Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 1 juin 2020


Le cauchemar états-unien

Les médias dominants, en se centrant, en boucle, sur les effets mortifères du Covid-19, ont occulté la réalité de ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières, tout particulièrement aux Etats-Unis. Les drames qui s’y jouent laissent entrevoir le cauchemar social qui pourrait nous atteindre. A la différence de la première puissance mondiale, les Etats européens ont mis en oeuvre des amortisseurs sociaux, notamment le chômage partiel pendant la période de confinement, qui diffèrent les effets des licenciements et faillites à venir. Mais l’on annonce déjà la fermeture de certains sites industriels (Renault) et la préparation de l’opinion à travailler plus pour gagner moins va bon train. Le cauchemar américain pourrait très bien traverser l’Atlantique, accroissant encore plus les inégalités en favorisant la concentration capitaliste, les rivalités entre nations… Pour les classes dominantes, au-delà de leurs contradictions, il s’agit d’abord et avant tout de sauver le système, « quel qu’en soit le prix » tout en jugulant la colère sociale. En tout état de cause, à moyen terme, la configuration géopolitique du monde actuel en sera profondément modifiée. Qui plus est, l’improbable relance économique à coups d’injection de liquidités risque de faire passer à la trappe l’indispensable transition écologique tant proclamée.

1 – Une crise sociale accroissant les inégalités

Dans ce pays fédéral où les inégalités sont abyssales, la crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19 provoque une crise sociale sans précédent depuis la 2ème guerre mondiale. Elle perturbe d’autant plus le système étatsunien au sein duquel la santé est une responsabilité individuelle, les filets de protection sociale collective sont pratiquement inexistants.

L’économie à l’arrêt, c’est plus de 30 millions de chômeurs inscrits, sans compter ceux qui n’étaient pas recensés avant la crise, soit 23 millions, qui pour des raisons de santé, de découragement, ont renoncé à chercher un emploi stable. Le système de couverture-maladie, qui repose sur l’assurance privée pour laquelle les entreprises n’ont aucune obligation de cotiser, est catastrophique. Non seulement il est le plus cher du monde mais il est de plus discriminant : malgré tout le barouf médiatique autour de l’Obamacare, 30 millions de personnes n’ont aucune couverture-maladie, la moitié des Etats-uniens sont sous-assurés. Quant aux hôpitaux publics sous-financés ils sont sous-équipés : dans certains d‘entre eux, les infirmières sont privées de masques. Pas étonnant dans ces conditions que nombre de malades refusent de se faire soigner. Qui plus est, les politiques néolibérales mises en œuvre depuis Reagan et la malbouffe ont provoqué des dégâts considérables : baisse de l’espérance de vie, 4 % de personnes obèses et 33 % diabétiques. Depuis 1968, le salaire minimum fédéral a diminué et la classe moyenne inférieure est laminée : malgré (ou à cause) du recours au crédit (voiture, habitation, études…), 4 Etats-uniens sur 10 ne peuvent faire face à une dépense imprévue de 400 dollars.

Au plan fédéral, 11,1 % de personnes sont en insécurité alimentaire, 4,3 % ont faim ! La demande d’aide alimentaire explose, et ce, dans un contexte où les chaînes alimentaires sont perturbées faute de ramassage et de distribution. Des œufs sont détruits, du lait renversé, des légumes pourrissent en Floride. Et les banques alimentaires sont débordées de demandes. On a du mal à imaginer, face aux représentations dominantes inculquées que New York, la ville qui compte le plus de milliardaires au monde, est aussi celle de l’extrême pauvreté. Parmi les 8,3 millions d’habitants, on dénombre 1,1 million en insécurité alimentaire. Les banques alimentaires, par l’intermédiaire de la municipalité, oeuvrent désormais, au sein des écoles publiques et distribuent 600 000 repas par jour et 250 000 petits déjeuners. New York c’est aussi les quartiers les plus pauvres, le Bronx et le Queens, qui comptent deux fois plus de personnes contaminées, dont 40 % d’Afro-américains. Ces inégalités sont présentes à divers degrés sur tout le territoire et touchent tous les domaines de la vie. Ainsi, les riches peuvent se faire tester mais pas les soignants.

L’économie à l’arrêt provoque non seulement des faillites, en premier lieu des PME, restaurants, commerces de proximité, mais aussi de pénuries alimentaires pénalisant les agriculteurs eux-mêmes alors  qu’ils ne parviennent plus à écouler leurs produits. Face à cette situation, l’Etat fédéral a débloqué 3 milliards de dollars pour acquérir directement des produits alimentaires de base et les reverser aux banques alimentaires.

Le Covid-19 agit comme un déclencheur de la crise économique qui distingue des perdants et des gagnants et suscite une concentration-restructuration du capitalisme.

2 – Les gagnants et les perdants

La Silicon Valley apparaît comme le modèle de la transformation du système capitaliste néolibéral : nouvelles technologies, intelligence artificielle, robots… Les GAFA, qui pèsent 5 200 milliards de dollars, ont accumulé au 1er trimestre 2020, 108 milliards de bénéfices. Google, Apple, Facebook, Microsoft ont la cote : « le monde d’après » serait celui de la surveillance généralisée, bref la gestion des populations formatées, tous les cœurs et les esprits seraient sondés. La voiture intelligente du conducteur passif c’est pour demain. La valeur boursière de Tesla a bondi de 67 %, elle pèse 25 fois plus que Renault ! Profitant de la fermeture des studios de cinéma, Netflix a gagné 12 millions d’abonnés. L’avenir ? La livraison à domicile ! Et les marchandises ? Amazon a recruté 135 000 employés, son chiffre d’affaires a bondi (+ 26 %).

Mais, il y a les perdants sous perfusion : Uber et AirBNB s’effondrent. Et même Pizza Hut, le casino de Las Vegas, les croisiéristes comme Larnival (250 000 salariés, 27 navires, ces pièges à virus, pouvant contenir 4 000 passagers) qui pourraient, au sortir de la crise, être moribonds. Et puis, il y a d’autres géants, Ford, Boeing… qui accumulent de nouvelles dettes en espérant (comme General Motors) enjamber la crise. D’autres pensent tirer leur épingle du jeu en misant sur l’effondrement du gaz et du pétrole de schiste consécutif à la guerre du prix du baril. Si pour le Texas, l’Oklahoma, le Wyoming, territoires de forage et de fracturation hydraulique, c’est la déconfiture, Exon et Chevron qui ont réduit leur production de 10 % pensent rebondir et rafler les marchés en déliquescence. Malgré l’économie réelle de la consommation et de la production en berne, les banques surpuissantes s’engraissent : JP Morgan, Goldman Sachs, City Bank, Bank of America ont vu leurs profits augmenter de 33 %, soit 23 milliards de dollars. Prudentes, elles accumulent des provisions car elles s’attendent à des milliers de faillites, en particulier des PME auxquelles elles ont accordé des prêts. Malgré tout, Patrick Arthus,  économiste acquis au système, est inquiet « La soudaine montée du chômage peut déclencher une crise bancaire avec une hausse massive des défauts sur les crédits accordés par les banques ». Néanmoins, les rapaces se portent bien, à preuve, le PDG de Goldman Sachs s’est offert, une augmentation de 20 % soit 27,5 millions par an.   

3 – La FED. « Sauver les anges déchus »

La banque centrale américaine agit comme un pare-feu : sauver les entreprises de la faillite… en confiant, en partie, cette mission, aux banques privées ( !),  en rachetant des titres (actions, obligations) que les entreprises mettent sur les marchés financiers pour les inciter à demander de nouveaux prêts aux « investisseurs » (banques privées, assurances, fonds de pension…) qui seraient maintenus à un taux… raisonnable vu les risques de défaut de remboursement en cas de faillite ! Pour tenter d’y parvenir, la FED a baissé le loyer de l’argent (fictif) qu’elle accorde aux « investisseurs » à des taux compris entre 0 et 0,25 %. Ford a ainsi pu lever 8 milliards de dollars à des taux compris entre 8,5 et 9,6 %, accordés par les banques privées. Exemple significatif !  Raisonnable ? En tout cas, les banques sont sauvées (pour l’instant).

Pointe, en tout cas, le risque de faillites massives. Le pari de la classe dominante, y compris des politiciens, qu’ils soient démocrates ou républicains, est la croyance en une reprise massive après la crise sanitaire. On pourrait tout aussi bien compter sur une récession durable et sur les effets inattendus d’une très forte concentration capitaliste. Que va-t-il rester de la suprématie US ? Ses seuls atouts : le dollar, l’innovation technologique, l’armée la plus puissante du monde et une politique agressive marquée par l’unilatéralisme face à la Chine ainsi qu’à l’Union européenne. Mais que restera-t-il du rêve américain, véritable cauchemar dans une société profondément divisée mais toujours soumise aux libertés d’’exploiter ou de se faire exploiter ?

4 - Deux « Amériques », une démocrature

Comment un modèle économique rongé par les inégalités peut-il tenir ? La raison principale est à chercher dans la profonde division du « peuple » états-unien et dans une forme de rejet des « démocrates » qui ont permis l’élection de Donald Trump. Au policé Obama a succédé le dévergondé machiste, sexiste et raciste. La star de la télé-réalité, le milliardaire de l’immobilier a pu faire rêver les blancs à col bleu, victimes de la désindustrialisation, et rassurer les conservateurs inquiets du déclin des Etats-Unis. Cette alliance apparemment contre-nature entre évangélistes-créationnistes, nombre d’ouvriers paupérisés et de riches donateurs, a permis la victoire d’un boni-menteur en capacité de séduire une fraction des populations pour qui le rêve américain doit persister. Vu d’Europe, le personnage Trump est une incongruité, son rejet des normes environnementales, son racisme, son isolationnisme nationaliste, trouvent pourtant un écho favorable. Se préoccuper de « l’Amérique d’abord », se conjuguant avec l’idée que les « bons » citoyens sont ceux qui s’en sortent par eux-mêmes, que la législation sociale est une forme de collectivisme communiste, que chacun peut porter des armes, rencontre cette posture de liberté individuelle consacrée par le mythe américain. De fait, cette société est profondément divisée entre ceux pour qui toute réduction fiscale est bonne à prendre et ceux qui ont assuré auparavant la victoire de Clinton : néolibéralisme, réformes sociétales et ralliement des minorités, les noirs, les latinos, les asiatiques. Cette division de la formation sociale marquée historiquement par l’esclavage, les discriminations, l’écrasement des syndicalistes radicaux, les vagues d’immigration, l’anticommunisme virulent, s’inscrit dans toute une histoire mouvementée, celle d’une division entre les Etats du Nord et du Sud, du protestantisme-évangéliste contre la révolte de la jeunesse dans les années 68… soit deux Amériques qui se détestent. Cette fracture s’est accentuée dès les années 1980 : Reagan, cet acteur de série B l’emporte en courtisant la droite chrétienne, blanche, puis les deux Bush, agissant de même, y compris et surtout par la mise en œuvre de politiques néo-libérales, laminent la classe moyenne. Les années Clinton ont, sur ces bases, réactivé les clivages d’une guerre culturelle. Pour Trump et ses partisans (150 millions d’abonnés à ses tweets), les « bons » Américains sont ceux qui réussissent par leur travail, la santé est l’affaire de chacun, les Afro-américains, les hippies, les latinos ne sont pas de « vrais » Américains. Le virilisme hâbleur de Trump rassure toute une mouvance hétéroclite, convaincue par les nécessités de l’isolationnisme et de l’agressivité vis-à-vis des ennemis extérieurs, la Chine, l’Iran et même les Européens, ces alliés encombrants et coûteux. « La situation est sous contrôle » face au « virus chinois » qui va « disparaître comme par miracle », les Etats-Unis n’ont ni besoin de l’ONU, de l’OMS ou de l’OMC afin de rétablir leur suprématie.  Ces croyances sont de fait inscrites dans les institutions. Comme le souligne le juriste Levitsky, « le président des Etats Unis peut lancer une attaque nucléaire, nommer tous les juges de la Cour Suprême, limoger les magistrats qui enquêtent sur lui et sa famille, amnistier ses amis et lui-même. Aucune loi ou clause inscrite dans la Constitution ne l’empêche de faire tout cela si ce n’est la tradition et (sa) conscience ». Il n’existe, de fait, que deux garde-fous à la dictature personnelle : la procédure d’empeachment (destitution) pour autant que les élus des deux Chambres soient d’accord et les élections présidentielles tous les 4 ans. Encore qu’il ne faille pas négliger le poids des juges et des médias dominants que Trump méprise royalement. Si, sans conteste, la démocratie américaine qui recourt, sans limites, des dons des riches donateurs et des multinationales, est une démocrature qui abuse encore les naïfs occidentaux (« nous sommes tous Américains »), la tournure des évènements à venir, à savoir l’accentuation de la crise économique, pourrait bien déciller nombre d’entre eux.

En tout état de cause, on voit mal l’engagement des jeunes ayant soutenu le social-démocrate Bernie Sanders, rallier en masse et avec enthousiasme le falot Jo Biden, lors des élections de novembre prochain. Certes, selon les sondages, 57 % de la population approuvent l’attitude des gouverneurs des Etats, démocrates pour la plupart, les protégeant tant bien que mal de la pandémie. Restent ces manifestations même minoritaires qui réclament la « liberté » de circuler et de travailler, et donc la fin du confinement.

Au-delà du clivage entre démocrates et républicains, il y a une entente réelle : sauver le système capitaliste, tout en mettant des limites au libre-échange et ce, afin d’assurer la survie des multinationales et des banques. Qui plus est, face aux licenciements qui se profilent, on voit mal se dessiner, du moins pour le moment, des alliances entre travailleurs et la jeunesse de la classe moyenne en voie d’appauvrissement. Ce qui, en revanche, prend tournure, c’est plutôt l’autonomisation de certains Etats contre le gouvernement fédéral, bref, l’accentuation des divisions.

Demeure un dilemme, celui des rapports des Etats-Unis avec le reste du monde : deux ennemis boucs émissaires et des antagonismes avec bien d’autres pays. Le péril jaune d’abord agité comme un bouc émissaire et avec qui la guerre commerciale pourrait s’intensifier au-delà des menaces verbales. Les mesures de rétorsion sont « sur la table » : hausse des taxes d’importation des produits chinois, interdiction d’achats d’équipements électriques provenant de Chine, d’accès au territoire US aux étrangers venant de ce pays, empêcher les fonds de pension des fonctionnaires fédéraux d’investir dans l’Empire du milieu, soutenir Taïwan… Qui pourraient pâtir le plus de ces mesures sinon les consommateurs appauvris et nombre de multinationales qui profitent de la main d’oeuvre à bas coût ! Et que dire de la bravade consistant au non-remboursement de la dette US détenue par Pékin… sinon un aveu de faiblesse... Même constat vis-à-vis de l’Iran et la tentative de provoquer un changement de régime. Saborder l’accord sur le nucléaire signé en 2015 s’avère contre-productif. Malgré les difficultés réelles à vivre da la population iranienne, l’anti-américanisme s’est accru, la puissance des mollahs s’est invitée en Irak, en Syrie et même au Yémen. Quant aux alliés des USA à coups de pressions et de réticences, ils prennent plus ou moins leurs distances. Bref, dans la période qui vient, l’Empire états-unien est un colosse au pied d’a      rgile, l’empire chinois est prêt à lui succéder en tant que première puissance mondiale. Encore qu’il faille mesurer la fragilité du despotisme chinois, ce capitalisme d’Etat qui a provoqué la misère dans les campagnes, l’exploitation des migrants de l’intérieur qui ne bénéficient d’aucune protection sociale (chômage), et repose pour l’essentiel sur la classe moyenne enrichie.

C’est un monde inquiétant qui se dessine à l’image des leaders qu’il se donne contre son plein gré : Trump, Bolsonaro, Erdogan, Boris Johnson, d’un côté et de l’autre, Xi Jinping, Poutine ou des figures plus fadasses comme le rhéteur Macron ou la placide Merkel. Les soubresauts de la crise économique qui vient peuvent-ils réveiller, au-delà des joutes parlementaristes sans effet, les classes ouvrières et populaires ? Pour l’heure, rien n’est moins sûr ! La solidarité de combat sans concession est toujours battue en brèche, pour le moment, par le chacun pour soi. Faute d’entrevoir un futur d’émancipation internationaliste, le despotisme du capitalisme financier pourrait perdurer.

Gérard Deneux, le 22.05.2020  

Encart

Le pari perdu des banques françaises

De 2016 à 2018, c’était l’euphorie. Le pétrole et le gaz de schiste annonçaient un nouvel âge pétrolier contre tous les Cassandre. Les Etats-Unis, première puissance, allait bientôt exporter en Europe son or noir. Le forage par fracturation hydraulique assurait un nouvel avenir. Les banques françaises ont misé sur cette aubaine, persuadées que la valeur de cette « merde du diable » (comme disent nombre de  Nigérians) allait rapporter un pactole de profits. Le baril à 50 dollars ne pouvait baisser. Les bancocrates de l’Hexagone ont donc massivement investi près de 26 milliards de dollars : le Crédit Agricole (sic) 6 milliards, la BNP 3,6 milliards, la Banque Populaire-Caisse d’Epargne 3,3 milliards, Axa et Rothschild 13 milliards. Quant à la Société Générale, plus prudente ( ?) elle a accordé 3,9 milliards de dollars pour la construction de gazoducs.
Il était, à leurs yeux, impensable que l’Arabie Saoudite et la Russie s’entendent pour inonder la planète de pétrole pour en faire baisser le cours. C’est pourtant ce qui s’est passé. A 30 dollars le baril, l’exploitation des puits de pétrole étatsuniens ne sont plus rentables comme d’ailleurs, le sable bitumineux au Canada ou les forages en Alaska et en Arctique. La pandémie du Covid-19 n’a donc fait qu’accélérer les faillites des « petits » pétroliers du Texas notamment. Les rodomontades furieuses de Trump n’y ont rien changé, pour l’essentiel.
Et « nos » banquiers de s’apercevoir, au bord du gouffre, de sa profondeur ! Ils ont beau chercher la main invisible du marché autorégulé, ils n’y trouvent, pour l’heure, aucun soutien. Leur cupidité de court terme démontre que « l’esprit de leur monde est un monde sans esprit » tout comme celui de leurs managers et de l’Etat dit stratège…

GD le 23.05.2020