Le lobby des
pesticides. Scandaleux et criminel
De
longue date, des organisations écolos et paysannes dénoncent le lobbying de
l’agro-industrie ; elles luttent contre l’usage des produits
phytosanitaires provoquant des dégâts importants en matière de santé humaine,
mais aussi en matière d’environnement et de biodiversité. L’Union Européenne et
les Etats qui la constituent, au service d’une agriculture productiviste sous
influence des lobbys agro-chimiques et, en France, du syndicat agricole
majoritaire, la FNSEA, interdisent
l’usage des produits phytosanitaires sur leurs territoires tout en autorisant leur exportation. Subtile
la nuance, il fallait oser ! Ils assument ce scandale, qui ne fait pas la
Une des médias-mensonges, et se dissimulent derrière des gestes symboliques
hypocrites : le dernier exemple du gouvernement Macron est la Convention citoyenne pour le climat, à l’issue
de laquelle il s’est empressé d’ignorer l’une de ses conclusions, à savoir le
moratoire sur la 5G. Les gouvernements successifs se plient aux volontés de
l’agro-business exigeant suspension puis suppression des normes sociales et
environnementales au mépris de la santé des hommes et de la disparition
inquiétante des espèces animales. Ainsi va la « démocratie » dans nos
pays dits avancés et plus particulièrement, la politique du « en même
temps » de Macron.
1 - Interdire
l’usage et autoriser la production et l’exportation
Une
enquête menée par l’association suisse Public
Eye et la branche britannique de Greenpeace
(1) révèle une politique scandaleuse et criminelle de l’Union européenne et des
Etats qui la composent. En effet, l’UE autorise chaque année les industriels
agrochimiques à produire et exporter des tonnes de pesticides dont elle
interdit l’usage sur son territoire, du fait de leur très haute toxicité.
Autrement dit, elle produit et exporte des poisons aux pays importateurs, en
sachant qu’ils sont dangereux pour la santé de leurs habitants et pour
l’environnement.
En
2018, plus de 81 000 tonnes de produits phytosanitaires dangereux ont été
exportées hors de l’UE, contenant des substances bannies d’usage depuis plus de
10 ans sur son propre territoire.
Si
le Royaume Uni est le 1er exportateur en volume de produits
exportés, la France est n° 1 en nombre de substances prohibées différentes,
elle en produit 18. Les 7 principaux pays européens exportateurs outre les deux
précédemment cités, sont l’Italie, l’Allemagne, les Pays Bas, l’Espagne et la
Belgique. Ils exportent plus de 90 % de
leurs produits dans 85 pays hors UE. En 2018, 41 types de pesticides interdits
en UE ont été autorisés à l’exportation, informations couvertes par le
« secret des affaires ».
Où sont exportés ces produits
dangereux ?
Dans
les pays qui ne les interdisent pas ! En priorité aux Etats-Unis, au Brésil
et en Ukraine, mais aussi au Mexique, en Russie, en Asie, en Océanie et en
Afrique. Si le premier « client » sont les Etats-Unis, le Brésil a
atteint la deuxième place des acheteurs, et ce, depuis l’arrivée au pouvoir de
l’extrême-droitier Bolsonaro.
Ils
ne manquent pas d’audace ceux qui ont inventé cette scandaleuse exportation des
produits alimentaires toxiques, car, au bout du compte, les Européens
« profitent », en retour, de ces produits dangereux puisque les pays
importateurs sont aussi exportateurs de produits alimentaires : ceux-ci réapparaissent sur l’étal de nos marchés, sous
la forme d’oranges, de mangues, de papayes, de soja brésiliens ou encore de
café mexicain ou de blé ukrainien. Ainsi les résidus de pesticides
ultra-toxiques s’invitent à notre table.
Ni
l’UE, ni les gouvernements n’ignorent la dangerosité de la carbendazine, par
exemple, pouvant provoquer des anomalies génétiques et nuire au fœtus, détectée
dans les fruits mais aussi dans les haricots et le soja !
Quels autres poisons ingurgitons-nous sans
le savoir ? Qui en profite ?
Le paraquat. Cet herbicide commercialisé depuis 1962, est
massivement utilisé dans les monocultures de maïs, soja ou coton, interdit en
UE depuis 2007 pour risques d’empoisonnement mortels pour les agriculteurs qui
l’utilisent. Produit par la firme suisse Syngenta
dans son usine britannique. Elle en a exporté plus de 28 000 tonnes en
2018 vers l’Amérique du Sud, l’Asie et l’Afrique.
Le dichloropropène. Classé comme cancérogène probable est utilisé dans la
culture de légumes ; il est commercialisé par l’étatsunienne Corteva, notamment pour les tomates du
Maroc (15 000 tonnes exportées en 2018).
La cyanamide est un régulateur de croissance utilisé dans la vigne
et les fruits. Banni de l’UE en 2008, ce probable cancérogène portant atteinte
à la fertilité, est produit par l’allemande AlzChem et exportée au Pérou, au
Chili et en Afrique du Sud.
L’atrazine, utilisée comme désherbant du maïs est interdite en
UE depuis 2003, potentiel cancérogène ; elle est toujours produite en
France par l’usine de Syngenta dans le Gard.
Arrêtons-là
cette liste qui, nous l’avons compris, permet à quelques dizaines d’industries
agro-chimiques d’influencer les décideurs de l’UE et de ses Etats membres.
Comment
est-ce possible d’interdire sur le territoire européen l’usage de produits dont
la dangerosité est prouvée, et en même temps, d’autoriser leur production et
leur exportation ? C’est qu’il y a un vide juridique, créé au service de
l’industrie des agro-toxiques que les gouvernants européens n’ont pas
l’intention de combler d’autant qu’ils n’y voient aucune violation des Droits
de l’Homme. Cette politique de l’UE, approuvée par « nos » ministres
et « nos » députés européens, ne s’est jamais aussi bien portée. En
2019, l’UE a dit oui à l’exportation de 9 nouveaux pesticides interdits, dont la
France est producteur pour un grand nombre d’entre eux et notamment un
fongicide interdit d’usage depuis 2017, car soupçonné de dommages sur le
génome. Le principe de précaution est à géométrie variable quand il s’agit de
faire du profit !
2 - Pourtant,
la France a annoncé la fin des pesticides les plus nocifs en 2022 !
A
l’issue des Etats Généraux de l’Agriculture et de l’Alimentation (été 2018), la
loi EGALIM (30.10.2018) prohibait différents produits phytosanitaires contenant
des substances actives non approuvées par l’UE, mais destinées au marché extérieur.
La loi Egalim décidait alors d’interdire au 1er janvier 2022 « la production, le stockage et la circulation
de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non
approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou
animale ou de l’environnement conformément au règlement du Parlement et du
conseil européen du 21.10.2009 ». Seuls les Pays-Bas avaient l’intention de soutenir cette
initiative, la Commission Européenne, quant à elle, renvoyait la responsabilité
sur les pays importateurs.
Cette
« volonté » française s’est heurtée au lobby agrochimique, et
notamment à l’UIPP – Union de l’industrie de la protection des plantes – qui
entrait aussitôt en action, jouant de son influence auprès du ministre de
l’agriculture Travers, pour modifier le calendrier, ce qui reportait le délai
au 1er janvier 2025.
Ce
lobby, puissant, finit par convaincre le sommet de l’Etat. Aux prétextes de la
liberté d’entreprendre et de la sauvegarde de l’emploi dans les usines de
fabrication des produits, le ministre se laissa convaincre : la France
pourrait exporter quelques années de plus ses poisons agro-chimiques dont les
effets sur la santé améliorent… le chiffre d’affaires des laboratoires
pharmaceutiques !!!
Certains
parlementaires, toutefois, saisirent le Conseil Constitutionnel qui maintint la
date d’application au 1er janvier 2022. L’UIPP montait aussitôt au
créneau et saisissait le Conseil d’Etat, mais le Conseil constitutionnel (le 30
janvier 2020) confirma la mise en œuvre de l’interdiction de produire certaines
substances agro-chimiques au 1er janvier 2022. Décision saluée comme
historique ! Nous resterons plus prudents et moins enthousiastes, cette
interdiction ne s’appliquant que sur les produits « contenant des substances actives non approuvées par l’UE »,
donc pas sur tous les produits. Nuance de taille quand on connaît le
fonctionnement de l’UE et le lobbying qui la cerne !
Et
en la matière, l’UIPP pèse lourd. En France, il est le syndicat des entreprises
de la protection des plantes : il compte 19 adhérents du secteur agricole,
représentant 95 % du marché agricole ; on y retrouve également les
« grosses » industries agrochimiques Bayer, Dupont, Syngenta… Par
ailleurs, le marché des produits agrochimiques est très concentré : les 10
premières entreprises détiennent 94.5 % des parts et forment un oligopole extrêmement
puissant, contrôlant également le marché des ventes de semences commerciales,
où 10 entreprises détiennent plus de 75 % du marché mondial.
3 – Prédominance
des lobbies au mépris des populations
Les
gesticulations de certains parlementaires européens n’y changeront rien. Pour
l’UE et ses Etats membres, il n’est absolument pas question de sortir de la
politique agricole productiviste. Au contraire, elle se renforce.
En
2008, était lancé le plan national
Ecophyto, avec l’ambition de réduire de 50 % l’usage des pesticides en 10
ans. Constat d’échec : en 2018 l’utilisation des produits phytos a
augmenté de 21 %, malgré plus de 600 millions investis. Le gouvernement Macron
a repoussé l’objectif de – 50 % à 2025… L’on peut douter du résultat si l’on
écoute la directrice de l’UIPP : « Un monde sans phytos, ce sera comme un monde sans médicaments. Ce n’est
pas souhaitable ».
En
catimini, la macronie étend le champ du secret des affaires,
assouplit les règles sur les marchés publics, multiplie les autorisations de
légiférer par ordonnances. Mot d’ordre : déréguler, déréglementer. En ce
sens, l’assemblée nationale examine actuellement « la loi d’accélération et simplification de l’action publique »,
dite ASAP. Le secret des affaires est renforcé. Dans un amendement spécifique
(627), il est précisé qu’en matière du code de l’environnement, la loi
permettrait au citoyen d’avoir accès aux éléments qui sont de nature à avoir un
impact environnemental ou sanitaire, mais « ne peuvent être ni communiqués, ni mis à disposition du public des
éléments dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à des secrets
de fabrication ou au secret des affaires ». Cet amendement permet
aussi aux préfets de délivrer des autorisations temporaires d’installation de
sites avec des risques industriels, autorisations qui jusqu’ici relevaient
d’autorisations environnementales ministérielles. Le préfet pourra déroger à
certaines normes réglementaires en matière de construction, logement,
urbanisme, emploi, aménagement du territoire et environnement ; il pourra
restreindre la durée d’une enquête publique, passer outre une étude d’impact,
limiter certaines consultations préalables ou déroger à la nomenclature dite ICPE
(installation classée pour la protection de l’environnement).
En
matière agricole, Greenpeace, la Confédération paysanne ou Générations futures
ont dénoncé « les manœuvres menées
par les partisans de l’agriculture industrielle ». Le syndicat
majoritaire, la FNSEA, et des distributeurs ont instrumentalisé la crise
sanitaire pour imposer leur vision de l’agriculture productiviste, en tentant
de détricoter la réglementation sanitaire et environnementale. Ils conduisent
l’alimentation vers une impasse et les paysans vers la précarité économique,
dans un contexte d’émergence d’une crise alimentaire majeure partout dans le
monde. Pour exemples : des syndicats agricoles ont déposé en pleine crise
des cahiers des charges leur permettant de réduire de moitié les distances
nationales minimales entre les zones d’épandage de pesticides et les
habitations. La grande distribution a augmenté une partie de ses marges par
exemple, sur la viande bovine.
Ces
quelques faits soulignent que les tenants de l’agriculture industrielle ne
reculeront devant rien, au mépris de l’environnement. D’autant que Macron
plaide pour la ratification du CETA,
cet accord de libre-échange signé entre l’UE et le Canada, qui tire vers le bas
les normes sociales et environnementales au profit des multinationales. Farines
animales, antibiotiques comme facteurs de croissance et OGM sont, par exemple,
autorisés au Canada. Le libre-échange prive chacun de ses droits sociaux et
environnementaux au nom du seul développement du marché.
La
dernière preuve de la puissance des lobbies s’illustre par la décision de la
toute nouvelle ministre de la transition écologique (B. Pompili) de
ré-autoriser l’usage de semences de betteraves sucrières, enrobées de
néonicotinoïdes, par dérogation spécifique : magistral « retournement
de veste » ! Dans la même veine de prosternation devant les lobbies,
le gouvernement a décidé de ne pas suivre les injonctions du Conseil d’Etat
l’obligeant à publier avant le 7 août le décret engageant la réglementation
comme OGM des variétés rendues tolérantes aux herbicides de colza. Ce sont
autant de signaux désastreux allant dans le sens de la protection d’intérêts
économiques particuliers aux dépens de l’intérêt général.
Et
pourtant, en France, on recense, par an, 2 500 cas de cancers de l’enfant
dont 500 en meurent. « Imaginez si
un accident de bus tuait chaque mois 40 enfants ? interroge André
Cicolella, toxicologue, le problème
serait pris au sérieux ». « Mais
là, tout se passe comme si, dans les esprits, la priorité en matière de gravité
et d’urgence était par principe liée aux risques infectieux, comme si la
contamination chimique était par nature incertaine quant à ses effets
sanitaires ». Pour lui, l’augmentation
des cancers de l’enfant est la preuve accablante de la dégradation de nos
milieux de vie et justifie d’urgence une refonte des méthodes, en développant l’« expologie »,
science de l’exposition aux polluants, croisée à une approche toxicologique et
épidémiologique. Mais l’Etat ferme les yeux, mettant en avant les comportements
individuels, niant les facteurs environnementaux. C’est que, pour lui, il est
hors de question de chercher la culpabilité dans les doses de produits
chimiques épandus dans la nature.
En guise de
conclusion
Nous
relayons l’appel du mouvement des Coquelicots qui réclame la fin du recours aux
pesticides de synthèse. Plus d’un million de signatures ont été remises le 15
septembre à la ministre Pompili. « Changer
de modèle, c’est l’enjeu à 10 ans pour sortir de l’agriculture industrielle.
Nous avons besoin de paysans. Ils ne sont plus que 430 000 alors qu’ils
étaient encore 7,4 millions en 1946. Seront-ils demain moins de 150 000
rescapés au milieu d’un désert de machines et de détresse, sur une planète
dévastée par la crise climatique, la mort des oiseaux, des insectes… ?»(2).
C’est
pas gagné ! Mais, pour commencer, interdisons le lobbying, on interdit
bien l’usage des sacs plastiques,
nuisibles à l’environnement !
Odile
Mangeot, le 23.09.2020
Sources :
bastamag.net, Reporterre.net, Mediapart, Confédération paysanne
(1)
publiée sur Mediapart (14.09.2020) et dans le Monde (11.09.2020)
(2)
sur bastamag.net
Encart
CETA
Signé le 30.10.2016 par le Canada et l’UE, entré
provisoirement en vigueur le 21.09.2017, il supprime les barrières tarifaires
et non tarifaires et permet l’exportation des biens et services. Le Parlement
européen a dit oui au traité le 15.01.2017 en excluant le système de règlement
des différends entre Etats et investisseurs. Seule la partie relevant de la
compétence exclusive de l’UE est applicable (90 %). L’application totale ne
sera possible qu’après ratification des parlements des 27 Etats membres. A ce
jour, le Canada l’a ratifié et 14 des pays européens sur 27 (Autriche, Croatie,
Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte,
Portugal, République Tchèque, Slovaquie, Suède. Chypre a voté contre le
1.08.2020. Le Royaume Uni l’avait ratifié en nov. 2018 mais la sortie de l’UE
l’en extraira automatiquement.
En France, l’assemblée nationale a voté pour à une très courte
majorité (266 voix contre 213) le 23.07.2019 ; le Sénat a repoussé son
examen. La Convention Citoyenne pour le Climat, en juin 2020, a dénoncé
l’application provisoire tant que les objectifs Climat de l’Accord de Paris n’y
sont pas intégrés.
Les mouvements militants opposés à la marchandisation
du monde ont permis d’informer et de lutter contre ces traités : Stop
CETA, Stop TAFTA. En ce qui concerne le TAFTA (UE-Etats-Unis), tout est gelé
suite aux mouvements sociaux et au refus de Trump. La Commission européenne a
ré-ouvert les négociations en avril 2019.
Si un seul des parlements vote contre le CETA, il ne
peut être appliqué. Macron va tout faire auprès du futur Sénat (réélu en
octobre 2020) pour l’emporter.
Encart
Retournement
de veste magistral
Barbara Pompili, adhérente des Verts (2000-2010), puis
à EELV (2010-2015) puis au Parti Ecologiste (De Rugy) en 2016, puis LREM en
2017. Elle fut en 2016/2017, secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité et, à
ce titre, fit adopter en juillet 2016 la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et
notamment l’interdiction des pesticides contenant des néonicotinoïdes. 4
ans plus tard, le 6 juillet 2020, nommée par Castex ministre de la transition
écologique, elle fait l’inverse…. Va-t-elle obtenir le prix de « prosternation
devant les lobbies » ? ça le mérite !