Moria
Dernier
scandale de la politique migratoire de l’UE
Ce
9 septembre, l’incendie qui a ravagé le camp de Moria remet sur le devant de la
scène ce que les Etats de l’UE veulent nous faire oublier. Qu’en est-il de
l’exercice de la solidarité envers les exilés du monde cherchant un
refuge ?
Rappel : cette caserne militaire (d’une capacité
de 2 500 personnes), sur l’île grecque de Lesbos, transformée en camp de
tri et de transit, parquait plus de 14 000 personnes. En 2015, les
85 000 habitants de Lesbos voient arriver plus de 450 000 réfugiés. Le
camp déborde vite sur les oliveraies avoisinantes. Les pêcheurs, les familles
solidaires aident au mieux mais, au fil du temps, la situation se crispe. Les
habitants se sentent en danger et empêchent les migrants d’accoster,
manifestent… Cette mégastructure devient un no man’s land où règnent peur,
violences, prostitution, viols : le quotidien des personnes devient un
enfer. Des jeunes se suicident, d’autres sont brûlés dans des tentes, d’autres
sont poignardés (entre janvier et août, 5 personnes recensées dans plus de 15
attaques).
Le
9 septembre, c’est une nouvelle catastrophe humanitaire pour celles et ceux qui
ont perdu leurs maigres biens, désorientés, sans vivres, sans eau… plus rien !
La première réponse de Mitsotakis, 1er
ministre, est l’envoi de renforts policiers et de canons à eau pour empêcher
que les réfugiés aillent « contaminer » les habitants de Lesbos. A
ceux qui revendiquent leur transfert sur le continent, il répond avec les
lacrymos. Apparaissent, très vite, des commandos fascistes qui s’en prennent
également aux solidaires, en toute impunité.
Quelles solutions de
l’UE ? Rien ou
presque. 400 enfants non accompagnés sont transférés sur un ferry en attendant
de trouver des pays d’accueil. Tous les autres sont à nouveau parqués dans un
camp improvisé au bout de l’île. Le ministre grec de l’immigration
rassure : il ne s’agit pas de « construire de nouvelles
installations, plus sûres, plus adéquates offrant des conditions d’hébergement
plus humain » mais de fermer tous ces lieux d’enfermement. D’ailleurs,
pour éviter les arrivées, le gouvernement a déjà lancé la construction du
barrage anti-migrants (500 000€), une frontière flottante, de près de 4
kms, au large de Lesbos dans la mer Egée.
A
quelques encablures : Mykonos, l’île des célébrités et des millionnaires.
Là, sur la plage, ni pelles ni seaux, encore moins d’épaves de canots
pneumatiques ou de gilets de sauvetage déchirés. Non, plutôt des sacs Gucci à
10 000€ ou des œuvres de street-art à 250 000€. Les restos y
proposent une assiette-bar à 200€ avant la fête nocturne : une orgie de
richesses où 50 000 à 100 000€, par personne, peuvent être dépensés
en une nuit. Deux mondes !
Qu’en
est-il de la solidarité ?
En
matière de déni de solidarité, la
politique européenne répressive est « exemplaire » ! Depuis fin
2014, elle stoppe les opérations de sauvetage en mer Méditerranée ; elle a
délégué à la Libye et à la Turquie, moyennant de juteuses compensations
financières, la sous-traitance du devenir de ces hommes, femmes et enfants en
exil. Mot d’ordre : les empêcher de venir en Europe… par tous les moyens, et
notamment grâce aux gardes côtes
libyens.
Face
à ce sinistre horizon, des ONG se sont mobilisées et ont affrété des navires
humanitaires qui ont déjà sauvé des milliers de naufragés, mais des dizaines de
milliers sont engloutis dans la mer Méditerranée, que l’on peut qualifier de cimetière marin européen :
officiellement, on parle de 20 000 disparus depuis 2015, le chiffre est
probablement supérieur. Ces navires ont subi, tour à tour, contrôles, expertises ;
leurs équipages ont été criminalisés, bloqués dans des ports attendant les
expertises administratives interminables.
Malgré
tout, la traversée de tous les dangers des exilés se poursuit. Depuis janvier
2020, de plus en plus d’embarcations de fortune, surchargées de personnes, tentent
le passage au péril de leur vie par ce long couloir de la mort. Entre janvier et juillet 2020, plus de
25 000 migrants ont quitté les côtes libyennes et tunisiennes alors qu’ils
étaient environ 9 400 en 2019 pour la même période.
La réponse de l’UE est
le harcèlement à
l’encontre des navires humanitaires qui s’engagent à sauver des vies en
Méditerranée (cf encart). La politique menée délibérément méprise la loi, et
notamment la loi maritime (« le sauvetage est obligatoire. Sur
indications des autorités coordinatrices des secours, les personnes doivent
être débarqués au plus tôt dans un port sûr ») et se rend coupable, au
vu de tous, de non-assistance à personne en danger. Tous les équipages des
navires de sauvetage subissent le même scénario de blocages, contrôles, attente
d’autorisation de débarquer les passagers dans un port sûr, c’est-à-dire (selon
l’Organisation Maritime Internationale) «un endroit où la vie des survivants n’est plus menacée et où on peut
subvenir à leurs besoins fondamentaux » «... un endroit à partir duquel
peut s’organiser le transport des survivants vers leur prochaine destination ».
La politique européenne, c’est aussi, depuis fin 2018, l’élargissement du territoire
d’intervention des gardes côtes libyens, qui ratissent à 200 kms des côtes.
Ils font faire le sale boulot aux Asma Boys, chargés de ramener les migrants en Libye puis de les soumettre aux
lois de l’enfer des prisons officielles ou clandestines (pratiquant eux-mêmes
viols, tortures dans les camps) et de les
exploiter comme des esclaves. Tout ça, l’UE le sait et le tolère ! Amnesty
International et d’autres ONG parlent de « violations extrêmes des droits humains » et ont dénoncé le
trafic des êtres humains.
Pourquoi
ces dénis de solidarité, ces pratiques criminelles de refoulement des exilés ne
sont-elles pas jugées ? Deux ONG (Oxfam
et We Move Europ) ont déposé plainte ce 24 septembre, contre la Grèce pour
abandon, au large, de 1 072 demandeurs d’asile, le HCR parle de milliers de
personnes. La Grèce a nié. L’enquête est
en cours.
Les
autorités étatiques, par cette attitude, contribuent à renforcer les réseaux
des passeurs qui continuent de s’enrichir sur la misère humaine. Elles sont
co-responsables de la mort de milliers d’exilés qui partent sur des rafiots de
fortune en mer Méditerranée, mais aussi dans la Manche, ou encore qui se
mettent en danger sur les routes ou croupissent dans des camps déshumanisés
(certains sont des camps de concentration) ou des CRA (centres de rétention
administrative) en France, en Belgique, en Italie, en Afrique...
La
solidarité doit s’imposer et ne peut être qualifiée de délit
Elles
et ils sont nombreux, les solidaires, leurs actions vont des actions fortes de
sauvetage aux actions quotidiennes de soutien d’associations locales.
A
l’image de Carola Rackete, capitaine
du navire humanitaire Sea-Watch 3. En
juin 2019, elle défie Salvini et force le blocus italien pour entrer à
Lampedusa, après 3 semaines en mer avec plus de 50 migrants à bord. Elle en
fait débarquer 40 et est arrêtée pour « aide à l’immigration
clandestine ». La justice italienne a invalidé sa peine de prison.
Pia Klemp, capitaine allemande du Iuventa et, récemment, du Louise Michel a débarqué des naufragés
en détresse, elle est poursuivie par la justice italienne ainsi que 9 autres
marins, risquant 20 ans de prison pour aide et complicité à l’immigration
illégale. Un comble !
Pierre
Alain Mannoni, chercheur à Nice, 5 procès depuis 4 ans, pour avoir porté
secours à 3 jeunes femmes érythréennes blessées (cf « Ils, elles
luttent ». Ou encore Cédric Herrou,
qui ouvre sa porte aux migrants dans la vallée de la Roya. Son procès a permis
la reconnaissance du « principe de fraternité ».
Yannis
Youlountas, réalisateur, militant activiste franco-grec, soutient les
initiatives autogestionnaires grecques en faveur des plus touchés par la crise
sociale en Grèce. Il organise, entre autres actions, des convois de produits de
base et a lancé un appel à dons pour les exilés du camp de Moria (1)
La solidarité est un
combat de tous les jours contre la politique migratoire, en France. Elle se manifeste contre les associations
locales engagées auprès des migrants, par des tracasseries administratives,
voire financières. A Calais, un
arrêté préfectoral du 11 septembre interdit aux associations non mandatées par
l’Etat de distribuer des repas au centre-ville. Cela a valu 2 PV à l’Auberge des Migrants, 7 à
l’association Salam. Leurs recours en
justice contre ce « délit de solidarité » ont été rejetés. 1 500
migrants sont entassés dans une dizaine de campements, et pour celui situé près
de l’autoroute, sous haute surveillance de CRS et d’une caméra panoramique. En Haute-Saône, une association (CADM
70) (2) est « interdite d’accès » aux CADA, suite à leurs dépôts de
doléances émanant des demandeurs d’asile, livrés à eux-mêmes et en détresse. Mais…
dans le pays des Droits de l’Homme, il n’est pas permis d’accompagner un exilé
pour l’aider à exprimer ses demandes. Chasse gardée ! Rien ne doit sortir
de ces lieux clos, aux ordres de l’Etat puisque financés par lui.
Priorité : obéir au préfet !
Ces
violences institutionnelles répétées, ces procédures administratives qui n’en
finissent pas pour les demandeurs d’asile ne comprenant pas pourquoi cela est
si difficile d’être protégé au pays des Droits de l’Homme, provoquent des
crispations, des tensions. La spirale de l’intolérance et du racisme n’est pas
loin.
Nous
devons réaffirmer la solidarité avec tous les exilés comme une priorité et
« Marcher vers l’Elysée » : à l’initiative de plus de
180 collectifs de Sans Papiers, associations, syndicats, la « Marche
nationale des Sans-papiers » (3) est partie de différentes villes de
France (Rennes, Marseille, Strasbourg, Lille, Rouen…) le 19 septembre 2020 et
arrivera à Paris sur les Champs Elysées le 17 octobre 2020. Ce même jour, des manifestations
sont prévues en Italie, Angleterre, Espagne, Grèce… Ils appellent tousTEs à
manifester le 17 octobre « Au nom de la liberté et de la solidarité, en
hommage à toutes les victimes du colonialisme, du racisme et des violences de
la police, en hommage à toutes les victimes des politiques anti-migratoires et
des contrôles au faciès. Au nom de d’égalité, pour imposer enfin la
régularisation de touTEs les Sans-Papiers, la fermeture des centres de
rétention et le logement pour touTEs ».
Il
est vain d’espérer dans « le nouveau Pacte sur la migration et
l’asile » lancé par la Commission Européenne le 23 septembre. Les bonnes
intentions (solidarité obligatoire et responsabilité) proclamées par Mme Von
der Leyen, à peine prononcées, sont déjà lettre morte puisque la politique
migratoire européenne doit être approuvée à l’unanimité des pays membres. La
Pologne, la Hongrie, l’Autriche, la Slovénie, la République thèque restent
toujours hostiles à l’accueil des réfugiés. La France, si
« vertueuse » a accueilli environ 4 600 demandeurs d’asile alors
qu’elle se fixait un objectif de 19 000. Le Pacte évoque d’assigner à
résidence dans certains pays les demandeurs d’asile sur la base de liens familiaux,
d’éducation, d’histoire, de travail et en fonction de la démographie et de
l’économie du pays-hôte qui recevrait en échange une dotation européenne de 10 000€
par adulte (!) avec l’objectif à terme de refouler directement dans leurs
pays 70% de personnes exilées. Un eurocrate affirme : « cette
réforme pose un principe clair… Personne ne sera obligé d’accueillir un
étranger dont il ne veut pas ».
Restons vigilants sur ce qui se trame et ne soyons
pas dupes de la soi-disant compassion de
Madame Von der Leyen qui peut peu.
Lucette
L et Odile M
(1) pour découvrir l’appel et participer http://blogyy.net/2020/09/21/urgent-info-grece-lesbos-exarcheia-crete/
(2) pour soutenir le Comité d’Aide et de
Défense des migrants de Haute-Saône (CADM 70) https://www.facebook.com/cadm70/
(3) https://marche-des-sans-papiers.org
Encart
Quelques
exemples de navires humanitaires solidaires
L’Ocean
Viking (de SOS Méditerranée), a été récemment
bloqué en mer, en attente d’autorisation avec plus de 251 naufragés à
bord : l’Espagne, l’Italie, Malte refusent l’accès à leurs ports. Il avait
déjà subi une immobilisation pour « raisons techniques » dans un port
italien. Contrôlé 3 fois en un an, la dernière inspection a duré 11h !
Le Louise Michel,
ancienne vedette des douanes françaises, avec la particularité d’être plus
rapide que les gardes libyens, affrété en août 2020 par Banksy (un
street-artiste britannique) est à quai, à
disposition des autorités italiennes. Le
28 août. L’équipage tweetait : « Le Louise
Michel a assisté 130 personnes… et personne
n’apporte d’aide ! Nous atteignons un état d’urgence. Nous avons besoin
d’assistance immédiate […] L’Union européenne doit agir, tout de suite » !
L’Open
Arms (de l’ONG Pro activa catalane) a réalisé 3
opérations de sauvetage depuis ce 8 septembre. Bloqué en mer en août (19 jours)
avec 278 personnes recueillies, traumatisées, dont le pronostic vital est engagé
pour certains. Malte a refusé le débarquement. L’Italie ne répond même pas aux
demandes de vivres. L’attente est si insupportable que le 17 septembre, 70
passagers exilés, complètement désespérés, se sont jetés à l’eau. Le
débarquement a pu finalement se faire au large de la Sicile. Le bateau est sous
séquestre.
L’Alan
Kurdi (du nom du
petit syrien de 3 ans retrouvé mort sur une plage de Turquie) de l’ONG
allemande Sea Eye, a sauvé en mer samedi 19 septembre 2020, 133 migrants,
puis a essuyé l’inaction de l’Italie, de l’Allemagne et de la France ;
celle-ci renvoie la balle à l’Italie. Faisant route vers Marseille, qui s’est
dite prête à accueillir « sans condition » sauf que… le bateau
n’a pas eu l’autorisation de la France et a dû débarquer en….
Sardaigne !
Deux avions humanitaires s’ajoutent à cette flotte humanitaire
dont le Sea Bird qui a réalisé sa 1°
mission le 6 août 2020.