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mercredi 3 mai 2023

 

Crises bancaires, et après

 

C’est pratiquement passé inaperçu en France, mais pas aux Etats-Unis, ni en Suisse ou en Allemagne. La panique de l’effondrement et du sauvetage des banques, retracées ci-après, a certes été minimisée. Il fallait apaiser les esprits pour éviter la généralisation de la défiance qui commençait à s’emparer de nombreux acteurs économiques. Il n’en demeure pas moins que les causes immédiates et structurelles demeurent.

 

De la Silicon Valley Bank à la Deutsche Bank

 

C’était début mars. La Silicon Valley Bank (SVB) s’effondrait. Spécialisée dans l’investissement et les dépôts des start-up, elle n’a pas résisté à la hausse des taux d’emprunts, décidée par la FED, la banque centrale états-unienne. L’argent facile à 0% est passé à 4.75%. L’engouement pour cette banque s’est transformé en panique lorsque l’information sur son extrême vulnérabilité s’est répandue. Elle avait, en effet, placé ses liquidités en bons du Trésor dont la valeur s’effondrait. La politique de la FED, de remonter les taux directeurs visant à étouffer l’inflation, tarissait du même coup le recours aux obligations d’Etats (les bons du Trésor) et, plus généralement, au recours à l’emprunt (trop cher !). Elle étouffait par contrecoup la croissance économique fondée sur l’endettement.

 

Panique, retraits massifs auprès de SVB, qui, faute de liquidités, ne pouvait plus rembourser. Suite à la faillite de SVB, le gouvernement fédéral US intervient massivement pour éviter la contagion. Après la crise financière de 2008, décision avait été prise de garantir le remboursement des déposants jusqu’à 250 000 dollars pour chaque client d’une banque en difficulté. Pas suffisant, s’écrièrent tous ceux qui avaient investi dans ces nouvelles technologies si prometteuses… Qu’à cela ne tienne, il n’y aurait plus de seuil, la planche à billets, la création monétaire de capital fictif, ramèneraient le calme dans les chaumières dorées. Et bien sûr, il ne saurait être question de s’acharner contre ces PdG et autres malins qui, avertis en amont, avaient vendu leurs actions et obligations à un cours avantageux avant leur effondrement.

 

La fragilité du système bancaire US repose sur la croyance dans la croissance assurée de tous les secteurs de l’économie, d’où la spécialisation des banques régionales d’investissement. Et la faillite de SVB en entraîna d’autres : Buffalo Bank qui finance les ranchs et les mines dans le Wyoming, la Bar Harbor Bank qui, dans le Maine, est destinée aux pécheurs de homard, la First Bank californienne, spécialisée dans la gestion de fortunes. Et 3 de plus… sur les 4 000 banques régionales des Etats-Unis. On assista donc à un processus qui s’amplifia, où les faillites engendrent sauvetages et concentrations bancaires, tout en restreignant le recours au crédit, les grandes banques privilégiant les clients les plus fiables. Dès lors, le risque de récession économique ne peut être contenu que par l’arrêt de la hausse des taux directeurs et le recours au capital fictif, cette avance de création monétaire sensée relancer le processus de production et donc de richesse réelle.

 

Est-ce si simple ? A examiner l’effondrement du Crédit Suisse, début avril, on peut en douter. Celui-ci fait partie des 30 banques systémiques dans le monde : « Trop grosses pour faire faillite » ! Elle « était », avant son effondrement, spécialisée dans trois domaines : l’aide » au PME, la gestion de fortunes et… les investissements à risques, c’est-à-dire gangrenés par la finance de l’ombre, celle qui échappe à toute régulation. Ce sont des institutions financières tels les hedge fonds (fonds spéculatifs), les fonds de pension, de titrisation… bref tous ces crédits spéculatifs qui ont fleuri sous la dénomination attractive ( !) d’innovations financières. Ils représentent, excusez du peu, la moitié des actifs financiers mondiaux. Ce sont ces produits sulfureux, spéculant… à la baisse contre le Crédit suisse qui auraient provoqué la réunion en urgence de tout le gratin suisse : représentant du gouvernement, banquiers, experts de haut vol, pour un atterrissage en catastrophe pour sauver les actionnaires et les déposants.

 

Après des palabres laborieuses, il fut décidé que la banque UBS rachetait le Crédit suisse pour 3 millions de francs suisses, la Banque nationale suisse mettrait immédiatement au pot 1 million et promettait d’injecter jusqu’à 200 milliards en cas de nécessité pour garantir, selon la langue de bois en usage, la « fluidité de la liquidité ». En fait, au terme de cette réunion de crise, on n’avait pas encore identifié tous les cadavres dans le placard. Quant à l’Etat fédéral, il garantissait toutes les opérations jusqu’à 3 milliards de francs suisses. Ça ne satisfaisait pas pour autant l’Union européenne, les autorités helvétiques avaient « sacrifié » les porteurs d’obligations (c’est-à-dire des prêts à Crédit Suisse) en les transformant d’autorité en actions dévalorisées. Les fonctionnaires de l’UE promettaient des recours juridiques contre ce procédé autoritaire et pénalisant. Les banques françaises, notamment, restèrent bouche cousue. Il n’y eut que l’assureur AXA pour reconnaître qu’en cette (sale) affaire, elle perdrait 600 millions d’euros. La Bourse allait montrer que d’autres actifs pourris valaient dévaluation : Deutsche Bank perdait 2.5 %, la Commerzbank 5.8 %, BNP Paribas et Société Générale plus de 6 %. Et, évidemment, comme pour la Grèce en son temps, les CDS, ces instruments financiers, ces sortes d’assurances souscrites pour couvrir les risques, s’envolaient jusqu’à doubler…

 

Cette situation n’a pour l’heure alarmé que les citoyens suisses d’ordinaire si paisibles. Pensez donc, en 2008, lors de la crise des subprimes, ils ont supporté le sauvetage d’UBS pour 45 milliards d’intervention pour le renflouer, alors même que son PdG, le sieur Dougan, prévenu de la catastrophe, la baisse des actions de 170 %, s’envolait vers d’autres cieux avec un bonus de 160 millions de francs suisses… Et remise sur les rails, c’est UBS dotée de 1 500 milliards d’actifs, soit 3 fois plus que dans les années 2010 et le double du PIB suisse, qui va, désormais, faire la loi en Suisse, ce qui fait dire aux citoyens suisses : « Faut pas jouer au Monopoly avec le peuple suisse car ça peut mal finir ».

 

L’extrême vulnérabilité du système financier mondial

 

Lors de l’examen des faillites récentes, l’on a évoqué les causes immédiates les favorisant : l’augmentation des taux directeurs des Banques centrales et tout particulièrement celle pratiquée par la FED ainsi que le poids de la finance de l’ombre qui, à tout moment, peut les provoquer.

 

Il faut toutefois aller plus loin dans l’explication. Depuis plus de 20 ans, la mondialisation financière s’est traduite d’abord par des délocalisations dans les pays à bas salaires, par la déstructuration du système industriel sous forme d’externalisations et de sous-traitances. L’accroissement du taux de profit n’a duré qu’un temps limité. L’atelier du monde chinois est devenu une puissance économique plombant les économies occidentales. Malgré les déclarations d’intention, les choix réalisés ne se sont pas focalisés, ni aux USA, ni en Europe, sur l’innovation, l’éducation, la santé. Ce qui a prévalu ce sont les valorisations actionnariales, l’augmentation des dividendes et le développement d’instruments financiers de plus en plus sophistiqués. Pour relancer la croissance souffreteuse, l’offre de prêts à taux zéro, voire négatif, est devenu surabondante. Elle s’est heurtée à une demande insuffisante de produits à réaliser dans l’économie réelle. La Chine, prenant la place laissée vide, a déversé ses produits et ses investissements. Pour stimuler ce qui restait de l’économie occidentale, les liquidités déversées devaient suppléer l’industrie. L’heure était à la croyance des entreprises sans usine, à la privatisation des secteurs plus rentables comme les autoroutes, à la hausse des dividendes, et plus généralement des actifs financiers pour valorisation boursière.

 

Comme cela ne suffisait pas et pour faire face à l’accroissement de l’endettement des Etats favorisés par la croissance en berne, la baisse des impôts des plus riches et des entreprises, les banques centrales ont fait preuve « d’innovation » ( !) non conventionnelle, disent-elles, pour procéder à des rachats massifs de titres financiers des Etats et des grandes entreprises. Ce fut le cas en 2015 et les années suivantes lors de la crise immobilière frappant tout particulièrement l’Espagne et le Portugal. La BCE laborieusement tentait ensuite de revendre ses titres sur le marché dit secondaire à coût bradé sans trop de dommage, en apparence, puisque l’achat de ces titres s’était opéré par la voie de la création monétaire…

 

Cette fuite en avant s’est inscrite dans la réalité d’une énorme bulle financière : 77 % de la finance mondiale est le fruit d’une valorisation financière indue. Seuls les 23 % restants correspondent à une valorisation issue de la production. Toute cette pyramide repose sur la confiance qu’on lui accorde.

 

Lorsque l’inflation invisible, celle accumulée dans les actifs financiers et la spéculation immobilière, a surgi au grand jour, à l’occasion des conséquences de la guerre en Ukraine et du renchérissement de l’énergie, les Etats-Unis ont d’abord réagi à coups de sanctions reposant sur l’hégémonie du dollar qui semblait incontournable, puis en suggérant fortement à l’Arabie Saoudite d’augmenter sa production de pétrole et ce, par deux fois. Mal lui en prit, le pétro monarque, par deux fois, en accord avec l’OPEP, baissa sa production. Fini les ordres de l’aigle états-unien ?

 

Puis ce fut l’envolée des taux directeurs de la FED, les banques occidentales suivant le mouvement indiqué. Nous l’avons souligné, cette politique étouffe la croissance (y compris financière) fondée sur l’endettement. Qui plus est, ces mesures surviennent alors même que les leçons de la crise de 2008 n’ont pas été tirées : la séparation des banques de dépôts et d’investissement n’a pas été réalisée, les paradis fiscaux prospèrent toujours, les banques ont créé des filiales pour contourner le peu de contraintes qui leur étaient imposées. Et Trump, aux USA, en a remis une couche en allégeant la spéculation bancaire instituée. Ainsi, le seuil de supervision fixé à 50 milliards au bilan des banques, a été relevé à 250 milliards de dollars. De fait, la FED, chargée de la régulation bancaire (supervision), a vu ses pouvoirs restreints. Bref, les banques régionales pouvaient, dès lors, accumuler sans intrusion et sans contrôle étatique… jusqu’à la faillite afin de socialiser les pertes et privatiser les gains.

 

En tout état de cause, les banques centrales naviguent désormais à vue, pour éviter deux écueils :

-        soit continuer à augmenter le taux directeur pour étouffer l’inflation et la révolte populaire mais en s’acheminant du même coup vers la récession et l’effondrement du système financier fondé sur la suprématie du dollar

-        soit en élargissant l’accès aux prêts, par la baisse des taux en continuant, de ce fait, à accroître la bulle financière mondiale.

 

L’autre chemin consisterait à revenir à l’origine des accords de Bretton-Woods, tel que préconisé par Keynes, soit l’instauration d’un paquet de devises, assises sur la valeur de l’or et non plus du dollar. Tout ne serait pas réglé pour autant car cette décision, si elle convient à de plus en plus de pays, est également la source de tensions, voire de confrontations guerrières à venir.

 

Gérard Deneux, le 24.04.2023     

 

 

 

L’accord de Bretton-Woods et sa destruction

 

En 1944, 44 gouvernements se mettent d’accord pour réorganiser le système financier, organisant la suprématie du dollar tout en asseyant sa valeur sur celle de l’or. Il est convenu qu’une once d’or équivaut à 35 dollars. Les autres devises voient leur taux de change fixé. Ces accords résultent de la volonté de maîtriser les flux financiers et budgétaires et, par conséquent, d’éviter le renouvellement d’une crise mondiale comme celle de 1929-30. Ces accords sont également la reconnaissance de la suprématie américaine vis-à-vis notamment du Royaume Uni, de la France et de l’Allemagne vaincue.

 

Le 15 août 1971, Nixon décide de rompre unilatéralement cet accord. Le dollar ne repose plus sur l’or, il remplace l’or. Cette décision résulte de l’énorme déficit US, engendré par la guerre du Vietnam (qui va se terminer en 1975) et la fuite des capitaux étatsuniens du fait même de la dévaluation du dollar.

 

Le système nouveau va se fonder sur la dévaluation du dollar qu’ont facilitée les exportations américaines dans les autres pays possédant des monnaies surévaluées. On va assister à des fluctuations de la valeur des monnaies (désignées par le terme de serpent monétaire). Nixon, pour maintenir la suprématie US ne va pas en rester là : les exportations sont taxées, les prix bloqués ainsi que les salaires.

 

La réponse à cette crise c’est le néolibéralisme qui s’est traduit d’abord par un dogme et une expérimentation grandeur nature

-        Ne vous préoccupez pas de la valeur de la monnaie, pour vous développer, empruntez

-        1973, le coup d’Etat au Chili, l’arrivée des Golden Boys sur fond de répression sanglante, suivie de privatisations avec le recours au FMI

 

C’est au prix du sang que la suprématie du dollar a pu se maintenir jusqu’à aujourd’hui ; désormais, de nombreux pays accumulent de l’or pour tenter de passer à un autre système.

GD

 

Le CumCum

 

C’est une recette mais ça ne se mange pas. Véritable « hold-up » fiscal, il fait perdre chaque année plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales à la France. C’est une pratique d’évasion fiscale utilisée pour contourner l’impôt sur les dividendes, dû par les clients étrangers propriétaires d’actions d’entreprises françaises. Cinq grandes banques (Société Générale, BNP Paribas et sa filiale Exane, Natixis et HSBC),  soupçonnées de « blanchiment aggravé de fraude fiscale » ont été perquisitionnées le 28 mars et placées sous enquête judiciaire par le Parquet national financier (PNF). Le Crédit Agricole, pour échapper à la procédure a préféré négocier et accepter un redressement fiscal. Il n’est pour autant pas hors de cause car l’accord conclu par la banque ne solde pas tous ses dossiers fiscaux. C’est  l’enquête CumEx Files réalisée en 2018 par 17 médias partenaires, suite à une plainte contre X déposée auprès du PNF par un collectif de 250 contribuables, qui a permis à l’administration fiscale d’identifier les dossiers. Le PNF a ouvert (fin 2021) des enquêtes préliminaires. Près de 5 ans après sa révélation au grand jour, l’affaire du CumCum n’en est qu’à ses débuts, l’instruction du dossier pourrait durer. Les banques hésitent entre deux stratégies, soit nier l’existence de ce juteux marché basé sur l’évasion fiscale, soit le reconnaître et défendre la légalité de leurs pratiques. Le Monde 23.04.2023