisme in vitro des individus, une domestication massive des espèces sauvages sans même avoir à entretenir de relation avec elles. Sans oublier l’aspect transfrontalier que cela suppose : un lâcher dans une région isolée du monde aurait inévitablement des conséquences dans le monde entier, il est impossible de garantir que la diffusion d’organismes forcés génétiquement ne contamine pas d’autres espèces non ciblées et ne se propage pas dans d’autres pays contre leur volonté. Il est inacceptable que de telles décisions se prennent dans les instances gouvernementales, sans l’approbation éclairée et massive des populations du monde entier, de surcroît dans un contexte de corruption généralisée. 

 

MR

 

 

L’EFSA, elle aussi, sujette à polémique en 2012

Sa présidente du conseil d’administration de l’époque, Diana Banati, « oubliait » de mentionner son siège au conseil de direction de la branche européenne d’une organisation états-unienne pro OGM, financée en grande partie par Coca-Cola, Nestlé, CropLife International et regroupant des industriels du secteur de l’agro-industrie tels que BASF, DuPont, Monsanto ou encore Syngenta. Elle fut contrainte à la démission pour conflits d’intérêts.

 

Sources :  https://www.etcgroup.org/fr/content/forcer-lagriculture et autres sites spécialisés