Référendum
pour le bien-être animal
Dans la nuit du 8 au
9 octobre, une proposition de loi visant à soumettre au Référendum d’Initiative
Partagée (RIP) le bien-être animal a été
débattue, mais n’a pu être adoptée par les députés. La force de cette cause est
qu’elle est transcitoyenne et
transpartisane. En effet, en prenant conscience d’une domination
exercée sur les animaux, on peut prendre conscience des violences
institutionnalisées sur les travailleurs. Et vice versa...
Ce projet Référendum pour les animaux
(1) a été lancé le 2 juillet à l’initiative du journaliste Hugo Clément. Ce
dernier réunit trois grands patrons français, Xavier Niel (fondateur de Free), Marc Simoncini (meetic) et Jacques-Antoine Granjon (vente-privée.com) et collabore avec 23
associations (une soixantaine actuellement) de défense animale pour défendre
l’idée d’un référendum d’initiative partagé (RIP) pour lutter contre la
maltraitance animale. L'objectif
: sortir de l'élevage intensif
et interdire l'élevage en cage, les élevages à fourrure, la chasse à courre et
traditionnelle, les spectacles d'animaux sauvages et l'expérimentation animale
automatique.
Si le RIP permet de
soumettre une proposition de loi au référendum, elle doit être
soutenue par au moins 185 parlementaires et 10% des personnes inscrites sur les
listes électorales (soit 4,7 millions).
Selon un sondage de
l’Ifop de 2018, commandé par L214, 80% des sondés pensent qu’il est
du devoir des députés de voter favorablement sur les amendements défendant la
condition animale et 77% souhaitent même que la France inscrive aujourd’hui
dans sa Constitution la protection des animaux, comme l’ont déjà fait des pays
comme l’Allemagne ou la Suisse.
Le
Référendum pour les animaux fédère des personnes et des organisations
d’horizons très divers (du syndicaliste CGT au député LREM…) autour de la
question du bien-être animal, avec six objectifs très concrets:
1.
L’interdiction de l’élevage en cage. C’est le mode d’élevage le plus douloureux
pour les animaux. En France, il concerne 80% des animaux. Dans la proposition
de loi, la date butoir de 2025 est proposée pour permettre aux éleveurs de
réaliser les aménagements nécessaires.
2.
L’interdiction des élevages à fourrure. Des visons sont élevés en cage dans des
conditions abominables. Ils sont abattus dans le seul but de produire de la
fourrure, alors que l’industrie du textile a depuis longtemps développé
d’autres matières isolantes très efficaces, y compris de la fausse fourrure.
3.
La fin de l’élevage intensif. L’élevage industriel, en plus de ne pas répondre
aux besoins naturels élémentaires des animaux, a un énorme impact
environnemental. La proposition de loi inclut un moratoire immédiat sur
l’élevage intensif.
4.
L’interdiction de la chasse à courre, du déterrage et des chasses dites
traditionnelles. La chasse à courre, aussi appelée « vénerie »,
consiste à traquer un animal (un cerf, sanglier, chevreuil, renard ou lièvre)
jusqu’à épuisement à l’aide d’une meute de chiens et de cavaliers à cheval. Les
autres chasse dites ‘traditionnelles’ consistent à piéger des oiseaux en
les collant (avec de la glu), en les étranglant (tenderie) ou en les écrasant
(tendelle). Ces méthodes, en plus d’être cruelles, sont non sélectives et
aboutissent à la capture d’espèces protégées menacées d’extinction.
5.
L’interdiction des spectacles avec animaux sauvages. Dans le monde, 60% des
animaux sauvages ont disparu ces quarante dernières années. L’effondrement de
la biodiversité et les découvertes toujours plus fascinantes sur l’intelligence
et la sensibilité animale devraient nous pousser à bien traiter les animaux
captifs. Pourtant, en France, des lions, tigres, dauphins, éléphants ou encore
singes sont toujours utilisés comme des objets de divertissement dans les
cirques et delphinarium.
6.
La fin de l’expérimentation animale. L'expérimentation animale en France
concerne près de 2 millions d'animaux - 4 millions si l’on ajoute les animaux
transgéniques. Dès lors que l’expérimentation animale n’est pas indispensable
en raison d’une méthode de recherche alternative, cette expérimentation devrait
être interdite.
Le projet de référendum
rassemble 142 députés signataires sur les 185 nécessaires, plus de 800 000
signatures de citoyens, une soixantaine d’associations et des dizaines de
personnalités du monde économique, culturel ou politique. Selon un sondage
réalisé les 15 et 16 juillet 2020 par l’Ifop, 73 % des Françaises et Français
seraient favorables à l’organisation de ce référendum. Mieux encore, 89 %
seraient partisans des six mesures avancées. L’enquête montre que les Français.e.s
vivant en zones rurales seraient plus favorables à ce RIP que les
Parisiens et Parisiennes (77 % contre 74 %), de même que les classes
populaires.
Les questions que pose le
combat pour le bien-être animal sont aussi des questions politiques, comme tous
les enjeux de civilisation. Comme l’écrivent Fabien Hein et Dom Blake, dans ‘Ecopunk :
Les Punks, de la cause animale à l’écologie radicale ‘(2) «
la défense de la cause animale est donc une question plus large qu’il
paraît, car en “prenant conscience d’une forme d’oppression”, il devient
possible de “prendre conscience du reste”, notamment de la “violence
institutionnalisée contre les travailleurs” ». Et vice versa : la prise de
conscience des dominations que nous subissons en tant que travailleurs et
travailleuses doit pouvoir nous amener à prendre conscience des autres formes
de domination que nous pouvons être amenés à exercer, notamment sur les
animaux.
‘Le capitalisme a commencé
avec l’élevage’ d’après Brigitte Gothière, porte-parole et directrice de
l’association L214 (3). Étymologiquement, caput, en latin, veut dire la tête de bétail et c’est aussi dans
les abattoirs de Chicago au XIXe qu’est né le travail à la chaîne. Les animaux
ont été les premiers à souffrir du capitalisme. Il a intensifié leur malheur et
multiplié leur nombre. Aujourd’hui soixante-dix milliards d’animaux sont tués
chaque année, ainsi que mille milliards d’animaux aquatiques. Bien qu’on les
tuait et on les maltraitait avant son apparition, le capitalisme s’est installé
sur un terreau fertile pour transformer les animaux en protéines sur pattes.
Lors d’une conférence de
presse mardi 29 septembre, la ministre de la Transition écologique,
Barbara Pompili, a annoncé :
- la fin progressive de la
faune sauvage dans les cirques itinérants
- la fin de la présence
d’orques et dauphins dans des delphinariums inadaptés
- la fin des élevages de
visons pour leur fourrure
- le soutien aux zoos qui
améliorent leurs conditions de détention
Elle n’a pas annoncé de
calendrier précis mais un accompagnement des structures via une enveloppe de 8
millions d’euros. Il y aurait environ 500 fauves dans les cirques français
selon la profession. La France compte quatre élevages de visons.
Au cours de la séance du 1er
octobre, une proposition de loi en faveur du bien-être animal, portée par
Cédric Villani (Écologie Démocratie Solidarité, EDS), a été débattue en
commission à l’Assemblée nationale. La commission des Affaires économiques a
décidé de supprimer les articles de la proposition de loi concernant
l’interdiction de certaines formes de chasses jugées « cruelles » —
comme la chasse à courre — et la fin progressive des élevages intensifs et en
cages.
La proposition de loi, en
débat les 8/9 octobre n’a pas été adoptée par les députés. Après une journée
entière consacrée à d’autres débats, il ne restait que deux heures à cette
seconde proposition de loi à l’ordre du jour de la niche parlementaire du
groupe EDS pour être discutée. « Le temps du débat, démarré à 22 h, a
été réduit au minimum par des manœuvres d’obstruction parlementaire comme on
pouvait malheureusement s’y attendre. Le temps imparti n’a même pas permis
l’adoption d’un texte avant minuit », regrette l’association de
défense des droits des animaux L214 dans un communiqué.
« Les sujets sur
lesquels le gouvernement avait annoncé vouloir avancer par la voix de Barbara
Pompili le 29 septembre dernier n’ont même pas été débattus (interdiction
des animaux sauvages dans les cirques itinérants, interdiction des orques et
des grands dauphins dans les delphinariums et interdiction d’élevage des visons
abattus pour leur fourrure) », poursuit L214, qui dénonce un « torpillage »
de la proposition de loi. Le groupe EDS indique avoir demandé au gouvernement
de programmer dès les prochains jours la fin de l’examen du texte sur le
bien-être animal.
Combat à suivre et à
soutenir donc...
Stéphanie Roussillon, le 22
octobre 2020
1- https://referendumpourlesanimaux.fr/
2- https://www.monde-diplomatique.fr/2017/03/MONTJOYE/57292
3- https://reporterre.net/Politiques-grands-patrons-paysans-La-cause-animale-est-transpartisane
Pour en débattre
L’article ci-dessus n’engage que son auteure et ce, pour
plusieurs raisons qui, bien qu’abordées au sein du comité de réalisation, n’ont
pu être menées à leur terme, compte tenu d’une approche, peut-être trop centrée
sur les dégâts du capitalisme productiviste et, par conséquent, de la
maltraitance usinière des animaux. Peut-on pour autant reprendre à son compte,
sans discernement, une proposition de référendum émanant de positions patronales et de dissidents de LREM, sans se poser un
certain nombre de questions quant au contexte dans lequel elles sont
émises ?
Sans que l’on puisse
contester la maltraitance d’animaux (ferme des 1 000 vaches, les révélations
de l’association L 214 sur les méthodes utilisées dans les abattoirs dont les
travailleurs sont eux-mêmes victimes), voire les tueries sauvages de chevaux,
force est de constater que l’émotion, la compassion ne doivent pas conduire à
l’aveuglement au risque d’étouffer tout esprit critique.
Que vise cette opération
« transcitoyenne et transpartisane », lancée par des grands
patrons comme Xavier Niel et des
dissidents LREM ? N’aurait-il pas fallu rappeler que ce sulfureux patron,
promoteur du minitel rose, condamné à de la prison pour proxénétisme, ami de
rencontre carcérale de Mimi Marchand, cette paparazzi compagne de braqueurs,
ont tous deux aidé Macron financièrement et médiatiquement. Il était tout aussi
indiqué de signaler que le groupe de 17 députés, dits Ecologie, Démocratie et Solidarité ne sont que des dissidents LREM,
formant un 9ème groupe à l’assemblée nationale, sur fond, comme ils
disent « de manœuvres et de
manigances » en séries pour ravir des postes en vue (commissions de
l’Assemblée).
C’est donc dans ce contexte de fronde et de refus de
certains d’être de simples godillots approuvant les projets de lois régressives
du gouvernement qu’ont surgi des amendements et des projets de lois sociétales.
Pour ceux-là, l’approbation des contre-réformes sur les retraites, la diminution
des allocations chômage, même si elles ont pu provoquer quelques indignations,
ne posent pas problème. Les velléités d’indépendance se sont focalisées sur le
bien-être animal, le congé parental, le renforcement du droit à l’avortement,
l’allongement du congé pour deuil d’un enfant mineur… Autant de causes honorables
qui, non seulement, ne figurent pas à l’agenda de l’exécutif ( !) mais
renvoient surtout à une sourde guerre interne au sein de la majorité
présidentielle, tiraillée entre son aile « gauche » sociétale et les
légitimistes macroniens acceptant le virage droitier et sécuritaire de Macron.
Des élus LREM cooptés sur CV et « de droite et de gauche » ont
quelques problèmes intestinaux vis-à-vis de ténors qui leur sont imposés
(Philippe, Castex, Darmanin, Lemaire…) tous en provenance de la droite dite républicaine.
On peut également douter de
leurs motivations, de la « force de cette cause » qu’ils font
leur et, qui plus est, de l’affirmation « qu’elle va faire prendre
conscience de la violence institutionnelle
contre les travailleurs ». Pourquoi donc sont-ils restés muets face aux
violences policières contre les Gilets Jaunes, malgré les condamnations des
commissions des droits de l’Homme de L’ONU et de l’UE ? Pourquoi donc, les
mêmes, sont restés sans voix vis-à-vis du sort réservé et de la maltraitance
instituée vis-à-vis des SDF, des sans-papiers, des migrants ? On les voit
mal condamner demain les chasses à courre annuelles à Chambord, haut lieu où se
rencontrent grands patrons et élus, président du Sénat tout devant et Macron
derrière !
Peut-on faire, sans recul,
la promotion des dires de Pompili, ministre de la transition écologique, qui,
toute honte bue, préfère les betteraves sucrières aux abeilles (autorisation/revirement
des néonicotinoïdes sous pression du lobby agricole ? De même pour
Villani, ce mathématicien égaré dans la cour de Macron et chassé au profit
de la grande dame Buzyn pour un Paris perdu !
Quant à défendre, dans ces
conditions, un référendum illusoire
de « d’initiative partagée » dont on a connu l’inatteignable à propos
des Aéroports de Paris, il apparaît pour ce qu’il est en réalité : un
moyen de recyclage de macronistes déçus et de pressions sur l’appareil LREM.
Plus fondamentalement,
au-delà du contexte immédiat de la préparation des présidentielles et de
glissements droitiers et sécuritaires de Macron, convaincu qu’il faut chasser
sur ce terrain pour se présenter au 2ème tour face à l’épouvantail
Le Pen, il convient de resituer cet épisode dans le cadre de la domination de classe : l’hégémonie
des castes successives, de droite puis de gauche (et vice versa) se succédant
depuis 40 ans, repose sur deux piliers :
le néolibéralisme économique et le libéralisme sociétal. Ce dernier s’est
imposé à la fin des années 1970 notamment, à travers les luttes des femmes.
Giscard d’Estaing l’avait compris. En voulant rassembler « Deux Français sur trois » (titre de
son livre-programme), il assurait d’une part, la promotion de la
« mondialisation heureuse » et
d’autre part, la liberté des mœurs. Il envoyait Simone Veil dans l’hémicycle
affronter les députés machistes afin d’adopter l’IVG. Malgré l’opposition
toujours vivace des cathos traditionnalistes et de la droite paternaliste, cette
hégémonie s’est imposée. Aujourd’hui, c’est son pilier néolibéral économique
qui s’effrite sous l’effet des crises de 2007-2008 et maintenant du Covid 19.
Pour colmater cette érosion, la droite et l’extrême droite recyclent le racisme
aux accents néocoloniaux et xénophobes, fustigent les migrants, durcissent la
répression contre les mobilisations sociales, s’emparent du terrorisme
djihadiste pour susciter une version nationale dite républicaine. Si le pire
n’est pas certain, si l’opération référendaire peut faire diversion, il n’en demeure pas moins qu’une fraction de la classe
dominante a intérêt dans la période, à agiter toutes les peurs en particulier
« l’invasion migratoire « et « l’islam terroriste »… Toute
la rhétorique républicaniste est brandie au nom de la laïcité afin d’assurer la
souveraineté étatique. Cette surenchère, dont pratiquement tous les partis
parlementaires s’emparent, vise à concurrencer sur son terrain les propagandes
de l’extrême droite.
Ceci dit, reste qu’il faut
aiguiser notre esprit critique, débattre pour décrypter la réalité mouvante
dans laquelle nous sommes empêtrés.
GD le 24.10.2020