Décourager
et refouler les exilés
Ce sont les deux mamelles de la
« politique d’accueil » à la française. Pour afficher un chiffre de demandeurs
d’asile inférieur à 100 000/an, l’Etat met en œuvre des stratégies
honteuses, bafouant la loi sans vergogne. Pourtant, la France, en 2016, a
enregistré peu de demandes d’asile par rapport à ses voisins : 85 700
contre 722 300 en Allemagne et 121 200 en Italie.
Les méthodes ont de quoi faire dresser
les cheveux sur la tête. En effet, l’Etat, soit fait tout pour ne pas
enregistrer les demandeurs, soit fait tout pour les faire partir ou les
expulser
La dissuasion silencieuse.
L’Etat
éloigne les services d’accueil des exilés. A Calais, le guichet « asile »
à la Préfecture a été fermé en octobre 2016 simultanément au démantèlement de
la jungle. Pas d’accueil, pas de migrants ? Ils sont là pourtant et
doivent aller à Lille. Mohamed, 26 ans, Soudanais, a attendu, à la rue,
plusieurs semaines pour obtenir un rendez-vous, enfin fixé au 28 mars ; ce
jour-là il tente de prendre le train de 8h33 mais…est arrêté par la police sur
le trajet de la gare…ressorti trop tard pour prendre le train, sans billet car
confisqué. Pour reprendre un rendez-vous : 3 à 5 semaines d’attente… s’il
n’est pas arrêté par la police entre-temps, sans-papiers !
C’est
un véritable parcours du combattant pour être enregistré demandeur
d’asile. A Paris, nombreux sont ceux qui ne peuvent être hébergés au Centre
humanitaire de Transit, trop exigu. Ils tentent d’atteindre, alors, France
Terre d’Asile (association habilitée par la Préfecture) pour se faire
enregistrer. Pour obtenir un rendez-vous plus rapide ils dorment sur le
trottoir devant la porte… Inutile ! La préfecture contingente les accueils
à FTDA : il faut au moins 2 semaines d’attente pour entrer + 40 jours pour
obtenir le rendez-vous à la Préfecture. Pendant ce temps, vigilance !
Mieux vaut ne pas être arrêté par la police, car, sans-papiers, l’exilé devenu
errant peut être envoyé en centre de rétention, voire expulsé. L’Etat est hors
la loi, celle-ci précisant que l’attente ne doit pas excéder 10 jours !
Les protestations des associations solidaires n’ayant pas suffi (Cimade, Groupe
accueil et Solidarité, Gisti, Dom’Asile), elles ont déposé une plainte contre
l’Etat… En attendant, pas d’enregistrement = pas de papiers = pas de ressources.
L’Etat économise 6.80€/jour/personne d’allocation d’attente délivrée
obligatoirement !
Le refoulement inventif
Les
forces de l’ordre refoulent. Ça aussi, c’est illégal et les
militants de l’association Roya citoyenne (un certain Cédric Herrou et plein
d’autres) s’y opposent mais… ça se passe. Entre Vintimille et Menton, la police
renvoie en Italie, systématiquement, ceux qui passent la frontière au prétexte
d’accords bilatéraux ? En 2016 ce sont 35 000 migrants qui ont été
interpelés et réexpédiés en Italie. La loi ? Celle qui oblige, lorsqu’un
migrant demande l’asile en France, à l’orienter vers le service
compétent ? Bafouée ! Il a fallu qu’un avocat soit témoin de cette
procédure et porte l’affaire en justice pour que le Tribunal administratif, le
31 mars, qualifie cette politique du Préfet de « manifestement
illégale ».Quelle condamnation ? A ne pas recommencer !
La
directive «Dublin » par contre est appliquée avec zèle !
Les « dublinés » sont ceux
qui ont laissé des empreintes dans le pays par lequel ils sont entrés. La loi
prévoit que le demandeur d’asile peut être renvoyé dans le pays de premier
accueil. Cela prend du temps et n’aboutit pas forcément car les pays
voisins sont de plus en plus réticents à accepter. En 2016, Paris a demandé
25 963 fois à un pays voisin de reprendre des migrants dits
« dublinés », en 2015, seuls 14 308 ont été effectivement renvoyés.
La procédure-retour n’empêche pas d’enregistrer le demandeur, cela lui permet d’être
en règle avec la police, de percevoir l’allocation de subsistance et d’avoir
une couverture médicale minimale… sinon : rien ! Mais l’Etat
fait du zèle et invente des passages administratifs supplémentaires,
véritables labyrinthes incompréhensibles, se terminant en nasses pour refouler
un maximum d’exilés. (encart 1)
Inutile de chercher un changement
positif en matière de politique d’accueil des exilés de la guerre et de la
misère auprès des deux qualifiés au 2ème tour, l’un c’est la peste,
l’autre le choléra. Mieux vaut se préparer à nos « obligations » de
résister. Faire comprendre la réalité des histoires de vie ou de mort de tous
ceux qui quittent tout pour chercher l’asile, la protection, est une première obligation.
Dénoncer les illégalités commises par l’Etat et déposer des plaintes est une
deuxième obligation. Rétablir la vérité des méthodes et des chiffres, notamment,
est une troisième obligation pour ne pas laisser dire et faire n’importe quoi,
et laisser prospérer, par le silence, le
terreau de la xénophobie et du racisme. (encart 2)
Odile Mangeot, le 27.04.17
Sources :
Le
Monde Diplomatique avril 2017 – Dossier « Présidentielle », article Embarras de la gauche sur l’immigration de
Benoît Bréville
Le Monde
12 avril 2017 Comment la France décourage
la demande d’asile
Encart 1
Un
jeune Ivoirien
Arrivé à Paris en janvier, cherchant
un hébergement au Centre humanitaire, après quelques nuits dehors, s’est rendu
au CESA, qui a engagé une procédure-retour vers l’Italie ; hébergé dans un
hôtel en attendant, l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration)
n’instruit pas sa demande d’asile. A force d’insister, soutenu par la Cimade,
il obtient un rendez-vous le 21 avril (au bout de 4 mois !)… mais,
entretemps, la préfecture a pris un arrêté l’obligeant à quitter le territoire,
et a annulé le rendez-vous…
Encart 2
La
vérité des chiffres
En 2016, sur 227 550 titres de séjour attribués, seuls 32 285 l’ont été pour des motifs humanitaires (réfugié, asile
territorial ou protection subsidiaire, étranger malade).
Les autres motifs sont :
-
Familiaux
88 010 (dont 48 725 concernent des familles de Français)
-
Etudes :
70 250
-
Economiques :
22 575
-
Divers
(visiteur, étranger entré mineur, ancien combattant, retraité…) :
14 430
Le
Monde Diplomatique
avril 2017