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mardi 30 mai 2023

 

Le Sénégal

« allié » de la France, jusqu’à quand ?

 

Le Sénégal, petit par la taille à l’échelle africaine (un tiers de la France en superficie, 16 millions d’habitants), est d’une grande importance stratégique pour l’ancienne puissance coloniale. C’est, en effet, un pays apparemment stable politiquement, comparé à ses voisins, en particulier le Mali dont la France et son armée se sont fait « virer » assez « sèchement ». Pour la France, c’est donc une base  sûre pour lutter contre les djihadistes sahéliens, d’autant que le Sénégal conserve des liens étroits avec son ex-colonisateur, toujours son premier investisseur.  

 

Mais, si la relation avec l’ancien colonisateur est toujours très forte, le pays évolue, les émeutes de 2021 suite à l’arrestation d’Ousmane Sonko, principal opposant du président actuel Macky Sall, les actes de violence contre des symboles français, l’ouverture économique à d’autres partenaires, en particulier la Chine, montrent que le Sénégal, s’il est toujours un « allié stable » pour la France est, en fait, en train de changer.

 

Pour revisiter cette relation privilégiée, ouvrons nos livres d’histoire.

 

Le Sénégal est situé à la pointe ouest de l’Afrique, voisin de la Mauritanie, du Mali et des Guinée (Bissau et Equatoriale). La Gambie, héritée de la colonisation britannique, forme une enclave à l’intérieur du territoire sénégalais, séparant le nord sahélien du sud équatorial, la Casamance.

 

La population située majoritairement le long du littoral atlantique a été multipliée par 5 depuis 1960. 95 % des Sénégalais sont musulmans, mais les groupes ethniques sont nombreux. Parmi ces groupes, les Wolof sont majoritaires et le wolof est la langue d’usage dans une grande partie du pays, même si le français reste la langue officielle.

 

Au 8ème siècle, le Sénégal faisait partie du Royaume du Ghana. Il est le point d’arrivée ou de départ, des caravanes qui sillonnent le Sahara, transportant de l’or, du sel, des chevaux, des armes et, hélas, déjà, des esclaves.

 

En 1445, les Portugais accostent sur l’île de Gorée, celle-ci va devenir, durant 2 siècles, le principal point de départ des esclaves. Les Français prennent la relève. La fin de la traite des Noirs pousse les colons à aller rechercher d’autres sources de profit à l’intérieur des terres. Ils s’y installent et développent surtout la culture de l’arachide. Cette culture assure richesse et bien-être… aux colons. Les autochtones, eux, ont été obligés de travailler dans les plantations et d’offrir le meilleur de leur pays au colonisateur et ce, pendant plusieurs siècles. Le pire des sacrifices sera imposé aux « tirailleurs » qui iront mourir à Verdun pour sauver leurs exploiteurs (cf encart).

 

Après la 1ère guerre mondiale, Dakar devient la capitale de l’Afrique Occidentale Française. Après la 2ème guerre mondiale, apparaît un homme sur la scène politique sénégalaise, Léopold Sédar Senghor. Il conduit la destinée du Sénégal de 1960 à 1980. Il commence sa carrière politique comme député représentant du Sénégal à l’Assemblée nationale française. Il est opposé à l’indépendance et milite pour une « union française » qu’il définit comme « une maison familiale où il y aurait un frère ainé mais où les autres frères et sœurs vivraient dans l’égalité ». Ses positions plutôt « modérées » et sa « fidélité » au colonisateur lui valent d’être nommé secrétaire d’Etat à la présidence dans le gouvernement d’Edgar Faure, puis ministre conseiller du gouvernement de Michel Debré.

 

Senghor est également poète-écrivain et grand défenseur de la francophonie qu’il considère comme « un humanisme intégral qui se tisse autour de la terre ». Les travailleurs sénégalais exploités dans les propriétés des colons n’avaient sans doute pas la même image de la présence française sur leur sol ! Pour tous les bons et loyaux services rendus à la France, il sera désigné en 1983 « prince des poètes » (!) et élu à l’Académie française (Mitterrand savait soigner l’orgueil de ses vassaux).  

 

L’autre face du personnage est « étonnamment » passée sous silence. En 1962, alors président de la République de la jeune nation sénégalaise, il entre en conflit avec son 1er ministre, Mamadou Dia, qui, lui, est favorable à une indépendance réelle. Il prône « un rejet révolutionnaire des anciennes structures, une mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite, une société libre et une économie de développement ». Le « prince des poètes » n’hésite pas, il fait arrêter et emprisonner Mamadou Dia pour 20 ans alors que le procureur ne requérait aucune charge contre lui… Et pour ne plus avoir de problèmes avec de futurs Premiers ministres, en 1963, il supprime le poste… et instaure un parti unique l’UPS.

 

En 1968, les étudiants en grève bloquent l’université de Dakar. Le « grand humaniste » Senghor frappe encore une fois très fort. Il ferme l’université pour 2 ans, expulse les étudiants chinois soupçonnés d’être à l’initiative du mouvement et enrôle dans l’armée les meneurs étudiants locaux. Senghor, serviteur très zélé, maniant la plume mais aussi le gourdin, quitte le pouvoir en 1981. Ses 3 successeurs, Abou Diouf élu en 1981, Abdoulaye Wade élu en 2000 et enfin l’actuel président, Macky Sall, élu en 2012, semblent avoir suivi le même modèle d’hyperprésidence, tout en pratiquant, apparemment, une politique stable. Ce qui est certain, c’est que les liens néocoloniaux avec la France restent inchangés.   

 

Malgré sa réputation de pays stable, le Sénégal n’est pas exempt de violences policières dans son histoire. Des troubles récurrents ont lieu au moment des élections, dus, soit à la contestation des résultats, soit aux méthodes empêchant le candidat d’opposition de se présenter. Le mouvement du 23 juin 2011 (Y’en a marre) est ainsi né contre la tentative du Président Wade de modifier le mode de scrutin à la présidentielle pour briguer un 3ème mandat (ce que pratique aujourd’hui Macky Sall). La contestation de cette manipulation politique fut l’étincelle, nourrie par des revendications économiques et sociales insatisfaites et par l’attente de changements politiques profonds.

 

Derrière cette stabilité se cachent nombre d’inégalités et des pratiques despotiques du pouvoir. La colère, latente, éclate, à nouveau, en 2021. La jeunesse et la société civile sénégalaises descendent dans la rue pour protester contre les abus du gouvernement, l’absence de services publics, les problèmes économiques, la tentative de Macky Sall de tordre le bras à la Constitution pour se présenter une troisième fois et, surtout, l’arrestation d’Ousmane Sonko, principal opposant au président en place qui a créé un nouveau parti, le Pastef (les patriotes). Ces émeutes d’une rare violence au Sénégal sont réprimées très durement : plus de 10 morts et 600 blessés. De nombreuses sociétés françaises sont visées durant ces manifestations. Elles sont jugées trop présentes, trop influentes, s’ingérant trop dans les affaires intérieures sénégalaises. Ousmane Sonko est accusé de viols par une employée de salon de massage. Ses soutiens ont crié au complot, prétendant qu’il s’agit de l’empêcher d’être candidat aux prochaines présidentielles. Deux ans plus tard, la procédure judiciaire est toujours en cours, le procès a débuté ce 23 mai…

 

En réalité, les alternances politiques succombent aux mêmes tentations d’hyperprésidence, reproduisant les mêmes pratiques politiques contestées (état de droit malmené, tripatouillage constitutionnel, élimination des opposants, etc.). Macky Sall renoue avec les méthodes Senghor en supprimant le poste de 1er ministre, ce faisant il se prend dans sa propre nasse, car il n’a plus de « fusible ».

 

La génération Sonko qui est aussi celle des mouvements citoyens comme Y’en a marre, impatiente de prendre sa place et de parvenir au pouvoir a-t-elle volonté de sortir de ce système politique ?

 

Pour l’heure, il semble que prime la diversification des acteurs économiques étrangers.    

 

 

Le Sénégal, en marche vers l’émancipation ?

 

Longtemps considéré comme modèle de l’Afrique francophone, le Sénégal tisse des relations avec d’autres partenaires que la France. C’est un premier pas mais de là à penser que cette ouverture « économique » va mener à l’émancipation, à un Sénégal libre et réellement indépendant, la marche va être encore longue… Il semble plutôt que ce n’est pas la bonne voie pour y parvenir.

 

La Chine est devenue le deuxième fournisseur du Sénégal ; Dakar a rejoint les nouvelles routes de la soie. Pékin est le premier importateur d’arachides, principale culture du pays qui emploie un quart des ménages. Mais, parallèlement, les bateaux-usines de pèche chinois vident les eaux territoriales sénégalaises et privent les pécheurs locaux (15 % de la population) de leurs moyens de subsistance.

 

Les pays du Golfe commencent à investir leurs pétrodollars dans le pays. Le groupe Dubaï Port World construit un port en eau profonde au sud de Dakar. Et pour avoir accès aux richesses de l’intérieur du continent, il tente de remettre en service la ligne de chemin de fer Dakar-Bamako (Mali) à l’arrêt depuis 2018.

 

A partir de cette année, des compagnies britanniques et australiennes exploitent les gisements d’hydrocarbures, découverts à la frontière avec la Mauritanie, une aubaine économique pour le Sénégal jusqu’ici gros importateur de gaz et de pétrole.

 

Une entreprise danoise construit, elle, le plus grand parc éolien d’Afrique au nord de Dakar.

 

Au sud-est du pays, des mines d’or, en plein développement, sont exploitées par différentes compagnies occidentales.

 

Bref, le pillage néocolonial en vioe de diversification se substitue au pillage colonial.

 

Malgré les années 90, économiquement difficiles (crise économique, dévaluation du Franc CFA), le Sénégal est actuellement un pays riche de ses ressources. De plus, la diaspora sénégalaise envoie au Sénégal l’équivalent de 13 % de son PIB.

 

Jouissant de sa position stratégique et de ses importantes ressources naturelles, le Sénégal s’ouvre au monde mais quel monde ? Celui de la classe dominante, dépendante de la France, qui cherche à diversifier ses relations compradores avec d’autres impérialistes entendant profiter de ses ressources.

 

Jean-Louis Lamboley, le 24.05.2023

 

Les tirailleurs sénégalais

Les plus de 700 000 tirailleurs n’étaient pas que sénégalais mais originaires des colonies françaises. Ils ne furent pas volontaires, loin de là. Il a fallu des décennies pour que début 2023, la trentaine encore vivants, soient autorisés à vivre définitivement dans leur pays d’origine et encaisser le « pauvre » minimum vieillesse auquel ils ont droit. Jusqu’à cette date, ils étaient tenus de vivre 6 mois en France dans de misérables « foyers de migrants ». Une honte ! La France a attendu qu’il n’en reste presque plus pour « reconnaître » leurs droits. (voir le film Tirailleurs réalisé par Mathieu Vadepied en 2022)