Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 30 mai 2023

 

Les 100 jours… messes à promesses


Macron a rouvert le dialogue, ou plutôt le monologue. Il parle. Mais que valent ses promesses, sinon, à calmer les casserolades et autres mécontentements à venir, face à l’augmentation des prix qui font grossir les files d’attente auprès des associations distribuant aides alimentaires et autres soutiens pour payer loyers, charges. Macron fait le dos rond en attendant que la colère passe et le revoilà : « On ne peut pas prendre le risque de l’impuissance… Il faut se mettre en danseuse et repartir. Relever le museau ». Alors, il macronne. Il annonce un plan en 100 jours ; il est partout, à la « rencontre des Français », ou sur les médias ; il reçoit les grands patrons à Versailles pendant que Borne est chargée de « renouer  le dialogue » avec les syndicats. Macron promet du mieux vivre, de la justice sociale… en contrôlant toujours plus ceux qui « ne veulent pas travailler », en renforçant le rôle de la police, ou encore en promettant une planification écologique et la ré-industrialisation.      


 1 - Macron « macronne » et bla-bla-bla…

 

Après l’orage, il rouvre la porte au dialogue. Dommage que les 5 syndicats conviés y soient allés (même la CGT), l’un derrière l’autre, alors que Berger criait à qui voulait l’entendre : « On ne répond pas quand on nous siffle ! » et que Sophie Binet, déclarait que la réouverture du dialogue passait par le retrait de la loi « retraite ». Même si, à la sortie, elle déplorait « un monologue gouvernemental » à quoi sert cette contorsion, sinon à montrer que l’unité syndicale remue encore ? Fallait-il participer à ce grand jeu hypocrite pour ne pas apparaître comme le syndicat qui divise, face aux futures batailles à mener ? Hélas, cela semble « servir » Macron qui se faufile dans cette échancrure pour réapparaître.

 

Il parle. Il fait des promesses, dans les villages, sur toutes les ondes, ne laissant aucun espace public à sa 1ère ministre et aux ministres concernés. Il se glorifie d’un taux de chômage si bas à 7.1 % « jamais atteint depuis longtemps » et s’engage à le ramener à 5 % fin 2027, ce qu’il appelle le plein emploi. Comment ? En autorisant les contrats précaires, les « contrats zéro heure » comme au Royaume Uni ? En contrôlant et en radiant ?  

 

Il annonce trois grandes priorités sans préciser les moyens (financiers notamment) pour leur mise en oeuvre :

 

-        « Un nouveau pacte de la vie au travail » : amélioration des revenus et des salaires, meilleur partage de la richesse, amélioration des conditions de travail, des solutions contre l’usure professionnelle ou l’accroissement de l’emploi des séniors… sans qu’il y ait des engagements budgétaires supplémentaires !

 

-        Renforcer l’ordre républicain et légiférer sur l’immigration. En matière de Sécurité, il veut créer 200 brigades de gendarmerie dans les campagnes notamment, et pour réguler l’immigration dite illégale, recruter 150 gendarmes dans les Alpes maritimes pour faire face à une pression migratoire accrue à la frontière italienne. Il a décidé que la loi immigration sera débattue avant l’été et tant pis si Borne, faute de majorité suffisante pour le faire approuver, venait de la redécaler à l’automne pour éviter un nouveau 49-3. Cette loi, c’est le monstre du Loch Ness : proposée en juillet 2022 par Darmanin, puis rangée aux oubliettes pendant la « bataille » des retraites alors que Borne ne réussissait pas à convaincre les LR de la voter, décalée à l’automne 2023, la voici qui refait surface… Le chef en a décidé ainsi !

 

-        3ème chantier  « le progrès pour mieux vivre ». On y trouve  « une école qui va changer à vue d’œil ». Le lycée professionnel sera réformé pour préparer les lycéens à l’emploi… en augmentant les temps de stages en entreprises. Plus largement, pour l’ensemble du secteur de l’éducation, il veut « améliorer » le système des remplacements : les enseignants qui accepteront de faire des heures supplémentaires (dont les remplacements) auront une rémunération plus importante : rien de bien nouveau dans le  style « travailler plus pour gagner plus ». Il veut instituer la ½ heure par jour de sport mais… il faudrait plus d’équipements… des élèves mieux accompagnés (en 6ème) en français et maths avec 1 heure de soutien… grâce à la suppression d’une heure de technologie ! Bonne feuille de route, Mme Borne ! Le dialogue social avec les syndicats promet d’être « musclé » ! 

 

Il a aussi parlé de rebâtir profondément « notre » système de santé et promis de désengorger les urgences d’ici fin 2024 (la régulation des entrées et la revalorisation du travail de nuit a été sans effet), sans préciser avec quels moyens financiers supplémentaires ! Une imposture, affirme le président du Syndicat SAMU-Urgences de France, alors que tous les services subissent « une descente aux enfers dans l’indifférence » gouvernementale, alors qu’ils sont confrontés aux déserts médicaux et à la médecine de ville exsangue.

 

Ces macronneries ne suffiront pas à éteindre définitivement le feu qui couve toujours mais, pour l’heure, « le climat social » semble refroidi, la colère moins vive et son expression, matée. Il faut « reconnaître l’efficacité » de Darmanin et ses violences policières ou sa volonté de dissoudre les associations ou mouvements trop « radicaux », voire « terroristes », à ses yeux ! Cela a fini par affecter l’engouement protestataire, s’ajoutant à l’échec d’une grève générale. Imperceptiblement, le recul de l’âge de départ à la retraite est de plus en plus perçu comme inéluctable dans l’opinion. Les syndicats, qui se sont rendus à l’invitation de Borne, voulaient-ils passer à autre chose, sans avouer leur échec ?

 

 Pour autant, la colère est là, la pauvreté et la précarisation sont installées, l’inflation aussi. Macron va-t-il réussir à se « relégitimer » jusqu’à la prochaine crise sociale ? En 100 jours, cela risque d’être difficile même en pratiquant le bâton et la carotte.

 

2 – Il promet le plein emploi… par la sanction

 

5.1 millions de personnes sont privées d’emploi, dont 2 millions perçoivent le RSA (dont 42 % seulement seraient inscrites à Pôle Emploi). Le RSA, c’est 607€/mois pour une personne seule. Ce sont souvent les mêmes qui sont privés aussi de logement. Aujourd’hui, 2.3 millions de ménages sont en attente d’une HLM alors que moins de 90 000 logements ont été construits en 2022. Le mal-logement concerne 401 000 de personnes dont 330 000 sont sans domicile alors que l’hébergement d’urgence est insuffisant avec 205 000 places. 2022 a été une année record d’expulsion locative : 17 500 ménages.

 

Le processus d’ascension sociale par le logement (j’habite en HLM, je trouve du travail sûr et je peux construire ma maison individuelle, je laisse la place à la génération suivante en HLM…) a vécu depuis longtemps. Aujourd’hui, la hausse brutale des taux d’intérêt de 3.75 points par la BCE en juillet 2022 a été répercutée par les banques sur la hausse des taux immobiliers, ce qui empêche les plus modestes de construire. Les propriétaires potentiels restent locataires et ne libèrent pas leur logement. Par ailleurs, la hausse de la taxe foncière, l’interdiction progressive de mise en location des logements énergivores, ont réduit les investissements dans le marché locatif. A quoi on peut ajouter la transformation massive d’appartements en meublés touristiques (Airbnb). Bref, l’Etat ne contrôle plus rien en matière de politique de logement, même pas l’application de l’obligation légale de compter 20 % ou 25 % de logements sociaux sur son territoire (1).

 

Pour atteindre le plein emploi Macron diminue le nombre de chômeurs… en réduisant les indemnités chômage (en 2022), en créant France Travail (qui se substitue à Pôle Emploi) et le RSA conditionné. Au boulot « les fainéants et les assistés » !

 

Le Haut-Commissaire à l’inclusion dans l’emploi et l’engagement des entreprises, le formule plus joliment dans son rapport de 98 propositions à Dussopt « pour atteindre le plein emploi et permettre l’accès de tous à l’autonomie et à la dignité par le travail », d’ici à 2027 ! Seuls les naïfs et les macron-compatibles croient encore en ces mensonges ! Il s’agit, en fait, d’identifier, grâce aux réseaux sociaux ou à du porte-à-porte, les 5.1 millions de personnes « hors radars » qui ne seraient pas « au travail ». Repérés, ces privés d’emploi devront obligatoirement s’inscrire sur le portail numérique France Travail, plate-forme commune réunissant tous les acteurs de l’insertion professionnelle : finies les Missions Locales pour l’insertion des jeunes ou Cap Emploi pour les personnes handicapées. Tous à France Travail, l’opérateur unique : ça va aussi « déblayer dans les effectifs ! Et pour ceux qui protesteraient contre ce procédé, accentuant la fracture numérique, le « Haut »-commissaire a tout prévu : l’accueil de proximité « à moins de 5 à 10 kilomètres de chez soi » grâce à un réseau de guichets physiques : les 931 agences du Pôle Emploi où les démarches sont déjà largement… numérisées. Ce Haut-Commissaire ne doit guère fréquenter la France rurale, où se déplacer implique des coûts ou tout simplement d’avoir un moyen de transport. Il promet de lever tous les « freins sociaux » un à un. Par exemple, les mères célibataires auront droit à des modes d’accueil de leurs enfants dans les services de petite enfance… encore faut-il qu’ils existent et qu’elles aient un moyen de transport. Peu importe : tous les inscrits à France Travail devront signer un « contrat d’engagement réciproque ». Celui qui sera absent à un rendez-vous ou considéré comme pas suffisamment actif risquera la radiation ou la suspension partielle de son allocation.

  

La mesure-phare de France Travail est réservé aux privés d’emploi allocataires du RSA : travail obligatoire… et gratuit. Pour toucher les 607€/mois de RSA, une personne seule devra travailler 15 à 20h par semaine (quasi un mi-temps). Ce nouveau STO est expérimenté jusqu’à fin 2023 dans 18 départements. C’est une catastrophe à venir pour les plus exclus, les plus précaires, des allocataires du RSA, dont le nombre va exploser, conséquemment aux récentes « réformes » de la retraite et du chômage. Même Martin Hirsh (qui oublie un peu vite qu’il est à l’origine du « service civique » (2) est sceptique : « Transformer un allocataire en main d’œuvre sans droit est une régression sociale. Ce dispositif est pourvoyeur de main d’œuvre bon marché ». Ces mesures vont accentuer le non-recours (déjà important) au RSA et augmenter le taux de pauvreté.

 

Cette bombe à retardement a peu de chance « d’apaiser » la contestation sociale. Déjà certains syndicats (dont la CGT) dénoncent ce projet de contrôle global et de casse sociale. Les effectifs de Pôle Emploi ne suffisent déjà pas à l’accompagnement à l’insertion  (seuls 60 % des allocataires du RSA bénéficient d’un suivi), on peut donc être certain que le traitement numérique va accentuer les radiations.  

 

Qui croit Mme Borne quand elle affirme : « il ne s’agit pas de les faire travailler sans les payer, il s’agit de leur permettre de découvrir des métiers, de se former ». Les intéressés apprécieront la nuance ! Ils devraient sans doute dire merci ! Ces boulots sont, de plus, exonérés de cotisations sociales et ne donneront pas de droits pour la retraite! 15 heures d’activités par semaine pour 2 millions d’allocataires, c’est 30 millions d’heures hebdomadaires de travail. Où ? Dans quelles entreprises ? Qui va faire le lien entre allocataires et entreprises alors que les travailleurs sociaux ne sont déjà pas assez nombreux ? Il faut combattre, dès maintenant, ce projet et ses inacceptables reculs sociaux, créant une main d’œuvre corvéable de travailleurs pauvres.

 

Pour sortir de l’impopularité qui lui colle au doigt, tel le sparadrap  du capitaine Haddock, Macron promet que l’inflation des prix alimentaires sera absorbée d’ici à l’automne en réunissant les grandes marques de distribution pour les inviter à contenir les prix. Il annonce un effort fiscal important en faveur des classes moyennes (2 milliards de baisse d’impôt sur le revenu) pour répondre au « sentiment » d’injustice – qui n’est pas un « sentiment » mais une réalité : les 370 familles les plus aisées ont un taux d’imposition sur le revenu de 2.5 % en moyenne. Pour les 37 foyers les plus fortunés, il n’est que de 0.26%.

 

3 – Il promet la réindustrialisation…

 

Il va « sortir  la France » de l’impasse d’appauvrissement » par la réindustrialisation, lui qui a bradé le fleuron Alstom aux Américains, Tecnip aux Texans, Alcatel à Nokia. N’empêche, au récent Sommet des grands patrons, Choose France, à Versailles, il offre 13 milliards d’euros d’investissements en subventions. Pour quel redressement industriel, alors que la part de l’industrie dans la valeur ajoutée a baissé de 14.3 % à 12,7 % au cours de son premier mandat ? Aujourd’hui, 34 % de l’industrie française appartient aux capitaux internationaux. Quelle est la stratégie de Macron, lui qui n’a aucun moyen de contraindre les décisions des industriels, même là où l’Etat est actionnaire ? Ainsi, quand les fonderies en aluminium, nécessaires à la voiture électrique, sont abandonnées par Renault ou Stellantis, ça ne réindustrialise pas mais ça détruit l’industrie française ! L’appel au « patriotisme de nos entreprises » n’est que poudre aux yeux alors que les gouvernements ont dépossédé l’Etat de ses moyens d’intervention en matière industrielle et commerciale. En fait, il ne propose rien d’autre que les vieilles recettes de dumping : baisser les impôts,  baisser le « coût » du travail et même baisser les normes environnementales, ce qu’il a déclaré lors d’une visite à Dunkerque, pour appâter les investisseurs étrangers.

 

De fait, il n’y aura pas de réindustrialisation en France s’il n’y a pas des mesures obligatoires, sur des quotas d’importation ou des taxes aux frontières. Sans de telles mesures, c’est du bla-bla-bla. Il faut inverser la logique du système, à savoir, « ne pas exporter plus » mais « importer moins » (3) Comment ?  Qui décide des productions à relocaliser ? Quelles sont les priorités ? Macron est totalement soumis aux décisions de l’Europe libérale et du système économique mondial. Ses gesticulations ne trompent plus personne. Peut-il prétendre, encore, jouer dans la cour des « grands », face au nouvel ordre mondial en cours ?

  

Il ne faut rien croire non plus de sa conversion à la planification écologique et à la décarbonation des grandes filières industrielles émettrices. D’ailleurs, le carbone n’est pas le seul gaz à effet de serre, il y a aussi le méthane, le protoxyde d’azote. De plus, la décarbonation de l’économie justifie des projets fous d’un point de vue écologique : construction de centrales nucléaires, promotion de l’hydrogène, renouvellement total du parc automobile en voitures électriques… Ces mutations soi-disant vertes nous maintiennent dans un système productiviste, extractiviste et destructeur dont Macron est un partisan. La croissance verte, c’est d’une certaine manière, le « nouvel esprit du capitalisme » (4). Pour les adeptes du capitalisme, les forêts ne sont que des puits de carbone à rétribuer, l’eau se cote en Bourse, des séquences génétiques sont brevetées et transformées en marchandises au profit de grands groupes agrochimiques…. La déclaration récente de Macron réclamant une « pause réglementaire sur les normes environnementales » est totalement à contretemps de l’urgence actuelle. La seule solution pour limiter l’ampleur de la crise écologique est de réfléchir collectivement à nos besoins à notre rapport au temps et à l’espace, de réaménager le territoire pour limiter les déplacements, de relocaliser l’économie et de se désintoxiquer de la vitesse. Il faut avoir le courage politique de démanteler des grandes entreprises qui bloquent tout changement et Macron n’a pas cette volonté.

 

Il n’est pas capable de trouver 12 milliards d’euros pour les travailleurs et les retraites mais il a distribué aux grandes entreprises, environ 200 milliards, en 2021, en subventions, crédits d’impôt et exonérations de cotisations auxquels on peut ajouter les niches fiscales et l’évasion fiscale, sans aucune contrepartie sociale ni environnementale.

 

<<<>>> 

 

Face à ce système ultralibéral hyper dominant, notre capacité à  dénoncer les promesses mensongères, à analyser, échanger, est notre arme principale. Il faut espérer dans l’intelligence humaine et ouvrir tous les lieux de débats, là où c’est possible, pour démasquer l’imposture de Macron et Cie. S’il n’a plus que l’arme de l’interdiction, de la répression pour empêcher l’expression des opinions, c’est qu’il est affaibli, d’autant que la crise politique grandit, y compris dans ses propres rangs, et qu’il n’a pas de majorité au Parlement…

 

Comme dit la chanson révolutionnaire de Jean-Baptiste Clément qui combattait en 1871 pour la Commune de Paris : « Oui mais, ça branle dans le manche, les mauvais jours finiront. Et gare à la revanche, quand tous les pauvres s’y mettront »

 

Odile Mangeot, le 20.05.2023

 

 

(1)  la loi SRU, Solidarité et Renouvellement urbain (2000) oblige les communes de + 3 500 habitants, membres d’une agglomération ou d’un établissement public intercommunal, comprenant au moins une commune de 15 000 habitants, à compter 25 ou 20 % de logements sociaux

(2)  Service civique : pour les 16-25 ans- engagement dans des missions pouvant aller jusqu’à un an – indemnité nette de 489€ + prestation de subsistance de 111€ par l’organisme d’accueil. En 13 ans, 700 000 jeunes se sont engagés. Exploitation ? Assurément 

Pire est le SNU (Service national universel) pour les 15-17 ans ! Objectifs : « transmettre un socle républicain », « favoriser le sentiment d’unité nationale »… 3 semaines suivies d’une mission de 3 mois à 1 an. Gratuit. Embrigadement ? Assurément ! (cf rubrique « ils, elles luttent »)

(3)  François Ruffin dans La Tribune

(4)   Hélène Tordjman, auteure de La croissance verte contre la nature, critique de l’écologie marchande, ed. la Découverte (2021)