De quoi Macron est-il le nom ?(1)
La victoire, d’ailleurs toute
relative, d’un Rastignac de la caste politicienne est certes le résultat d’un
enchaînement d’évènements inattendus, mais repose, plus fondamentalement, sur
une crise de régime et la tentative de sauvetage qu’illustre le macronisme.
Encore faut-il tenter de le définir pour saisir son apparente force d’attraction
et sa réelle fragilité.
1 - Le rejet des leaders des partis dominants par
leurs électorats
Les politiques similaires, malgré
toutes les contorsions rhétoriques dont font preuve les partis dits de
gouvernement, ont été mises en lumière crue à l’occasion des diverses
alternances. Les privatisations, délocalisations, externalisations, désindustrialisation
sur fond de montée du chômage et de la précarité, en constituent la continuité
incontestable. Les directives européennes qui en sont le fondement, tout comme
le sauvetage des banques lors de la crise de 2007-2008 et les politiques
austéritaires pour résorber la dette publique, en sont la raison d’être. Il n’y
a pas lieu donc de s’étonner de l’ampleur du fossé qui s’est creusé entre
les castes politiciennes et leur propre électorat. La montée du FN nationaliste
et xénophobe en est le produit le plus faisandé. La solution pour reconquérir
leurs bases électorales, LR comme PS crurent la trouver dans le recours aux
primaires. Mal leur en prit. Elles devaient servir à masquer les divisions,
elles les a accrues au sein de la droite comme au sein de la fausse gauche.
D’une primaire à l’autre
Sarko, maître de l’appareil, et Juppé
comme solution apaisante pour la classe dominante, pensaient tous deux être
maîtres du jeu au sein de LR. Ce fut Sarko le perdant et Juppé le relégué. A
faire voter l’électorat de droite, chauffé aux propos xénophobes et aux
réprobations de l’assistanat et des mariages pour tous, il en sortit un Fillon
austère, et tout d’apparence probe et honnête chrétien. A peine désigné, les
médias et la population s’indignèrent. Son programme casse-cou allait jeter
dans la rue des bataillons de salariés qui ne pouvaient admettre la casse de la
Sécurité Sociale sans qu’on n’y mette des formes plus euphémisées. La branche-maladie
coupée au profit des assurances et mutuelles privées, pour le bonheur d’Axa et
de son PDG qui en avait rédigé le programme, c’était trop osé ! Adoucissez, crièrent ses soutiens, ce
que contrit, il fit. Peine perdue, l’honnête homme se révéla fourbe et avide
d’argent public. Reculades et dénis se succédèrent pour étouffer le Penelope-gate.
Et ce fut la lente descente dans l’impopularité. Sa présentation en victime
d’un complot ourdi par la secte hollandaise au sommet de l’Etat n’arrangea
rien. La vaine tentative de remplacer ce Fillon, dont les meilleurs amis ne
voulaient plus, mise à part la
valetaille réactionnaire des Sens Commun
catho, fut des plus cocasses et ce, malgré la présentation de soi impeccable
avec veste hors de prix, léguée par des mécènes douteux. Bref, tous ou presque,
dans son camp, prédirent que l’alternance promise, attendue, allait leur échapper.
Quoique !
En effet, on pouvait encore y croire
car la « Belle Alliance »
du PS n’était qu’une union des divisions flottant sur l’impopularité d’un
Président qui n’osa point se représenter. On attendait que sorte du lot un
Valls énergique, moderne. C’était sans compter avec le frondeur Hamon. En fait,
l’électorat convoqué pour cette primaire de la « gauche et des
écologistes » se révéla bien plus à gauche qu’espéré par les ténors de
l’appareil. L’état d’urgence, la déchéance de nationalité promise puis oubliée,
la désapprobation de la loi El Khomry par 70% des sondés, la précarisation de
la société et cette courbe du chômage qui ne s’inversait pas, mirent Hamon sur
le piédestal malgré les quolibets médiatiques.
Bref, rien ne se passait comme prévu.
On attendait un duel de 2ème tour, opposant Valls et Juppé, c’était
raté. Fallait changer de montures.
2 - Le Rastignac Macron en solo
Quittant assez tôt le navire « hollandais »
en perdition, l’ex-ministre de l’économie se présenta comme un homme neuf, dynamique.
La créature de Hollande, personne au départ n’y croyait dans le landernau des
élites. Les médias n’y virent au départ
qu’une bulle, puis furent séduits après la déconfiture des primaires.
Pensez-donc, il surfait sur le rejet des partis dominants qui se fracassaient ;
ni de droite ni de gauche, il prônait l’union afin de poursuivre la mise en
œuvre d’un néolibéralisme conquérant et bruxellois, sans retenue. La start-up
en marche connut quelques débuts difficiles ; les chamailleries des Sarko,
Juppé, Fillon et Valls, Hamon et tant d’autres lui dégagèrent la route. Et
puis, alors qu’il stagnait, il reçut le renfort d’un homme dit du centre qui
s’autorisait à penser qu’il parlait à l’oreille des chevaux. Macron tendit les
bras à celui qui, quelque temps auparavant, l’avait houspillé en le traitant de
bébé Hollande. Bayrou, pour quelques circonscriptions lui permettant de
renaître, en fut tout réjoui.
Mais, au-delà de ces péripéties
croquignolesques, il y eut la comm macronienne, son style et l’épouvantail Le
Pen. Autant d’éléments qui assurèrent la victoire de la nouvelle coqueluche des
médias dominants.
Le nom de Macron
Ce fut d’abord une pub sur papier
glacé, la mise en scène d’un couple présidentiel glamour. Il fallait plaire.
Ainsi, pour ne prendre, dans la presse people, que l’exemple le plus signifiant,
à savoir Paris Match, on eut droit au
choc des photos pour gogos. Cette publication consacra, en un peu plus d’un an,
7 numéros dont l’un spécial de 26 pages au duo Macro-Trogneux. Ainsi on put les
voir, main dans la main, déambulant sur une plage de Biarritz, elle en bikini
et lui en sportif tout habillé. Ces tableaux charmants allaient se répéter
pendant toute la campagne présidentielle à l’américaine.
Mais, la nouveauté se trouvait
ailleurs, dans ce parti-entreprise dont le PDG était Macron. L’objectif
présenté consistait à prétendre renouveler le paysage politique. Au lieu des têtes
chenues, usées, voire compromises dans de douteuses affaires comme les Cahuzac,
Fillon Le Roux… de fringants jeunes technos allaient sortir du lot. On fit
sortir du chapeau des soutiens suffisamment compétents, des marcheurs-suiveurs
éblouis par les envolées christiques du candidat Macron. Mais l’affaire ne fut
dans le sac qu’à l’issue du 1er tour des présidentielles. Après les
duels convenus, ne restait que le sauveur face à l’affreuse. L’épouvantail Le
Pen fut mis à contribution. Et tous, ou presque, d’appeler à voter Macron. La
surprise étonnante du 1er tour, celle de l’émergence de La France Insoumise fut néanmoins suivie
par une abstention et une envolée de bulletins blancs et nuls, mettant déjà à
mal une légitimité fragile.
Il n’en demeure pas moins que la
prouesse fut remarquée. Les débris du PS se ramassent à la pelle ; la
droite éclatée dont une frange importante fait les yeux doux de Chimène au
vainqueur, lui se permettant des débauchages et allant jusqu’à nommer des
ministres de droite, dont le Premier d’entre eux. Bref, tout semble chamboulé
et remis sur les rails gaulliens de la 5ème République. Rien n’est encore
joué mais ce qui est sûr c’est que l’autoritaire et ombrageux Macron prétend
incarner la monarchie dite républicaine dans tous ses atours. Pour ce faire, il
se doit d’espérer une majorité macronienne ou, à défaut, une cohabitation
possible avec des néolibéraux de droite et de gauche.
La langue macronienne
Macron, c’est l’homme du capitalisme
néolibéral assumé et conquérant, à la différence de Hollande, le honteux.
L’ubérisation de la société, la déréglementation tous azimuts, la concurrence
accrue à l’image des bus contre les rails, du travail le dimanche, la précarité
structurelle, seraient la solution pour faire redémarrer le capitalisme
français au sein de l’Europe. Les maîtres-mots de la macromania sont tous, plus
ou moins, issus de la Silicon Valley et de ses start-up : il s’agirait de
« faire pousser de jeunes pousses
dans des incubateurs », en développant l’économie de la donnée. Ceux
qui sont en effet en capacité de se « mutiner
contre l’immobilisme conservateur » « misent sur l’audace de la rupture » sans filets sociaux ;
leurs maîtres-mots sont « créativité
et innovation ». Cette technophilie utilisant la magie des mots peut
séduire. Elle prétend « libérer les
forces vives de la jeunesse » car il suffirait d’emprunter, de se lancer
pour espérer devenir millionnaire. Tous ces jeunes exaltés qui applaudissaient
dans les meetings de Macron sont persuadés, qu’avec lui, les créatifs, les
collaboratifs, les participatifs seront les gagnants de demain ; ils
feraient bouger « l’inertie des
sociétés encombrées de trop de règles contraignantes ». L’appareillage
rhétorique macronien peut faire illusion. Toutefois, comme il est apparu assez
vite, avec les chauffeurs Uber de VTC, les risquophiles ont vite été rattrapés
par la précarité. Force est de constater qu’un monde en crise a besoin de
prophètes, voire de charlatans loufoques, comme Donald Trump, et que « le capitalisme se caractérise par
l’insécurité et l’agitation perpétuelle » (Karl Marx). Le nouveau type
de religiosité marchande que veut nous vendre Macron a besoin d’imprégner en
profondeur les esprits pour que ça marche pour quelques élus derrière leurs
claviers. La réalité pour le plus grand nombre sera tout autre, son programme
en fait foi.
3 - Du trompe-l’œil au libéralisme sans frein
D’abord obtenir l’approbation
populaire en se présentant comme M. Propre pour éviter les couacs de
l’enrichissement frauduleux des ministres et futurs députés. Vite, un projet de
loi, avant même l’élection des députés, après examen de passage des ministres
du nouveau gouvernement, vérifications fiscales et déontologiques accomplies (2),
c’est proclamé : les emplois familiaux et les activités de conseil
lucratives des députés seront interdits ; la limitation des mandats
évitera les cumulards et l’on fiscalisera les indemnités des parlementaires,
tout en mettant un terme à leur régime spécial de retraite. Serait-ce la fin
des privilèges ? Ces effets d’annonces drastiques risquent d’être
édulcorés si Monsieur le jeune Macron ne dispose pas d’une majorité de suiveurs
en marche… En tout état de cause, pour faire passer l’amère potion de la
précarisation tous azimuts, il semble nécessaire de restaurer « une république exemplaire ».
Comment faire admettre autrement la
suppression des 120 000 postes de fonctionnaires, la hausse de la CSG,
l’étranglement des collectivités locales par la suppression de la taxe
d’habitation ?
Mais le plus dur du consentement à
obtenir, c’est la casse, par ordonnances, du code du travail. Les entreprises
doivent, selon la logique concurrentielle effrénée, pouvoir s’adapter aux
soubresauts de la mondialisation et donc entreprise par entreprise, diminuer
les salaires, augmenter le temps de travail selon leurs besoins. Les patrons
devraient donc être autorisés, sous la menace du chantage à l’emploi, à
utiliser le référendum d’approbation démocratiste. Qui plus est, les PDG ne
devraient plus être encombrés par de trop nombreux syndicalistes. C’est ce que
vise la « fusion des instances
représentatives des personnels ». Et hop, on regroupe délégués du
personnel, des CHS, du comité d’entreprise… Exploitation avec un minimum de
contestation ne saurait suffire, encore faut-il rendre grâce au MEDEF, lui qui
depuis des années, réclame « le
plafonnement des indemnités prud’homales ». Renvoyer par un clic
« sans cause réelle et sérieuse »
tout en mesurant le coût forfaitaire, facilitera la vie des précautionneux
patrons, tout en contraignant les juges.
Ce capitalisme de combat qui nous est
promis, doit s’accompagner de la disparition de Pôle Emploi et des Assedic,
voués à s’insérer dans le giron de l’Etat. Finie la gestion paritaire ? Et
Macron de promettre que demain les indépendants et démissionnaires bénéficieraient
d’assurance-chômage. Les bobos flexibles « rebondissant de projet en projet » ne peuvent qu’applaudir
devant une telle audace, tout en se convainquant, qu’au grand jamais, ils ne
seront des assistés et donc nullement victimes de la chasse aux chômeurs
annoncée.
L’ex-banquier de chez Rothschild se
fait plus discret sur les promesses faites à ses amis de la finance : la
suppression de l’impôt sur les portefeuilles financiers et le plafonnement de
la plus haute tranche des revenus financiers, ramené à 30% au lieu de 50%, il
sera temps de faire voter en ce sens à la sauvette, aux moments opportuns.
Macron l’européen. Macron le guerrier
L’ambitieux Rastignac veut jouer dans
la cour des grands de ce monde. A peine intronisé, il est allé chercher l’appui
de l’allemande Merkel, afin de lui soumettre ses vœux iconoclastes pour
l’Europe : une assemblée de la zone euro rassemblant députés européens et
nationaux, des eurobonds pour mutualiser au moins une partie des dettes
publiques, un budget européen avec un ministre dédié à cette noble tâche.
Courtoisement, la dame de Berlin l’a éconduit, ce n’est pas à l’ordre du jour
et puis, faites d’abord vos preuves austéritaires. Tout juste lui promettait-elle
son soutien à l’initiative de refonte de la directive des travailleurs
détachés. Ce Nein, assorti d’un
« on verra », était aussi
valable pour la réclamation d’une défense européenne visant à amoindrir les
dépenses militaires de l’entreprise France que Macron entendait poursuivre sans
retenue aucune.
A preuve, son voyage au Mali après son
défilé sur les Champs Elysées en command-car-blindé… Paradant devant les généraux,
il prononça de fortes paroles. La France-Afrique par le feu et par fer serait
maintenue. Qu’importe si l’armée française est enlisée depuis 4 ans (déjà) dans
les sables du Mali, le nouveau et fringant chef des armées proclama « Notre engagement restera de haute intensité
ici au Sahel comme dans d’autres opérations. Nous serons intraitables ».
Et, pompeux, le sémillant guerrier d’ajouter : « l’institution militaire, je la guiderai dans nos interventions ».
Au gouvernement potiche et corrompu d’IBK et ses vaines tentatives de
discussion avec la rébellion terroriste, il fit savoir que cela devait cesser.
Les despotes pourront-ils être mis au pas ?
Et après…
On l’aura compris, au-delà des
apparences de renouveau, pour les classes ouvrières et populaires, dans le
Macron y’a rien de bon ! En revanche, il est la solution
(provisoire ?) à la crise d’un régime à bout de souffle, la tentative
d’adaptation du capitalisme français à la concurrence effrénée du libre-échange
et à la numérisation de l’économie. Start-up, robotisation riment avec
flexibilité et précarité, tout comme l’état d’urgence sécuritaire maintenu.
A l’issue des législatives, deux
scénarii sont possibles : soit le sieur Macron disposera d’une majorité et
la voie lui sera ouverte pour tenter de casser le code du travail au plus vite,
soit la cohabitation s’imposera avec la droite juppéiste et les ralliés de
dernière heure. En tout état de cause, le moment d’effarement passé, ce sera au
mouvement social de jouer sa partition, en évitant les errements du passé. Pour
éviter une nouvelle défaite qui s’avèrerait désastreuse, encore faut-il passer
de la défensive à l’offensive résolue. Il ne s’agit plus désormais de
marchander quelques reculs symboliques mais de délégitimer ce pouvoir et, pour
finir, de le destituer pour instituer la Sociale, la seule République dont on
peut se réclamer. A coup sûr, ce chemin de l’espérance sociale sera dur à
gravir, encombré qu’il est par toutes sortes d’obstacles institutionnels,
répressifs, sans compter les vieilles lunes des partis néolibéraux qui, pour
l’essentiel, s’acoquineront dans l’union sacrée macronienne.
Gérard Deneux, le 25 mai 2017
(1) clin d’œil au livre d’Alain Badiou
« De quoi Sarko est-il le nom ? »
(2) déjà le couac Ferrand et demain
des renvois, par clics, des ministres battus aux législatives ?