La carrière de Ternuay
Contre quelques milliers d’euros octroyés, la
montagne éventrée !
Le maire de Ternuay, petite commune de
Haute-Saône, bien chapitré par quelques experts de grande courtoisie, crut
faire affaire avec des carriers locaux (Valdenaire, GDFC Granulats de
Franche-Comté) bien introduits en qualité d’actionnaires ultra-minoritaires de
la multinationale Holcim/Lafarge. Le contrat de concession d’exploitation de la
richesse minière fut assez vite conclu. Le Conseil municipal bien en main du 1er
magistrat donna son accord le 21 novembre 2014 et, en mars 2015, le contrat dit
de fortage fut élaboré et signé.
Pensez donc ! L’éventrement de la
montagne, supervisé par l’ONF de Franche-Comté, allait rapporter plus de
100 000 euros par an à la commune : redevance d’extraction d’un
matériau haut-de-gamme pendant 30 ans, à raison de 1,15€ HT le m3, à laquelle
s’ajoutent une redevance d’occupation (2 000€), une indemnité
d’immobilisation et un cadeau en nature de 500 tonnes de granulats. Avec cela
plus besoin de taxer les contribuables… « Plat de lentilles » lui
répondirent les opposants lorsqu’ils connurent, tardivement, cette promesse de
transaction, laquelle devait être soumise à enquête publique. Et puis, il y
avait le contenu et les conséquences de cette extraction dans cette petite
vallée vouée au tourisme et à la qualité de vie.
Extractivisme unilatéral en zone rurale et
touristique
Le contrat dit de fortage autorise à
extraire, non seulement des granulats, mais également du porphyre, matériau
noble et ce, à raison de 200 000 tonnes par an sur une surface de 15
hectares, à proximité d’une route départementale. Défrichement, dessouchage et
décapage du terrain sont un préalable, la commune récupérant le bois. Ensuite,
des constructions et des installations permettront le concassage des blocs de
pierres que des tirs de mines auront fait exploser. Comme pour nous rassurer,
il est précisé que les explosions n'auront pas lieu les samedis et jours fériés…
Et puis, il y a le transport des matériaux par camions… un camion tous les ¼
d’heure traversant les villages et la vallée sur une petite route bien
sinueuse. Sur le site, reposera une cuve de 5 000 litres pour entreposer
hydrocarbures et liquide-frein, rien de très écolo !
Quant aux pouvoirs du concessionnaire,
ils sont largement préservés. Il possède un délai de 5 ans pour mise en
exploitation. Cette mainmise sur cette réserve de minerais peut être prolongée
de 2 ans sur présentation d’un nouveau dossier…contrat, qui plus est, qu’il
peut résilier à tout moment. Il suffira d’invoquer à convenance, soit l’exploitation trop onéreuse, soit
l’épuisement du gisement ou encore le droit de concéder tout ou partie de l’exploitation
à une autre société. Comme à l’accoutumée, dans ce type de concession, la
commune ne pourra invoquer que les textes réglementaires référencés dans
l’autorisation qu’elle aura elle-même signée et invoquer, à l’issue incertaine
de cet extractivisme lucratif, l’obligation de réaménagement du site détruit
dont la définition dépendra du bon vouloir d’un arrêté préfectoral.
Derrière les intérêts d’une société locale, une
multinationale rapace
La société des carrières de Ternuay
n’est que le paravent-écran de la transnationale Holcim-Lafarge, ses filiales
et sa holding, CHR, société financière à caractère spéculatif. Ce groupe
extractiviste résultant de la fusion des deux sociétés susnommées accumule pour
la première 27 milliards de chiffres d’affaires, pour la seconde 19 milliards
d’euros par an. Implantées dans 90 pays, elles extraient 700 millions de tonnes
de matériaux qu’elles exploitent sans vergogne dans des conditions souvent
scandaleuses et illégales au regard du droit international. Ainsi Lafarge
(avant la fusion) est impliquée dans la construction du mur de l’apartheid en
Palestine. Implanté sur 82% des territoires palestiniens, cet édifice de la
honte en a annexé 10% malgré la condamnation (de pure forme) prononcée par la Cour
Internationale de Justice. En outre, par la construction de routes, de ponts,
par les destructions de maisons et d’oliveraies, ce groupe participe sciemment
à l’entreprise de colonisation israélienne.
Pire, en Syrie, pour continuer à faire
fonctionner en toute illégalité sa cimenterie, Lafarge, n’hésita pas, avant ces révélations, à
financer l’Etat Islamique. D’ailleurs, nullement impressionnée par les
condamnations morales, cette société a proposé de construire le mur de
séparation entre le Mexique et les Etats-Unis suite à la volonté xénophobe de
Donald Trump !
Le groupe Holcim-Lafarge est par
ailleurs sous le coup d’un procès pour l’exploitation d’enfants dans les mines
de l’Ouganda. Le scandale, révélé en mars 2016, dure depuis 10 ans. La filiale
Hima du groupe produit à partir des couches volcaniques, de la pouzzolane,
destinée à la fabrication de ciment « bon marché ». 150 enfants de à 5 à
17 ans, portent des blocs de rochers pesant plus de 15 kg sur leurs épaules. « Exposés à une poussière toxique,
leurs corps sont couverts de plaies et de blessures ». Qu’importe les
conventions internationales sur la protection des enfants au regard des
850 000 tonnes produites dans les mines et la cimenterie de Fort
Portal !!!
Si les médias ont fait état des
soi-disant difficultés de Lafarge, après son acquisition du cimentier égyptien
Orascom, et ce pour la modique somme de 8,8 milliards de dollars, ce n’était
que pour justifier la fusion avec Holcim, cette concentration capitaliste, et
les suppressions d’emplois : 380 pour Lafarge dont 203 en France et 120
pour Holcim.
Alors ! Que pèsent le petit
Valdenaire et les petits notables locaux de connivence inconsciente et
coupable, face à la pieuvre Holcim Lafarge ? Que dire du dérisoire chantage
à l’emploi avancé pour faire accepter l’excavation de Ternuay ?
Connaissent-ils les 4 principaux actionnaires milliardaires qui encaissent les
dividendes : le belge Albert Frère, la famille suisse Schmidheiny, Paul
Desmarais le Canadien et l’Egyptien Nassef Sawiris ? Peut-être ont-ils eu
vent de l’éjection, avec parachute doré du PDG Olsen, après le français Bruno
Lafont, suite aux révélations susmentionnées ? Ils n’ont pas su maintenir
l’opacité lucrative nécessaire et, pour la façade, ils sont les boucs
émissaires… bien remerciés.
Au-delà d’une collusion avec les
intérêts de ces rentiers exploiteurs, les préjudices locaux sont tout aussi
importants à souligner.
Un projet inutile, nuisible et illégitime
Inutile, dans la
mesure même où le schéma départemental des carrières reconnaît officiellement
que, pour les 10 ans à venir, il n’est nullement besoin de matériaux
supplémentaires. Par conséquent, contrairement à ce qui est affirmé par les
experts des carriers locaux, il ne s’agit en aucune sorte de satisfaire des
besoins locaux et encore moins, de
création d’emplois. La fermeture du site de Roye ne produira en effet qu’un
transfert de personnels. Enfin, la redevance dérisoire perçue par la commune de
Ternuay est à confronter non seulement avec l’exploitation privée de biens
communs, mais également avec l’intérêt général de la Vallée et de ses habitants.
Ce projet est de plus nuisible et dangereux. Il affectera le
tourisme, en termes d’image et d‘attractivité. Qu’en sera-t-il des petites
exploitations-bio à proximité, des gites ruraux et chambres d’hôtes, de
l’utilisation des circuits pédestres, équestres, cyclistes, des installations
sportives et de loisirs ? Il va sans dire que la dépréciation des villages
et du foncier, tout comme la Maison de la Montagne du Haut-du-Them et du musée
de la montagne affectera la renommée de la Vallée et risque, à terme,
d’accentuer sa désertification.
L’impact sur le paysage de la verrue
d’extraction, outre la destruction de la faune et de la flore sur le site, aura
également des conséquences écologiquement désastreuses. Pour diminuer les
poussières provoquées par les explosions, la société captera et utilisera de
l’eau, son ruissellement souillera évidemment les eaux souterraines ainsi que
le ru Jeannot et la rivière l’Ognon. Quant à la circulation intensive des
camions, elle détériorera la voirie dont la remise en état sera à la charge du
contribuable. A ces nuisances, s’ajouteront les risques d’accidents :
l’étroitesse de la route départementale, la traversée des villages, les virages
à angle droit notamment à Mélisey et St Germain, n’ont rien de rassurant. En
matière de santé publique, les poussières générées par les explosions et le
concassage, ainsi que les particules fines de diesel rejetées par les poids
lourds, n’inoculeront rien de bon…
Enfin, ce projet est illégitime à plus d’un titre. Il est
contraire aux engagements de la COP 21 ; il se situe dans une zone Natura
2000 et surtout, il est anti-démocratique et va à l’encontre de l’intérêt
général de la population locale ; en effet, le dossier finalisé en
catimini le 23 mars 2016 n’a été précédé par aucune concertation préalable. A
l’heure où l’on invoque, comme un écran de fumée, la démocratie locale
participative, les habitants ont de fait été mis devant le fait accompli de la
délibération du conseil municipal de Ternuay. Et ce n’est pas l’intense
propagande des carriers et leur étude d’impact de désinformation, ni leur chantage
à l’emploi qui contrediront cette contestation. De même, le défrichement entamé
dès février 2016, avant même que les autorités préfectorales n’aient statué (ce
qu’elles n’ont toujours pas fait) démontre bien que les prédateurs n’ont que
faire des procédures de concertation - même s’il y aurait bien à redire s’agissant
de l’enquête publique telle qu’elle a été menée.
Tous comptes faits, ce projet de
pillage des ressources locales dénaturera la Vallée et affectera ses habitants.
Pour s’y opposer, tant qu’il est encore temps, il est nécessaire de
déconstruire la désinformation dont les habitants sont victimes et de secouer
leur apparente apathie. Ils ne peuvent pas être les complices inconscients ou
complaisants des spéculateurs et exploiteurs de haut-vol qui sont derrière les
notables et carriers locaux pour quelques euros de plus.
Gérard Deneux, AES, le 17 mai
2017
Dernières nouvelles. Attentisme et couvre-feu
La Préfète sur le départ (?)… en cette
période électorale, tente d’apaiser la mobilisation naissante : ne serait
autorisée, sous certaines et vagues conditions, que l’extraction de
100 000 tonnes de matériaux par an (au lieu de 200 000).
Le Président du Conseil Départemental,
Krattinger, vient de confier à 7 universitaires une étude dont la finalité
consisterait à valoriser cette « merveille », ce territoire de 220
kms des Vosges Saônoises, situé entre Lure et Faucogney. L’emphase ne connaît
pas de limites : en 2018, un colloque restituera cette étude, « un
moment clé » (ce serait) un « menu
3 étoiles » qui vaudrait candidature type Unesco ou un classement
(plus modeste) Geopark. Pas un mot sur l’exploitation de la carrière de
Ternuay… (alors-même que le Conseil départemental a pris une position favorable
au projet), sur l’enquête publique et sur les craintes des habitants.
« Effet d’annonce » pour Krattinger, ce PS rallié à Macron,
« poudre aux yeux » pour faire retomber les poussières
contestataires ? S’agirait-il d’une « envie d’apporter des solutions
aux habitants » ? Les avis de l’association de Sauvegarde du plateau
des 1000 étangs et de la haute Vallée de l’Ognon sont partagés, semble-t-il.
Quoiqu’il en soit, le débat rebondira à l’assemblée générale de ladite
association, prévue en septembre/octobre.
Le 18.05.2017