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jeudi 1 octobre 2020

 

Le Mali entre insurrection et coup d’Etat

 

Pour comprendre la situation dans ce pays, avant d’aborder les raisons du coup d’Etat militaire, il convient de préciser que celui-ci intervient dans un ciel chargé. Partie intégrante de la Françafrique néocoloniale et du Sahel, où le réchauffement climatique est une fois et demie plus rapide que dans la moyenne mondiale, ce pays a « bénéficié» d’une indépendance purement formelle depuis 1968. Il  résulte d’une division arbitraire, sans véritable unité des populations d’ethnies différentes. Outre les Touaregs au nord, les ethnies se divisent entre elles par l’usage de langues locales et les conflits entre les cultivateurs et les éleveurs nomades, que la poussée démographique amplifie. La seule ressource unitaire est l’islam malékite, qualifié d’idolâtrie par l’islamisme importé par les djihadistes (qui ont, notamment, détruit, en 2012, des mausolées et les portes d’une mosquée à Tombouctou).

 

Toutefois, à cette caractéristique d’ensemble d’une formation sociale hétérogène, il y a lieu d’indiquer que dans les villes, la jeunesse urbaine en particulier veut (comme la petite bourgeoisie), être ouverte sur le monde. Elle supporte de moins en moins la corruption des régimes qui s’imposent à elle et la plonge dans la misère. Un Malien sur deux vit avec moins de 1,90 dollar/jour. 7 millions d’entre eux sont sous assistance humanitaire. Dans les campagnes, l’accès à l’eau et au fourrage exacerbe les conflits intercommunautaires, des trafics en tous genres prospèrent : ainsi, un poste de soldat ou de sous-officier s’achète entre 250 000 et 500 000 francs CFA.

 

L’Etat, sans souveraineté monétaire, est de plus en plus déliquescent depuis les années 80-90. Sous prétexte de désendettement, les bailleurs de fonds, y compris le FMI, ont imposé des ajustements structurels. Si le renversement de la dictature militaire en 1991 a libéré la parole, elle a privé l’Etat de ses prérogatives et compétences suite aux privatisations. Les ONG, financées de l’étranger, se sont substitué aux politiques publiques (santé, école, développement) dépouillant l’Etat malien dépendant, assisté. Les dirigeants successifs, formant une caste réduite de politiciens interchangeables, sont devenus eux-mêmes des prédateurs endossant les discours de donateurs-prêteurs pour en capter le maximum et complaire à leurs maîtres. L’Etat français néocolonial, pour protéger tout particulièrement l’ordre, tente dans le cadre de la compétition mondiale, de conserver sa suprématie en formant les élites militaires et gouvernementales qui lui échappent de plus en plus, malgré les accords de défense qui autorisent l’armée française à intervenir dans ce pays, sans autorisation du gouvernement. Cette déliquescence du pouvoir s’accentue grâce à la présence de conseillers militaires auprès de l’armée malienne et les missi dominici envoyés par l’Agence française de Développement qui rédigent des textes législatifs et réglementaires ou occupent des postes de chef de cabinet pour promouvoir une forme de décentralisation de l’Etat (1). C’est dans ce contexte délétère qu’a surgi la menace djihadiste, l’intervention de l’armée française puis la mobilisation « populaire », suivie du coup d’Etat de l’armée malienne.

 

Un terrain propice à toutes les manipulations

 

Les revendications touaregs au nord-Mali jamais satisfaites, le précédent de 1991, où la combinaison d’un mouvement de masse et d’un coup d’Etat militaire renversa le dictateur Moussa Traoré, un appareil d’Etat corrompu dépendant de la tutelle exercée par les gouvernements français successifs, dans un pays où les religieux font du social de proximité en concurrence avec les ONG, sont autant d’ingrédients favorisant le cycle de révoltes et de répressions sur fond de misère sociale. Sauf que, l’intervention militaire occidentale en Libye, la chute de Kadhafi, ont disséminé au Sahel nombre de combattants mercenaires (et d’armes) qui se sont recyclés dans le djihadisme de razzia. Ils n’ont eu aucune difficulté à s’allier d’abord avec les Touaregs, puis et surtout, à recruter des jeunes miséreux. Une culture islamiste sommaire, mâtinée d’anticolonialisme contre les Croisés, l’appât du gain, d’un statut, les exactions des militaires, sont autant de motivations favorisant leur enrôlement.

 

Janvier 2013. Hollande, après avoir obtenu la couverture de l’ONU, décide de l’intervention militaire française pour bloquer l’avancée des djihadistes qui marchent sur Bamako, capitale du Mali. 7 ans après, les 5 100 militaires français malgré les « scalps » accumulés et la « neutralisation » effectuée – pour utiliser les termes de la soldatesque – n’ont fait que disséminer et prospérer le djihadisme au nord et au sud du Mali, au Burkina-Faso, au Niger, en Mauritanie… De l’avis même du général Lecointre, auditionné par la Commission de l’Assemblée nationale : « Nous y sommes encore pendant 20 ans sans doute » ( !).     

 

La raison majeure de cet entêtement est à chercher notamment dans la « sécurisation » de l’extraction de l’uranium dans cette région, et plus généralement, dans l’exploitation néocoloniale de la Françafrique. Le coût de l’intervention militaire française se monte à 2 millions d’euros par jour, sans véritables résultats et commence à interroger : Macron est inquiet et déçu du possible retrait américain qui fournit logistique et renseignement, et du refus poli de l’Union Européenne de s’engager dans cette guerre sans issue. Un retrait piteux est impensable.

 

L’étincelle démocratiste

 

2020. Les élections législatives se sont déroulées dans un climat de relative indifférence vis-à-vis des « politiki », tous corrompus. Au 1er tour, les  abstentions proclamées se montaient à 57%, au 2ème tour à 65 % dans ce pays en guerre, dont il fallait conserver la façade démocratique. Coup de théâtre en juin : le Conseil constitutionnel aux ordres, inverse le résultat d’une trentaine de circonscriptions, en faveur des candidats au pouvoir. C’est l’embrasement d’une mobilisation contre IBK, qui va durer. Il va soulever la jeunesse urbaine. Le Mouvement du 5 juin, dit républicain et patriotique, est formé. Il comprend des religieux, d’anciens ministres ( !) et des représentants dits de la société civile. L’ambiance est vite insurrectionnelle : occupations des ronds-points, manifestations massives devant l’Assemblée nationale, dont les bâtiments sont caillassés. Dès le 1er jour de juin, on dénombre 124 blessés, nombre d’arrestations, et l’internet, géré par Orange, est bloqué sur ordre. La mobilisation s’intensifie entre le 10 et le 12 juillet. On dénombre 23 morts par balles. Silence-radio en France, il ne se passe rien d’autre que le Covid-19.

 

Face à l’exigence de sa démission, le président IBK tergiverse : il promet dans un premier temps, la dissolution de la Cour constitutionnelle, puis le 27 juillet, il désigne un cabinet restreint à 7 ministres pour négocier, avec l’opposition, la formation d’une union nationale. Refus du Mouvement du 5 juin : « Nous ne sommes ni demandeurs, ni preneurs ». C’est que les esprits sont chauffés à blanc : une vidéo circule, on y voit le fils d’IBK, Karim Keïta, s’exhiber dans une fête délurée en Espagne, lui dont l’enrichissement personnel à coups de détournements de fonds publics, dont la réélection comme député est contestée, le même dont les trafics d’influence et de trucage des marchés publics arrosent ses proches… C’en est trop ! Tout cela forme un cocktail explosif. Des domiciles, extravagant de luxe, de certains responsables du pouvoir sont visités, vandalisés. Ils provoquent des scènes de joie à Bamako.

 

Vite, il faut sauver le soldat IBK : la Communauté Economique de Développement de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est requise. Les missi dominici de Côte d’Ivoire, du Ghana, du Niger, du Sénégal, sous-traitants de Macron, tentent une médiation pour imposer un gouvernement d’union nationale. Peine perdue. La peur d’un effet domino dans toute la région leur provoque des sueurs froides.

 

Coup d’Etat et tractations

 

Après 3 mois de manifestations, les militaires se mutinent le 17 août. Le lendemain, c’est le coup d’Etat. L’affaire semble avoir été bien préparée. IBK, le 1er ministre Cissé, des hauts fonctionnaires, sont promptement arrêtés. Le Président annonce sa démission, l’Assemblée nationale est dissoute, un Conseil National de Salut Public (CNSP) représente la junte militaire avec, à sa tête, un colonel, Assimi Goïta qui prétend négocier une période de transition avec le Mouvement du 5 juin.

 

L’armée malienne, humiliée par les pertes subies lors de ses affrontements avec les djihadistes (20 morts - le 26 janvier à Sokolo, le 2 août dans le centre du pays et à la frontière mauritanienne), ne souhaitait pas endosser la responsabilité de la répression. Peut-être ? Face à la corruption du régime, aux trafics qui le gangrènent, et face à son sous-équipement (chaussures trouées, gilets pare-balles défectueux…), il semble qu’un certain nombre de sous-officiers aient décidé de profiter de la vague de contestation populaire pour rétablir l’ordre. Mais lequel ? En tout état de cause, le CNSP a immédiatement invité l’opposition, en fait le M5, à « dialoguer ». Pendant 9 jours, ont été proposées une liste de « réformes » et une liste de noms, toute prête, pour former le gouvernement de transition. Il semble que les caciques politiciens sur le retour, qui font partie du M5, ne goûtent guère l’affirmation proposée par la junte : il faut « éviter à tout prix le retour de la caste politique au pouvoir depuis 30 ans ».

 

Tollé dans les chancelleries, condamnation du coup d’Etat, exigence du retour d’IBK, puis, après sa démission, d’un gouvernement civil. Les vassaux du suzerain Macron se sont invités à Bamako. Ils n’ont obtenu que la libération pour raison de santé d’IBK et une vague promesse pour les autres, incarcérés. La junte semble insensible aux sanctions (blocage du commerce des marchandises et des capitaux émanant des pays limitrophes) et aux condamnations de l’ONU et de l’Union européenne. La France de Macron reste prudente. Les conseillers du Président-chef des armées, lui avaient pourtant susurré qu’IBK était une branche pourrie, mais il y en a tant en Afrique de l’Ouest à qui il faut tenir la laisse pour préserver le pré-carré néocolonial !

 

Le calme semble revenu à Bamako, pour le moment. Déjà l’imam Dicko prend ses distances, annonce l’oraison funèbre du M5 et dénonce les tractations qui se jouent pour l’obtention de postes au sein du gouvernement de transition dénonce « la volonté d’accaparement et de confiscation du pouvoir par le CNSP ». Le colonel Assimi Goïta l’a-t-il pris de vitesse en désignant le Président, un civil ancien militaire, Ba N’Daw, aide de camp du dictateur Moussa Traoré, puis ministre de la défense d’IBK ? Il aurait démissionné par opposition au fils d’IBK, qui s’ingérait dans les contrats juteux d’armement, et parce qu’il était en désaccord sur l’application des accords de paix, signés à Alger en 2015. Faut-il rappeler que ces accords avec la minorité touareg ont été conclus sous l’égide du seul gouvernement français… Quant au vice-président désigné, il n’est autre que le chef de la junte militaire Assimi Goïta. La prestation de serment doit avoir lieu le 25 septembre. 

 

Quelle sera la réaction de la CEDEAO, qui se targuait de mettre le Mali sous embargo ? Et celles de l’imam Dicko, des Maliens eux-mêmes, de l’armée française ? Autant d’interrogations auxquelles on ne peut encore répondre. Pour reprendre la formule de Marx : les Maliens écrivent leur propre histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font… Quelles sont les cartes maîtresses qui restent dans les mains de Macron ? Le général Fanta Mady Dembélé, celui qu’un journaliste du Monde présentait comme « le cerveau silencieux » du coup d’Etat, celui qui, sorti de Saint-Cyr, suivit l’école de guerre, obtint une licence d’histoire à la Sorbonne et un master de relations internationales, le « chouchou » du général français commandant l’opération Barkhane, est certes sorti du sérail francophone. Est-il vraiment en situation de s’imposer ?

 

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Ces questionnements conjoncturels ne doivent pas masquer l’essentiel : les politiques néolibérales et néocoloniales vont continuer de susciter des révoltes au sein des populations africaines. Sur fond d’intrusion des djihadistes, au sein du terreau fertile de misère, les sanguinaires n’ont aucun mal à se présenter comme des hommes vertueux, face à la corruption qui règne parmi les cliques vassalisées, prétendant diriger ces pays. Le cycle de soulèvements et de répressions, voire de guerres civiles à caractère ethnique, ne peut être enrayé, à terme, que par l’émergence d’une nouvelle « élite » révolutionnaire, indépendante, enracinée dans les populations. Pour l’heure, rien ne laisse prévoir cette issue. Une seule certitude : le réchauffement climatique, l’émigration, les exactions des soldatesques en tous genres, sont autant de maux et de souffrances à venir. Ils ne seront pas sans conséquence au sein même des pays occidentaux, où devrait se développer un mouvement anti-impérialiste, ayant pour objectif de mettre fin à l’ingérence dans les pays du Sud. Il ne suffit plus de pleurer avec compassion sur le sort des « pauvres » Africains mais de révéler les causes profondes de leurs malheurs.

 

Gérard Deneux, le 22.09.2020

 

(1)    sources : le Monde, Billet d’Afrique, alencontre.org, NPA

 

Encart

Qui est IBK ?

Il a fait des études à la Sorbonne, a été membre de l’Internationale Socialiste, se dit admirateur du général de Gaulle. Au Mali, Il a la réputation d’être un « président jouisseur », une « marionnette de la France », ami de Macron. Il aime exhiber sa Rolex, cette montre en or blanc dont le cadran est serti de diamants. Il est également un grand amateur de champagne. Libéré par la junte militaire pour « raison de santé » ( !), il s’est réfugié à Abou Dhabi, aux Emirats Arabes Unis, pays wahhabite qui mène la guerre au Yémen, en coalition avec l’Arabie Saoudite. Pour les conseillers de Macron, c’est « une branche pourrie ». GD

 

Encart

Et l’imam Dicko ?

Professeur d’arabe, il reçoit une formation religieuse en Mauritanie, puis en Arabie Saoudite. Ce salafiste, prêcheur, a la réputation d’être un « faiseur de rois ». Il se présente comme le « vertueux » entre tous. Il est un pivot de la vie politique au Mali et le cauchemar des dirigeants français. Il a accompagné le dictateur Moussa Traoré lorsqu’il était au pouvoir, puis a soutenu IBK (« son ami », « son frère ») tout particulièrement lors de sa première candidature à la présidentielle.

En 2009, il a réussi à rassembler 50 000 fidèles dans le stade de Bamako. Il est parvenu à obtenir l’annulation de la réforme du Code de la famille qui prévoyait de donner plus de droits aux femmes. Partisan d’une République islamique, sa rhétorique contient la dénonciation de « l’Etat prédateur » ; il défend l’idée de négociations avec les djihadistes, s’insurge contre les manuels scolaires « maliens » qui feraient la promotion de l’homosexualité. Il condamne la présence militaire française au Mali et les ingérences de l’ONU et d’autres institutions internationales. Ses prêches et discours rencontrent un franc succès auprès de la jeunesse urbaine. Il a été à l’initiative de la création du Mouvement du 5 juin, avec lequel il semble désormais prendre ses distances, y compris avec les militaires du Conseil National de Salut Public (CNSP). GD

 

 

Erratum et précision

Dans mon article « Globalisation » de PES n° 65 :

-         Erratum à la p.3 : le pacte entre l’UE et la Turquie est de 6 milliards (et non 6 millions)

-         Précision (à la p. 3) : le président du CFCM (en 2017/2019) était Ahmet Ogras (d’obédience turque) et le président actuel (2020-2023) est Mohamed Moussaoui (d’obédience marocaine)

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