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mardi 30 mai 2023

 

Intelligence artificielle ou dégénérative ?

 

 La vogue des intelligences artificielles (IA) dites génératives commence à toucher les entreprises. Elles sont capables de créer, à partir d'une simple instruction écrite, du texte, comme ChatGPT, ou des photos ultra-réalistes.  « Les intelligences artificielles génératives ont un effet sur les métiers qui semblaient à l'abri de l'automatisation, en particulier dans le tertiaire » décrypte le sociologue Yann Ferguson. Dans les entreprises, dans les banques d'affaires ou les plateformes d'e-commerce, des premiers déploiements ont déjà lieu. Et les géants du numérique (Microsoft, Google, Amazon ou Meta) poussent ces technologies. « Les entreprises sont plutôt convaincues mais elles se posent aussi des questions » constate Laurent Daudet éditeur de modèles de traitement du langage. Quel sera vraiment l'apport de l'IA générative? Quels sont les risques ? Un sondage Job-Teaser-Kantar de février résume l'ambivalence des sentiments face à cette technologie : une majorité des actifs de 18 à 27 ans considèrent qu'elle libérera du temps de travail ou créera des nouveaux emplois... mais 61% craignent aussi un impact sur leur carrière.

 

Copilote sans limites

 

C'est pour les informaticiens, développeurs en tête, que le recours aux IA génératives est le plus avancé. Depuis juin 2022, ceux-ci peuvent utiliser Copilot, un assistant d'aide à la programmation lancé par Microsoft et par GitHub, la principale plate-forme de publication de logiciels. Cet outil, accessible pour 10 euros par mois, s'appuie sur la capacité des grands modèles de traitement du langage à gérer du code informatique, qui est une forme de texte. « Quand un développeur écrit du code, Copilot lui propose la suite, en fonction du code déjà écrit et des fichiers ouverts en parallèle » raconte Adrien Boullé, directeur de l'ingénierie chez Myre, un gestionnaire de patrimoine immobilier. « J'ai développé des applications avec l'aide de ChatGPT » explique de son côté Halima Drobeck, informaticienne à Francfort, en Allemagne.

 

Chez Sopra Steria, prestataire de services numériques, l'intelligence artificielle générative est déjà utilisée « depuis un certain temps » comme « un compagnon, pour écrire des lignes de code, générer de la documentation ou encore mener des tests pour vérifier le code » explique son directeur technique, Mohammed Sijelmassi. En tout cas, l'usage se répand vite : selon GitHub, 46% du code produit dans les langages où Copilot est activé proviennent désormais de son assistant.

 

Autre territoire de conquête privilégié de l'IA générative : l'image. Celle-ci semble déjà plébiscitée dans les travaux préparatoires à la création. Des graphistes d'animation ou de jeux vidéo réalisent ainsi des « moodboards », ces planches de références utilisées pour décrire le résultat attendu. Pour le graphiste de pochettes d'album KSGraph, les prévisualisations générées par l'IA « permettent au client de mieux se projeter qu'avec [ses] croquis ». En publicité, l'usage est aussi répandu pour les prémaquettes de campagnes, raconte Mme Toledano, tout en précisant que la photo donne ensuite lieu à une prise de vue bien réelle. Les studios d'animation ou de jeux vidéo internationaux interdisent aussi l'utilisation d'éléments générés par l'IA dans les productions finales. L'IA générative commence toutefois à s'immiscer dans certaines phases de production : en publicité, elle permet de modifier en temps réel des décors virtuels projetés en studio sur des écrans numériques à 360 degrés. Ce qui évite le déplacement de toute une équipe sur un lieu de tournage, parfois à l'autre bout du monde... Chez Slidor, une entreprise qui enrichit les représentations graphiques PowerPoint de grandes entreprises, la moitié des images sont aussi générées par l'IA. « Pour les illustrations cela prend trois fois moins de temps avec l'IA qu'avec un dessin à la main » assure son co-fondateur.

 

Pour le coprésident d'une agence publicitaire, certains prestataires produiront en masse, à bas prix, des images pour des campagnes en ligne. Au risque de faire baisser la « valeur de la création », pour les consommateurs et pour les artistes... Cette inquiétude est moins présente dans le secteur des effets spéciaux, où « les gens sont plutôt emballés », selon Gaël Honorez, de PresenZ. L'IA sert aussi à automatiser des tâches fastidieuses, comme isoler puis faire disparaître ou modifier les éléments non désirés dans une vidéo.

 

Un ami à exploiter

 

« Pré-écriture d'un e-mail, premier essai pour une étude de marché, se faire passer pour un consommateur pour préparer les questions d'un entretien ... » Julien Rechenmann, fondateur d'une start-up en neuro-technologie à Toronto (Canada), estime économiser « un tiers » de temps de travail grâce aux IA génératives, vues comme un genre d'assistant. Chez la PME Solidor, 75% des salariés utiliseraient ces outils pour créer des comptes rendus de réunion, etc. L' « ami » est parfois présenté comme un remède -partiel- au complexe de la page blanche, permettant de générer des idées, pour écrire un texte, voire un scénario. « J'utilise ChatGPT au moins une fois par mois, explique le directeur des ressources humaines d'une grande entreprise informatique. Je prépare des communications aux équipes : projet de déménagement, événements ou célébrations... »

 

Au-delà des salariés isolés, l'IA générative a aussi commencé à se diffuser dans les grands groupes. L'agence d'information Bloomberg a ainsi entraîné BloombergGPT sur quarante années de dépêches et de données financières. Ce robot interne répondra aux questions des employés. « Nos conseillers financiers peuvent lui demander de comparer nos analyses de la situation d'Apple, Microsoft et IBM, ou de renseigner un client sur le statut des trusts en Californie, etc. Avant cela, il leur aurait fallu cliquer sur plusieurs documents puis les comparer », explique le responsable de l'analyse de données de Morgan Stanley. Chez Cdiscount, les interfaces d'OpenIA servent à classer les fiches produits envoyées par les vendeurs de la plate-forme, ce qui aurait « divisé par deux les produits mal catégorisés ». L'IA serait aussi prometteuse dans la relation client : la Société générale cherche actuellement à recruter une personne capable d'améliorer ses algorithmes « pour la classification et l'extraction automatique d'informations dans des documents scannés, l'analyse de verbatim clients pour détecter des thèmes récurrents, ou encore le résumé automatique d'appels téléphoniques ». Cette dernière fonction est également en test chez Bouygues Telecom. Et, à la Société générale, l'IA sert aussi à analyser les « projets de contrats » pour en « accélérer le traitement ».

 

L'IA générative suscite une vaste offensive des géants des services en ligne dans le cloud, l'informatique dématérialisée. Microsoft et Google vont bientôt déployer des « assistants » d'IA générative dans leurs logiciels de bureautique. Ceux-ci promettent de rédiger un résumé d'une réunion tenue en visioconférences, des brouillons d'e-mails, de générer des présentations avec des illustrations, ou encore de raccourcir des textes...

 

Révolution ou chômage ?

 

Quel sera le gain de temps réel ? Comment éviter les erreurs que peuvent commettre ces logiciels ? La plupart des personnes interviewées soulignent la nécessité de « repasser derrière » le robot. L'IA générative souffre aussi d'une « incertitude juridique », note Bertille Toledano. Les craintes sur les droits d'auteur sont réelles : l'agence Getty ainsi qu'un collectif d'artistes ont déposé des plaintes contre deux entreprises, accusées d'avoir entraîné leurs modèles sur des images sans autorisation. Certains réclament une rémunération en compensation. Le débat est le même dans le code informatique : des développeurs ont porté plainte contre Copilot.

 

L'autre débat qui plane sur l'essor de l'IA générative est l'emploi : ces logiciels remplaceront-ils des travailleurs dont les tâches auront été automatisées ? Plusieurs études sont alarmistes : jusqu'à 18% des emplois dans le monde seraient menacés, selon un rapport de la banque Goldman Sachs publié en mars. Premiers concernés : les cadres et les postes administratifs. En parallèle, cherche à nuancer l'étude, de nouveaux emplois apparaîtront, comme « ingénieur d'assistance » ou « prompt engineer » (rédacteur d'instructions pour les logiciels). Et la productivité augmenterait.

 

La question de la qualité de l'emploi se pose aussi. L'IA menacerait le sentiment de reconnaissance des salariés : « Le risque, c'est de tolérer une qualité qui n'est pas acceptable, affirme Yann Ferguson. Hors de la tech, il y a parfois un sentiment de honte chez ceux qui utilisent l'IA : ils ont peur de ne plus être méritants. »

 

A long terme, l'intelligence artificielle générative va-t-elle vraiment engendrer une « révolution » ? Les figures de la tech prédisent un avenir presque sans limites pour l'IA en général. « C'est aussi fondamental que la création du microprocesseur, de l'ordinateur PC, de l'Internet ou du smartphone », a prophétisé Bill Gates, le fondateur de Microsoft. Le PDG d'OpenIA, Sam Altman, imagine une « révolution comparable aux révolutions agricole, industrielle et numérique ». D'autres, dont l'ex-dirigeant d'OpenIA Elon Musk, estiment l'IA puissante au point d'être « dangereuse » à terme pour l'humanité, et ont réclamé, par une lettre ouverte du 28 mars, une mise en « pause » des recherches.

 

Julien Chaumond, de Hugging Face, implanté en Europe mais aussi aux Etats-Unis, compare, lui, cette vague d'innovations à « l'arrivée de l'informatique de bureautique dans les années 1990 ».  « Si on écoute la Silicon Valley, l'IA va tout changer, voire entraîner la fin du monde d'ici à deux ans. Alors qu'à Paris les gens ont à peine entendu parler de ChatGPT... La vérité est probablement entre les deux », pense-t-il.

 

En fait, il semble bien, pour une minorité de dominants, qu’amener les êtres humains à penser par eux-mêmes coûte trop cher. Après avoir dépouillé les artisans, les ouvriers professionnels, de leur savoir-faire en parcellisant, en divisant les tâches, en automatisant certaines d’entre elles, le capitalisme promet de nous asservir davantage : « Ne vous souciez plus de penser par vous-mêmes, nous allons penser à votre place à l’aide de logiciels. Demain, l’être humain, mis à part une minorité d’instructeurs pour logiciels nécessaire pour faire fonctionner le système, sera privé de la pensée.

 

Stéphanie Roussillon