Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 1 mars 2022

                                                                   Nous avons lu


L’impasse. Comment Macron nous mène dans le mur

L’auteur contribue à nous éclairer sur les effets délétères de « l’aristocratie d’Etat » que Macron parachève en s’appuyant sur le poids des grandes écoles comme l’ENA et les institutions de la 5ème République. C’est le pouvoir de la bancocratie et du capitalisme financiarisé qui est à l’œuvre derrière les personnages publics qui nous assènent de fausses évidences. Non, les dépenses publiques, l’allègement de la fiscalité, la réduction des droits du travail ne permettent pas le ruissellement des richesses. Non, la désertification des territoires ruraux au profit des grandes agglomérations n’est pas une organisation efficiente des territoires. Non, les politiques élitistes et méritocratiques ne peuvent atteindre l’excellence scolaire et l’émancipation éducative pour tous. Pour sortir de l’impasse de « l’imaginaire néolibéral mortifère », il faut d’abord et avant tout produire une alternative écologique, sociale et démocratique ancrée dans les classes populaires.

Certes nous n’avons pas besoin du petit Bonaparte mais les politiques conduites depuis près de 40 ans ne sont pas des « erreurs » comme il est dit. Certes, il faut changer les modes de production et de consommation ce qui pénalisera les classes moyennes supérieures. Outre les contre-vérités assénées qui sont bien mises en exergue dans cet essai, l’on peut regretter que la vision nostalgique de l’auteur d’une social-démocratie rénovée laisse dans l’ombre les contraintes internes et externes du capitalisme. GD

Guillaume Duval, ed. Les liens qui libèrent, 14.50€, 2021

 

Capitalisme bleu

 

One Ocean Summit, un sommet pour l’océan pour rien. Un entre soi de businessmen, à Brest du 9 au 11 février, où se sont croisés scientifiques, jeunes entreprises, ONG libérales, multinationales (de Total Energie à Nestlé), banques, assurances et une vingtaine de chefs d’Etats : un festival de la croissance bleue qui a avalisé l’exploration des fonds marins. Rien sur la surpêche, sur l’exploitation minière sous-marine. Rien de contraignant sur la production des plastiques. L’engagement d’une trentaine d’Etats supplémentaires, une hypocrisie et ce, au nom de la biodiversité, à atteindre 30 % d’aires marines protégées, principalement dans les pays du Sud, lorgnées par les multinationales et les industries minières sous-marines puisque le statut d’aire marine protégée ne leur interdit pas l’extraction ! Rien pour freiner l’expansion des industries du fret et du tourisme sauf des mesures pour le verdir. Exemple : une dizaine de ports – comme Marseille – se sont engagés à raccorder les bateaux au réseau électrique lorsqu’ils sont au mouillage pour éviter de faire tourner leurs moteurs au fuel !

 

Des actions et manifestations ont eu lieu à l’extérieur car « Nous, pêcheurs, on n’est pas invités à ce genre de sommet » déplore un patron-pêcheur venu de Normandie pour manifester son désaccord avec les logiques capitalistes, aux côtés d’associations écologistes et de syndicats « Malheureusement, l’économie bleue ne comprend pas la pêche, elle va détruire la biodiversité et industrialiser la mer. La pêche artisanale est en grand danger ». OM.

 

Fourberies macroniennes

 

Cette vitrine pour le président-candidat Macron fut une « occasion ratée de réfléchir à la façon de réinventer notre rapport à l’océan » écrit Claire Nouvian – fondatrice de l’association Bloom pour la défense de l’océan. Les propos qui suivent sont extraits de son article « Un sommet de l’océan pour pas grand-chose » le Monde 16.02.22.

 

« Ce sommet n’a pas servi à grand-chose, sinon à confirmer la « méthode Macron » : instrumentaliser les annonces avant les échéances électorales et les calibrer pour optimiser leur effet médiatique tout en minimisant leur portée environnementale. Ce sommet est un cas d’école… E. Macron commence par faire de la programmation neurolinguistique : il martèle des éléments de langage qui le font passer pour un militant de la planète. Puis il égrène les enjeux de l’agenda international… appelant avec beaucoup de conviction à la réussite des négociations de l’OMC visant à mettre fin aux subventions menant à la surpêche dans le monde. C’est fourbe, ça fonctionne : sans prendre le moindre engagement, ni même clarifier la position de la France sur cet enjeu majeur, le président crée l’illusion d’être courageux sur des sujets structurels qu’en réalité il évite soigneusement et fait même reculer. Rappelons que son gouvernement a appuyé la réintroduction des catégories d’aides publiques les plus dangereuses pour l’océan au moment de la réforme de l’instrument financier européen de la pêche. La méthodologie présidentielle se poursuit avec des annonces environnementales « à double fond » qui, appuyées par des chiffres impressionnants, jettent de la poudre aux yeux, alors qu’elles dissimulent une porte de sortie permettant de ne pas porter préjudice aux intérêts financiers, industriels ou commerciaux. Il a annoncé, par exemple, des objectifs internationaux de protection de 30 % de notre territoire marin… Qu’en est-il vraiment ? 98 % des zones dites protégées ne protègent pas les écosystèmes marins des activités extractives à fort impact environnemental, comme le chalut de fond… Il a parlé de « protection forte », en évitant de prononcer les seuls mots qui sont sans ambiguïté, « protection intégrale »… Pour éviter d’aborder les vrais problèmes, il réalisa un véritable slalom… Pas un mot sur la pêche destructrice émettrice de carbone ni sur le fléchage des subventions vers ces mêmes pêches industrielles, première cause de destruction de l’océan. Pas un mot sur la prédation des ressources marines des pays en développement par nos flottes subventionnées, provoquant insécurité alimentaire et déstabilisation socio-économique. Silence  assourdissant sur l’exploitation minière dans les grandes profondeurs marines, le seul endroit de la planète à ne pas avoir été exploité par les humains… Aujourd’hui, des pays comme la France mettent la pression sur l’agence onusienne dépositaire de l’autorité sur les fonds marins pour que commence l’exploitation du dernier biotope vierge de notre planète… Le plan France 2030, contredisant les objectifs de l’agenda de l’ONU, prévoit d’allouer des centaines de millions d’euros à « l’exploration » des grandes profondeurs… Macron voit dans la nature un réservoir de ressources, dans les ressources une occasion d’exploitation et dans l’exploitation un potentiel de croissance…

Pour chaque problème, l’humanité a déjà inventé des solutions, c’est ce qui rend notre époque enthousiasmante. Mais l’impasse de la volonté politique, voilà ce qui rend notre époque si angoissante ».   

 

Ne travaillez jamais

 

Travail provient du latin vulgaire tripalium, qui désigne un instrument de torture à trois pals, travailler signifiant « torturer ». Dans les mots travail et travailler, il y a donc originellement les notions de torture, de souffrance, de douleur. Entre la « grande démission » aux Etats-Unis, les grèves majeures en Espagne, la semaine de 4 jours en Islande et les pénuries de main-d’œuvre, les salariés des pays riches repensent leur rapport au travail. Des penseurs français et des mouvements culturels ont déjà livré une analyse critique et ont contesté frontalement la forme travail. Des thèmes à travailler sans se torturer donc…

 

Question de sens

 

Une majorité des travailleurs n’aiment pas leur travail, selon une récente étude mondiale et, ça tombe bien, puisque nous devrions réduire notre temps de travail pour sauver la planète. Quand on demande aux gens de changer leurs comportements pour ralentir le changement climatique, c’est une proposition assez horrible. Cesser de prendre l’avion, renoncer à la voiture, ne plus faire de shopping, ne plus boire de café, etc., pour qu’en retour la planète soit peut-être un peu moins inhabitable dans cent ans. Pas étonnant que cela ne suscite pas l’enthousiasme. Et les dirigeants politiques s’en tiennent à leur traditionnelle promesse : accroître le PIB pour que l’on puisse acheter davantage de trucs. Mais ce n’est plus possible. Fabriquer et acheter contribuent au réchauffement de la planète. Dans les pays développés où les populations ne sont pas dans le besoin, il faudrait réduire le temps de travail.

 

Pour se sentir épanouis, les gens ont besoin de travailler, mais pas tant que ça : 8 heures par semaine seraient la ‘bonne dose’ pour notre bien-être, ont calculé des chercheurs des universités de Cambridge et de Salford qui ont étudié plus de 70000 travailleurs. D’autant que, triste réalité, lorsque les sociétés s’enrichissent elles ne deviennent pas nécessairement plus heureuses. Les sociétés égalitaires ont tendance à le devenir, mais pas les sociétés inégalitaires. En d’autres termes, tout ce que nous produisons en plus sert souvent principalement à salir la planète et à accroître les inégalités et le pouvoir du capital.

 

Chaque heure de travail supplémentaire produit davantage de CO2 – à cause de nos déplacements et, surtout, à cause de ce que nous créons et consommons. En 1870, un travailleur des pays industrialisés effectuait en moyenne plus de 3000 heures par an, soit 60 à 70 heures par semaine pendant cinquante semaines. En 2019, ce total n’était plus que de 1383 heures en Allemagne et 1777 heures aux Etats-Unis, avant de s’effondrer pendant le confinement. En 1956, Richard Nixon allait même jusqu’à prédire une semaine de travail de quatre jours dans un « avenir pas trop lointain ». Cet avenir est peut-être là. La semaine de quatre jours est expérimentée dans plusieurs pays, elle est à l’étude même au Japon et est très courante en Islande. En réalité, supprimer une journée de travail ne suffirait pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre, car les travailleurs sont tellement plus productifs quand ils sont reposés, et leur production restant dangereusement élevée en produits de consommation…

 

La grande démission

 

En août, le taux de démission aux Etats-Unis –c’est-à-dire la proportion de salariés qui quittent délibérément leur travail – a atteint le niveau record de 2,9%. Tous pays confondus, Microsoft estime que 41% des travailleurs envisagent de quitter leur emploi. Dans la même veine, un récent sondage révèle que la moitié des Américains rêvent d’une reconversion professionnelle. Preuve de cette combativité retrouvée, la Fédération américaine du travail a répertorié presque 36 sites actuellement touchés par des grèves. Certains appellent cette révolte la « grande démission ».

 

Puisqu’il y a 2 millions de poste vacants de plus que de chômeurs, les Américains peuvent se permettre d’être plus exigeants dans leur recherche d’emploi. Les salaires sont d’ailleurs en train d’augmenter. Pour les employeurs, la « grande démission » appelle à repenser le « dialogue social ». La direction de l’entreprise américaine John Deere (matériels agricoles) vient de proposer d’augmenter les salaires de 10%, soit deux fois plus que dans la proposition précédente. Les salaires commencent à progresser dans tous les secteurs. La chaîne de cafés Starbucks a annoncé qu’elle rehausserait son salaire minimum à 15 dollars l’heure. Un environnement de travail plus fonctionnel et des salaires plus élevés pourraient bien être le meilleur moyen d’encourager les chômeurs à reprendre du service.

 

L’homo faber fabrique

 

La tradition française est particulièrement riche dans le domaine de la critique du travail qui remonte au moins au début du 19ème siècle et qui a galvanisé certains des plus importants penseurs et mouvements culturels. Cette tradition comprend l’utopiste socialiste Charles Fourier (1772 – 1837), qui a appelé à l’abolition de la séparation entre travail et loisirs ; le gendre rebelle de Marx, Paul Lafargue (1842 – 1911), qui a réclamé Le droit à la paresse (1880) ; le père du surréalisme André Breton (1895 – 1966), qui déclarait une « guerre au travail » ; et, bien sûr, le situationniste Guy Debord (1931 – 1994), auteur du fameux graffiti « Ne travaillez jamais » ; ainsi qu’une foule d’autres groupes et personnalités.

 

L’identification de l’humanité à l’homo faber, ou « l’homme qui fabrique », un être qui se construit consciemment et construit le monde qui l’entoure au cours du processus de production, est à la base de presque toutes les formes de pensée sociale moderne. Le travail en tant que tel a été traité de diverses manières à l’époque moderne comme une source de richesse sociale, d’identité, de fierté, de liberté, de progrès, de justice et même comme l’essence véridique de toute société ou, comme le dit Marx dans Le Capital (1867), « la vie humaine elle-même ». En effet, c’est bien le cas, dans la mesure même de l’emprise du travail sur la société moderne. La plupart des individus contemporains, dès leur naissance, voient leur enfance sacrifiée et sont entraînés à la concurrence pour entrer sur le marché du travail et, s’ils font partie des « heureux gagnants », à l’âge adulte ils passeront leur vie principalement dans une usine, dans un magasin ou un bureau. Même le fils du bourgeois qui peut ne pas avoir à travailler un seul jour de sa vie, doit son existence au monde du travail et a tout de même fréquemment un travail.

 

A l’heure actuelle, certains gouvernements seraient prêts à recourir à la surexploitation et au travail forcé ; le capitalisme contemporain est tout à fait capable d’exiger les sacrifices les plus extrêmes au dieu travail sans l’intervention de l’Etat. Les images grossières de propagande productiviste du passé n’avaient été jugées nécessaires que provisoirement. Il a fallu l’exode rural et les réformes de l’Etat, restreignant les droits des paysans dits « arriérés » pour les contraindre à la discipline du travail dans les fabriques. Dans les « démocraties et marchés libres » occidentaux, où nous sommes censés être reconnus uniquement en tant que consommateurs, le langage est devenu plus insidieux. Il n’existe plus de « classe ouvrière », mais uniquement des « travailleurs » et des « familles de travailleurs ». Il n’y a pas de « chômeurs », il n’y a que des « demandeurs d’emploi ».

 

Certains signes indiquent toutefois que le consensus social qui entoure le travail depuis des siècles est en décomposition. Nous assistons à une opposition au travail qui semble être quelque chose de généralisé, à mesure qu’une forme de désespoir s’installe. Le tollé suscité par la « Loi travail » a conduit à  d’énormes protestations. On peut également penser au succès tel que Bonjour Paresse : De l’art et de la nécessité d’en faire le moins possible en entreprise (2004) de Corinne Maier ; ou de documentaires tels que Attention Danger Travail (2003) de Pierre Carles. On trouve de plus en plus de propositions émanant de toutes les couches de la société, même des écoles de management, pour traiter du « problème du travail » : des appels en faveur d’un revenu de base, pour la « décroissance », pour un « salaire au travail ménager », ainsi que des arguments en faveur d’un meilleur équilibre travail-vie, d’une économie verte, etc.

 

Conjointement, on se rend compte, même dans les échelons supérieurs du pouvoir, que nous ne pouvons pas continuer ainsi, si nous voulons que la planète continue d’être un habitat viable. Les principaux journaux au Royaume-Uni et en France invoquent même la pléthore de bullshit jobs, ou de « boulots de con », tels que les nomme David Graeber(1). En bref, tout porte à croire que les mouvements sociaux, pour être efficaces, sont de plus en plus obligés de s’attaquer de front au culte du travail.

 

Les Anciens appréhendaient le « travail » comme douleur, mais le travail en tant que tel – comme dépense indifférenciée d’énergie humaine, mesurée en temps de travail socialement nécessaire pour nulle autre raison que de transformer 100 E en 110- leur était inconnu. Seuls, nous autres Modernes, le faisons. Aucune autre définition du travail n’est satisfaisante. Nous ne pouvons le détacher du capitalisme. La théorie critique du travail nous offre les outils conceptuels nécessaires pour critiquer le travail en tant que forme sociale fondamentalement négative, fétichiste et destructrice. Il est extraordinairement vorace en victimes - tués le plus directement à travers les accidents et le stress. Il a étendu son emprise jusqu’à menacer le futur même de la planète.

 

« Y aller doucement » ne veut évidemment pas dire qu’on pourrait, comme par un coup de baguette magique, créer une meilleure société. En revanche, cela signifie s’affronter aux forces qui, ici et maintenant, voudraient que rien ne change.

 

Stéphanie Roussillon

 

(1)  David Graeber. Anthropologue américain, militant anarchiste Occupy Wall Street

 

Sources :

Dossier de Courrier International n°1620 du 18 au 24 novembre 2021. « Ne travaillez jamais ». La critique du travail en France de Charles Fourier à Guy Debord de Alastair Hemmens