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Le ménage à trois de la lutte des
classes
Partant du constat que les
classes moyennes salariées s’engagent depuis quelques années dans des luttes
massives qui ébranlent nombre de régimes, en particulier les dictateurs, les
auteurs en appellent à une nouvelle analyse de cette classe intermédiaire,
entre prolétariat et bourgeoisie. Cette classe moyenne, qui s’est développée à
la fois avec le taylorisme et l’impérialisme, y compris néocolonial, bénéficie
d’un sursalaire et donc d’une surconsommation et se constitue ainsi des réserves
(épargne…). Cette classe que Marx n’a pas pu vraiment prévoir dans le cadre du
capitalisme du 19ème siècle, a pris une importance qu’il convient de
mesurer. Sous l’effet des crises financières du capitalisme, elle voit fondre
ses relatifs privilèges et en appelle à l’Etat pour réguler les rapports
sociaux en sa faveur. La peur du déclassement l’engage dans des luttes résolues
au cours desquelles elle s’aperçoit que l’appareil d’Etat est en fait le bras
armé du capital.
L’intérêt de l’ouvrage réside
surtout dans l’analyse des mouvements contre la loi Travail en France (2016),
la Commune d’Oaxaca, le faux printemps iranien de 2009, la révolte tunisienne
de 2016, les splendeurs et les misères du dégagisme en Egypte (2011-2013). Au
demeurant, dans toutes ces luttes, le prolétariat sert en fait de force
d’appoint. Ses revendications ont un caractère uniquement économiste, voire
défensif (défense de l’emploi quel qu’il soit) et incitent à penser que les luttes
interclassistes dans ces conditions mènent inéluctablement à l’échec. Dans le
sens marxien du terme, l’affirmation du prolétariat c’est l’abolition de toutes
les classes et par conséquent, dans les mobilisations à venir, la classe
moyenne salariée peut très bien basculer vers des forces nationalistes,
xénophobes et dictatoriales, ou vers le prolétariat. Cette analyse classique
qui se revendique de Marx insiste sur le fait que la révolution sociale n’est
ni une émeute ni des manifestations de dégagisme. Elle doit engager un grand nombre
de prolétaires confiants qui se saisissent des moyens de production, sortent
des usines, instituent leurs propres organes de pouvoir, redéfinissent ce qui
doit être produit pour satisfaire les besoins de l’ensemble de la société et
les conditions dans lesquelles la production doit se réaliser.
La partie théorique finale est
peut-être la plus fragile même si elle reste intéressante dans la mesure où
elle laisse penser que la révolution ne peut être que mondiale. L’analyse qui
est présentée semble éviter de penser le processus contradictoire de libération
sociale dont l’une des conditions est cette guerre culturelle et de changement
des mentalités qu’elle induit, afin de faire surgir, au sens de Gramsci, une
nouvelle hégémonie. C’est peut-être la
condition pour dépasser le ménage à trois de la lutte des classes. GD
Bruno Astarian, Robert Ferro ed. l’asymètrie, 11/2019, 17€