Faire front
Prenant racine dans le mouvement
contre la loi Travail, les Nuits Debout…, le Front social est à l’initiative de rassemblements, appelant à
s’organiser pour surmonter l’éclatement et faire converger ceux qui se
définissent comme « mouvements » avec les forces syndicales
représentatives et des Collectifs de défense (contre les violences policières,
pour l’accueil des migrants et contre leurs expulsions, contre les Grands
Projets Inutiles, pour les services publics etc.).
Le Front social a lancé l’appel au « 1er
tour social », le 22 avril, la veille des élections : plus de 3000
personnes rassemblées à Paris, place de la république. Pour une mobilisation
lancée en moins de deux mois par près de 70 structures syndicales, associations
et collectifs : pas mal ! Puis l’appel du 1er mai « Peste ou choléra : Front social, c’est
dans la rue que ça se gagne ! » face aux programmes des deux
« outsiders » en lice pour le 2ème tour, mortifères pour le monde du travail, la
jeunesse et les classes populaires. Mais,
le mouvement n’a pas imposé la question sociale sur le devant de la scène, pourtant,
des grèves, des contestations, il y en avait dans cet entre-deux-tours.
Le 8 mai, 1er jour de
mandature de Macron, le Front social rassemblait plus de 5 000 personnes à
Paris « Régression sociale élue, tous, toutes dans la rue ». Des
manifestations ont été organisées dans toutes les grandes villes de France (Besançon,
Clermont-Ferrand, Grenoble, Le Havre, Orléans, Poitiers, Rennes, Rouen,
Strasbourg, Tours...) ; même si elles
n’ont pas mobilisé largement, elles se sont tenues.
Il est urgent de ne pas attendre…
Toutes les forces sont à mobiliser contre les attaques annoncées du
gouvernement Macron : contre le code du travail, la nouvelle baisse des
dotations aux collectivités territoriales et la suppression de la taxe
d’habitation, par conséquent, la poursuite de la privatisation des services
publics (à la Poste, en 2016, il y a eu 400 fermetures de bureaux), la suppression
de 120 000 postes de fonctionnaires annoncée, mais aussi les nouveaux
déremboursements de la Sécurité Sociale, etc. Le « dialogue
social » à la Macron, c’est de la poudre de Perlimpinpin ! Il
veut passer en force contre le code du travail. L’enjeu est de taille si
« nous ne voulons plus nous mobiliser en réaction à une attaque, il faut
constituer un front social actif
sans attendre ».
Pour être à l’offensive
Ne nous lamentons pas. Organisons-nous(1)
Pour
faire grandir le Front social, il nous faut trouver des espaces
de convergence et ou d’alliance, à l’exemple de la Marche pour la Justice et la
Dignité du 19 mars, mener le débat démocratique dans les organisations
constituées pour rassembler le mouvement social et les luttes d’aujourd’hui,
plutôt qu’à y « découper » des franges radicales. Cela permettra de renforcer
nos outils de lutte et de résistance dans la durée et évitera le
« zapping » militant pour, à l’inverse, convaincre de se
syndiquer, de rejoindre une association de lutte, un collectif… pour agir sur
les lieux de travail, dans nos villes et quartiers...
Pour
reconstruire quoi ? Les appels à reconstruire « la gauche »
se multiplient. Qu’est-ce que cela signifie ? Rien ne sera possible si
cette gauche des rues et des grèves ne se renforce pas, si elle ne porte pas
par elle-même son propre imaginaire social. Faire le choix délibéré de la
subordonner à des intérêts partidaires ce serait l’appauvrir, la dessécher et
faire courir un grave danger à toutes celles et ceux qui veulent changer la
société parce que c’est bien de ses réalités et de ses contradictions qu’il
faut partir pour la transformer.
Reconstruire de l’action collective,
c’est partir de la réalité de l’exploitation et ou de l’oppression vécue, celle
que l’on subit au travail nous enjoignant à accepter n’importe quel
« boulot de merde » et celle que l’on subit parce qu’on n’en n’a pas
ou pas assez pour subvenir à ses besoins. Partir de là permet d’intégrer les
nouvelles formes de travail ubérisées, si chères à Macron. L’action collective
existe dans ce champ d’intervention : le syndicat des coursiers à vélo
lancé par la CGT en Gironde, le CLAP (collectif des livreurs autonomes de
Paris), etc.
Faire avancer l’action collective
c’est faire avancer la solidarité. Tout comme le combat féministe a progressé
dans nos structures (même s’il reste beaucoup à faire), il faut que le racisme
et la lutte contre l’islamophobie soient plus pris en charge dans les
syndicats. « Si les discriminations ne se réduisent pas à la domination
sociale, elles s’articulent à celle-ci pour la renforcer. Combat social et
antiraciste, loin d’être antagoniques, doivent se nourrir l’un l’autre ». (cf encart)
Ces enjeux posent la question de
l’interprofessionnel. Un syndicat ça n’est pas fait pour défendre des intérêts
particuliers mis bout à bout, c’est partir des luttes
« corporatives », de la réalité du travail vécu pour bousculer les
murs des corporatismes et poser la question du changement de société et des
intérêts communs que nous avons, en tant que classe. Si on parlait un peu plus
d’alternatives pour vivre et travailler mieux et autrement, on sortirait d’un
certain nombre de débats mortifères. Qu’un Collectif syndical contre l’aéroport
à NDDL et son monde se soit constitué en lien avec la ZAD va dans ce
sens : « C’est que ce besoin de reprendre sa vie en main concerne
effectivement beaucoup de salariés militants. Défendre la ZAD c’est donc pour
nous aussi soutenir une expérience d’émancipation du capitalisme et des
rapports marchands ». De même, remettre sur le métier la question de
l’autogestion de la production, comme l‘ont fait entre autres les Scop-ti (2)
ici, et les entreprises récupérées en Argentine ou en Grèce, ne serait pas une
si mauvaise idée.
Si eux, ils séparent, nous il faut qu’on unisse.
Lors de chaque manifestation, les
journaux télévisés ne nous donnent à voir que les violences, certes, elles
existent. Le climat s’est encore durci lors des rassemblements du 1er
mai : 2 blessés chez les policiers (dont un gravement brûlé), 124
manifestants blessés. Les préfectures ont prononcé des interdictions de
territoire pour des militants identifiés (69 en région parisienne). Ces
violences sont-elles provoquées et par qui ? D’aucuns accusent les
« anarcho-syndicalistes » ou les
« mao-insurrectionnistes », les « cagoulés », le black
block… D’autres dénoncent (vidéos tournées par des manifestants à l’appui) les
violences policières et leur processus systématique : couper la manifestation,
nasser ceux qui sont repérés dans le cortège de tête, tabasser et asphyxier par
les lacrymos, lancers en cloche (non conformes) des grenades de
désencerclement, pour finir par embarquer ceux qui se font choper… Certes, de quoi
décourager les manifestants d’y revenir.
A ces affrontements provoqués, il faut
mettre fin déclare un anonyme (sur Paris-luttes.infos) : « On est arrivé
à faire du bruit, mais sans structures d’appui, et juste parce qu’il y avait
quelques journalistes aventureux qui nous suivaient, en diffusant les images
d’affrontements un peu partout… Il faut se rendre compte que chaque pas qu’on
fait sur le terrain de la provocation policière est un pas vers un massacre
définitif vu que eux ils sont armés et organisés et nous pas du tout ».
D’autant que le dispositif de répression mis en place par le gouvernement précédent
est efficace, entre lois sécuritaires et état d’urgence (que Macron va
prolonger jusqu’au 1er novembre), un service de renseignement
numérique et de terrain tout prêt à filtrer des milliers de données. « Il
faut qu’on se prenne du temps pour rassembler nos vies fragmentées, la
confusion dans la tête des gens qui ne distinguent plus la droite de la gauche
et les riches des pauvres… ». Les idées ne manquent pas : « développer
des moments de réappropriation concrète de la ville à travers des rencontres un
peu partout, produire de la connaissance
et la diffuser en masse, remplir nos
yeux et nos oreilles d’histoires fabuleuses de révolutionnaires de tous les
temps, s’organiser concrètement en référençant les zones couvertes par les
militants et constituer des collectifs de lutte locaux… Se lier à des syndicalistes
et des associations de quartier en diffusant et prenant des initiatives
ensemble… ».
L’essentiel est de décider ensemble de
ce que l’on veut, plutôt que de ce que l’on ne veut pas. Ce processus de
convergence, d’organisation est long et Macron sait qu’il doit aller très vite.
Si l’on ne décide pas de privilégier ce qui nous unit plutôt que ce qui nous
divise, si les appels du Front social ne font pas écho auprès des organisations
plus structurées (syndicats, collectifs, associations…), l’on risque, à
nouveau, de subir des reculs sociaux importants, au nom de la dette à
rembourser, du taux de croissance à retrouver… et de prendre le chemin de la
Grèce…
Le Front social est constitué des
militants les plus combatifs et les plus touchés par les violences sociales,
policières, économiques (3) :
- des syndicats « de
base » de l’éducation, du commerce,
de l’énergie, des fonctions publiques d’Etat et territoriales, de l’industrie,
de l’information/communication/culture, de la Poste, des privés d’emploi et
précaires, de la santé, des transports (principalement CGT, SUD, CNT, UNEF) et des organisations
syndicales territoriales (unions locales)
- des collectifs demandant
justice : « Justice pour Théo et tous les autres » et
« Urgence notre police assassine »
- des associations (Droit au logement,
Droits devant, compagnie Jolie Môme, Images contemporaines, Collectif anti-Linky,
SCALP Ile de France, Génération ingouvernable…
- média : Bellaciao
Il y a urgence à unir ce qui ne l’est
pas encore (syndicats, Zadistes de NDDL, organisations de lutte contre les
racismes et la xénophobie ou encore convergences de défense des services
publics, etc. pour qu’enfin l’on puisse « prendre
la rue », ce à quoi nous invite le Front social le 19 juin prochain, devant l’assemblée
nationale «Contre Macron et ses
ordonnances » (4).
Odile Mangeot
(1) Extraits d’un
billet de Théo Roumier, animateur du mouvement syndical Solidaires, le 10 mai
2017
(2) Société
coopérative ouvrière provençale de thés et infusions
(3) Pour consulter
la liste http://infocomcgt.fr
(4) Une rencontre
nationale du front social est prévue le 10 juin à 10h à la bourse du travail à
Paris. Pour en savoir plus : http://paris-luttes.info.contre-macron-et-ses-ordonannces-8138