Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 3 avril 2023

 

La Sécurité Sociale et « la Sociale »

 

Le film documentaire de Gilles Perret, « la Sociale », remet à l’honneur les conditions d’instauration du régime de Sécurité Sociale en France. Cette formidable avancée au sortir de la 2ème guerre mondiale dans une France meurtrie, appauvrie, où tout est à reconstruire, démontre la détermination sociale de ses initiateurs communistes et Cgétistes. Instaurer la protection vieillesse, la protection maladie/accidents du travail/maladies professionnelles ainsi que les allocations familiales, n’était pas une mince affaire.

 

Toutefois, ce documentaire occulte le contexte, les difficultés rencontrées et les répressions qui se sont produites à la Libération. « Les jours heureux », l’intitulé du programme du Conseil National de la Résistance, ont eu du mal à émerger et furent ignorés dans la douleur pour beaucoup d’autres… de l’Empire français. Pour que l’on évite de sombrer dans l’illusion d’une nostalgie d’un âge d’or, le contexte et des faits propres à cette époque, se doivent d’être rappelés.

 

Tout d’abord, le contexte était favorable à la mise en place de lois sociales. Après la crise économique et financière de 1929-1930, la misère, le fascisme et la guerre, l’esprit qui dominait était « plus jamais ça ». Même un conservateur comme Keynes était favorable à une modification d’ampleur du capitalisme qui devait être régulé. A l’époque, le prestige de l’URSS libératrice et des communistes était d’une ampleur considérable. Quant au patronat, et à une grande fraction de la bourgeoise, ils s’étaient complètement discrédités dans la collaboration avec les nazis.

 

Toutefois, le parti colonial, la volonté de conserver, de restaurer l’Empire, était largement partagé, comme les idées racistes malgré la défaite du nazisme. A preuves.

 

En décembre 1944, les tirailleurs sénégalais (1 600 soldats) sont rapatriés et incarcérés à Thiaroye, près de Dakar, dans l’attente de la promesse de démobilisation et du versement de leur solde. Réclamant le versement de cette prime, pour tout pécule ils ne recevront que du plomb. Le général Dagnan donna l’ordre de tirer sur ces protestataires, le 6 mai 1945 : 191 tués, les autres furent condamnés à 10 ans de prison puis… graciés en 1947. Cette répression est à mettre en relation avec « l’opération de blanchiment » de l’armée française. Il ne devait pas y avoir de « taches noires » dans le défilé parisien. A la différence de la guerre 14-18, on ne célébrait plus la « force noire », première appellation des tirailleurs sénégalais.

 

Les résistants FTP, et autres incorporés dans les FFI, après avoir combattu en France et en Allemagne nazie, furent engagés dans les colonies. Après le massacre de Sétif et Guelma en Algérie, contre les partisans de l’indépendance de ce pays (30 000 à 40 000 morts) et ce, en 1945, les répressions sanglantes et les guerres coloniales vont se succéder : à Madagascar contre l’insurrection populaire (89 000 morts !), en Indochine jusqu’en 1954, en Algérie (1962). Ce furent pour ces populations des jours malheureux.

 

En outre, l’opération d’épuration de l’Etat pétainiste n’a touché que les personnalités les plus compromises. Ainsi, Mitterrand, le décoré de la francisque, et Bousquet, l’organisateur de la déportation des Juifs, sortirent blanchis à la Libération. Plus repoussantes encore furent les exactions des résistants de la dernière heure, tondant publiquement les femmes ayant eu ou soupçonnées d’avoir eu des relations avec les Allemands.

 

Plus fondamentalement, les Trente Glorieuses commençaient mal. Le 4 mars 1947, les Communistes étaient expulsés du gouvernement. Préparées par la CIA et l’AFL-CIO (syndicat étatsunien, la scission de la CGT et la création de FO affaiblissaient l’unité de la classe ouvrière en recomposition.

 

Tout n’était pas rose malgré les 2.7 milliards de dollars consentis dans le cadre du Plan Marshall. Les tickets de rationnement ne furent supprimés qu’en décembre 1949. En 1954, lors de cet hiver rigoureux, l’abbé Pierre tonnait contre la misère et le mal-logement.

 

Ce billet, pour insister sur deux principes :

-         Sans connaissance du passé, l’on peut être amené à reproduire des erreurs similaires

-         un peuple qui en domine un autre (ou des autres) ne peut être un peuple libre.

 

GD, le 26.03.2023   

 

Ils-elles luttent

                                Une victoire pour la cause palestinienne

 

Salah Hamouri, franco-palestinien né à Jérusalem, 37 ans, marié à une française interdite de séjour en Israël et en Palestine. Lui est avocat, employé d’une ONG de défense des prisonniers palestiniens, victime depuis une quinzaine d’années de harcèlement politico-administratif de la part de l’Etat d’Israël qui lui a déjà valu de passer 10 ans de sa vie derrière les barreaux. En décembre 2022, il a été expulsé d’Israël et, en France, interdit, par Macron/Darmanin, de prises de paroles publiques dans plusieurs villes, notamment à Lyon, où le maire (EELV), confronté aux protestations de la communauté locale, en particulier des sionistes, s’est senti obligé de déprogrammer (de fait, d’interdire) la conférence publique prévue. Mais, à Nancy, le tribunal administratif a suspendu l’arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle interdisant la conférence publique organisée par l’AFPS et Salah Hamouri. AFPS, Amnesty International, LDH et Salah Hamouri avaient déposé un référé liberté, soutenus par le Syndicat des Avocats de France. Le tribunal leur a donné raison en motivant sa décision : Salah Hamouri n’a tenu aucun propos susceptible d’être pénalement sanctionné ou de susciter des menaces à l’ordre public. Il a condamné l’Etat à payer 1 000€ à chaque requérant. Le tribunal a reconnu l’atteinte grave et injustifiée à la liberté d’expression et à la liberté de réunion. Salah Hamouri a pu, le soir-même, s’exprimer à Nancy. Défaite cinglante de Darmanin, à l’écoute de groupuscules pro-israéliens pour interdire tout soutien à la cause palestinienne, démontrant la contribution du gouvernement Macron à la politique d’extrême-droite israélienne. Darmanin s’était même permis de traiter Salah Hamouri de « triste personnalité ». Qui est le triste personnage, en l’affaire ?

AFPS – Association France Palestine Solidarité

 

Expériences chiliennes

 

Sur le territoire de l’actuel Chili, vivait une multitude de communautés amérindiennes. Ces communautés étaient très différentes les unes des autres car le territoire chilien a une configuration très particulière. C’est une bande de terre de 200 km de large sur 4 300 km de long, coincée entre l’océan Pacifique à l’ouest et la cordillère des Andes à l’est. Le nord est un désert caniculaire, le sud, proche du Cap Horn, une région froide, très arrosée. Afin de se rendre compte de l’étendue de ce territoire, rappelons simplement que Paris et Moscou sont distants de 2 500 km.

 

Un peu d’histoire

 

Au centre vit la communauté la plus nombreuse, les Mapuches « les gens de la terre ». Contrairement aux Amérindiens du nord du continent, dès le Xème siècle, ils se sédentarisent, développent les cultures en terrasse, l’irrigation et la défense de leur territoire. Au XVème siècle, les Incas, s’en rendront compte, leur prise de possession du territoire chilien sera bloquée par les Mapuches. En 1520, Magellan occupe le sud et le nord de l’actuel Chili, mais le territoire mapuche résistera et restera quasiment autonome. Le navigateur rendra d’ailleurs hommage à la ténacité, au courage de ce peuple. Pourtant, ce ne sont pas les Indigènes, mais les colons européens, en particulier les propriétaires fonciers, qui se dégagent de la tutelle espagnole ; celle-ci prend fin, effectivement, en 1826, à l’issue de la guerre d’indépendance.

 

Début 19ème, la désignation d’un chef d’Etat était relativement simple (à en faire rêver quelques politiciens actuels) : le plus grand propriétaire terrien, Bernard O’Higgins, s’institue « commandeur suprême ». Il proclame l’indépendance du Chili le 12 février 1818. Au cours de  ce siècle, de grandes entreprises voient le jour du fait de la découverte d’argent puis de salpêtre. Le secteur agricole est florissant. L’agriculture au nord, l’élevage au sud et la pêche assurent la souveraineté alimentaire.

 

Dans les mines, le patronat impose des conditions de travail très dures. Les ouvriers tentent de s’y opposer avec le soutien de partis politiques (Parti Ouvrier Socialiste) et de syndicats (Fédération ouvrière régionale du Chili), très revendicatifs. En 1907, à Iquique, les ouvriers de l’usine de salpêtre se mettent en grève pour protester contre leurs conditions de travail : 12 à 14 H quotidiennes, 7 jours sur 7, salaire versé en jetons qui permettaient d’acheter des produits uniquement dans les magasins propriétés de l’entreprise. Le patronat fait appel à l’armée qui mitraille les mineurs et leurs familles : 3 000 à 4 000 personnes y laissent la vie.

 

En 1938, un président « socialiste » est élu : Pedro Aguirre Cerda. Son gouvernement met en œuvre des réformes radicales : création d’un système de sécurité sociale, nationalisations, accueil massif de réfugiés espagnols fuyant le franquisme (accueil confié à une certain Pablo Neruda). Le Chili est alors le plus avancé d’Amérique du sud en matière sociale et l’augmentation rapide de la production de cuivre lui assure une bonne santé économique. Mais cette embellie repose sur l’aura dont dispose Cerda auprès de la population. Il est le premier homme d’Etat à tenir réellement ses promesses. Malheureusement, il décède en 1941 et son successeur cèdera beaucoup plus facilement aux pressions des Etats-Unis. Le Chili entre en guerre à leurs côtés en 1943.

 

Le nationalisme socialisant

 

En 1950, un évènement a priori anecdotique se déroule à Santiago. L’université privée catholique de Santiago décide d’un parrainage avec l’université de Chicago. Des échanges réguliers se mettent en place entre étudiants chiliens et étudiants chicagoens. C’est dans cette université de Chicago que vont se développer les bases de la pensée néolibérale : non-ingérence de l’Etat dans l’économie, libre échange, etc. A cette époque ces idées vont à l’encontre des pratiques économiques de la région ; les pays d’Amérique latine, comme beaucoup d’autres, mettent en place des taxes sur les produits importés pour favoriser leur production intérieure. La pensée néolibérale qui se développe est telle que Jorge Alessandri, candidat à l’élection présidentielle chilienne en 1970, visitant l’université privée et catholique de Santiago, après échange avec les étudiants et leurs formateurs états-uniens dira : « Sortez-moi ces fous de là, je ne veux plus les voir » ! Allessandri était pourtant président de la confédération chilienne patronale et candidat de droite aux élections.     

 

En 1970, Salvador Allende, candidat socialiste, arrive en tête de l’élection présidentielle avec 37 % des voix, devant le candidat conservateur (35 %) et le démocrate-chrétien (28 %). Il obtient le soutien de la démocratie chrétienne en échange de l’assurance du respect des libertés et de la légalité. Le 24 octobre 1970, il est nommé président de la République. Son programme socialiste (pas un socialisme tendance Valls, Strauss Khan ou Hollande) va très rapidement faire « grincer les dents » en particulier du côté étatsunien. Et ce programme il va l’appliquer sans faillir. Son prédécesseur avait nationalisé les mines de cuivre à 51 %, lui, va le faire à 100 % sans indemniser les compagnies privées, souvent états-uniennes. Il accentue la politique de redistribution des terres en faveur des paysans les plus pauvres. Il nationalise ou réquisitionne d’autres entreprises, dont 9 banques sur 10. Son gouvernement met en place des mesures sociales, comme l’augmentation des salaires, la distribution gratuite de lait pour les enfants, des aides financières aux plus pauvres…  Ce régime socialiste, dans le giron étatsunien de l’Amérique du sud, va devenir le régime à abattre. La grande crainte des Etats-Unis est que « l’expérience » socialiste d’Allende réussisse et se répande dans d’autres pays d’Amérique du sud et d’ailleurs. Henry Kissinger, secrétaire d’Etat de Nixon, déclarera, dans un grand souci de respect du choix des peuples ( !) : « Je ne vois pas pourquoi il faudrait s’arrêter et regarder un pays devenir communiste à cause de l’irresponsabilité de son peuple ».

 

Contre-révolution néolibérale

 

Le rouleau compresseur états-unien va alors se mettre en route pour écraser le régime d’Allende. Les Etats-Unis réduisent les crédits accordés au Chili de 300 millions à 30 millions de dollars, les pièces détachées des machines-outils deviennent impossibles à trouver (pour les entreprises chiliennes)… Entre 1970 et 1973, la CIA dispose d’un budget de 7 milliards de dollars pour soutenir l’opposition à Allende (financement de partis politiques d’opposition, de journaux, d’organisations privées…). Les cours du cuivre, dont les finances chiliennes sont très dépendantes, baissent d’un tiers entre 1970 et 1972. Après une première année faste économiquement et socialement, le Chili connaît une crise économique très violente. L’inflation entre décembre 1972 et décembre 1973 est de 500 %. La valeur de la monnaie chilienne chute. Les efforts étatsuniens pour asphyxier l’économie chilienne portent leurs fruits. Pour tenter d’enrayer l’inflation, le gouvernement chilien fixe arbitrairement le prix des denrées de base. Résultat : le marché noir se développe et les ménagères organisent les « marches des casseroles vides » ; elles n’ont plus rien à cuire. Le Chili entre, alors, dans un cercle vicieux, coupé en deux entre les anti et les pro-Allende, la violence se répand, perturbant encore plus l’économie du pays et créant plus de misère, de mécontentements.

 

Sentant le moment propice, les Chicago boys publient un livre exposant leur théorie économique. Surnommé « El Ladrillo » (la brique) il est un véritable programme de recettes pratiques pour appliquer une politique à l’opposé de celle d’Allende. La déstabilisation du gouvernement Allende prend de l’ampleur et s’achève, dans le sang, le 11 septembre 1973. Salvador Allende est retrouvé mort dans le palais présidentiel bombardé par l’armée. Le coup d’Etat est mené par le général Augusto Pinochet qui confie à son ministre des finances la mise en place du programme économique des Chicago boys. Le Chili devient le « laboratoire du néo-libéralisme », le premier pays qui applique à l’échelle nationale les idées de Milton Friedman. Et ils ne font pas « dans la dentelle » : suppression des subventions, des aides aux défavorisés, privatisation de la santé, de l’éducation, démantèlement du peu de sécurité sociale existante et des syndicats, suppression des frais de douanes, ouverture du pays à tous les produits étrangers, nouveau système de retraite. Arrêtons-nous sur ce système (qui doit faire rêver « nos » dirigeants actuels) : 10 % du salaire de chaque travailleur, sans qu’il ait le choix, est systématiquement placé dans des fonds de pension pour lui être restitué au moment de sa retraite. Chacun cotise pour lui-même et les fonds de pension sont assurés de recevoir régulièrement des fonds qu’ils font fructifier à leur plus grand profit durant une longue période. Le rêve pour un financier !     

 

Dans un premier temps, cela fonctionne plutôt bien. Le pays attire les investisseurs étrangers du fait de ses potentialités et de sa stabilité. Au Chili, à l’époque Pinochet, il n’y a aucun risque de contestation sociale. Le régime est une dictature ultra-violente. Les opposants sont arrêtés, torturés, disparaissent… Ils furent plusieurs milliers à connaître ce sort. Ceux qui réussissent à fuir le pays sont pourchassés à l’étranger dans le cadre de « l’opération Condor », cette campagne d’assassinats conduite par les services secrets d’un certain nombre de pays d’Amérique du sud, dont le Chili, avec le soutien tacite des Etats-Unis. Les Chicago boys ont les coudées franches pour mettre en place leurs théories. La croissance du PNB explose, l’inflation est sous contrôle et on parle alors du « miracle chilien ». Le cuivre, l’agriculture, l’élevage, la pêche, sont un socle solide pour l’économie chilienne.

 

Retour à la démocratie… néolibérale

 

Après le retour de la démocratie, en 1989, les différents présidents qui se succèdent (Michèle Bachelet, Sébastian Pinera) continuent d’appliquer, à quelques ajustements près, une politique néolibérale et le Chili apparaît comme le pays d’Amérique du sud qui a le mieux réussi. Sauf sur un point : les inégalités sociales. En 2018, il est classé par l’OCDE, comme le 3ème pays le plus inégalitaire au monde derrière l’Afrique du Sud et le Costa Rica. Il est même en tête de classement après redistribution des impôts avec un taux de redistribution de la richesse d’environ 5 % alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 25 % (33 % en France).

 

Vu sous cet angle, le miracle chilien fait beaucoup moins rêver. Les privatisations ont rendu tout, très cher. L’éducation coûte très cher au Chili, à ce titre, il détient la 2ème place derrière les Etats-Unis. Dans le domaine des retraites, par capitalisation, le néolibéralisme montre son vrai visage : 80 % des retraites versées au Chili, en 2018, sont inférieures au salaire minimum et 50 % sous le seuil de pauvreté. Les fonds de pension qui ont géré les 10 % des salaires pris aux travailleurs durant toute leur carrière, font d’énormes bénéfices et reversent des miettes à ceux qui, par leur travail, les ont enrichis. 

 

Le Chili apparaît comme un pays riche ayant un niveau des prix à l’occidentale mais dont une grande partie de la population n’a pas les revenus d’un pays développé. Le salaire moyen est d’environ 750 € et le revenu minimum est d’environ 400 €. Plutôt que de « miracle chilien » il faudrait plutôt parler de « mirage chilien », dans un pays plutôt en bonne santé économique où 70 % de la population connaît des difficultés et constate que la richesse est très mal partagée. Ainsi, le 1 % des plus riches amassent chaque année entre un quart et un tiers des revenus, et les 10 % plus de la moitié. Il n’existe au Chili aucun établissement universitaire gratuit, les étudiants s’endettent (ceux qui le peuvent) pour financer leurs études. 65 % des étudiants les plus pauvres, obligés de travailler pour payer leurs études, les interrompent avant leur terme. Le système éducatif chilien contribue à la reproduction des inégalités. Dans le domaine de la santé, les inégalités sont frappantes : 20 % des Chiliens peuvent accéder à un système privé. Outre leur coût, les mutuelles peuvent choisir leurs patients et, à 70 € la visite du médecin il vaut mieux en posséder une. Ceux qui ne peuvent pas, se tournent vers le système de santé public n’offrant qu’un minimum de soins basiques.

 

Voilà le résultat de 40 ans de néolibéralisme total : un pays où une infime minorité vit bien, même très bien, un pays qui, sur le papier, présente des résultats pouvant faire rêver, mais un pays où la grande majorité de la population vit difficilement, sans pouvoir profiter de sa richesse. Rappelons, au passage, que Milton Friedman a reçu en 1976, le prix nobel d’économie ! De plus, pour nombre de Chiliens, la violence du modèle néolibéral qu’ils subissent est la continuité de la violence sociale qu’ils ont connue sous le régime Pinochet (la Constitution est d’ailleurs toujours celle de la dictature).

 

En 2019, une grande partie de la population souhaite une rupture avec le modèle qui leur a été imposé sous Pinochet. Il a suffi d’une étincelle pour « mettre le feu à la plaine desséchée », ce fut l’augmentation du prix du ticket de métro (à 4€ en équivalent français). Le mécontentement est immédiat et, dans un premier temps les étudiants puis les autres usagers, fraudent en masse et prennent le métro sans payer. La police ferme les stations une à une. Santiago s’embrase et toutes les rancoeurs accumulées débordent ; des manifestations se déroulent dans toutes les grandes villes du pays. Le 19 octobre, l’état d’urgence est décrété, l’armée est déployée dans les rues de plusieurs villes, le couvre-feu s’applique. Le 25 octobre, des manifestations gigantesques ont lieu dans toutes les grandes villes. Deux millions de personnes manifestent, pour une population de 18 millions (l’équivalent de plus de 6 millions de manifestants en France). Les manifestations s’enchaînent, une grève générale est lancée. Les ports sont quasiment tous bloqués (85 % du PIB chilien est lié aux exportations portuaires). A Santiago, des barricades sont construites, des magasins sont pillés à Vina del mar ou à Valparaiso. Le président Pinera (de droite) rappelle les policiers retraités pour appuyer les forces de l’ordre.

 

L’impossible transformation légaliste ?

 

Sous la pression des manifestants et des grévistes, Pinera accepte l’organisation d’’un référendum en 2020, pour proposer une nouvelle Constitution rédigée par une assemblée citoyenne : 78 % des votants (50 % des électeurs) approuvent ce référendum. En 2021, une assemblée constituante est élue au suffrage universel. Elle se compose de 155 membres, à parité (les Chiliens ont sans doute utilisé les grandes compétences de leurs ancêtres Incas dans le domaine des mathématiques pour réaliser la parité avec 155 membres (!). Dans cette assemblée constituante, 17 places sont réservées aux peuples autochtones dont 7 aux Mapuches qui n’ont pas ménagé leurs efforts au cœur des manifestations ayant amené à ce processus. C’est d’ailleurs une Mapuche, Elisa Loncon, qui est élue présidente de l’assemblée. Cette élection, ainsi que la présence de 8 personnes homosexuelles ont fait beaucoup parler dans les milieux bourgeois et conservateurs chiliens.

 

L’espoir, dans les couches populaires, est grand, d’autant plus qu’en 2022, Gabriel Boric, à la tête d’une coalition de partis « de gauche », est élu président chilien.

 

L’assemblée propose une Constitution innovante, très en pointe en ce qui concerne le respect des minorités, des peuples autochtones, très (et peut-être trop…) en avance. Elle proposait par exemple :

-        la suppression du Sénat, remplacé par une Chambre plus représentative des masses populaires et des peuples autochtones. Cela fut traduit par les opposants, ne retenant que la suppression du Sénat, comme la volonté de concentration des pouvoirs et un déni de démocratie

-        le droit à l’avortement (qui n’existe au Chili qu’en cas de viol ou de malformation du fœtus) et le mariage homosexuel. Au cours de leurs sermons, les prêtres appelaient à voter contre la Constitution 

-        l’Etat chilien défini comme plurinational pour une pleine reconnaissance des peuples autochtones (12 % de la population), traduit par les opposants comme une volonté de donner plus de droits aux autochtones qu’aux autres Chiliens, voire comme une volonté de faire éclater le Chili

-        reprise en charge, par l’Etat, plus ou moins partiellement, de ce qui avait été privatisé sous Pinochet, donc quasiment tout (même le droit à l’eau), traduit par la droite : le Chili va devenir un nouveau Cuba    

-        des avancées très significatives en matière d’écologie et de féminisme.

 

L’élaboration d’une nouvelle Constitution, était souhaitée par les manifestants de 2019 et par les électeurs qui approuvèrent le référendum. Mais, au moment d’approuver son contenu, elle fut rejetée. De nouveaux électeurs avaient été mobilisés par la propagande médiatique et les forces conservatrices, insistant d’une part sur les droits nouveaux accordés aux peuples indigènes qui allaient entraîner la désintégration de l’unité du Chili. D’autre part, la reconnaissance des droits à l’égalité des femmes, à l’avortement, dans un pays encore très catholique, fut largement instrumentalisée. La droite chilienne joua assez « finement » en disant « nous en voulons pas de cette Constitution mais nous ne voulons pas conserver celle de Pinochet, se détachant de l’image d’héritière de l’époque de la dictature. Si l’on ajoute qu’en 2021, le Chili est entré dans une phase de fort ralentissement économique et en période d’inflation, c’est plutôt un verdict prévisible qui est tombé le 4 septembre 2022 : 62 % des électeurs, qui se sont exprimés, ont refusé la nouvelle Constitution.

 

Que peut réellement faire Boric, ce jeune président, de gauche, celui qui a emporté l’élection de décembre 2021 face à un candidat d’extrême-droite ?

 

Elu avec 56 % des voix, il semble désormais impuissant face au rejet de la Constitution, proposée par référendum en 2022. D’ailleurs, si à cette occasion, la Bourse s’est envolée (+ 3.65 %), c’est qu’elle se sent désormais rassurée. La Chambre des députés, qui compte 16 partis différents, reste marquée à droite. Les marges de manœuvre du Président se réduisent, d’autant que sa réforme fiscale visant à augmenter les impôts pour les plus riches et pour les entreprises, a été refusée (à une voix près) par la chambre des députés. Osera-t-il dissoudre la Chambre, démissionner afin d’accentuer la crise politique ? Tout indique qu’il entend jouer le jeu légaliste en proposant, par la voie parlementaire, une nouvelle version de la Constitution, afin de sortir du carcan de celle de Pinochet, et d’une nouvelle réforme fiscale pour donner plus de moyens à l’Etat pour faire face à la dégradation-suppression des services publics, pour ce qu’il en reste. La Présidente socialiste Michèle Bachelet n’y est pas parvenue. Elle a dû faire face à un mouvement étudiant qui, le 30 mai 2006, mobilisa 600 000 à 1 million de manifestants. La coalition qu’elle dirigeait a laissé pourrir ses aspirations dans un contexte de corruption provoquant de nouveaux scandales, favorisant ainsi le retour de la droite en 2010 et l’élection de son candidat Pinera.

 

Il a fallu l’étincelle (augmentation du prix du ticket de métro), enflammant toutes les rues chiliennes pour que Pinera (président de droite) consente à la mise en place d’une nouvelle Constitution, seule avancée qu’ait connue le Chili au cours de ces dernières années. C’est le rapport de forces créé par les grèves et les manifestations qui l’a permis. Dès que le mouvement social s’est arrêté, les forces de droite ont repris leur travail de propagande, de désinformation grâce aux puissants moyens financiers dont ils disposent.

Les « parlottes » institutionnelles face à la propagande dominante n’ont pas pesé lourd. Elles n’ont pas entamé, loin de là, l’hégémonie idéologique et culturelle de la classe dominante. Bref, depuis la fin de la dictature insupportable de Pinochet (pendant 31 ans), centre-droit et centre-gauche se sont succédé pour que rien ne change…

 

De nouveaux soulèvements sont à prévoir pour déconsidérer notamment ce jeune président qui, en toute légalité, comme Allende, en son temps, voulait bien faire.

 

Jean-Louis Lamboley, le 28.03.2023