Le Sénégal
« allié »
de la France, jusqu’à quand ?
Le
Sénégal, petit par la taille à l’échelle africaine (un tiers de la France en
superficie, 16 millions d’habitants), est d’une grande importance stratégique
pour l’ancienne puissance coloniale. C’est, en effet, un pays apparemment
stable politiquement, comparé à ses voisins, en particulier le Mali dont la
France et son armée se sont fait « virer » assez
« sèchement ». Pour la France, c’est donc une base sûre pour lutter contre les djihadistes
sahéliens, d’autant que le Sénégal conserve des liens étroits avec son
ex-colonisateur, toujours son premier investisseur.
Mais,
si la relation avec l’ancien colonisateur est toujours très forte, le pays
évolue, les émeutes de 2021 suite à l’arrestation d’Ousmane Sonko, principal
opposant du président actuel Macky Sall, les actes de violence contre des
symboles français, l’ouverture économique à d’autres partenaires, en
particulier la Chine, montrent que le Sénégal, s’il est toujours un
« allié stable » pour la France est, en fait, en train de changer.
Pour
revisiter cette relation privilégiée, ouvrons nos livres d’histoire.
Le
Sénégal est situé à la pointe ouest de l’Afrique, voisin de la Mauritanie, du
Mali et des Guinée (Bissau et Equatoriale). La Gambie, héritée de la
colonisation britannique, forme une enclave à l’intérieur du territoire
sénégalais, séparant le nord sahélien du sud équatorial, la Casamance.
La
population située majoritairement le long du littoral atlantique a été
multipliée par 5 depuis 1960. 95 % des Sénégalais sont musulmans, mais les
groupes ethniques sont nombreux. Parmi ces groupes, les Wolof sont majoritaires
et le wolof est la langue d’usage dans une grande partie du pays, même si le
français reste la langue officielle.
Au
8ème siècle, le Sénégal faisait partie du Royaume du Ghana. Il est
le point d’arrivée ou de départ, des caravanes qui sillonnent le Sahara,
transportant de l’or, du sel, des chevaux, des armes et, hélas, déjà, des
esclaves.
En
1445, les Portugais accostent sur l’île de Gorée, celle-ci va devenir, durant 2
siècles, le principal point de départ des esclaves. Les Français prennent la
relève. La fin de la traite des Noirs pousse les colons à aller rechercher
d’autres sources de profit à l’intérieur des terres. Ils s’y installent et
développent surtout la culture de l’arachide. Cette culture assure richesse et
bien-être… aux colons. Les autochtones, eux, ont été obligés de travailler dans
les plantations et d’offrir le meilleur de leur pays au colonisateur et ce,
pendant plusieurs siècles. Le pire des sacrifices sera imposé aux
« tirailleurs » qui iront mourir à Verdun pour sauver leurs
exploiteurs (cf encart).
Après
la 1ère guerre mondiale, Dakar devient la capitale de l’Afrique
Occidentale Française. Après la 2ème guerre mondiale, apparaît un
homme sur la scène politique sénégalaise, Léopold
Sédar Senghor. Il conduit la destinée du Sénégal de 1960 à 1980. Il
commence sa carrière politique comme député représentant du Sénégal à
l’Assemblée nationale française. Il est opposé à l’indépendance et milite pour
une « union française » qu’il définit comme « une maison familiale où il y aurait un frère
ainé mais où les autres frères et sœurs vivraient dans l’égalité ».
Ses positions plutôt « modérées » et sa « fidélité » au
colonisateur lui valent d’être nommé secrétaire d’Etat à la présidence dans le
gouvernement d’Edgar Faure, puis ministre conseiller du gouvernement de Michel
Debré.
Senghor
est également poète-écrivain et grand défenseur de la francophonie qu’il
considère comme « un humanisme
intégral qui se tisse autour de la terre ». Les travailleurs
sénégalais exploités dans les propriétés des colons n’avaient sans doute pas la
même image de la présence française sur leur sol ! Pour tous les bons et
loyaux services rendus à la France, il sera désigné en 1983 « prince des
poètes » (!) et élu à l’Académie française (Mitterrand savait soigner
l’orgueil de ses vassaux).
L’autre
face du personnage est « étonnamment » passée sous silence. En 1962,
alors président de la République de la jeune nation sénégalaise, il entre en
conflit avec son 1er ministre, Mamadou Dia, qui, lui, est favorable
à une indépendance réelle. Il prône « un
rejet révolutionnaire des anciennes structures, une mutation totale qui substitue
à la société coloniale et à l’économie de traite, une société libre et une
économie de développement ». Le « prince des poètes » n’hésite
pas, il fait arrêter et emprisonner Mamadou Dia pour 20 ans alors que le
procureur ne requérait aucune charge contre lui… Et pour ne plus avoir de
problèmes avec de futurs Premiers ministres, en 1963, il supprime le poste… et
instaure un parti unique l’UPS.
En
1968, les étudiants en grève bloquent l’université de Dakar. Le « grand
humaniste » Senghor frappe encore une fois très fort. Il ferme
l’université pour 2 ans, expulse les étudiants chinois soupçonnés d’être à l’initiative
du mouvement et enrôle dans l’armée les meneurs étudiants locaux. Senghor, serviteur très zélé, maniant
la plume mais aussi le gourdin, quitte le pouvoir en 1981. Ses 3
successeurs, Abou Diouf élu en 1981, Abdoulaye Wade élu en 2000 et enfin
l’actuel président, Macky Sall, élu en 2012, semblent avoir suivi le même
modèle d’hyperprésidence, tout en pratiquant, apparemment, une politique
stable. Ce qui est certain, c’est que les liens néocoloniaux avec la France
restent inchangés.
Malgré
sa réputation de pays stable, le Sénégal n’est pas exempt de violences
policières dans son histoire. Des troubles récurrents ont lieu au moment des
élections, dus, soit à la contestation des résultats, soit aux méthodes
empêchant le candidat d’opposition de se présenter. Le mouvement du 23 juin
2011 (Y’en a marre) est ainsi né
contre la tentative du Président Wade de modifier le mode de scrutin à la
présidentielle pour briguer un 3ème mandat (ce que pratique
aujourd’hui Macky Sall). La contestation de cette manipulation politique fut
l’étincelle, nourrie par des revendications économiques et sociales
insatisfaites et par l’attente de changements politiques profonds.
Derrière
cette stabilité se cachent nombre
d’inégalités et des pratiques despotiques du pouvoir. La colère, latente,
éclate, à nouveau, en 2021. La jeunesse et la société civile sénégalaises
descendent dans la rue pour protester contre les abus du gouvernement,
l’absence de services publics, les problèmes économiques, la tentative de Macky
Sall de tordre le bras à la Constitution pour se présenter une troisième fois
et, surtout, l’arrestation d’Ousmane
Sonko, principal opposant au président en place qui a créé un nouveau parti,
le Pastef (les patriotes). Ces émeutes
d’une rare violence au Sénégal sont réprimées très durement : plus de 10 morts et 600 blessés. De
nombreuses sociétés françaises sont visées durant ces manifestations. Elles
sont jugées trop présentes, trop influentes, s’ingérant trop dans les affaires
intérieures sénégalaises. Ousmane Sonko est accusé de viols par une employée de
salon de massage. Ses soutiens ont crié au complot, prétendant qu’il s’agit de
l’empêcher d’être candidat aux prochaines présidentielles. Deux ans plus tard,
la procédure judiciaire est toujours en cours, le procès a débuté ce 23 mai…
En
réalité, les alternances politiques succombent aux mêmes tentations d’hyperprésidence,
reproduisant les mêmes pratiques politiques contestées (état de droit malmené,
tripatouillage constitutionnel, élimination des opposants, etc.). Macky Sall
renoue avec les méthodes Senghor en supprimant le poste de 1er
ministre, ce faisant il se prend dans sa propre nasse, car il n’a plus de
« fusible ».
La
génération Sonko qui est aussi celle des mouvements citoyens comme Y’en a marre, impatiente de prendre sa place
et de parvenir au pouvoir a-t-elle volonté de sortir de ce système politique ?
Pour
l’heure, il semble que prime la diversification des acteurs économiques
étrangers.
Le Sénégal,
en marche vers l’émancipation ?
Longtemps
considéré comme modèle de l’Afrique francophone, le Sénégal tisse des relations
avec d’autres partenaires que la France. C’est un premier pas mais de là à
penser que cette ouverture « économique » va mener à l’émancipation,
à un Sénégal libre et réellement indépendant, la marche va être encore longue…
Il semble plutôt que ce n’est pas la bonne voie pour y parvenir.
La
Chine est devenue le deuxième
fournisseur du Sénégal ; Dakar a rejoint les nouvelles routes de la soie. Pékin est le premier importateur
d’arachides, principale culture du pays qui emploie un quart des ménages. Mais,
parallèlement, les bateaux-usines de pèche chinois vident les eaux territoriales
sénégalaises et privent les pécheurs locaux (15 % de la population) de leurs
moyens de subsistance.
Les pays du Golfe commencent à investir leurs pétrodollars dans le
pays. Le groupe Dubaï Port World
construit un port en eau profonde au sud de Dakar. Et pour avoir accès aux
richesses de l’intérieur du continent, il tente de remettre en service la ligne
de chemin de fer Dakar-Bamako (Mali) à l’arrêt depuis 2018.
A
partir de cette année, des compagnies
britanniques et australiennes
exploitent les gisements d’hydrocarbures, découverts à la frontière avec la
Mauritanie, une aubaine économique pour le Sénégal jusqu’ici gros importateur
de gaz et de pétrole.
Une
entreprise danoise construit, elle, le plus grand parc éolien d’Afrique au
nord de Dakar.
Au
sud-est du pays, des mines d’or, en plein développement, sont exploitées par
différentes compagnies occidentales.
Bref,
le pillage néocolonial en vioe de diversification se substitue au pillage
colonial.
Malgré
les années 90, économiquement difficiles (crise économique, dévaluation du
Franc CFA), le Sénégal est actuellement un pays riche de ses ressources. De
plus, la diaspora sénégalaise envoie au Sénégal l’équivalent de 13 % de son
PIB.
Jouissant
de sa position stratégique et de ses importantes ressources naturelles, le Sénégal
s’ouvre au monde mais quel monde ? Celui de la classe dominante,
dépendante de la France, qui cherche à diversifier ses relations compradores
avec d’autres impérialistes entendant profiter de ses ressources.
Jean-Louis
Lamboley, le 24.05.2023
Les tirailleurs sénégalais
Les
plus de 700 000 tirailleurs n’étaient pas que sénégalais mais originaires
des colonies françaises. Ils ne furent pas volontaires, loin de là. Il a fallu
des décennies pour que début 2023, la trentaine encore vivants, soient autorisés
à vivre définitivement dans leur pays d’origine et encaisser le « pauvre »
minimum vieillesse auquel ils ont droit. Jusqu’à cette date, ils étaient tenus
de vivre 6 mois en France dans de misérables « foyers de migrants ».
Une honte ! La France a attendu qu’il n’en reste presque plus pour
« reconnaître » leurs droits. (voir le film Tirailleurs réalisé par
Mathieu Vadepied en 2022)