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mercredi 3 mai 2023

 

Vers un nouvel ordre mondial ?

 

La guerre en Ukraine a révélé les stratégies d’alliances ou d’évitement, s’exerçant au niveau mondial et plus particulièrement, celles menées par la Chine. Passée du statut « d’atelier du monde » à celui de médiateur entre les puissances proche-orientales, eurasiatiques, voire africaines où elle réalise des investissements structurels importants, la Chine semble vouloir s’imposer face aux Etats-Unis qui la provoquent en mer de Chine ou à Taïwan. On assisterait donc à l’émergence des contours d’un monde multipolaire redessinés dans lequel les Etats-Unis perdraient de leur superbe ?

 

Les Etats-Unis, maîtres du monde ?

 

L’ordre mondial actuel s’est construit sur les décombres de l’Europe après la guerre. Pour les Etats-Unis, il s’agissait de reconstruire l’Europe mais surtout de se positionner pour le siècle à venir. En juillet 44, 44 nations réunies à Bretton-Woods, créent un nouveau système monétaire et financier mondial, instituant le dollar comme seule monnaie d’échange et des « outils » pour mettre en œuvre la domination étatsunienne : Banque Mondiale, FMI, GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), visant à réduire les « obstacles » au commerce des marchandises : 50 ans plus tard, en 1995, l’OMC le remplace et élargit le libre-échange aux services et aux droits de la propriété intellectuelle.

 

Entretemps, dès 1948, le plan Marshall distribuait des prêts pharamineux aux pays européens et les tenait en dépendance étatsunienne, en investissant dans tous les domaines et notamment les recherches technologiques, l’industrie militaire. Ainsi, l’Europe finançait indirectement la prospérité états-unienne, face à l’URSS communiste, seul contrepoids idéologique qui disparaît en 1991. Les Etats-Unis, dès lors, peuvent façonner le monde selon leurs intérêts, entretenir les relations stratégiques avec qui les sert, contrôler les grands passages maritimes et d’échanges. « L’ordre » règne. Les Etats-Unis dictent la politique économique et financière. Les cerveaux sont à l’Ouest, les bras sont en Chine, « l’atelier du monde » dispose d’une main d’œuvre nombreuse, laborieuse et peu chère.

 

Mais, dès le début des années 2000, les évènements qui se produisent, vont façonner différemment le visage du monde, sans toutefois renverser l’ordre établi. Poutine, devenu président de la Russie, prétend reconstruire la sphère d’influence soviétique ; le 11 septembre 2001 et la déclaration de guerre des Etats-Unis pour « combattre le terrorisme » au Proche-Orient, laissent la Chine dans l’ombre et pendant que les « maîtres » du monde s’embourbent en Irak et en Afghanistan, la Chine, elle, investit dans tous les domaines, technologiques, scientifiques, mathématiques pour développer ses « nouvelles routes de la soie » avec l’objectif de sillonner le monde et de commercer jusqu’en Afrique. Elle est désormais en capacité de rivaliser avec les USA en matière de haute technologie, d’organiser des cyber-attaques. Elle a développé des compétences réelles en matière de conquête de l’espace et, avec la Russie, elle domine le commerce de l’atome. Elle a acheté, notamment, 2 EPR européens, des réacteurs russes et américains, qu’elle a sinisés. Les transferts de technologies et achats de brevets lui ont permis de disposer de sa propre capacité de production. Ainsi, début 2023, sur 59 réacteurs en construction dans le monde, 43 sont de technologie russe ou chinoise. Entre 2010 et 2023, seul l’Empire du milieu a été en mesure de faire sortir de terre entre 3 et 7 réacteurs par an.

 

Certes, l’armée US est toujours la plus puissante du monde mais la Chine est sortie de son rôle « subalterne ». En 20 ans, elle est devenue l’adversaire principal des Etats-Unis sur le plan économique, financier, commercial, technologique. La Chine prête aujourd’hui plus d’argent dans les pays en développement que la Banque Mondiale.

 

Est-ce pour autant que la Chine est devenue hégémonique ?    

 

La Chine tisse sa toile diplomatique et commerciale

 

Depuis début 2000, elle entretient des relations avec les pays de la zone proche-orientale, et notamment avec l’Arabie Saoudite (qui contrôle 80 % du pétrole du Moyen Orient). L’Arabie Saoudite étant le premier fournisseur de pétrole de la Chine - et le Qatar, le 1er pour le gaz - on comprend l’intérêt du rapprochement. Entre 2002 et 2022, les investissements chinois ont représenté 106.5 milliards de dollars en Arabie Saoudite, 100 milliards au Koweït et 64 milliards aux Emirats Arabes Unis.

 

La Chine fréquente ceux que les Etats-Unis considèrent comme les « parias » du monde et notamment l’Iran. Après deux années de discussion, Arabie Saoudite et Iran, sous médiation chinoise, ont décidé, le 10 mars dernier, de rétablir des relations diplomatiques, interrompues depuis 20 ans. Un pavé dans la mare US, que Biden tente de minimiser en fanfaronnant : « Il n’y a rien à voir, mes amis ». C’est pourtant la 1ère fois que Pékin pilote un accord international et se mêle des affaires du Proche Orient, domaine réservé US, depuis plus de 70 ans ! (1) 

 

Pas de triomphalisme, la Chine n’affiche pas de volonté hégémonique territoriale. Elle avance ses pions et « attend son heure ». Son ambition est de redevenir la Chine impériale  qu’elle fut jusqu’au début du 20ème siècle. Et pendant que les USA montrent leurs muscles en installant 830 bases militaires dans le monde, la Chine, elle, préfère, créer 830 comptoirs commerciaux. Et pour fluidifier les relations commerciales, elle affiche les principes de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, ce qui lui permet, par exemple, de « fermer les yeux » sur l’assassinat du journaliste opposant Khashoggi, et, en même temps, à l’Arabie Saoudite de ne pas condamner la répression des musulmans Ouigours.

 

Entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, les représentations diplomatiques ré-ouvrent, les vols aériens  reprennent, les visites bilatérales et la délivrance des visas (pour le pèlerinage à la Mecque, notamment) redeviennent possibles. Rien ne dit que l’accord du 10 mars survivra aux tensions géopolitiques de la région (Syrie, Israël, Palestine, Liban…). Mais Pékin a réussi la première négociation et le Conseil suprême de sécurité nationale iranien a accepté les exigences saoudiennes, à savoir : que cessent les attaques contre les installations pétrolières du Royaume et que l’Iran mette fin aux livraisons d’armes aux rebelles houtis ouvrant la porte à des négociations de paix au Yémen.

 

La reprise des relations Arabie Saoudite/Iran, sont les prémices de la nouvelle stratégie saoudienne, déterminée à s’insérer dans un monde multipolaire, succédant à la toute-puissance US, ce qui fait dire à MBS (Mohamed Ben Salman), visant indirectement les USA : « Nous sommes des alliés, pas des laquais ». Xi Jinping et MBS ont annoncé un partenariat qui fait le lien entre le projet chinois des routes de la soie et le projet saoudien Vision 2030 destiné à penser l’après-pétrole.

 

Des alliances de circonstances et des coopérations se constituent

 

Hors de l’influence US, est née, en 2001, l’organisation de coopération de Shanghai (OCS) pour développer la coopération économique et commerciale dans l’espace eurasiatique. Le « groupe  de Shanghai » (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Inde, Pakistan et, depuis 2021, Iran) représente 40 % de la population mondiale, 20 % des ressources de pétrole, 40 % du gaz naturel et du charbon et 30 % de l’uranium. Sont membres observateurs Mongolie, Biélorussie.  Turquie, Azerbaïdjan et Turkménistan ont été invités au Sommet de Samarcande en septembre dernier. Cette organisation ne peut être ignorée ; elle se développe et entend peser dans les stratégies commerciales et économiques.

 

De la même manière, s’est constitué en 2009, à partir de4 puis 5 pays les BRICS comptant Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud qui se réunissent en sommets annuels et ont l’ambition d’être un contrepoids face à la domination étatsunienne. Arabie Saoudite, Egypte, Turquie, Emirats Arabes Unis, Indonésie, Argentine, Mexique et plusieurs pays d’Afrique veulent y adhérer. En 2023, ce groupe représente 42 % de la population de la planète et 31.5 % du PIB mondial ; il a dépassé les 30.7 % du PIB mondial du G7 (USA, Japon, Allemagne, Royaume Uni, Italie, France). Les BRICS entendent s’émanciper de la tutelle du dollar. Lula, en visite à Pékin récemment, a défendu la création d’une monnaie commune pour les échanges entre les pays, afin d’enclencher la dédollarisation du monde. Les Etats-Unis, même s’ils restent en tête avec un PIB de 24 796 milliards de dollars en 2022, suivis par la Chine à 19 000 milliards puis l’UE, 15 810 milliards, peuvent s’inquiéter de ces alliances qui leur échappent.

 

L’Iran souhaite intégrer le groupe des BRICS et, depuis son élection en 2021, l’ultra-conservateur Raïssi a entrepris des discussions pour un partenariat avec Poutine. Un accord de coopération entre Gazprom et la compagnie pétrolière iranienne est annoncé, des marchandises russes peuvent franchir la frontière iranienne par le Kazakhstan et le Turkménistan. Russie et Iran, relativement isolés sur le plan diplomatique international, sont « condamnés à s’entendre » : l’Iran a vendu des drones à Moscou, 100 millions de munitions de petit calibre et 300 000 obus d’artillerie. En échange Téhéran compte sur les missiles et avions de combat russes. Les deux pays coopèrent en matière de politique spatiale et ont lancé, avec une fusée Soyouz depuis Baïkonour au Kazakhstan, un satellite d’observation iranien, de conception russe. La guerre permet des rapprochements qui n’auraient pu être envisagés il y a une dizaine d’années, et si la Russie ne s’est pas effondrée suite aux sanctions, c’est qu’elle  peut les contourner. L’expérience de Téhéran en la matière semble avoir inspiré Moscou, tous deux s’en remettent dorénavant à des acteurs du Golfe (Emirats Arabes Unis notamment) pour réexporter du brut sous un autre pavillon. Les Russes usent de techniques iraniennes, comme éteindre les traceurs des navires ou effectuer un transfert de tanker à tanker en pleine mer. Ces « flottes fantômes » propriété d’entités offshore opaques auraient permis à Moscou d’exporter 9 millions de barils de pétrole au mois de janvier contre 3 millions en novembre.

 

Ces alliances de circonstances réaniment d’anciens projets enterrés, comme celui du corridor « des cinq mers » (mers d’Azov, Baltique, Blanche, Caspienne et Noire) de Pierre le Grand censé quadriller la Russie pour faire d’elle un centre du commerce mondial. Ce réseau de transport Nord-Sud (par routes maritimes, ferroviaires et terrestres), reliant Russie, Iran et Inde, permettrait aux Russes de faciliter des débouchés en Asie du sud-est (et en Inde notamment), tout en limitant l’influence grandissante de la Turquie en Asie centrale et dans le Caucase du sud.

 

Un autre poids lourd potentiel, permettant à la Chine et ses alliés d’étendre leur influence commerciale dans la zone eurasiatique c’est l’Inde (membre de l’OCS et des BRICS). Pays le plus peuplé de la planète : 1.417 milliards d’habitants (1.7 milliard en 2060), devançant la Chine (1.412 milliards), les USA (338 millions), l’Indonésie (275 millions) ou le Pakistan (234 millions), il est aussi très jeune (40 % ont moins de 25 ans), masculin et très inégalitaire. L’Inde doit cependant faire face à d’importants défis : des emplois en suffisance pour les jeunes (1 million, chaque mois, entre sur le marché du travail), du travail pour les femmes (20 % seulement ont accès à l’emploi), diversification des emplois, hors agriculture (qui emploie 41.5%  des actifs) et combat contre la pauvreté (800 millions de pauvres). Il doit aussi assurer un développement soutenable et faire face au défi climatique dans ce pays où 7 500 kms de côtes sont soumises à l’élévation du niveau de la mer.

 

Ces pays veulent prendre leur place dans l’ordre mondial pour faire contrepoids à la suprématie occidentale et seraient prêts à s’émanciper du dollar américain.

 

La fin du dollar roi ?

 

La monnaie de l’oncle Sam suscite de plus en plus de défiance, plus grande encore depuis la guerre en Ukraine et les sanctions contre les Russes, restreignant la possibilité de commercer avec le dollar et les bannissant du système de messagerie Swift, passage obligé pour les transactions financières mondiales. Les Etats-Unis ont suscité la réaction hostile de la Russie et de ses alliés, mais aussi la méfiance d’une grande partie des pays de la planète qui commercent et épargnent avec le dollar. Cela amplifie la volonté de dédollarisation du monde. les membres de l’OCS, lors de leur dernier Sommet à Samarcande, ont défini une feuille de route visant à « l’augmentation progressive de la part des monnaies nationales dans les transactions mutuelles ». Il s’agit de constituer une alliance capable de défier l’Occident. Les pays subissant des sanctions internationales ont souhaité privilégier les paiements en monnaie nationale : en janvier, la banque centrale iranienne a signé un accord avec la banque centrale russe visant à connecter leurs systèmes nationaux de communication et de transferts interbancaires. La Chine prévoit de payer ses achats de pétrole avec le yuan qu’elle adossera à l’étalon or ; la Russie s’aligne sur le yuan chinois et les monarchies de l’Opep envisagent l’idée de tourner le dos au système des pétrodollars. Le bloc des Brics, quant à lui, plus riche en PIB que les pays du G7, a décidé de mettre en place un processus de création d’une nouvelle monnaie de réserve adossée à un panier de devises des 5 pays membres. Un nombre important de pays (50 ?) semble vouloir les rejoindre. La guerre économique est déclarée qui pourrait induire la redistribution des rôles sur l’échiquier géopolitique mondial.

 

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Xi Jinping semble être passé maître en médiation, au grand dam de l’Occident qui doit désormais composer avec cette nouvelle puissance se retournant contre ceux qui l’avaient cantonnée au rôle d’atelier du monde. Pour autant, les Etats-Unis ont des alliés dans le Pacifique et l’on voit déjà s’agiter des propos guerriers, des manœuvres militaires, des provocations de part et d’autre ou encore le retour au protectionnisme. Ainsi, fin 2022, l’entreprise chinoise YMTC, fabricant de puces mémoires, des semi-conducteurs indispensables au fonctionnement des objets connectés (ordinateurs, smartphones et quantité d’appareils électroniques), a dû revoir à la baisse son ambition de leader mondial, Washington ayant annoncé des restrictions drastiques à l’exportation des semi-conducteurs de pointe au nom de la « sécurité nationale ». YMTC et tout le secteur de semi-conducteurs est visé et les sociétés américaines doivent obtenir une licence pour vendre à des entreprises chinoises. On attend la réaction chinoise qui possède 80 % des terres rares nécessaires à la production des nouvelles technologies…

 

L’UE, dans cette bataille à la suprématie est inexistante. Et Macron, l’auto-proclamé « maître des horloges » lors de de sa visite-éclair à Pékin, à défaut de pouvoir nous faire croire qu’il pèse - si peu que ce soit - face à maître Xi, ne parvient pas à maîtriser le bruit des casseroles !

 

L’ordre mondial est en mouvement, les plaques tectoniques vont s’entrechoquer. Pour autant, l’on assiste à des batailles entre puissants pour sauvegarder leur suprématie, ne se souciant aucunement des peuples qui en Afrique, en Asie ou ailleurs, subissent les dégâts de la croissance à n’importe quel prix. La pauvreté et les dérèglements climatiques, auxquels les actuels ou prochains « maîtres du monde » répondent en multipliant des projets pharaoniques, sont toujours plus dévastateurs pour l’Homme et la Nature.

 

Odile Mangeot

le 24.04.2023  

(1) le Monde Diplomatique, avril 2023, Pékin, faiseur de paix ? de Martine Bulard et Akram Belkaïd