Crises
bancaires, et après
C’est
pratiquement passé inaperçu en France, mais pas aux Etats-Unis, ni en Suisse ou
en Allemagne. La panique de l’effondrement et du sauvetage des banques, retracées
ci-après, a certes été minimisée. Il fallait apaiser les esprits pour éviter la
généralisation de la défiance qui commençait à s’emparer de nombreux acteurs
économiques. Il n’en demeure pas moins que les causes immédiates et
structurelles demeurent.
De la
Silicon Valley Bank à la Deutsche Bank
C’était
début mars. La Silicon Valley Bank
(SVB) s’effondrait. Spécialisée dans l’investissement et les dépôts des
start-up, elle n’a pas résisté à la hausse des taux d’emprunts, décidée par la
FED, la banque centrale états-unienne. L’argent facile à 0% est passé à 4.75%.
L’engouement pour cette banque s’est transformé en panique lorsque l’information
sur son extrême vulnérabilité s’est répandue. Elle avait, en effet, placé ses
liquidités en bons du Trésor dont la valeur s’effondrait. La politique de la
FED, de remonter les taux directeurs visant à étouffer l’inflation, tarissait
du même coup le recours aux obligations d’Etats (les bons du Trésor) et, plus
généralement, au recours à l’emprunt (trop cher !). Elle étouffait par
contrecoup la croissance économique fondée sur l’endettement.
Panique,
retraits massifs auprès de SVB, qui, faute de liquidités, ne pouvait plus
rembourser. Suite à la faillite de SVB, le gouvernement fédéral US intervient
massivement pour éviter la contagion. Après la crise financière de 2008,
décision avait été prise de garantir le remboursement des déposants jusqu’à
250 000 dollars pour chaque client d’une banque en difficulté. Pas
suffisant, s’écrièrent tous ceux qui avaient investi dans ces nouvelles
technologies si prometteuses… Qu’à cela ne tienne, il n’y aurait plus de seuil,
la planche à billets, la création monétaire de capital fictif, ramèneraient le
calme dans les chaumières dorées. Et bien sûr, il ne saurait être question de
s’acharner contre ces PdG et autres malins qui, avertis en amont, avaient vendu
leurs actions et obligations à un cours avantageux avant leur effondrement.
La
fragilité du système bancaire US repose sur la croyance dans la croissance
assurée de tous les secteurs de l’économie, d’où la spécialisation des banques
régionales d’investissement. Et la faillite de SVB en entraîna d’autres : Buffalo Bank qui finance les ranchs et
les mines dans le Wyoming, la Bar Harbor
Bank qui, dans le Maine, est destinée aux pécheurs de homard, la First Bank californienne, spécialisée
dans la gestion de fortunes. Et 3 de plus… sur les 4 000 banques
régionales des Etats-Unis. On assista donc à un processus qui s’amplifia, où
les faillites engendrent sauvetages et concentrations bancaires, tout en
restreignant le recours au crédit, les grandes banques privilégiant les clients
les plus fiables. Dès lors, le risque de récession économique ne peut être
contenu que par l’arrêt de la hausse des taux directeurs et le recours au
capital fictif, cette avance de création monétaire sensée relancer le processus
de production et donc de richesse réelle.
Est-ce
si simple ? A examiner l’effondrement du Crédit Suisse, début avril, on
peut en douter. Celui-ci fait partie des 30 banques systémiques dans le
monde : « Trop grosses pour
faire faillite » ! Elle « était », avant son
effondrement, spécialisée dans trois domaines : l’aide » au PME, la
gestion de fortunes et… les investissements à risques, c’est-à-dire gangrenés
par la finance de l’ombre, celle qui échappe à toute régulation. Ce sont des
institutions financières tels les hedge fonds (fonds spéculatifs), les fonds de
pension, de titrisation… bref tous ces crédits spéculatifs qui ont fleuri sous
la dénomination attractive ( !) d’innovations financières. Ils
représentent, excusez du peu, la moitié des actifs financiers mondiaux. Ce sont
ces produits sulfureux, spéculant… à la baisse contre le Crédit suisse qui
auraient provoqué la réunion en urgence de tout le gratin suisse :
représentant du gouvernement, banquiers, experts de haut vol, pour un
atterrissage en catastrophe pour sauver les actionnaires et les déposants.
Après
des palabres laborieuses, il fut décidé que la banque UBS rachetait le Crédit
suisse pour 3 millions de francs suisses, la Banque nationale suisse mettrait
immédiatement au pot 1 million et promettait d’injecter jusqu’à 200 milliards en cas de nécessité pour garantir, selon la langue de
bois en usage, la « fluidité de la liquidité ». En fait, au terme de
cette réunion de crise, on n’avait pas encore identifié tous les cadavres dans
le placard. Quant à l’Etat fédéral, il garantissait toutes les opérations
jusqu’à 3 milliards de francs suisses. Ça ne satisfaisait pas pour autant
l’Union européenne, les autorités helvétiques avaient « sacrifié »
les porteurs d’obligations (c’est-à-dire des prêts à Crédit Suisse) en les
transformant d’autorité en actions dévalorisées. Les fonctionnaires de l’UE
promettaient des recours juridiques contre ce procédé autoritaire et
pénalisant. Les banques françaises, notamment, restèrent bouche cousue. Il n’y
eut que l’assureur AXA pour reconnaître qu’en cette (sale) affaire, elle
perdrait 600 millions d’euros. La Bourse allait montrer que d’autres actifs
pourris valaient dévaluation : Deutsche Bank perdait 2.5 %, la Commerzbank
5.8 %, BNP Paribas et Société Générale plus de 6 %. Et, évidemment, comme pour
la Grèce en son temps, les CDS, ces instruments financiers, ces sortes
d’assurances souscrites pour couvrir les risques, s’envolaient jusqu’à doubler…
Cette
situation n’a pour l’heure alarmé que les citoyens suisses d’ordinaire si
paisibles. Pensez donc, en 2008, lors de la crise des subprimes, ils ont
supporté le sauvetage d’UBS pour 45 milliards d’intervention pour le renflouer,
alors même que son PdG, le sieur Dougan, prévenu de la catastrophe, la baisse
des actions de 170 %, s’envolait vers d’autres cieux avec un bonus de 160
millions de francs suisses… Et remise sur les rails, c’est UBS dotée de
1 500 milliards d’actifs, soit 3 fois plus que dans les années 2010 et le
double du PIB suisse, qui va, désormais, faire la loi en Suisse, ce qui fait
dire aux citoyens suisses : « Faut
pas jouer au Monopoly avec le peuple suisse car ça peut mal finir ».
L’extrême
vulnérabilité du système financier mondial
Lors
de l’examen des faillites récentes, l’on a évoqué les causes immédiates les
favorisant : l’augmentation des taux directeurs des Banques centrales et
tout particulièrement celle pratiquée par la FED ainsi que le poids de la
finance de l’ombre qui, à tout moment, peut les provoquer.
Il
faut toutefois aller plus loin dans l’explication. Depuis plus de 20 ans, la
mondialisation financière s’est traduite d’abord par des délocalisations dans
les pays à bas salaires, par la déstructuration du système industriel sous
forme d’externalisations et de sous-traitances. L’accroissement du taux de
profit n’a duré qu’un temps limité. L’atelier du monde chinois est devenu une
puissance économique plombant les économies occidentales. Malgré les
déclarations d’intention, les choix réalisés ne se sont pas focalisés, ni aux
USA, ni en Europe, sur l’innovation, l’éducation, la santé. Ce qui a prévalu ce
sont les valorisations actionnariales, l’augmentation des dividendes et le
développement d’instruments financiers de plus en plus sophistiqués. Pour
relancer la croissance souffreteuse, l’offre de prêts à taux zéro, voire
négatif, est devenu surabondante. Elle s’est heurtée à une demande insuffisante
de produits à réaliser dans l’économie réelle. La Chine, prenant la place
laissée vide, a déversé ses produits et ses investissements. Pour stimuler ce
qui restait de l’économie occidentale, les liquidités déversées devaient suppléer
l’industrie. L’heure était à la croyance des entreprises sans usine, à la
privatisation des secteurs plus rentables comme les autoroutes, à la hausse des
dividendes, et plus généralement des actifs financiers pour valorisation
boursière.
Comme
cela ne suffisait pas et pour faire face à l’accroissement de l’endettement des
Etats favorisés par la croissance en berne, la baisse des impôts des plus
riches et des entreprises, les banques centrales ont fait preuve
« d’innovation » ( !) non conventionnelle, disent-elles, pour
procéder à des rachats massifs de titres financiers des Etats et des grandes
entreprises. Ce fut le cas en 2015 et les années suivantes lors de la crise
immobilière frappant tout particulièrement l’Espagne et le Portugal. La BCE
laborieusement tentait ensuite de revendre ses titres sur le marché dit
secondaire à coût bradé sans trop de dommage, en apparence, puisque l’achat de
ces titres s’était opéré par la voie de la création monétaire…
Cette
fuite en avant s’est inscrite dans la réalité d’une énorme bulle
financière : 77 % de la finance mondiale est le fruit d’une valorisation
financière indue. Seuls les 23 % restants correspondent à une valorisation issue
de la production. Toute cette pyramide repose sur la confiance qu’on lui
accorde.
Lorsque
l’inflation invisible, celle accumulée dans les actifs financiers et la
spéculation immobilière, a surgi au grand jour, à l’occasion des conséquences
de la guerre en Ukraine et du renchérissement de l’énergie, les Etats-Unis ont
d’abord réagi à coups de sanctions reposant sur l’hégémonie du dollar qui
semblait incontournable, puis en suggérant fortement à l’Arabie Saoudite
d’augmenter sa production de pétrole et ce, par deux fois. Mal lui en prit, le
pétro monarque, par deux fois, en accord avec l’OPEP, baissa sa production.
Fini les ordres de l’aigle états-unien ?
Puis
ce fut l’envolée des taux directeurs de la FED, les banques occidentales
suivant le mouvement indiqué. Nous l’avons souligné, cette politique étouffe la
croissance (y compris financière) fondée sur l’endettement. Qui plus est, ces
mesures surviennent alors même que les leçons de la crise de 2008 n’ont pas été
tirées : la séparation des banques de dépôts et d’investissement n’a pas
été réalisée, les paradis fiscaux prospèrent toujours, les banques ont créé
des filiales pour contourner le peu de contraintes qui leur étaient
imposées. Et Trump, aux USA, en a remis une couche en allégeant la spéculation
bancaire instituée. Ainsi, le seuil de supervision fixé à 50 milliards au bilan
des banques, a été relevé à 250 milliards de dollars. De fait, la FED, chargée
de la régulation bancaire (supervision), a vu ses pouvoirs restreints. Bref,
les banques régionales pouvaient, dès lors, accumuler sans intrusion et sans
contrôle étatique… jusqu’à la faillite afin de socialiser les pertes et
privatiser les gains.
En
tout état de cause, les banques centrales naviguent désormais à vue, pour
éviter deux écueils :
-
soit continuer à
augmenter le taux directeur pour étouffer l’inflation et la révolte populaire
mais en s’acheminant du même coup vers la récession et l’effondrement du
système financier fondé sur la suprématie du dollar
-
soit en
élargissant l’accès aux prêts, par la baisse des taux en continuant, de ce
fait, à accroître la bulle financière mondiale.
L’autre
chemin consisterait à revenir à l’origine des accords de Bretton-Woods, tel que
préconisé par Keynes, soit l’instauration d’un paquet de devises, assises sur
la valeur de l’or et non plus du dollar. Tout ne serait pas réglé pour autant car
cette décision, si elle convient à de plus en plus de pays, est également la
source de tensions, voire de confrontations guerrières à venir.
Gérard
Deneux, le 24.04.2023
L’accord de
Bretton-Woods et sa destruction
En
1944, 44 gouvernements se mettent d’accord pour réorganiser le système
financier, organisant la suprématie du dollar tout en asseyant sa valeur sur
celle de l’or. Il est convenu qu’une once d’or équivaut à 35 dollars. Les
autres devises voient leur taux de change fixé. Ces accords résultent de la
volonté de maîtriser les flux financiers et budgétaires et, par conséquent,
d’éviter le renouvellement d’une crise mondiale comme celle de 1929-30. Ces
accords sont également la reconnaissance de la suprématie américaine vis-à-vis
notamment du Royaume Uni, de la France et de l’Allemagne vaincue.
Le
15 août 1971, Nixon décide de rompre unilatéralement cet accord. Le dollar ne
repose plus sur l’or, il remplace l’or. Cette décision résulte de l’énorme
déficit US, engendré par la guerre du Vietnam (qui va se terminer en 1975) et
la fuite des capitaux étatsuniens du fait même de la dévaluation du dollar.
Le
système nouveau va se fonder sur la dévaluation du dollar qu’ont facilitée les
exportations américaines dans les autres pays possédant des monnaies
surévaluées. On va assister à des fluctuations de la valeur des monnaies
(désignées par le terme de serpent
monétaire). Nixon, pour maintenir la suprématie US ne va pas en rester
là : les exportations sont taxées, les prix bloqués ainsi que les
salaires.
La
réponse à cette crise c’est le néolibéralisme qui s’est traduit d’abord par un
dogme et une expérimentation grandeur nature
-
Ne vous
préoccupez pas de la valeur de la monnaie, pour vous développer, empruntez
-
1973, le coup
d’Etat au Chili, l’arrivée des Golden Boys sur fond de répression sanglante,
suivie de privatisations avec le recours au FMI
C’est
au prix du sang que la suprématie du dollar a pu se maintenir jusqu’à aujourd’hui ;
désormais, de nombreux pays accumulent de l’or pour tenter de passer à un autre
système.
GD
Le CumCum
C’est
une recette mais ça ne se mange pas. Véritable « hold-up » fiscal, il
fait perdre chaque année plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales à la
France. C’est une pratique d’évasion fiscale utilisée pour contourner l’impôt
sur les dividendes, dû par les clients étrangers propriétaires d’actions
d’entreprises françaises. Cinq grandes banques (Société Générale, BNP Paribas
et sa filiale Exane, Natixis et HSBC),
soupçonnées de « blanchiment
aggravé de fraude fiscale » ont été perquisitionnées le 28 mars et
placées sous enquête judiciaire par le Parquet national financier (PNF). Le
Crédit Agricole, pour échapper à la procédure a préféré négocier et accepter un
redressement fiscal. Il n’est pour autant pas hors de cause car l’accord conclu
par la banque ne solde pas tous ses dossiers fiscaux. C’est l’enquête CumEx
Files réalisée en 2018 par 17 médias partenaires, suite à une plainte
contre X déposée auprès du PNF par un collectif de 250 contribuables, qui a
permis à l’administration fiscale d’identifier les dossiers. Le PNF a ouvert
(fin 2021) des enquêtes préliminaires. Près de 5 ans après sa révélation au
grand jour, l’affaire du CumCum n’en
est qu’à ses débuts, l’instruction du dossier pourrait durer. Les banques
hésitent entre deux stratégies, soit nier l’existence de ce juteux marché basé
sur l’évasion fiscale, soit le reconnaître et défendre la légalité de leurs
pratiques. Le Monde 23.04.2023